Comment dépister une cardiopathie congénitale à l`âge

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DOSSIER THÉMATIQUE
Prise en charge
des cardiopathies congénitales
de l’enfant devenu adulte
Comment dépister
une cardiopathie congénitale
à l’âge adulte ?
Diagnosis of native congenital heart disease in the adult
J. Radojevic*
L
* Cardiologie pédiatrique et congénitale adulte, unité d’exploration cardiovasculaire de l’Orangerie, Strasbourg.
es progrès de la cardiopédiatrie et de la chirurgie
cardiaque ont permis, depuis un demi-siècle,
que plus de 85 % des enfants porteurs de
cardiopathies congénitales (CC) atteignent l’âge
adulte (1). La population des patients adultes
porteurs de CC est en constante progression : elle
est actuellement estimée à plus de 1,2 million en
Europe (2).
Même si la plupart des patients diagnostiqués
dans l’enfance nécessitent un suivi à vie (3), nous
nous intéresserons dans cet article aux cas moins
fréquents des cardiopathies qui ne sont diagnostiquées qu’à l’âge adulte (4). L’objectif est de familia-
riser le lecteur avec leurs modes de présentation et
leurs prises en charge qui peuvent être complexes
et sont souvent faites sur mesure. Pour une prise en
charge optimale, la coordination entre le cardiologue
et le centre spécialisé dans les cardiopathies congénitales de l’adulte est essentielle. Un schéma de suivi
en fonction de la complexité de la cardiopathie a été
proposé (tableau) [5].
Il ne s’agit pas d’une revue exhaustive. Les recommandations thérapeutiques citées dans cet article
sont fondées, pour la plupart, sur les études prospectives non randomisées, les études rétrospectives
et les opinions d’experts.
Tableau. Suivi d’une cardiopathie congénitale à l’âge adulte en fonction de sa complexité (adapté à partir de Warnes CA4).
Cardiopathies congénitales simples :
suivi dans un centre spécialisé non nécessaire
Cardiopathies congénitales de complexité modérée :
suivi alterné avec un centre spécialisé nécessaire
Cardiopathies congénitales complexes :
suivi exclusif dans un centre spécialisé
Natives
Valvulopathie aortique isolée
Fistules entre l’aorte et le ventricule gauche
Présence de tubes valvés ou non valvés
Retour veineux pulmonaire anormal (partiel ou total)
Cardiopathies cyanogènes (toutes)
Valvulopathie mitrale isolée (excepté valve mitrale
parachute et fente mitrale)
Canal AV (partiel ou complet)
Ventricule droit à double issue
Coarctation de l’aorte
Syndrome d’Eisenmenger
Maladie d’Ebstein
Circulation de type Fontan
Sténose infundibulaire significative
Atrésie mitrale
Canal artériel persistant (non fermé)
Ventricule unique
Insuffisance pulmonaire (modérée et sévère)
Atrésie pulmonaire
Sténose pulmonaire (modérée et sévère)
Transposition des gros vaisseaux
Anévrisme/fistule du sinus de Valsalva
Atrésie tricuspide
CIA type sinus venosus
Truncus arteriosus
Sténose sous- et supravalvulaire aortique (sauf CMO)
Autres anomalies de connexion ou de situs :
cœur criss-cross, isomérisme et hétérotaxie,
inversion ventriculaire
Petite communication CIA
Petite communication CIV isolée
Sténose pulmonaire légère
Traitées
Ligature (occlusion) du canal artériel persistant
CIA ostium secundum ou sinus venosus réparée
sans séquelles
CIV réparée sans séquelles
Tétralogie de Fallot
CIV avec : atrésie des valves, insuffisance aortique, coarctation
de l’aorte, maladie mitrale, sténose infundibulaire, straddling
des valves AV, sténose sous-aortique
AV : atrioventriculaire ; CIA : communication interauriculaire ; CIV : communication interventriculaire ; CMO : cardiomyopathie obstructive.
28 | La Lettre du Cardiologue • n° 454-455 - avril-mai 2012
Résumé
Même si la plupart des cardiopathies congénitales sont diagnostiquées dans l’enfance, environ 10 % d’entre
elles ne seront découvertes qu’à l’âge adulte de façon fortuite, ou lors des suites d’une complication
évolutive. L’objectif de cet article est de familiariser le lecteur avec le mode de présentation clinique, le
diagnostic échocardiographique et la prise en charge optimale de ces cardiopathies restées “silencieuses”.
Les recommandations utilisées dans le texte sont fondées sur les études prospectives non randomisées,
les études rétrospectives et les opinions d’experts.
Dilatation des cavités droites :
communication interauriculaire
et/ou retour veineux
pulmonaire anormal
La communication interauriculaire (CIA) peut ne pas
être diagnostiquée jusqu’à l’âge adulte en raison de
sa bonne tolérance et de l’absence de symptômes. La
plupart des patients développent des complications
(dyspnée d’effort, arythmie supraventriculaire et
insuffisance cardiaque [IC] droite) après 40 ans (6).
Cliniquement, on observe un souffle systolique au
foyer pulmonaire, associé à un dédoublement du B2.
À l’échographie cardiaque, le signe d’appel est
la présence d’une dilatation des cavités droites
(figure 1). Si une CIA de type ostium secundum
(60 %) ou ostium primum (20 %) n’est pas visible,
il faut penser à la coupe sous-costale bicave, afin
de rechercher une CIA de type sinus venosus (15 %)
avec un retour veineux pulmonaire anormal invariablement associé (figure 2). Cette vue peut être
difficile à obtenir chez un patient adulte ; dans ce cas,
une échographie transœsophagienne avec incidence
bicave à 90° complétera utilement le bilan. Devant
une dilatation des cavités cardiaques droites, mais
sans CIA, il faut penser à un retour veineux pulmonaire anormal partiel isolé, et confirmer le diagnostic
par un angioscanner thoracique (figure 3, p. 30).
Quel que soit l’âge du patient, la découverte d’une
CIA avec une dilatation des cavités droites et un
shunt gauche-droit, en l’absence d’une hyperten-
Mots-clés
Cardiopathie
congénitale native
Adulte
Dépistage
Summary
About ten percent of congenital
heart diseases will be discovered only in adulthood. In
this article, we focus on their
diagnostic workout and their
therapeutic options. The aim is
to enable readers to recognize
them, and to provide the best
therapeutic options. The recommendations in this article are
based mostly on the results of
non-randomized prospective
and retrospective studies and
on expert opinion.
Keywords
Native congenital heart
disease
Adult
Diagnosis
Figure 1. Dilatation des cavités droites et communication interauriculaire ostium secondum.
OD : oreillette droite ; OG : oreillette gauche ; VCS : veine cave supérieure.
Figure 2. Communication interauriculaire sinus venosus.
La Lettre du Cardiologue • n° 454-455 - avril-mai 2012 | 29 DOSSIER THÉMATIQUE
Prise en charge
des cardiopathies congénitales
de l’enfant devenu adulte
Figure 3.
Communication
interauriculaire sinus
venosus. Retour veineux
pulmonaire anormal
partiel dans la veine
cave supérieure (vue au
scanner).
Comment dépister une cardiopathie congénitale à l’âge adulte ?
Ao : aorte ; AP : artère pulmonaire ; OG : oreillette gauche ;
VCS : veine cave supérieure ; VPMD : veine pulmonaire moyenne ;
VPSD : veine pulmonaire supérieure droite.
Figure 4. Coarctation de l’aorte (mode 2D, doppler couleur et doppler continu).
sion artérielle pulmonaire (HTAP) fixée, doit faire
poser l’indication de la fermeture (6). Pour les
CIA de type ostium secundum, une fermeture par
cathétérisme interventionnel est actuellement la
méthode de choix, avec prévention antioslérienne
et traitement par aspirine à dose antiagrégante
pendant 6 mois après la fermeture (3). Pour tous
les autres types de CIA, la fermeture sera chirurgicale. Il faut se méfier d’une dysfonction ventriculaire gauche (VG), surtout chez le sujet âgé, car
la fermeture de la CIA peut précipiter une poussée
d’insuffisance VG.
Les bénéfices attendus de la fermeture des CIA
à l’âge adulte sont la réduction de nombreuses
décompensations cardiaques et l’amélioration
des capacités à l’effort et de la qualité de vie. Le
risque de survenue d’arythmies supraventriculaires
persiste après la fermeture, et d’autant plus que
la fermeture est tardive (après l’âge de 25 ans),
mais leur tolérance est meilleure, et leur gestion
plus facile (7).
S’il y a une indication à l’ablation d’une fibrillation
auriculaire, il vaut mieux la réaliser avant la fermeture de la CIA, en raison de la nécessité d’un abord
transseptal.
30 | La Lettre du Cardiologue • n° 454-455 - avril-mai 2012
Hypertension artérielle
chez le sujet jeune :
coarctation de l’aorte
Les patients adultes porteurs d’une coarctation de
l’aorte (CoA) sont le plus souvent asymptomatiques.
Les éventuels symptômes traduisent une hypertension de la partie supérieure et une hypoperfusion de
la partie inférieure du corps (céphalées, épistaxis,
acouphènes, vertiges, pieds froids, douleurs abdominales, faiblesse des membres inférieurs à l’effort).
Le diagnostic d’une CoA est clinique et repose sur
l’existence d’un gradient de pression de plus de
20 mmHg entre les membres supérieurs et inférieurs (3). D’autres signes cliniques sont à rechercher :
un délai entre le pouls radial et le pouls fémoral, un
pouls fémoral faible, les collatérales palpables sur la
paroi thoracique, un souffle continu interscapulaire
gauche et un frémissement suprasternal.
En échographie cardiaque, on visualise, en vue supra­
sternale, un rétrécissement de l’isthme aortique avec
un flux aliasé en doppler couleur. Le signe pathognomonique de la CoA est la présence d’un prolongement
diastolique en mode doppler continu (figure 4) [3].
DOSSIER THÉMATIQUE
Chez un sujet jeune hypertendu souffrant de claudi­
cation des membres inférieurs, il faut chercher un
CoA de l’aorte abdominale.
Les anomalies associées à rechercher sont : les
obstacles étagés du cœur gauche, la bicuspidie
aortique (jusqu’à 80 % des CoA), la dilatation de
l’aorte ascendante, l’hypertrophie ventriculaire
gauche, la communication interventriculaire.
Le traitement d’une CoA native chez l’adulte est
encore débattu, mais, le plus souvent, il est endovasculaire par angioplastie et mise en place d’un
stent. Le traitement par aspirine à dose antiagrégante, la prévention antioslérienne et la surveillance tensionnelle sont indiqués à vie (un tiers
des patients restent hypertendus, malgré la levée
optimale de la CoA [8]).
Souffle systolique éjectionnel
avec valve aortique normale :
sténose sous-valvulaire
et supravalvulaire aortique,
sténose pulmonaire
La sténose sous-valvulaire aortique représente
jusqu’à 30 % des obstacles de la voie d’éjection
gauche (9). C’est une lésion d’évolution progressive,
qui peut ne pas être découverte jusqu’à l’âge adulte.
La lésion causale est une membrane fibreuse localisée (figure 5) ou, plus rarement, un tunnel fibromusculaire. Une anomalie de l’insertion de l’appareil
sous-valvulaire mitral peut participer à l’obstruction.
Un bilan lésionnel précis est important et détermine la stratégie chirurgicale. Il ne faut pas oublier
d’examiner toute la voie gauche, car l’obstacle du
Figure 5. Membrane sous-valvulaire aortique.
cœur gauche peut être étagé (supra- et sous-valvulaire mitral, supra- et sous-valvulaire aortique, et
coarctation de l’aorte). Le risque à long terme est
la récidive (jusqu’à 30 % des cas), et une progression vers l’insuffisance et vers la sténose valvulaire
aortique (9-11). La sténose supravalvulaire aortique
est plus rare (8 % des obstacles d’éjection gauche).
Elle est le plus souvent associée à un syndrome de
Williams et Beuren (9). L’aorte a typiquement un
aspect en sablier, la sténose se situant au niveau
de la jonction sinotubulaire (figure 6).
Un gradient doppler moyen supérieur à 50 mmHg
chez un patient symptomatique, un patient asymptomatique mais avec une hypertrophie ventriculaire
gauche, une fraction d’éjection inférieure à 50 %, une
insuffisance aortique sévère avec dilatation VG ou
une réponse tensionnelle anormale à l’effort sont des
indications à la chirurgie pour les sténoses sous- et
supravalvulaires aortiques (3).
La sténose valvulaire pulmonaire représente 10 %
des cardiopathies congénitales, avec 2 à 3 % de
récurrences familiales (3). L’aspect typique est celui
de la valve en dôme (figure 7, p. 32). Une dilatation du tronc et de l’artère pulmonaire (AP) gauche
peuvent être associées. Plus rarement, la valve est
dysplasique et épaissie, et peut s’associer à une
sténose supravalvulaire en sablier, comme dans
le syndrome de Noonan. Une vitesse supérieure à
4 m/s (gradient maximum supérieur à 64 mmHg)
avec un ventricule droit (VD) normofonctionnel
est habituellement retenue comme indication
de l’intervention (3). Pour une sténose valvulaire
typique, une dilatation percutanée au ballon est la
procédure de choix.
Un autre obstacle de la voie d’éjection du VD est
la sténose médioventriculaire (double chamber
Figure 6. Sténose supravalvulaire aortique,
syndrome de Williams
et Beuren.
La Lettre du Cardiologue • n° 454-455 - avril-mai 2012 | 31 DOSSIER THÉMATIQUE
Prise en charge
des cardiopathies congénitales
de l’enfant devenu adulte
Comment dépister une cardiopathie congénitale à l’âge adulte ?
Figure 7. Sténose valvaire pulmonaire. Valve épaisse, gradient maximum élevé.
A
B
Figure 8. Canal artériel persistant en doppler couleur (A) et doppler continu (B).
right ventricle). Cette anomalie rare est souvent
associée à une communication interventriculaire
périmembraneuse. L’obstacle est créé par l’hypertrophie musculaire sous-infundibulaire, qui divise le
VD en une chambre à haute pression en amont de
l’obstacle et une chambre à basse pression en aval.
Lorsqu’elle est présente, l’insuffisance tricuspide
est véloce et peut, à tort, faire poser le diagnostic
d’HTAP. La direction du shunt de la communication
interventriculaire est déterminée par le rapport des
pressions VG et VD en amont de l’obstacle. Une
vitesse supérieure à 4 m/s à travers l’obstacle est
une indication opératoire (3).
Souffle continu
avec une échographie cardiaque
“normale” : canal artériel
persistant ou fistule coronaire
Le canal artériel persistant (CAP) est une communication entre l’AP gauche proximale et l’aorte descen-
32 | La Lettre du Cardiologue • n° 454-455 - avril-mai 2012
dante en aval de l’artère sous-clavière gauche. Les
CAP de grande et de moyenne taille se compliquent
d’une IC gauche et d’une HTAP (syndrome d’Eisenmenger). Les CAP de petite taille (dits restrictifs)
peuvent être asymptomatiques, avec à l’examen
clinique un souffle continu dans la région sousclavière gauche. Le risque évolutif principal est alors
une endocardite infectieuse (12, 13).
L’échographie cardiaque confirme le diagnostic en
montrant un flux rétrograde dans l’artère pulmonaire en vue parasternale gauche petit axe, et un
vaisseau sous la crosse aortique (figure 8A) avec flux
continu (figure 8B). La taille et la fonction du VG,
ainsi que la pression artérielle pulmonaire, doivent
être évaluées.
Un canal artériel “soufflant” est une indication à la
fermeture percutanée quelle que soit sa taille (la
chirurgie du canal est très risquée chez l’adulte).
En l’absence de dilatation ou de dysfonction ventriculaire gauche et d’HTAP, aucun suivi au-delà de
6 mois après la fermeture n’est nécessaire (3).
Les fistules coronaires sont des communications
entre le réseau des artères coronaires et les cavités
DOSSIER THÉMATIQUE
cardiaques, l’AP ou le sinus coronaire (14). De petite
taille, elles peuvent être asymptomatiques et ne
se manifester que par un souffle continu. Dans ce
cas, il n’y a pas de traitement particulier, mis à part
une prévention antioslérienne (15). L’échographie
cardiaque est le plus souvent normale, mais elle
peut parfois révéler l’existence d’un flux anormal
arrivant dans les cavités cardiaques. Lorsque
l’examen est normal, il faut compléter le bilan par
un scanner ou une IRM cardiaque (figure 9). Les plus
grosses fistules peuvent se compliquer d’une dilatation des cavités ou d’une ischémie myocardique
par un mécanisme de vol coronaire. Une fistule
coronaire symptomatique ou de taille significative est une indication à la fermeture par chirurgie,
ou, actuellement, plus souvent par cathétérisme
cardiaque.
Insuffisance mitrale
avec dilatation
et dysfonction VG :
naissance anormale
de la coronaire gauche
de l’artère pulmonaire
L’ALCAPA (Anomalous origin of the Left Coronary
Artery arising from the Pulmonary Artery [ou syndrome
de Bland, White et Garland]) est une malformation
congénitale rare (1 cas sur 300 000 naissances) qui
peut n’être découverte qu’à l’âge adulte (15 % des
cas).
Les symptômes sont dus au syndrome de vol coronaire. Une dyspnée d’effort et une angine de poitrine
Figure 9. Fistule coronaire gauche à l’oreillette gauche.
sont les symptômes révélateurs les plus fréquents,
mais la mort subite peut être le mode de présentation initial. L’électrocardiogramme peut être normal
ou révéler une nécrose antérieure ou un bloc de
branche gauche.
À l’échographie cardiaque, une artère coronaire
droite “trop bien” visible, un VG dilaté et hypokinétique, un pilier mitral postérieur hyperéchogène,
une fuite mitrale, et parfois un flux rétrograde dans
l’AP sont des signes d’appel (figure 10). Le diagnostic
est confirmé par une coronarographie ou un scanner
coronaire.
Le traitement est le plus souvent chirurgical, et vise
la restauration d’un réseau coronaire double (gauche
et droit).
Figure 10. Anomalie de naissance de la coronaire gauche. Flux rétrograde venant de la coronaire qui reprend à contrecourant la coronaire gauche se jetant dans l’artère pulmonaire.
La Lettre du Cardiologue • n° 454-455 - avril-mai 2012 | 33 DOSSIER THÉMATIQUE
Prise en charge
des cardiopathies congénitales
de l’enfant devenu adulte
Comment dépister une cardiopathie congénitale à l’âge adulte ?
Figure 11. Transposition
corrigée des gros vaisseaux en dextrocardie
(vue sous-costale).
Valve atrioventriculaire gauche
plus apicale que la droite
avec un aspect
de “non-compaction du VG” :
double discordance
Du fait de la “correction” physiologique des flux
(sang veineux systémique dirigé vers le poumon et
sang veineux pulmonaire vers l’aorte), une double
discordance (DD), autrefois appelée transposition
corrigée des gros vaisseaux (inversion ventriculaire)
[figure 11], peut ne pas être diagnostiquée jusqu’à
l’âge adulte, surtout s’il n’y a pas de lésions associées. Le patient peut se présenter pour la première
fois à l’occasion d’une complication évolutive, les
plus fréquentes étant un bloc auriculoventriculaire
très fortement symptomatique (30 % des cas),
une IC (17 à 34 %) avec une insuffisance tricuspide
(40 %) et des troubles du rythme supraventriculaires
Figure 12. Fente mitrale dans le canal atrioventriculaire.
34 | La Lettre du Cardiologue • n° 454-455 - avril-mai 2012
(en général mal tolérés, surtout en cas de dysfonction ventriculaire droite) et ventriculaires (16-18).
À l’échographie cardiaque, le VD est postérieur. Il fait
suite à l’oreillette gauche et éjecte dans l’aorte (vaisseau sans bifurcation précoce) avec une discontinuité entre la valve d’entrée (tricuspide) et l’aorte
(zone musculaire ou infundibulum). Le VG fait suite
à l’oreillette droite (OD) et éjecte dans l’AP (vaisseau
avec bifurcation précoce). Les 2 gros vaisseaux sont
parallèles. L’insuffisance tricuspide et la fonction du
VD sous-aortique sont les facteurs pronostiques
importants : il faut les évaluer avec précision. L’IRM
cardiaque est la méthode de choix pour évaluer le
volume et la fonction du VD (3). Puisqu'une fraction d’éjection du VD inférieure à 40 % en présence
d’une insuffisance tricuspide sévère est un facteur
de mortalité à long terme, la chirurgie valvulaire
tricuspide devrait être faite avant la détérioration
de la fonction ventriculaire (19). Les résultats d’une
plastie de la valve étant médiocres, un remplacement
valvulaire tricuspide est l’intervention de choix.
Les lésions fréquemment associées sont la communication interventriculaire, la sténose pulmonaire et la
malformation d'Ebstein de la valve tricuspide. Attention, une dextrocardie et un situs inversus peuvent
être présents dans respectivement 20 et 5 % des cas.
Fuite des valves
atrioventriculaires : fente
mitrale et maladie d’Ebstein
La fente mitrale est un défaut de continuité au niveau
du feuillet mitral antérieur, qui peut se présenter
Figure 13. Maladie d’Ebstein.
DOSSIER THÉMATIQUE
comme une lésion isolée responsable d’une insuffisance valvulaire. Généralement, la fuite causée
par la fente est accessible au traitement chirurgical
conservateur, et c’est pour cette raison qu’il faut
s’efforcer de la rechercher.
Le diagnostic est facile grâce à l’échographie
cardiaque, qui permet de visualiser la fente en vue
parasternale gauche petit axe (figure 12).
L’aspect de la valve auriculoventriculaire gauche du
canal atrioventriculaire, avec ses 3 feuillets (supérieur, inférieur et mural), s’apparente à la fente
mitrale isolée.
La maladie d’Ebstein est une malformation du VD
et de la valve tricuspide, qui se caractérise par un
défaut de délamination des feuillets valvulaires, et en
particulier un accolement du feuillet septal, résultant
en un déplacement apical et postérieur de l’anneau
tricuspide fonctionnel. S’y associent parfois, par des
fenestrations du feuillet antérieur, une dilatation de
l’OD et de l’anneau tricuspide anatomique avec une
fuite valvulaire. Le diagnostic de la maladie d’Ebstein peut être fait fortuitement à l’âge adulte, ou à
l’occasion d’une complication évolutive (défaillance
cardiaque droite, insuffisance tricuspide majeure,
trouble du rythme supraventriculaire ou ventriculaire, cyanose). Le diagnostic différentiel avec une
autre forme congénitale de la dysplasie tricuspide
peut se faire sur la distance entre le feuillet septal
et la crux (> 8 mm/m2 dans la maladie d’Ebstein)
[figure 13]. La présence d’une cyanose traduit le plus
souvent un foramen ovale perméable. Le diagnostic
d’une maladie d’Ebstein doit faire vérifier l’absence
de syndrome de Wolff-Parkinson-White à l’électrocardiogramme. Une plastie de la valve tricuspide
peut être envisagée chez l’adulte si le VD a une taille
acceptable et si sa fonction est préservée.
Conclusion
Les patients adultes porteurs de CC sont nombreux
et leurs pathologies, qu’elles soient natives ou
séquellaires, variées. Nombreux sont ceux qui
ne seront dépistés qu’à l’âge adulte, devant les
signes d’appel cliniques et échocardiographiques.
L’échographie cardiaque a une place centrale dans
le diagnostic et le suivi, mais sa réalisation et son
interprétation peuvent s’avérer difficiles, surtout en
cas de cardiopathies complexes. Une réévaluation
régulière dans un centre spécialisé est essentielle
pour une prise en charge optimale des adultes
porteurs de CC.
■
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La Lettre du Cardiologue • n° 454-455 - avril-mai 2012 | 35 
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