Journal Identification = NRP Article Identification = 0283 Date: February 10, 2014 Time: 12:26 pm
REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
274
Article de synthèse
conditions neurochimiques associées au sommeil. Dans
une dernière partie, nous développerons les modèles qui
ont été proposés pour expliquer le processus de consolida-
tion mnésique au cours du sommeil.
Neurobiologie du sommeil
Le sommeil n’est pas un processus unitaire (figure 1a).
On distingue, d’une part, le sommeil lent qui est sub-
divisé en sommeil lent léger (le stade 1, correspondant
à la phase d’endormissement, et le stade 2), et en som-
meil lent profond (stades 3 et 4 ou SLP) et, d’autre part,
le sommeil paradoxal (SP), ce dernier représentant envi-
ron 25 % de notre temps de sommeil. Contrairement à ce
que l’on a cru pendant longtemps, le sommeil n’est pas
un état de quiescence. L’étude des variations du méta-
bolisme cérébral du glucose au cours des différents états
de vigilance montre en effet en SLP une diminution glo-
bale du métabolisme de l’ordre de 40 %, avec toutefois
des activations transitoires lors de la génération des ondes
lentes et des fuseaux de sommeil. En revanche, l’activité
métabolique du cerveau en SP est comparable, voire supé-
rieure dans certaines régions (notamment l’amygdale, le
thalamus, le gyrus parahippocampique et le cortex cin-
gulaire antérieur), à celle mesurée à l’éveil. De la même
fac¸on, lors du SP, l’activité électrique corticale rapide obser-
vée en électroencéphalographie évoque celle de la veille
alors que le sujet dort profondément (d’où le nom de para-
doxal). L’activité électrique en sommeil lent est caractérisée
par des ondes lentes de fréquence delta (0.5 à 4 Hz), des
fuseaux de sommeil («spindles ») et des ondes à front
raide («sharp-wave ripples »;figure 1b). En SP, l’activité
est dominée par une activité plus rapide de type thêta
(entre 4,5 et 8 Hz) et des ondes ponto-géniculo-occipitales
(PGO ; figure 1b). Enfin, l’environnement neurochimique
varie beaucoup en fonction des stades de sommeil. Ainsi,
les niveaux d’acétylcholine, très élevés à l’éveil, diminuent
fortement en SLP, puis remontent et dépassent même les
niveaux de l’éveil en SP. Le taux de noradrénaline diminue
progressivement de la veille au SLP et devient nul en SP, tan-
dis que celui de la sérotonine diminue de la veille au SLP
et encore plus sans être nul en SP. Enfin, le taux de cortisol,
abaissé en SLP, est élevé en SP (figure 1c).
Il existe différentes méthodes d’approche du rôle du
sommeil dans la consolidation mnésique chez l’homme.
Celles qui consistent à tenter d’établir des corrélations entre
les quantités des différents stades de sommeil et les perfor-
mances mnésiques recueillies après une nuit de sommeil
donnent généralement peu de résultats significatifs. Les plus
utilisées sont les méthodes de privation de sommeil, totales,
sélectives (d’un stade donné de sommeil), ou partielles.
Ces dernières, les plus utilisées, reposent sur la répartition
différente du SLP et du SP au cours de la nuit : en sup-
primant la première moitié de nuit (dominée par du SLP),
on exerce surtout une privation de SLP, alors qu’en suppri-
mant la deuxième moitié (dominée par du SP), on supprime
surtout du SP (figure 1a). Enfin, depuis quelques années
sont réalisées des études en imagerie cérébrale (tomogra-
phie par émission de positons et imagerie par résonance
magnétique fonctionnelle [IRMf]), en veille mais aussi en
sommeil, chez des sujets privés ou non de sommeil après
un apprentissage.
Liens entre mémoire(s) et sommeil(s)
L’étude des relations entre sommeil et mémoire a jusqu’à
présent porté principalement sur deux systèmes mnésiques :
la mémoire procédurale et la mémoire épisodique (voir [6]
pour une revue détaillée).
Concernant la mémoire procédurale, Plihal et Born [7]
ont montré, grâce à un protocole de privation partielle de
sommeil, que le sommeil de fin de nuit, dominé par du
SP, avait un rôle bénéfique sur la consolidation des habile-
tés perceptivo-motrices, évaluées par la tâche de dessin en
miroir. De la même fac¸on, dans une tâche de discrimination
de textures permettant d’évaluer les habiletés perceptives,
une nuit complète de sommeil ou une privation sélective de
SLP, conduisent toutes deux à une amélioration significa-
tive des performances, amélioration qui n’est pas observée
en cas de privation sélective de SP [8]. Enfin, concernant
les habiletés cognitives évaluées par l’épreuve de la tour
de Hanoi, la privation sélective de SP détériore les per-
formances, confirmant là encore le rôle du SP dans la
consolidation en mémoire procédurale [9]. D’autres études,
utilisant notamment la tâche de discrimination de textures,
apportent des résultats à première vue contradictoires. Les
performances peuvent ainsi s’améliorer après une période
ne comportant que du SLP, mais surtout après une nuit
complète de sommeil [10]. Elles peuvent aussi être cor-
rélées à la quantité de SLP du premier quart de la nuit et
à la quantité de SP du dernier quart [11]. Enfin, le déclin
des performances au cours de la journée peut être empê-
ché par une sieste de 60-90 minutes, comportant donc à
la fois du SLP et du SP, avec des résultats comparables à
ceux observés après une nuit complète [12,13]. Utilisant
une approche différente, Rasch et al. [14] ont observé l’effet
d’une suppression pharmacologique du SP sur la consoli-
dation d’une habileté motrice (dessin en miroir) à l’aide
de deux molécules, l’une inhibitrice de la recapture de
la sérotonine (fluvoxamine), l’autre de la recapture de la
noradrénaline (reboxetine), cette dernière ayant l’effet inhi-
biteur le plus marqué sur le SP. Les performances obtenues
étaient inversement proportionnelles à la quantité de SP réa-
lisée pendant la nuit (mais proportionnelles à la quantité de
fuseaux de stade 2), suggérant que le SP en tant que tel n’est
pas absolument nécessaire à la consolidation en mémoire
procédurale. Ainsi, certains phénomènes associés normale-
ment au SP (activité cholinergique élevée ou expression de
certains gènes précoces impliqués dans la plasticité synap-
tique) et potentiellement non modifiés par la manipulation
pharmacologique pourraient jouer un rôle crucial dans la
consolidation mnésique.
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