Module 15 – Item 337 Item 337 : Troubles aigus de la parole. Dysphonie OBJECTIFS : Devant l’apparition d’un trouble aigu de la parole ou d’une dysphonie, argumenter les hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents Introduction Quelque soit le type d’altération vocale et le contexte d’apparition de la dysphonie, sa persistance au delà de trois semaines doit conduire à un examen laryngé par un otorhinolaryngologiste Plan 1. Quelques définitions 2. Dysphonie aiguë 3. Dysphonie chronique 4. Etiologie 5. Pathogénie 6. Clinique Les symptômes 6.2. L’examen clinique 7. Examens complémentaires 8. Les dysphonies dysfonctionnelles Les dysphonies dysfonctionnelles simples Les dysphonies dysfonctionnelles compliquées Les dysphonies dysfonctionnelles secondaires 9. Les paralysies laryngées Mécanismes et étiologies Diagnostic Explorations Traitement 10. Conclusion 165 Module 15 – Item 337 Quelques définitions La phonation correspond à l’ensemble des mécanismes physiologiques et neurophysiologiques qui aboutit à la production des sons du langage (respiration, fonctionnement laryngé, articulation). L’articulation est l’ensemble des mouvements des “organes de la parole” ou articulateurs (essentiellement le voile du palais, la langue, les lèvres), qui modifie la forme des cavités supra laryngées - ou résonateurs - en déterminant des strictions de localisations différentes. Le son (ou le souffle) d’origine laryngo-respiratoire peut ainsi être modifié pour que soient réalisés les différents sons du langage ou phonèmes (figure 1). La parole est l’acte concrètement réalisé (par l’individu), la manifestation physique et physiologique des données abstraites que sont le langage et la langue ; elle correspond à la “mise en œuvre” du code. La parole est une réalisation acoustique programmée dans un but de communication, alors que la voix est le support acoustique de la parole. Figure 1 : Modulation du son phonatoire, de l’air au son émis. SON EMIS Pression intra-orale Débits d’air Pression sous glottique ENVELOPPE DE RESONANCE IMPULSION LARYNGEE Air pulmonaire BRUIT Aspect aérodynamique Aspect anatomique Aspect acoustique La voix est une transformation d'énergie aérienne en énergie acoustique perçue par l’oreille. Le son produit au niveau de la source (les cordes vocales) est modulé par les phénomènes de résonance. Au niveau de la parole, le volume des cavités de résonance est modifié en fonction de la langue utilisée. Ainsi, un son linguistique déterminé est le résultat de la résonance lié à la forme imposée pour produire ce son. La dysphonie est une altération des caractéristiques de la voix. Il peut s’agir d’une modification du timbre, de l’intensité ou de la fréquence de la voix. Le patient peut également ressentir une limitation de ces performances en voix chantée ou d’appel par exemple. Il peut 166 Module 15 – Item 337 aussi décrire des sensations physiques lié aux difficultés d’émission des sons (gène cervicale, fatigabilité…) L’ensemble de ces définitions permet de situer la dysphonie dans le cadre de la communication. Les conséquences de la dysphonie sont d’ordre : - acoustique avec des difficultés d’audibilité par l’interlocuteur, - d’ordre psychologique et sociale par la difficulté à se faire entendre ou comprendre pour l’interlocuteur, - d’ordre physique par la fatigue ressentie en cas d’utilisation vocale importante par le locuteur. La dysphonie conduit très rarement à des altérations de l’articulation de la parole. Elle est indépendante des problèmes de parole et de langage. 2. Dysphonie Aiguë Les dysphonies aiguës sont dominées par la laryngite aiguë. Inflammation aiguë de la muqueuse laryngée, la laryngite aiguë n’a pas le tropisme sousglottique qu’on lui connaît chez l’enfant. Elle intéresse surtout la glotte et la margelle laryngée, ce qui explique sa traduction clinique : la dysphonie. Si elle est le plus souvent d’origine infectieuse, il ne faut cependant pas négliger les autres étiologies, en particulier allergique, plus souvent en cause qu’on ne le pense habituellement. Il s’agit d’une paathologie fréquente, hivernale. La dysphonie s’installe au cours d’une infection rhino-pharyngée banale. Les agents pathogènes sont viraux. Sur le plan clinique peuvent s’associer : dysphonie, paresthésies laryngées, toux sèche. La voix est très enrouée, rapidement désonorisée. L’aphonie est fréquente. L’examen laryngé n’est pas systématique. Il retrouverait des cordes vocales congestives plus ou moins inflammatoires, oedématiées. Le traitement repose sur le repos vocal, les anti-inflammatoires, la suppression des irritiants. Les antibiotiques sont inutiles en l’absence de surinfection bronchique ou sinusienne associée. Toute laryngite aiguë qui dure au delà de 10 jours doit faire reconsidérer le diagnostic pour s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une autre affection, notamment d’un cancer. 3. Dysphonie chronique Aucune définition ne permet de préciser le caractère chronique d’une dysphonie. La fréquence des cancers laryngés incite à un examen laryngé rapide devant une dysphonie persistante. Un délai de trois semaines est souvent cité. Ainsi, quelque soit le type d’altération vocale et le contexte d’apparition de la dysphonie, sa persistance au delà de trois semaines doit conduire à un examen laryngé par un otorhinolaryngologiste. Si cet examen ne fournit pas d’explication satisfaisante, un examen endoscopique sous anesthésie générale est indiqué. 9. Les paralysies laryngées Les immobilités laryngées sont définies comme une diminution ou un arrêt complet du mouvement d’adduction et/ou d’abduction du larynx. En fonction de leur topographie laryngée (uni ou bilatérale, position plutôt en abduction ou en adduction), elles exposeront à un risque vital par gêne respiratoire ou par troubles de la déglutition et à un risque fonctionnel portant sur les différentes fonctions du larynx : la phonation, la déglutition, la respiration et la gestion des efforts à glotte fermée. 167 Module 15 – Item 337 9.1. Mécanismes et étiologies: Différents mécanismes physiopathologiques sont en cause : - les atteintes articulaires - les atteintes musculaires - les atteintes des nerfs assurant l’innervation du larynx - les atteintes du système nerveux assurant le contrôle des mouvements laryngés Sur le plan étiologique, les atteintes des nerfs sont les plus fréquentes avec : - les traumatismes chirurgicaux et non chirurgicaux (22 à 38% en fonction des auteurs) : thyroïdectomie, pneumectomie, abords cervicaux… - les tumeurs (17 à 36%) comprimant ou infiltrant le nerf vague, le nerf récurrent et/ou le nerf laryngé supérieur : tumeurs de la base du crâne, tumeur cervicale, tumeur thoracique (dominé par le poumon), médiastinale… - les formes idiopathiques (13 à 20%) - les neuropathies inflammatoires ou infectieuses (tuberculose, sarcoïdose, diabète, lupus, VIH…). Les paralysies unilatérales représentent 90% des paralysies laryngées. Elles sont plus fréquentes à gauche, probablement pour des raisons anatomiques (trajet plus long de ce coté). Les atteintes du système nerveux en dehors du trajet du nerf sont dominées par les atteintes bulbaires que ce soit par accident vasculaire (syndrome de Wallenberg) ou par atteinte des motoneurones (Syringobulbie, sclérose latérale amyotrophique, malformation d’Arnold Chiari…). Les atteintes du système extrapyramidal peuvent conduire à des immobilisations complètes. Leur fréquence de part leur méconnaissance est difficile à établir. Les atteintes articulaires peuvent être liées à différents processus : - les arthrites et ankyloses sont liées * à des pathologies inflammatoires d’ordre rhumatologique (spondylarthrite ankylosante, polyarthrite rhumatoïde…), d’ordre digestif (maladie de Crohn, rectocolite hémoragique..) ou des connectivites * à une radiothérapie ou à un traumatisme prolongé par une sonde d’intubation ou nasogastrique. Celui ci peut être favorisé par le reflux gastro-oesophagien. - les subluxations et luxations liées à un traumatisme laryngé interne (intubation principalement) ou externe. Les atteintes musculaires sont plus rares. Il faut noter les pathologies de la jonction neuromusculaire avec la myasthénie et les myopathies dont la myopathie de Steinert. Elles donnent généralement des atteintes bilatérales. Enfin, de nombreuses étiologies peuvent provoquer une immobilité par plusieurs mécanismes concomittants. Par exemple : Le lupus par atteinte du nerf (neuropathie inflammatoire) et/ou par atteinte articulaire (arthrite inflammatoire), L’atrophie multisystémique par le syndrome extrapyramidal et par une atteinte bulbaire Aucune étude ne permet de déterminer l’incidence respective de chaque mécanisme. L’usage abusif du terme de paralysie laryngée ou récurentielle devant un larynx immobile pérennise cette situation et soulève le problème du diagnostic positif d’une réelle paralysie récurentielle. 168 Module 15 – Item 337 9.2. Diagnostic Théoriquement, seul l’examen électromyographique des muscles du larynx avec la découverte d’un tracé neurogène permet d’affirmer le diagnostic de paralysie laryngée et d’en préciser sa topographie. Mais cet examen n’est pas de pratique courante et présente des limites : - difficultés d’explorer avec certitude et précision les différents muscles du larynx - intérêt d’une réalisation précoce En pratique le diagnostic est clinique. Il nécessite de vérifier l’intégrité des paires crâniennes en insistant sur la sensibilité et la mobilité du voile du palais et du pharynx. Il sera d’autant plus facile que le contexte étiologique est évident (apparition de l’immobilité dans les suites d’une chirurgie pour laquelle l’atteinte d’un ou des nerfs laryngés est reconnue). La dysphonie est le signe le plus fréquent. Elle est d’autant plus sévère que la position du larynx paralysé est en abduction. La voix est alors généralement soufflée. Elle peut être discrète lors d’une paralysie en adduction. Les troubles de la déglutition sont dominés par les fausses routes prédominant aux liquides. Quasi systématique au moment de l’installation de la paralysie, ils persisteront avec un risque vital d’autant plus important que la position de la paralysie est en abduction et que l’état général du patient est altéré. C’est le cas par exemple des suites postopératoires d’un sujet âgé présentant un cancer du poumon opéré par pneumectomie. Les troubles respiratoires sont plus rares. Il s’agit d’une dyspnée inspiratoire. Le risque vital est mis en jeu dans les paralysies bilatérales en adduction. L’examen clinique repose sur un examen laryngoscopique qui analysera l’aspect morphologique et dynamique du larynx et de l’hypopharynx. Il décrira le coté paralysé en précisant la position de la corde vocale et de l’aryténoïde, le caractère atrophique ou inflammatoire de la muqueuse, l’aspect de la bande ventriculaire. Sur le plan dynamique, le comportement laryngé sera observé au moment du repos, de la toux, du reniflement et de la phonation. Pour bien apprécier la mobilité les épreuves de phonation sont entrecoupées de brèves reprises respiratoires. La palpation cervicale viendra compléter cet examen de base. La normalité de la dynamique linguale, vélaire et oropharyngée sera vérifiée à l’abaisse langue. Ce tableau permet d’évoquer à priori une paralysie par opposition à une atteinte articulaire, une atteinte d’une branche de la dixième paire crânienne par opposition à une lésion du tronc. Cependant, rien ne permet d’éliminer une atteinte du nerf laryngé supérieur ou une atteinte partielle du X intéressant le contingent laryngé. 9.3. Explorations Les différentes étiologies et le fait que le diagnostic topographique reste probabiliste conduisent à un bilan étiologique large systématique. La vérification du trajet des nerfs innervant le larynx (du trajet de la dixième paire crânienne à partir de la base du crâne à l’ensemble du trajet des nerfs récurrents), repose avec les techniques actuelles sur une exploration tomodensitométrique de la base du crâne jusqu’au médiastin supérieur comprenant à droite l’apex pulmonaire et à gauche la crosse de l’aorte. 169 Module 15 – Item 337 Les autres explorations seront orientées par le contexte médical. Avant d’affirmer une origine idiopathique, un bilan sanguin standard et un avis neurologique permettront d’éliminer d’autres pistes. Pour préciser le retentissement de cette paralysie, un bilan fonctionnel est souhaitable : - pour la voix, un examen phoniatrique avec une stroboscopie - pour la déglutition, un essai alimentaire sous nasofibroscope - pour la respiration, une gazométrie et une exploration fonctionnelle respiratoire. 9.4. Traitement Le traitement des paralysies laryngées va dépendre : - de leur étiologie, - de leur topographie - de leur retentissement avec la présence d’un risque vital - du contexte psychosocial à l’origine du handicap propre à la situation du patient La prise en charge visant la réadaptation fonctionnelle doit être précoce pour aider le patient à retrouver une qualité de vie satisfaisante et faciliter la récupération au cours du temps. Une guidance phoniatrique ou une rééducation orthophonique peuvent être prescrites. En fonction du degré d’urgence et des possibilités de récupération spontanée, un traitement chirurgical peut être proposé. Les paralysies bilatérales en adduction peuvent conduire à une trachéotomie en urgence. Elle peut être évitée par une chirurgie d’élargissement de la glotte avec des conséquences plus ou moins importantes sur la qualité de la voix Les paralysies en abduction peuvent bénéficier d’un traitement chirurgical par injection intracordale ou médialisation. Les techniques de réinnervation restent encore du domaine de la recherche clinique. 8. Conclusion Les dysphonies demandent une double évaluation. La première est étiologique. Elle nécessite une démarche médicale avec une exploration laryngée systématique. La deuxième est fonctionnelle. Elle repose sur un bilan vocal. Ce bilan est un acte long, demandant une habileté clinique ayant parfois des aspects très spécialisés. Il nécessite de la part du praticien une formation complémentaire qui rentre actuellement dans le cadre de la phoniatrie. Il est souvent optimisé par un travail en collaboration entre l’otorhinolaryngologiste, le phoniatre et l’orthophoniste. 170