Article de synthèse Rev Neuropsychol 2013 ; 5 (4) : 273-80 Rôle du sommeil dans la consolidation des souvenirs Sleep and memory consolidation Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Françoise Bertran1,2,3,4,5 , Caroline Harand1,2,3,4 , Franck Doidy1,2,3,4 , Géraldine Rauchs1,2,3,4 1 Inserm, U1077, Caen, France 2 Université de Caen Basse-Normandie, UMR-S1077, Caen, France 3 École pratique des hautes études, UMR-S1077, Caen, France 4 CHU de Caen, U1077, Caen, France <[email protected]> 5 CHU de Caen, service des explorations fonctionnelles neurologiques, Caen, France doi: 10.1684/nrp.2013.0283 Pour citer cet article : Bertran F, Harand C, Doidy F, Rauchs G. Rôle du sommeil dans la consolidation des souvenirs. Rev Neuropsychol 2013 ; 5 (4) : 273-80 doi:10.1684/nrp.2013.0283 De nombreuses études indiquent que le sommeil favorise la consolidation en mémoire à long terme des informations récemment acquises. Dans cet article, nous proposons une synthèse des travaux menés sur les liens entre sommeil et mémoire, au moyen de différentes approches expérimentales (privation de sommeil, imagerie cérébrale. . .). Ces études ont contribué à préciser les substrats neurobiologiques sous-tendant l’effet bénéfique du sommeil sur la mémoire et ont abouti à la proposition de deux modèles : l’hypothèse du dialogue hippocampo-néocortical et la théorie de l’homéostasie synaptique (ou recalibrage synaptique). Ces deux modèles sont décrits et nous exposons quelques arguments expérimentaux en faveur de chacun d’eux. Résumé Mots clés : sommeil · mémoire épisodique · mémoire procédurale · consolidation · hippocampe Abstract A large body of evidence indicates that sleep favors the consolidation of recently-acquired information into longterm memory. In this paper, we review studies investigating the relationships between sleep and memory, using various experimental approaches (sleep deprivation, functional neuroimaging. . .). These studies revelaed the neurobiological substrates subserving the beneficial effect of sleep on memory and contributed to the proposal of two models: the hippocampo-neocortical dialogue and the synaptic homeostasis hypothesis (or synaptic downscaling). These two models are described and we report some experimental evidence underpinning each hypothesis. Key words: sleep · episodic memory · procedural memory · memory consolidation · hippocampus Introduction Dès 1881, dans son ouvrage intitulé « Les maladies de la mémoire », Ribot met en relation les troubles mnésiques consécutifs à une lésion cérébrale et l’ancienneté des souvenirs [1]. Ainsi, le rappel d’informations acquises récemment est plus perturbé que celui des souvenirs anciens. Cette dissociation a conduit Ribot à proposer l’existence d’un processus de réorganisation des traces mnésiques au fil du temps, connu aujourd’hui sous le terme de loi ou gradient de Ribot. Le terme de « consolidation mnésique », utilisé pour la première fois en 1900 par Müller et Pilzecker [2], fait référence à un processus lent permettant de transformer une trace mnésique encore fragile en une forme plus durable. Dès 1885, Hermann Ebbinghaus associe ce pro- Correspondance : G. Rauchs cessus au sommeil [3]. En effet, il observe que les traces mnésiques s’évanouissent progressivement avec le temps, mais l’effet est moins prononcé si l’apprentissage est suivi d’une période de sommeil plutôt que d’une période de veille. En ce début de XXe siècle, on n’attribuait encore au sommeil qu’un rôle passif de protection du souvenir vis-àvis des interférences externes. Quand William Dément en 1957 [4] puis Michel Jouvet en 1959 [5] décrivent le sommeil paradoxal et l’activation corticale qui y est associée, ce rôle purement passif du sommeil est remis en cause. Dans cet article, après un bref rappel sur la neurobiologie du sommeil, nous aborderons les relations établies entre les processus de mémoire et les différents types de sommeil, lent ou paradoxal, telles qu’elles ont pu être étudiées par des méthodes expérimentales de privation ou de manipulation chimique du sommeil. Nous nous intéresserons ensuite aux données portant sur les mécanismes neurophysiologiques qui sous-tendent ces relations, telles que les réactivations neuronales, les marqueurs électrophysiologiques ou les REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES 273 Article de synthèse conditions neurochimiques associées au sommeil. Dans une dernière partie, nous développerons les modèles qui ont été proposés pour expliquer le processus de consolidation mnésique au cours du sommeil. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Neurobiologie du sommeil Le sommeil n’est pas un processus unitaire (figure 1a). On distingue, d’une part, le sommeil lent qui est subdivisé en sommeil lent léger (le stade 1, correspondant à la phase d’endormissement, et le stade 2), et en sommeil lent profond (stades 3 et 4 ou SLP) et, d’autre part, le sommeil paradoxal (SP), ce dernier représentant environ 25 % de notre temps de sommeil. Contrairement à ce que l’on a cru pendant longtemps, le sommeil n’est pas un état de quiescence. L’étude des variations du métabolisme cérébral du glucose au cours des différents états de vigilance montre en effet en SLP une diminution globale du métabolisme de l’ordre de 40 %, avec toutefois des activations transitoires lors de la génération des ondes lentes et des fuseaux de sommeil. En revanche, l’activité métabolique du cerveau en SP est comparable, voire supérieure dans certaines régions (notamment l’amygdale, le thalamus, le gyrus parahippocampique et le cortex cingulaire antérieur), à celle mesurée à l’éveil. De la même façon, lors du SP, l’activité électrique corticale rapide observée en électroencéphalographie évoque celle de la veille alors que le sujet dort profondément (d’où le nom de paradoxal). L’activité électrique en sommeil lent est caractérisée par des ondes lentes de fréquence delta (0.5 à 4 Hz), des fuseaux de sommeil (« spindles ») et des ondes à front raide (« sharp-wave ripples » ; figure 1b). En SP, l’activité est dominée par une activité plus rapide de type thêta (entre 4,5 et 8 Hz) et des ondes ponto-géniculo-occipitales (PGO ; figure 1b). Enfin, l’environnement neurochimique varie beaucoup en fonction des stades de sommeil. Ainsi, les niveaux d’acétylcholine, très élevés à l’éveil, diminuent fortement en SLP, puis remontent et dépassent même les niveaux de l’éveil en SP. Le taux de noradrénaline diminue progressivement de la veille au SLP et devient nul en SP, tandis que celui de la sérotonine diminue de la veille au SLP et encore plus sans être nul en SP. Enfin, le taux de cortisol, abaissé en SLP, est élevé en SP (figure 1c). Il existe différentes méthodes d’approche du rôle du sommeil dans la consolidation mnésique chez l’homme. Celles qui consistent à tenter d’établir des corrélations entre les quantités des différents stades de sommeil et les performances mnésiques recueillies après une nuit de sommeil donnent généralement peu de résultats significatifs. Les plus utilisées sont les méthodes de privation de sommeil, totales, sélectives (d’un stade donné de sommeil), ou partielles. Ces dernières, les plus utilisées, reposent sur la répartition différente du SLP et du SP au cours de la nuit : en supprimant la première moitié de nuit (dominée par du SLP), on exerce surtout une privation de SLP, alors qu’en supprimant la deuxième moitié (dominée par du SP), on supprime 274 surtout du SP (figure 1a). Enfin, depuis quelques années sont réalisées des études en imagerie cérébrale (tomographie par émission de positons et imagerie par résonance magnétique fonctionnelle [IRMf]), en veille mais aussi en sommeil, chez des sujets privés ou non de sommeil après un apprentissage. Liens entre mémoire(s) et sommeil(s) L’étude des relations entre sommeil et mémoire a jusqu’à présent porté principalement sur deux systèmes mnésiques : la mémoire procédurale et la mémoire épisodique (voir [6] pour une revue détaillée). Concernant la mémoire procédurale, Plihal et Born [7] ont montré, grâce à un protocole de privation partielle de sommeil, que le sommeil de fin de nuit, dominé par du SP, avait un rôle bénéfique sur la consolidation des habiletés perceptivo-motrices, évaluées par la tâche de dessin en miroir. De la même façon, dans une tâche de discrimination de textures permettant d’évaluer les habiletés perceptives, une nuit complète de sommeil ou une privation sélective de SLP, conduisent toutes deux à une amélioration significative des performances, amélioration qui n’est pas observée en cas de privation sélective de SP [8]. Enfin, concernant les habiletés cognitives évaluées par l’épreuve de la tour de Hanoi, la privation sélective de SP détériore les performances, confirmant là encore le rôle du SP dans la consolidation en mémoire procédurale [9]. D’autres études, utilisant notamment la tâche de discrimination de textures, apportent des résultats à première vue contradictoires. Les performances peuvent ainsi s’améliorer après une période ne comportant que du SLP, mais surtout après une nuit complète de sommeil [10]. Elles peuvent aussi être corrélées à la quantité de SLP du premier quart de la nuit et à la quantité de SP du dernier quart [11]. Enfin, le déclin des performances au cours de la journée peut être empêché par une sieste de 60-90 minutes, comportant donc à la fois du SLP et du SP, avec des résultats comparables à ceux observés après une nuit complète [12,13]. Utilisant une approche différente, Rasch et al. [14] ont observé l’effet d’une suppression pharmacologique du SP sur la consolidation d’une habileté motrice (dessin en miroir) à l’aide de deux molécules, l’une inhibitrice de la recapture de la sérotonine (fluvoxamine), l’autre de la recapture de la noradrénaline (reboxetine), cette dernière ayant l’effet inhibiteur le plus marqué sur le SP. Les performances obtenues étaient inversement proportionnelles à la quantité de SP réalisée pendant la nuit (mais proportionnelles à la quantité de fuseaux de stade 2), suggérant que le SP en tant que tel n’est pas absolument nécessaire à la consolidation en mémoire procédurale. Ainsi, certains phénomènes associés normalement au SP (activité cholinergique élevée ou expression de certains gènes précoces impliqués dans la plasticité synaptique) et potentiellement non modifiés par la manipulation pharmacologique pourraient jouer un rôle crucial dans la consolidation mnésique. REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES Article de synthèse Sommeil lent profond (SLP) A Sommeil paradoxal (SP) Eveil SP SP Stade 1 Stade 1 Stade 2 Stade 2 Stade 3 Stade 3 Stade 4 Stade 4 1re Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Stades de sommeil Stades de sommeil Éveil 23:00 0:00 2e partie de nuit 1:00 2:00 3:00 partie de nuit 4:00 5:00 6:00 7:00 Heures B Onde lente Fuseau de sommeil Onde à front raide Onde PGO Activité thêta C SLP par rapport à la veille SP par rapport à la veille Acétylcholine Acétylcholine Noradrénaline/sérotonine Noradrénaline/sérotonine Cortisol Cortisol Figure 1. Architecture d’une nuit de sommeil, activité électrophysiologique et neurochimique du sommeil lent et du sommeil paradoxal. a) Architecture (hypnogramme) d’une nuit de sommeil. À noter la proportion plus importante du sommeil lent profond (stades 3 et 4) en première partie de nuit et du sommeil paradoxal en seconde moitié de nuit. b) Activité électrophysiologique caractéristique du sommeil lent (à gauche) et du sommeil paradoxal (à droite). c) Profils de libération d’acétylcholine, de noradrénaline, de sérotonine et du cortisol au cours du sommeil lent profond et du sommeil paradoxal. D’après Diekelmann et Born [30]. Grâce à une tâche d’apprentissage de paires de mots et un protocole de privation partielle de sommeil, Plihal et Born [7] ont montré que le SLP favorisait la consolidation en mémoire épisodique. Ces résultats, combinés aux premières études concernant la mémoire procédurale ont d’abord conduit à envisager le rôle du sommeil dans la consolidation mnésique de manière dichotomique. Ainsi, selon cette conception (appelée « dual-process hypothesis »), le SLP facilite la mémoire déclarative (épisodique), hippocampodépendante tandis que le SP favorise la mémoire procédurale, non déclarative, et non hippocampo-dépendante [15]. Mais, de la même façon que le SLP peut finalement être aussi impliqué dans la consolidation en mémoire procédurale, le SP peut avoir un effet bénéfique sur la consolidation REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES 275 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Article de synthèse des souvenirs à valence émotionnelle [16]. Les mêmes auteurs ont montré quelques années plus tard, qu’une phase de sommeil, plutôt qu’une période de veille, renforçait la mémorisation d’un texte à contenu émotionnel (et non d’un texte neutre), jusque quatre ans après l’apprentissage, sans effet spécifique d’un stade de sommeil [17]. Tous ces résultats soulignent donc les rôles complémentaires du SLP et du SP dans la consolidation mnésique, conformément à « l’hypothèse séquentielle » proposée par Giuditta et al. [18], selon laquelle la succession organisée des différents stades de sommeil au cours des cycles, et non un stade spécifique de sommeil, favorise la consolidation mnésique. Cette complémentarité du sommeil lent et du sommeil paradoxal est illustrée dans une étude réalisée dans notre laboratoire et évaluant de manière fine les différentes facettes de la mémoire épisodique [19]. Ainsi, le SLP favoriserait la consolidation des aspects temporels du souvenir (liste à laquelle appartenaient les items), tandis que le SP renforcerait la mémorisation des informations spatiales (position des items sur une feuille) et des détails phénoménologiques des souvenirs. Bases neurophysiologiques Quels sont les mécanismes susceptibles d’être à l’origine de ces phénomènes de consolidation opérant en sommeil ? Un premier mécanisme mis en évidence est celui des « réactivations neuronales » observées lors du sommeil. Ces réactivations ont tout d’abord été observées chez le rongeur après un apprentissage spatial. En effet, les enregistrements de cellules de lieux (cellules hippocampiques spécialisées dans le traitement d’informations spatiales) ont montré que les cellules qui déchargeaient ensemble à l’éveil lorsqu’un animal occupait une position particulière de l’espace, déchargeaient à nouveau ensemble au cours du sommeil suivant l’apprentissage [20]. Ces réactivations ont ensuite été observées chez l’homme grâce aux techniques d’imagerie cérébrale. Ainsi, Peigneux et al. [21] ont montré que l’hippocampe, activé lors de l’exploration d’une ville virtuelle était à nouveau activé au cours des épisodes de SLP suivant l’apprentissage. De manière intéressante, plus l’hippocampe était réactivé au cours du sommeil, plus les performances mesurées le lendemain matin étaient élevées. Plus récemment, Rasch et al. [22] ont associé une épreuve de localisation en 2D à la présentation d’une odeur spécifique (en l’occurrence une odeur de rose). La présentation de cette même odeur aux sujets au cours du SLP permettait non seulement d’améliorer leurs performances le lendemain, mais induisait une importante activation de l’hippocampe en sommeil. Aucune amélioration n’était observée si une odeur différente était vaporisée ou si l’odeur de rose était proposée en SP. Dans une étude plus récente utilisant la même méthodologie, Diekelmann et al. [23] ont mis en évidence des effets différents de la réactivation du souvenir (cette fois encore par une odeur présentée au sujet pendant une épreuve de localisation de paires de 276 cartes) selon qu’elle était présentée pendant une période d’éveil ou pendant le sommeil. Ils ont montré que le fait d’utiliser ce procédé de réactivation en veille rendait le processus de mémorisation plus sensible aux interférences, alors que l’exposition à l’odeur en sommeil favorisait au contraire la stabilisation des traces mnésiques et les rendait plus résistantes à l’influence de nouvelles informations. Les activations observées en IRMf étaient également différentes, l’hippocampe et les régions corticales postérieures étant activés en sommeil, alors que les régions frontales étaient activées à l’éveil. À l’aide d’un paradigme combinant l’IRM fonctionnelle et une épreuve comportant une consigne de mémorisation ou au contraire d’oubli volontaire de mots, Rauchs et al. [24] ont montré que l’activation hippocampique lors de l’encodage est un signal important pouvant prédire le devenir des traces mnésiques. Cette activation permettait « d’étiqueter » les populations neuronales qui seront réactivées au cours du sommeil post-apprentissage, favorisant la sélection des items à retenir ou à oublier. Plus récemment, Oudiette et Paller [25] ont observé que la présentation, au cours d’une sieste, de sons qui avaient été associés au préalable à l’apprentissage d’images renforçait la mémorisation de ces images, même si elles avaient été présentées au sujet comme « peu importantes à retenir ». Ainsi, si les conditions d’encodage d’une information (attention, intention, émotion. . .) influent sur le devenir de cette information dans notre mémoire (à retenir ou à oublier), la réactivation en sommeil jouerait un rôle également déterminant sur la destinée finale de ces traces mnésiques. Outre les mécanismes de réactivations neuronales, d’autres marqueurs électrophysiologiques du sommeil, en particulier les ondes lentes et les fuseaux (ou spindles, bouffées de rythmes rapides caractéristiques du stade 2) observées au cours du sommeil lent ont été identifiés. Ainsi, Marshall et al. [26] ont réalisé chez des sujets jeunes des stimulations électriques transcrâniennes (à la fréquence de 0,75 Hz) visant à reproduire et renforcer, sans réveiller le sujet, les ondes lentes du SLP du début de nuit. Les performances obtenues à une tâche de mémoire épisodique (apprentissage de paires de mots) étaient significativement améliorées par ces stimulations, mais pas celles obtenues à une tâche de mémoire procédurale. Il est à noter que les effets de ce type de stimulations mimant les ondes lentes n’ont pas été répliqués dans une population plus âgée, pouvant témoigner d’une évolution avec l’âge de la consolidation pendant le sommeil [27]. À l’aide d’un protocole de stimulations auditives synchronisées aux ondes lentes endogènes du SL, Ngo et al. [28] ont obtenu un renforcement de l’activité lente, mais aussi des fuseaux de sommeil, ces effets étant tous deux corrélés aux performances de mémoire épisodique des sujets. Les rôles des fuseaux de sommeil thalamiques (par l’intermédiaire de leur effet protecteur vis-à-vis des interférences externes), et des bouffées d’activités hippocampiques (« sharp waveripples ») ont aussi été démontrés dans plusieurs études [29-31]. En sommeil paradoxal, les figures électrophysiologiques caractéristiques ont été un peu moins étudiées, REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES Article de synthèse mais les ondes ponto-géniculo-occipitales semblent impliquées dans certaines formes de consolidation en mémoire procédurale [32]. L’environnement neurochimique lié au sommeil joue également un rôle déterminant dans le processus de consolidation. Toute augmentation pharmacologique des niveaux d’acétylcholine [33] ou de cortisol [34] en SLP altère la consolidation en mémoire épisodique. De la même manière, réduire la transmission cholinergique en SP inhibe la consolidation en mémoire procédurale [35]. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Les modèles Les travaux exposés ci-dessus ont permis de proposer deux principaux modèles de consolidation mnésique au cours du sommeil. Le premier, appelé « dialogue hippocampo-néocortical » [36] ou modèle de consolidation systémique, concerne plus spécifiquement la mémoire épisodique (hippocampo-dépendante). Selon ce modèle, les profils d’activité cérébrale associés à un nouvel apprentissage sont « rejoués » au cours du sommeil post-apprentissage au sein de réseaux neuronaux hippocampiques, la récapitulation de l’information favorisant son inscription durable dans les sites néocorticaux de stockage à long terme. Le dialogue hippocampo-néocortical implique une réorganisation des régions cérébrales soustendant la récupération des souvenirs (figure 2). Il repose sur l’intervention coordonnée de plusieurs acteurs que sont les réactivations neuronales, l’environnement neurochimique, les ondes lentes et les fuseaux de sommeil (figure 3). En 2006, une première étude de reconnaissance d’images en IRM fonctionnelle a renforcé cette hypothèse d’une réorganisation des traces mnésiques, montrant une activité hippocampique diminuant au cours du temps alors que l’activité du néocortex et plus particulièrement du cortex préfrontal ventro-médian augmente [37]. Le rôle du sommeil apparaît clairement dans une autre étude qui montre que cette réorganisation des traces mnésiques opère de manière plus importante chez des sujets qui ont dormi après l’apprentissage comparés à des sujets privés de sommeil [38]. Si on ignore encore sur quels mécanismes exacts repose ce transfert des souvenirs pendant le sommeil lent, de nombreux résultats expérimentaux font converger les hypothèses vers un système complexe faisant intervenir les ondes lentes du SLP, les fuseaux thalamo-corticaux et les ondes hippocampiques à front raide (« sharp-wave ripples »). À titre d’exemple, une étude sur le rongeur a identifié dans le cortex préfrontal au cours du sommeil lent des activations cellulaires très précisément couplées temporellement avec les décharges hippocampiques [39]. L’autre modèle s’intéresse à la consolidation au plan cellulaire : c’est la théorie de l’homéostasie synaptique proposée par Tononi et Cirelli [40]. Pendant l’éveil, l’encodage des informations nouvelles renforce l’activité de certaines synapses : c’est ce qu’on appelle la potentiation synaptique. + Fuseaux de sommeil Ondes lentes - Stockage à long terme néocortex Stockage temporaire hippocampe Ripples Acétylcholine Cortisol Figure 2. Modèle de consolidation systémique au cours du sommeil. À l’éveil, les informations à mémoriser sont encodées au sein de réseaux néocorticaux et de réseaux hippocampiques (flèche verte). Au cours du sommeil lent profond, les informations récemment acquises sont réactivées au sein des réseaux neuronaux hippocampiques. Ces réactivations stimulent le transfert des traces mnésiques vers le néocortex (flèche violette), site de stockage à long-terme des souvenirs. Le transfert opère notamment grâce aux ondes lentes et aux fuseaux de sommeil. Des niveaux élevés de cortisol ou d’acétylcholine au niveau hippocampique empêchent les réactivations des souvenirs et bloquent le flux d’information vers le néocortex. Adapté de Born et al. [44]. REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES 277 Article de synthèse Sommeil Potentialisation synaptique Dépotentialisation synaptique Force synaptique Éveil P=5 P = 150 P = 100 P = 100 P = 80 P = 100 P = 100 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Temps Figure 3. Modèle de l’homéostasie synaptique. À l’éveil, les interactions avec l’environnement induisent des phénomènes de potentialisation synaptique entraînant le renforcement de certaines synapses et la création de nouvelles synapses. Pendant le sommeil, les ondes lentes assurent que l’activité synaptique ne produise pas de phénomène de potentialisation. Ces ondes seront d’autant plus amples que la force synaptique accumulée au cours de la journée a été importante. La répétition des périodes de dépolarisation et d’hyperpolarisation va entraîner un phénomène de recalibrage du poids des synapses et induire une réduction de l’amplitude et de la synchronisation des ondes lentes. La force synaptique retourne ainsi à un état de base à la fin de la nuit, les synapses gardant malgré tout la trace des expériences passées. Abréviation : P = poids synaptique. D’après Diekelmann et Born [30] et Tononi et Cirelli [40]. Pendant le sommeil lent, les ondes lentes vont permettre une « recalibration » de ces synapses « potentiées » à un niveau acceptable en termes de coût énergétique et de volume tissulaire, de manière à préserver ces synapses pour de futurs encodages. Ce phénomène de recalibrage est proportionnel au niveau de potentiation de chaque synapse, conservant ainsi une trace des expériences passées (figure 3). On dispose de preuves expérimentales de ce modèle, notamment d’études moléculaires chez le rongeur (potentialisation des synapses à l’éveil, et dépotentialisation au cours du sommeil lent), et de données comportementales et d’imagerie fonctionnelle chez l’homme ([30], pour revue). On peut également en voir la simple illustration dans la réduction progressive au cours de la nuit de la puissance des ondes lentes enregistrées en SLP, celle-ci étant considérée comme l’indicateur physiologique de ce qu’on appelle communément la régulation homéostasique du sommeil (par opposition à la régulation circadienne). Ces deux modèles de consolidation systémique et synaptique semblent à première vue antagonistes (activations de certains circuits pour le premier, et en quelque sorte désactivations pour le second). Dans une étude récemment publiée, Mascetti et al. [41] ont élaboré un protocole utilisant notamment l’IRM fonctionnelle, une tâche de mémoire épisodique avant et après une nuit de sommeil et une analyse spectrale du sommeil. L’originalité de cette étude complexe repose sur la comparaison de deux groupes de sujets se différenciant par leur phénotype du gène BDNF (polymorphisme Val66Met), neurotrophine qui serait impliquée dans les processus de potentiation à long terme à la base de la mémorisation à long terme. Mascetti et al. [41] montrent qu’après la nuit de sommeil, les profils d’activation diffèrent entre les deux groupes, notamment au 278 sein de régions qui n’avaient pas été activées lors d’un test de rappel immédiat. La mise en jeu de ces nouvelles régions après la nuit indique donc une réorganisation des traces mnésiques au cours du sommeil et conforte l’hypothèse de la consolidation systémique. Parallèlement, l’activation de régions déjà impliquées avant le sommeil diffère également entre les deux groupes mais de façon proportionnelle à la quantité d’ondes lentes, conformément à l’hypothèse du recalibrage synaptique. La conclusion de cette étude est que les deux modèles coexistent, mais opèrent au sein de régions cérébrales différentes, pour permettre la consolidation des informations récemment acquises. Les études sur la mémoire procédurale n’ont pas encore abouti à une modélisation aussi précise du processus de consolidation mais celle-ci opère probablement selon les mêmes mécanismes généraux, impliquant toutefois des régions cérébrales en partie différentes. Conclusion En conclusion, les données de la littérature démontrent, grâce à des approches expérimentales différentes mais complémentaires, le rôle bénéfique du sommeil dans le processus de consolidation des souvenirs. L’implication des différents stades et surtout de leur succession au cours des cycles est à présent bien documentée. Les modélisations les plus abouties à ce jour concernent la mémoire épisodique, avec en premier lieu l’idée d’une réorganisation des traces mnésiques récemment acquises entre l’hippocampe et certaines aires néocorticales, sous-tendue par les phénomènes de réactivations neuronales qui semblent bien différentes, et d’une certaine manière plus « efficaces » que REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Article de synthèse celles qu’on peut obtenir en veille. On commence par ailleurs à mieux comprendre le rôle des marqueurs électrophysiologiques observés en sommeil, comme par exemple celui des ondes lentes, celles-ci paraissant impliquées dans l’autre modèle, dit de l’homéostasie synaptique. Ce second modèle, non contradictoire du précédent, paraît en quelque sorte plus « écologique », car visant à préserver les possibilités de futurs encodages. Restent encore beaucoup de parts de mystère à explorer, notamment le rôle du sommeil paradoxal, cette phase de sommeil si particulière, pendant laquelle notre cerveau élabore des constructions mentales aussi complexes que fascinantes : les rêves. Jusqu’à une date récente, la capacité d’acquérir pendant le sommeil de nouvelles informations, non présentées au préalable en veille, avait souvent été évoquée [42], mais n’avait jamais encore été montrée. En associant à plusieurs reprises, pendant le sommeil, des sons spécifiques à des odeurs agréables ou désagréables, Arzi et al. [43] ont pu obtenir au cours de la même nuit des réponses élémentaires d’inhalation plus ou moins profondes à la simple présentation du son, en sommeil lent comme en sommeil paradoxal. Ces résultats semblent indiquer que les sujets ont appris, en dormant, à associer le son et l’odeur, et qu’il existe en quelque sorte une mémorisation inconsciente d’informations nouvelles pendant le sommeil, cette mémorisation pouvant être retrouvée le lendemain matin. Cependant, la généralisation de ces résultats à des processus mnésiques plus élaborés reste encore illusoire, laissant un bel avenir aux recherches sur le sommeil et la mémoire. Liens d’intérêts Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article. Références 1. Ribot T. Les maladies de la mémoire. Paris : Baillère, 1881. 2. Müller GE, Pilzecker A. Experimentelle Beiträge zur Lehre vom Gedächtnis. Z. Psychol. Ergänzungsband 1900 ; 1 : 1-300. 3. Ebbinghaus H. Über das gedächtnis. Untersuchungen zur experimentellen Psychologie. Leipzig : Duncker und Humblot, 1885. 4. Dement WC. History of sleep physiology and medicine. In: Kryger M, Roth T, Dement WC, eds. 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