Résumé non modifié de l’émission de radio "transversales" La première RTBF, mai 2014 (repris intégralement de leur site rtbf.be) Sécu: devra-t-on un jour choisir entre soigner un senior ou un enfant? Pour combien de temps encore la Belgique va-t-elle rester le paradis des soins? Le système de santé belge est réputé pour être l’un des meilleurs au monde. L’un des plus généreux aussi. C’est une des raisons pour lesquelles 78 000 patients néerlandais viennent s’y faire soigner chaque année. Aux Pays-Bas, le budget consacré à la santé a subi ces dernières années des réductions drastiques et le remboursement des soins est désormais calculé sur la base d’une vision " rentable ". En Belgique aussi, l’Inami se prépare à des restrictions budgétaires. Si rien ne change d’ici à 2060, préviennent les analystes, le budget de la santé pourrait atteindre 1/5e de la richesse nationale. Une situation intenable pour le système de santé belge, dont les avantages sociaux actuels semblent de plus en plus en sursis Aria Laroes, 70 ans, est néerlandaise. Elle vit à Kapelle, un village de la province de Zélande, au sud des Pays-Bas. Il y a un an, son médecin lui a appris qu’elle était atteinte d’un cancer de la vésicule biliaire incurable. " Il m’a dit qu’il ne pouvait plus rien faire pour moi… Puis il a ajouté : ‘Rentrez chez vous et commencez votre deuil’ ". Aria a décidé de venir se faire soigner à l’Hôpital universitaire d’Anvers, où les médecins lui ont proposé un soin palliatif permettant de contrôler la maladie, tout en assurant une certaine qualité de vie. "Si je l’avais écouté, dit-elle en évoquant le médecin aux Pays-Bas, je serais peut-être déjà morte à l’heure qu’il est !". Des délais d’attente insupportables pour les patients hollandais Depuis 5 ans, les néerlandais atteints d’un cancer ou d’une autre maladie grave sont de plus en plus nombreux à venir se faire soigner en Belgique. Ils représentent environ 15% des patients dans les services d’oncologie des hôpitaux universitaires d’Anvers ou de Gand. Les disparités entre les systèmes de santé des deux pays sont au cœur du problème. La structure hiérarchique des hôpitaux aux Pays-Bas conduit à une forte concentration des spécialités ce qui a pour conséquence d’imposer des délais d’attente insupportables aux patients, notamment ceux qui nécessitent une intervention chirurgicale. Ceux-là consultent donc ailleurs, notamment chez-nous, en Belgique. D’autres considérations entrent en jeu. Aux Pays-Bas, les médecins ont une application beaucoup plus stricte des protocoles de soins. Ce sont des guidelines, mis au point par le collège d’oncologie, qui orientent le diagnostic du médecin ou de l’équipe multidisciplinaire pour traiter le patient. En Belgique, ce protocole est utilisé de manière plus souple, ce qui permet un traitement personnalisé plus adapté à chaque cas. Des différences culturelles Pour expliquer la rigidité dans l’application des protocoles de soins, les médecins belges évoquent des différences culturelles, mais aussi des raisons financières. Depuis le début de la crise, le secteur de la santé aux Pays-Bas n’a pas échappé aux coupes budgétaires, entrainant une baisse des dépenses publiques. Les assureurs sont décisionnaires. Ce sont eux qui portent la responsabilité de "ces mesures antisociales". "Quality adjusted life year" Résultat, les assureurs peuvent refuser de rembourser des soins, même palliatifs, au motif que la maladie est incurable. Même si l'âge n'est pas considéré de manière explicite comme un critère de décision, ils peuvent estimer les traitements trop chers par rapport au gain de vie apporté, ce que l’on appelle, le QALY : "Quality adjusted life year". Une unité de mesure qui indique le nombre d’années supplémentaires en parfaite santé, associé à un traitement. Aux Pays-Bas, depuis 7 ans déjà, la limite "par année de vie en bonne santé" est fixée à 80 000 euros. En Grande Bretagne, elle est de 40 000 euros. La Belgique paradis des soins pour les cancéreux de plus de 60 ans ? Le système de soins de santé belge reste en effet, l’un des meilleurs au monde, l’un des plus généreux aussi. Les hôpitaux peuvent encore accueillir potentiellement tous les patients. Tout est remboursable ou presque, même si l’Inami dispose aussi d’une valeur seuil d’environ 40 000 euros que le KCE, la commission de remboursement des médicaments, lui a recommandé, mais qui n’est pas appliquée de manière stricte. "Du gaspillage !" dénonce Lieven Annemans, économiste de la santé, "si aux Pays-Bas, il y a trop de rationnement, à l’inverse chez nous on pratique encore trop d’actes inutiles. Par exemple des investigations médicales alors même que le diagnostic est connu. Autre exemple, un quart des patients en phase terminale reçoit des traitements chimio, alors qu’ils sont condamnés à mourir dans les prochaines semaines. C’est du gaspillage !" Les mesures d’économies dans les soins de santé sont inéluctables : les dépenses actuelles représentent 8% du PIB mais en tenant compte du vieillissement de la population, de la norme de croissance et du coût des innovations, elles devraient tripler d’ici à 2058 pour atteindre 30% du PIB. Choisir entre prolonger la vie d’un enfant ou celle d’une personne âgée ? Si l’Inami envisage bel et bien des mesures d’économies, les critères restent encore inconnus. Devrons-nous, à l’avenir, choisir entre prolonger la vie d’un enfant ou celle d’une personne âgée de 70 ans ? "Ce n’est pas dans nos intentions de donner un effet mécanique à un seul critère" prévient déjà le Dr de Ridder, directeur général du service des soins de santé de l’Inami. "Il est important que chaque dossier puisse encore être évalué. Chez nous aussi, on va mesurer le rapport coût/efficacité d’un traitement, ce que l’on appelle le QALY… Mais à côté de cela, on va prendre en compte d’autres éléments, par exemple, s’il s’agit d’une maladie rare ou s’il s’agit d’un enfant… Et il y a certainement encore d’autres critères à prendre en compte. C’est pourquoi nous avons lancé un débat sociétal". Depuis trois mois, l’Inami semble en effet préparer la population à un changement. En mars dernier, le KCE a mené une enquête sur les "valeurs" auprès de 20 000 Belges. Les questions portaient sur des dilemmes moraux du type : "Faut-il en priorité sauver un enfant de 6 ans atteint d’une maladie incurable ? ou bien payer la dialyse de la grand-mère Lisa ?" Les conclusions qui émergeront de cette étude et les décisions que prendra l’Inami auront des répercussions décisives. "Mais nos valeurs seront utilisées comme des critères d’évaluation, parmi d’autres… " insiste le Dr de Ridder. A l’avenir, l'ajustement des dépenses et des économies dans les soins de santé soulèvera inévitablement des questions d’éthique majeures. Et le débat sociétal chez nous, n’en est qu’à ses prémisses. Aux Pays-Bas, en revanche, la presse dénonce depuis quelques mois déjà, des cas de patients atteints de maladie grave, morts pour n'avoir pu bénéficier de traitements, en raison de leur manque de rentabilité. Dans le cas du mélanome, un cancer en augmentation de plus de en 6 ans, le médicament Vemurafenib coûte environ 8500 euros par mois, mais ne prolonge la vie du patient que de 111 jours en moyenne. Pas suffisamment efficace pour les assureurs. Ce qui explique pourquoi tous les acteurs de la santé plaident pour un accord à l'échelle européenne : les pays seront plus forts s'ils négocient ensemble les prix des traitements auprès des firmes pharmaceutiques.