Analyses Économiques
DP N° 7 août 2003
Le «modèle hollandais» a-t-il vécu ?1
Les Pays-Bas connaissent aujourd'hui une crise économique profonde : le PIB néerlandais a régressé cha-
cun des trois derniers trimestres (–0,1%, –0,3% et –0,5%) et les indicateurs conjoncturels récents ne sem-
blent pas indiquer de redémarrage à court terme de l'activité. L'année 2003 devrait donc être une année
noire pour l'économie néerlandaise avec un recul du PIB en moyenne annuelle pour la première fois
depuis 1982.
Cette crise surprend dans un pays qui faisait, il y a peu encore, figure d'exemple. Au cours des années 90,
les excellentes performances de l'économie néerlandaise (croissance supérieure à 3%, chômage en cons-
tante diminution, inflation et finances publiques maîtrisées) ont même conduit certains commentateurs à
parler de «modèle hollandais». Ce modèle reposait sur 1) un consensus social unique pour une forte
modération salariale, autorisant une bonne compétitivité et des exportations dynamiques, 2) une crois-
sance riche en emplois (l'arrivée massive des femmes sur le marché du travail ayant entraîné un très fort
développement du temps partiel), et 3) l'équilibre budgétaire, via la maîtrise des dépenses de l'Etat.
Le «modèle» a commencé à déraper à la fin de la décennie 1990. Avec une croissance économique supé-
rieure à la croissance potentielle depuis 1994 et un taux de chômage historiquement bas, la discipline sala-
riale s'est relâchée. De plus, le gouvernement néerlandais a fait des choix de politique économique
totalement inadaptés à cette situation de surchauffe. Au lieu de mettre en place une politique contra-cycli-
que, les Néerlandais ont abaissé en 2001 le taux marginal d'imposition maximum à 52 % (à partir d'un
taux initial de 72 %) et ont parallèlement relevé les taxes indirectes (avec notamment une hausse du taux
de TVA de 17,5% à 19% au 1er janvier 2001). Il en a résulté une forte augmentation de l'inflation néerlan-
daise : la hausse de fiscalité indirecte, responsable à elle seule de près de deux points d'augmentation de
l'inflation en 2001, est venue amplifier les effets du net relâchement de la discipline salariale, à l'œuvre
depuis 1998. Les coûts salariaux ont alors fortement augmenté et la compétitivité des produits néerlandais
s'en est trouvée dégradée.
D'un point de vue conjoncturel, la sortie de crise pourrait être proche : l'inflation a d'ores et déjà reflué et
pourrait bientôt repasser en dessous de la moyenne de la zone euro ; le gouvernement entend de nouveau
placer la modération salariale au centre de la stratégie néerlandaise. Les Pays-Bas pourraient ainsi regagner
progressivement la compétitivité perdue depuis trois ans et retrouver un rythme de croissance plus en
ligne avec leurs partenaires européens.
Un retour durable du «modèle hollandais» reste toutefois peu probable : les Pays-Bas ne peuvent désor-
mais plus compter sur d'importantes réserves de main d'œuvre et le retour à une croissance non inflation-
niste suppose de réussir à réinsérer sur le marché du travail les populations qui en ont été écartées
(notamment en parvenant à remettre en cause le généreux régime d'invalidité) et qui paraissent difficile-
ment employables. Plus généralement, cette absence de réserves importantes de population active dans le
futur plaide pour le passage à un modèle de croissance moins intense en travail et plus en capital.
1. Ce document a été élaboré sous la responsabilité de la Direction de la Prévision et de l’Analyse Economique et ne reflète pas nécessairement la
position du Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie.
2
La situation économique est aujourd'hui
préoccupante aux Pays-Bas.
L'économie néerlandaise connaît de sérieuses difficul-
tés, avec une croissance sensiblement inférieure à celle
de la zone euro depuis 2001 et une entrée en récession
depuis le quatrième trimestre 2002 : l'activité néerlan-
daise s'est contractée de –0,3% et –0,5% aux premier
et deuxième trimestres 2003, après –0,1% au qua-
trième trimestre 2002. Les derniers indicateurs con-
joncturels ne signalent pas d'amélioration sur le plan
de l'activité pour le troisième trimestre.
Cette conjoncture difficile est inhabituelle aux Pays-
Bas, qui ont affiché depuis 1983 des taux de croissance
soutenus, et ont longtemps été considérés comme un
modèle économique à égaler.
Le modèle de croissance hollandais semblait
pourtant jusqu'à la fin des années 90 iné-
branlable : bâti au début des années 1980, il
reposait sur une stratégie d'enrichissement
de la croissance en emplois et de désinfla-
tion compétitive.
Les Pays-Bas ont joui d'une croissance solide de
l'ordre de +2,5% en moyenne annuelle entre 1982 et
2001. Les performances de l'économie néerlandaise
ont été supérieures à celles de la zone euro pendant la
décennie 1990. Même lors de la crise de 1993, les
Pays-Bas ont été moins touchés (graphique 1). Ils ont
rebondi plus vite que leurs partenaires européens,
notamment grâce à leur compétitivité à l'exportation
et au dynamisme de leurs créations d'emplois.
L'origine du «modèle» hollandais remonte à 1982 et
aux accords dits «de Wassenaar», conclus entre le gou-
vernement, le patronat et les syndicats. De ces accords
est ressorti un nouveau consensus social en faveur
d'une progression concertée et modérée des salaires,
permettant de contenir les coûts salariaux des entre-
prises et ainsi de restaurer leur profitabilité, d'enclen-
cher une dynamique de désinflation compétitive et
d'enrichir la croissance en emplois. La croissance de
l'emploi a été d'autant plus soutenue que des change-
ments structurels ont eu lieu sur le marché du travail.
Les Pays-Bas ont en effet mis en place un partage du
travail, d'abord par voie législative, avec deux lois de
RTT, mais également par choix des ménages néerlan-
dais. L'entrée des femmes sur le marché du travail
(notamment dans les services) a contribué au dévelop-
pement du travail à temps partiel, qui leur permettait
de concilier vies professionnelle et familiale. En
apportant un complément de revenu dans les ména-
ges, l'activité féminine a également permis d'atténuer
les effets dépressifs sur la demande de la modération
salariale.
Graphique 1 :
Depuis 2000, les Pays-Bas connaissent une croissance
plus faible que la zone euro, alors qu'ils l'avaient sur-
passée continuellement depuis 1982
La maîtrise des dépenses de l'Etat, passant notamment
par des coupes massives dans la masse salariale publi-
que et les transferts sociaux, a permis à la fois une
réduction du déficit et de la dette publics, et une dimi-
nution des prélèvements fiscaux et sociaux. Enfin, la
politique monétaire de la Banque Centrale des Pays-
Bas, en arrimant dès 1983 le florin au deutsche mark,
a permis aux Pays-Bas d'engranger des gains de com-
pétitivité, une fois l'inflation jugulée.
Tableau 1
L'entrée en récession de l'économie néerlandaise est
d'autant plus préoccupante qu'aucun signe de rebond
à court terme n'est actuellement perceptible dans les
enquêtes conjoncturelles.
Le modèle hollandais a atteint ses limites
lorsque l'économie s'est retrouvée au plein-
emploi
La concomitance du ralentissement de l'activité néer-
landaise avec la crise du commerce mondial de 2001
peut laisser croire que la crise a été importée aux Pays-
Bas. Les échanges internationaux occupent en effet
une place très importante dans l'activité de ce petit
pays, à la tradition commerciale séculaire. En 2000,
par exemple, les exportations représentaient 68%, et
les importations 62% du PIB néerlandais. Une baisse
en niveau des échanges mondiaux a donc des réper-
cussions importantes sur l'économie des Pays-Bas.
– 3%
– 2%
– 1%
0%
1%
2%
3%
4%
5%
6%
T1-92 T1-93 T1-94 T1-95 T1-96 T1-97 T1-98 T1-99 T1-00 T1-01 T1-02 T1-03
PIB des Pays-Bas PIB de la Zone euro
glissement annuel Croissance plus
faible que celle de la
zone euro
Ac qu i s
02-04 2002 03-1 03-2 2003
PIB -0.2% 0.2% -0.3% -0.5% -0.7%
Demande intérieure totale -0.2% -0.1% 0.1% -0.4%
Demande intérieure hors stocks -0.2% 0.5% -0.1% -0.5%
Consommation privée 0.1% 0.9% -0.2% -1.3%
Consommation publique 0.7% 3.7% 0.4% 1.1%
FBCF Totale -2.1% -3.7% -0.3% -0.5%
Variations Stocks (Contribution au PIB) 0.1% -0.6% 0.1% 0.1%
Exportations Biens et Services -0.4% -1.4% -0.2% -1.6%
Importations Biens et Services -0.3% -2.1% 0.3% -1.5%
Croissance en volume
Pays-Bas Comptes trimestriels
3
Le ralentissement des exportations s'expli-
que par la baisse de la demande extérieure
en volume, mais aussi par des pertes de
compétitivité.
Graphique 2 :
La demande mondiale adressée aux Pays-Bas a subi
un choc comparable à celui subi par ses partenaires
de la zone euro.
Cependant, l'analyse des facteurs de ralentissement
des exportations néerlandaises montre qu'à cet effet
«volume» (baisse sensible de la demande mondiale)
s'est ajouté un effet «prix» (pertes de compétitivité)
propre aux Pays-Bas. Les Pays-Bas ont en effet subi
un choc extérieur identique à celui qui a affecté les
autres pays membres de l'UEM (graphique 2), mais
ont en outre subi des pertes de compétitivité inhabi-
tuelles (graphique 3).
Graphique 3 :
Les exportations progressent moins vite que la
demande étrangère en raisons de pertes de compéti-
tivité.
Le facteur déclenchant de la crise actuelle :
l'abandon de la modération salariale à la fin
des années 90, dans un contexte de plein
emploi et de dérive inflationniste.
Les Pays-Bas ont en effet connu courant 2001 une
phase d'inflation anormalement élevée pour un pays
notoirement connu pour son intransigeance sur l'évo-
lution des prix. Cette accélération des prix s'explique
en partie par la mise en place d'une politique fiscale
inadaptée. Le relèvement de deux points du taux de
TVA, ainsi que de certaines autres taxes indirectes sur
l'énergie, au 1er janvier 2001, a eu comme incidence
d'accélérer les prix d'environ 1,8% cette année là.
Au-delà de l'impact de ces hausses de fiscalité indi-
recte, l'inflation a également été alimentée par une
activité excessivement soutenue (graphique 4) – le
pays produisait en 2001 depuis près de six ans à un
rythme supérieur à son potentiel.
Dans un contexte de chômage quasi inexistant (en
2001, les chômeurs représentaient à peine 2% de la
population active), les salariés ont réussi à préserver
des hausses de salaire réel substantielles, fort éloignées
de ce que la tradition de modération salariale avait
généralement permis d'atteindre depuis vingt ans :
alors que la progression moyenne des salaires moyens
par tête réels s'était établie à +0,6% entre 1989 et
1997, elle a dépassé +1,2% sur la période 1998-2000,
et est demeurée de +1,0% en 2001-2002, malgré le
ralentissement de l'activité. La hausse des salaires
nominaux et des coûts salariaux a donc été très vive,
dégradant la compétitivité de l'économie néerlandaise
et la profitabilité des entreprises.
Graphique 4 :
Le modèle NIGEM montre que la hausse de l'inflation
n'est que partiellement imputable à la politique fis-
cale : les hausses de salaires réels ont également
joué.
Alors que la situation économique semble
aussi délicate qu'en 1982, la sortie de crise
pourrait être proche, mais la viabilité à terme
du «modèle hollandais» paraît compromise.
Les Pays-Bas disposent-ils des ressorts nécessaires
pour revenir au modèle de croissance qui a fait leur
succès depuis 1983 ? Serait-ce dans ce cas la meilleure
solution à adopter ?
Les Pays-Bas sont aujourd'hui toujours en crise. Les
informations conjoncturelles récentes ne laissent pas
encore entrevoir de signe tangible de reprise : leur
croissance devrait être négative cette année, donc très
en dessous de la moyenne de la zone euro.
Demandes mondiales adressées aux Pays-Bas
et à la zone euro (y compris commerce intrazone)
– 5%
0%
5%
10%
15%
1996T1 1997T1 1998T1 1999T1 2000T1 2001T1 2002T1 2003T1 2004T1
Pays-Bas Zone Euro
Evolution des exportations et de la demande mondiale adressée aux Pays-Bas
– 10%
– 5%
0%
5%
10%
15%
20%
1989T1 1991T1 1993T1 1995T1 1997T1 1999T1 2001T1 2003T1
Exportations des Pays-Bas Demande mondiale adressée aux Pays-Bas
Inflation sous-jacente aux Pays-Bas et incidence de
l'augmentation du taux de TVA au 1er janvier 2001
0%
1%
2%
3%
4%
5%
1996 01 1997 01 1998 01 1999 01 2000 01 2001 01 2002 01 2003 1 2004 1 2004 1 2005
IPCH Core Simulation de l'effet taxes
Estimation NIGEM
de l'impact de la hausse
de la TVA sur l'IPCH
Surchauffe due à la rupture de
modération salariale
4
Pour autant, la sortie de crise pourrait être proche, car
l'économie a encaissé le choc inflationniste de 2001.
Les hausses de taxes sont absorbées, et la progression
des salaires doit désormais compter avec une légère
hausse du chômage. L'inflation est presque revenue au
niveau moyen de la zone euro et devrait rapidement
lui devenir inférieure.
Ces évolutions augurent d'un retour des gains de com-
pétitivité vis-à-vis du reste du monde à moyen terme,
et notamment des autres pays membres de l'UEM.
Au-delà de l'impact spontané du chômage sur les évo-
lutions salariales, les Néerlandais semblent aujourd'hui
prêts à renouer avec la modération salariale. L'actuel
gouvernement a ainsi entrepris de désindexer les salai-
res de la fonction publique, dont la hausse annuelle
devra être inférieure d'un point à l'inflation en 2003, et
incité les employeurs et les salariés à s'engager dans
des accords de modération salariale, dans le cadre
d'accords collectifs. En replaçant la modération sala-
riale au cœur de leurs préoccupations, les Pays-Bas
semblent donc vouloir renouer avec les fondements
du «modèle hollandais» et, en cas de succès, pour-
raient retrouver assez vite une croissance plus en ligne
avec celle de leurs partenaires de la zone euro.
Toutes choses égales par ailleurs, si les Pays-Bas par-
venaient à mettre en place aujourd'hui une politique
de modération salariale aussi ambitieuse que cette
adoptée en 1983, un délai de trois ans serait nécessaire
pour qu'ils compensent totalement le différentiel de
coût accumulé depuis 1997 vis-à-vis de la zone euro,
qui est de l'ordre de 10%1.
La question reste toutefois posée de la capacité de
l'économie néerlandaise à maintenir durablement une
stratégie de modération salariale. Les évolutions
récentes ont montré en effet les limites d'une gestion
centralisée du marché du travail, lorsque l'économie
est revenue au plein emploi et que les marges
d'accroissement des taux d'activité sont faibles. Sauf si
les Néerlandais savent tirer durablement la leçon de
l'épisode de surchauffe de la fin des années 1990, il est
plus que probable que les «bonnes intentions» affi-
chées aujourd'hui ne résistent pas très longtemps au
retour de la croissance.
La poursuite d'une croissance riche en
emplois fait débat.
La modération salariale et le partage du travail – par
l'accroissement du temps partiel – avaient permis de
soutenir l'emploi pendant de nombreuses années.
Cette stratégie était optimale tant qu'il existait une
réserve de main-d'œuvre rapidement disponible et
facilement employable (en l'occurrence la population
féminine inactive et les chômeurs). C'est sans doute
moins le cas désormais.
La principale source de main d'œuvre inemployée est
en effet aujourd'hui essentiellement constituée d'indi-
vidus a priori peu qualifiés : les presque 800 000 béné-
ficiaires du régime d'invalidité et les chômeurs âgés
dispensés de recherche d'emplois. L'entrée dans le
régime d'invalidité a été, pendant de nombreuses
années, très souple, et notamment facilitée sciemment
par les autorités néerlandaises pour les personnes de
plus de 55 ans. Mobiliser cette source de main d'œuvre
suppose toutefois tout à la fois de rendre les condi-
tions d'éligibilité à ce régime plus dures et de rendre
plus attractifs pour les employeurs cette population en
général peu qualifiée.
Dans un contexte où la croissance de la population
active restera en tout état de cause limitée, un change-
ment de stratégie est sans doute nécessaire pour l'éco-
nomie néerlandaise. La préférence affichée jusqu'à
présent en faveur du partage du travail mérite d'être
réexaminée. En l'absence de réserves importantes de
population active, le régime de croissance antérieur,
fondé sur une utilisation intensive du travail et moins
intensive en capital (graphique 5), n'est plus
aujourd'hui soutenable.
Graphique 5 :
Au contraire de leurs voisins, les Pays-Bas n'ont pas
connu les hausses des coefficients de capital que jus-
tifierait la baisse des prix relatifs des investissements.
Benjamin Delozier
Thomas Piquereau
Nicolas Sagnes
Directeur de la Publication : Jean-Luc TAVERNIER
Rédacteur en chef : Philippe MILLS
Mise en page : Maryse DOS SANTOS
01.53.18.56.69
1. En ce qui concerne les coûts salariaux unitaires
Stock de capital rapporté au PIB
0,0
0,5
1,0
1,5
2,0
2,5
3,0
1968 1973 1978 1983 1988 1993 1998 2003
Pays-Bas Allemagne France Belgique
Source : OCDE, Economic Outlook
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