Les conceptions de la mémoire déclarative d`Endel Tulving et leurs

doi:10.1684/nrp.2011.0169
REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
94
Dossier
Rev Neuropsychol
2011 ; 3 (2) : 94-103 Les conceptions de la mémoire
déclarative d’Endel Tulving
et leurs conséquences actuelles
Endel Tulving’s ideas of declarative
memory and their consequences today
Béatrice Desgranges,
Francis Eustache
Inserm – EPHE – Université de Caen
Basse-Normandie, Unité 923, GIP Cyceron,
CHU Côte de Nacre, Caen
Pour citer cet article : Desgranges B,
Eustache F. Les conceptions de la mémoire
déclarative d’Endel Tulving et leurs consé-
quences actuelles. Rev Neuropsychol 2011 ;
3 (2) : 94-103 doi:10.1684/nrp.2011.0169
Résumé Endel Tulving est le père du concept de mémoire épisodique
et s’est davantage intéressé à cette mémoire qu’à la mémoire
déclarative qui correspond, pour lui, non pas à un mais à deux systèmes de mémoire :
la mémoire épisodique et la mémoire sémantique. Au fil de son œuvre, la mémoire épiso-
dique est mise en perspective avec un ou plusieurs autres systèmes et sa définition est de plus
en plus précise, intégrant une dimension subjective. Se situant à l’apogée d’un continuum
évolutionniste pour son inventeur, la mémoire épisodique est qualifiée de «merveille de la
nature ». Cet article décrit l’évolution des conceptions de Tulving entre 1972 et aujourd’hui.
Il aborde ensuite le modèle MNESIS [29] qui propose une vision plus intégrée et insiste sur
les relations entre les différents systèmes de mémoire.
Mots clés : mémoire épisodique ·mémoire sémantique ·conscience ·modèles de mémoire
Abstract Endel Tulving is the father of the concept of episodic
memory and is more interested in this memory system than
declarative memory, which corresponds, according to him, to not one but two memory
systems: episodic memory and semantic memory. Throughout his work, episodic memory
has been put into perspective with one or more of the other systems and its definition has
become more and more precise, incorporating a subjective dimension. Being at the pin-
nacle of the evolutionary continuum for its inventor, episodic memory is considered as a
“marvel of nature ”. This article describes the evolution of Endel Tulving’s ideas from 1972
to the present day. It then discusses the MNESIS model [29] that proposes a more integrated
conception and emphasizes relationships between the different memory systems.
Key words: episodic memory ·semantic memory ·consciousness ·memory models
Endel Tulving, l’homme et l’oeuvre
Endel Tulving est un théoricien majeur dans l’étude de la mémoire comme l’atteste le
retentissement de plusieurs de ses publications. Ainsi, comme le signalent McCabe et al.
[1], l’article écrit avec Thompson en 1973 sur la théorie de la spécificité de l’encodage
a été cité 1 470 fois et celui écrit avec Craik en 1975 sur la théorie de la profondeur
de l’encodage, 1463 fois. Un autre apport très important de Tulving aux conceptions de
la mémoire est la publication avec Schacter en 1990 concernant le système de représen-
tations perceptives, postulé pour rendre compte des effets d’amorc¸age perceptif. Citons
encore l’article publié en 1985 qui décrit le paradigme remember/know (je me souviens/je
sais), dont l’influence a été moins immédiate. Ce paradigme, parfois attribué à Gardiner
qui a contribué à le faire connaitre, est très utilisé car il permet de différencier deux types
Correspondance :
B. Desgranges
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de récupération (recollection vs familiarité), qui dépendent
respectivement de la mémoire épisodique et de la mémoire
sémantique.
L’œuvre d’Endel Tulving est impressionnante et s’étend
des années 1950 (sa première publication date de 1957)
à aujourd’hui (la dernière publication mentionnée dans
Pubmed est datée de 2010 [2], et d’autres sont vraisembla-
blement en préparation). Comme nous le verrons plus loin,
ses travaux s’inscrivent dans un champ pluridisciplinaire
allant de la psychologie expérimentale aux neurosciences
cognitives (il a été un pionnier en imagerie cérébrale), avec
une emphase particulière pour la neuropsychologie.
Sur un plan plus personnel, Endel Tulving est né en
Estonie en 1927. Du fait des événements historiques dans
cette partie du monde, il a émigré aux États-Unis et au
Canada où il a fait l’ensemble de sa carrière scienti-
fique et fondé un laboratoire particulièrement productif à
l’Université de Toronto. Il s’est trouvé séparé de nombreux
membres de sa famille et de ses racines pendant plus de
vingt ans, ce qui certainement joué un rôle sur la fac¸on
dont il a «conc¸u »la structure et le fonctionnement de la
mémoire humaine. Même si le cœur de son œuvre est le
système de mémoire épisodique dont il est l’inventeur, une
de ses préoccupations a été de toujours proposer une vision
d’ensemble de la mémoire sous la forme d’une conception
«multisystèmes »très large [3].
Pour en venir plus directement au thème de cet article et
de ce dossier, Endel Tulving a en fait peu utilisé le concept
de mémoire déclarative, au contraire des auteurs comme
Squire [4] qui défendent son caractère unitaire et l’opposent
à la mémoire procédurale ou à la mémoire non-déclarative.
Tulving s’est concentré sur une définition de plus en plus
élaborée du concept de mémoire épisodique et a précisé
ses relations avec les autres systèmes de mémoire, tout par-
ticulièrement la mémoire sémantique. La suite de cet article
est consacrée à ces évolutions conceptuelles dans l’œuvre
de Tulving, leurs spécificités par rapport à d’autres modèles
de mémoire et l’influence de ses différents apports dans les
travaux actuels.
Tulving et les systèmes de mémoire
Mémoires sémantique et épisodique en 1972
Mémoire épisodique et mémoire sémantique sont les
deux systèmes de mémoire définis par Tulving en 1972 [5].
À cette période, la distinction était centrée sur la nature
des informations à mémoriser : des événements personnel-
lement vécus inscrits dans un contexte spatial et temporel
précis dans le premier cas («J’ai déjeuné avec Endel
Tulving le 23 mai 2003, à Caen... ») et des concepts, des
faits généraux situés en dehors de tout contexte d’encodage
(«Tulving est psychologue, spécialiste de la mémoire »),
dans le second.
Depuis 1972, Tulving est souvent revenu sur l’opposition
entre mémoire épisodique et mémoire sémantique pour
préciser les définitions de ces deux concepts et leurs
relations. La définition de la mémoire sémantique fait
référence à une conscience noétique de l’existence du
monde, des objets, des événements et de diverses régu-
larités. Ce niveau de conscience permet une conduite
introspective sur le monde, sans que l’objet qui donne
lieu à la réflexion soit perceptivement présent, mais sans
l’impression de reviviscence qui caractérise la mémoire épi-
sodique. La caractéristique fondamentale de cette dernière
est de permettre le souvenir conscient d’une expérience
antérieure : l’événement lui-même (le quoi), mais aussi où
et quand celui-ci s’est produit. L’emphase est portée sur
l’expérience subjective plutôt que sur l’exactitude du sou-
venir de l’événement rappelé. La mémoire épisodique est
la seule forme de mémoire qui, au moment du rappel, est
orientée vers le passé. La récupération d’un souvenir en
mémoire épisodique implique ainsi un «voyage mental
dans le temps »(ou chronestésie) associé à la conscience
autonoétique. Ce concept (noèse signifie «l’acte par lequel
on pense »), qui caractérise spécifiquement la mémoire épi-
sodique, signifie que l’individu prend conscience de sa
propre identité et de son existence dans le temps subjectif
s’étendant du passé au futur. Cette définition met l’accent
sur la conjonction de trois idées : le self (la référence à soi),
la conscience autonoétique et le temps subjectif.
Les données neuropsychologiques documentant la dis-
tinction entre mémoire épisodique et mémoire sémantique
sont maintenant nombreuses. Dès la fin des années 1950,
cette opposition avait été entrevue par Nielsen : «il existe
deux réseaux distincts pour deux formes de mémoire. L’une
est la mémoire des expériences de la vie centrée sur la
personne elle-même et impliquant fondamentalement la
notion de temps. L’autre est la mémoire des connaissan-
ces acquises intellectuellement, qui ne sont ni vécues,
ni personnelles. »[6]. L’idée de Nielsen a cependant été
éclipsée par l’étude extensive du patient H.M. par Brenda
Milner et al., et il faudra attendre des années avant qu’elle
soit sérieusement réexaminée. En effet, H.M., qui souffrait
d’une perturbation de la mémoire déclarative, c’est-à-dire la
mémoire des événements personnels et la mémoire des faits
généraux, «accaparait toute l’attention des chercheurs »
[7, 8].
La préservation des connaissances sémantiques chez
certains patients amnésiques présentant une atteinte mas-
sive de la mémoire épisodique est l’argument privilégié
en faveur de l’existence de deux systèmes de mémoire
distincts. Dans de nombreux cas, l’intérêt théorique de
cette distinction est toutefois critiquable car elle oppose
l’acquisition impossible de nouveaux souvenirs et la res-
titution de connaissances acquises longtemps avant la
survenue de la pathologie. Autrement dit, elle confond la
dimension sémantique/épisodique et la dimension rétro-
grade/antérograde.
L’étude du patient K.C. a permis de clarifier ce point
fondamental. Victime à l’âge de 30 ans d’un grave trau-
matisme crânien lors d’un accident de motocyclette, avec
des lésions de nombreuses régions cérébrales corticales et
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sous corticales, incluant les lobes temporaux internes [9],
il présentait en effet une dissociation entre une mémoire
sémantique normale et une mémoire épisodique alté-
rée, pour les aspects à la fois antérograde et rétrograde.
Tulving [7, 8] rapporte que l’amnésie rétrograde de K.C. est
«très asymétrique : (...). Ce qui caractérise avant tout l’état
mental de K.C., c’est son incapacité totale à se souvenir
des événements, des circonstances ou des situations de sa
propre vie. Son amnésie épisodique couvre l’ensemble de
sa vie, de sa naissance à aujourd’hui. La seule exception
concerne les expériences vécues dans les deux minutes pré-
cédentes, et cela est vrai à tout moment. Quelles que soient
la quantité et la spécificité des informations qu’on lui donne
sur un événement de son passé, que cet événement soit
plus ou moins mémorable selon les critères habituels, quelle
qu’ait été sa durée, et enfin quel que soit le nombre de fois
où il a déjà été interrogé à son sujet, K.C. répond invaria-
blement qu’il n’en a aucun souvenir, ni même le moindre
sentiment de familiarité. (...) Ce qui est massivement per-
turbé chez lui, c’est sa perception du temps vécu subjectif,
sa conscience autonoétique (le savoir sur soi). Le trouble
ne porte pas seulement sur le passé ; il s’étend également
au futur. Ainsi, quand on lui pose la question, il est inca-
pable de dire ce qu’il va faire plus tard dans la journée, ou
le lendemain, ou encore à n’importe quel moment de sa vie
future. Il ne peut pas davantage imaginer son avenir que se
souvenir de son passé. Cet aspect du syndrome suggère que
le sens du temps dont se nourrit la conscience autonoétique
ne couvre pas seulement le passé mais aussi l’avenir.
À l’inverse, «son savoir sémantique acquis avant
l’accident est toujours pratiquement intact. Ses connaissan-
ces en mathématiques, en histoire, en géographie et dans
d’autres disciplines scolaires, de même que ses connais-
sances générales sur le monde ne sont guère différentes
de celles des autres personnes de son niveau d’éducation.
Il connaît de nombreux faits objectifs de sa propre vie,
comme sa date de naissance, l’adresse de son domicile
jusqu’à l’âge de neuf ans, le nom des écoles qu’il a fréquen-
tées, la marque et la couleur de la voiture qu’il possédait,
et le fait que ses parents étaient et sont toujours proprié-
taires d’une résidence d’été. Il connaît l’emplacement de
la villa et peut facilement la trouver sur une carte de
l’Ontario. Il connaît la distance qui la sépare de son domi-
cile à Toronto et le temps nécessaire pour s’y rendre en
voiture le week-end. Il sait également qu’il y a passé beau-
coup de temps ». Plus étonnant, K.C. se montre capable
d’acquérir «lentement mais sûrement »des connaissances
sémantiques nouvelles grâce à une procédure de présen-
tation répétée, et de retenir normalement l’information
pendant des semaines et des mois malgré son incapacité
à se souvenir des séances pendant lesquelles s’effectuait
cet apprentissage.
Conception multisystème : les années 1980-1990
Au début des années 1980, Tulving propose une modé-
lisation intégrant trois systèmes de mémoire : la mémoire
épisodique, la mémoire sémantique et la mémoire pro-
cédurale, avec une organisation hiérarchique de ces trois
systèmes : la mémoire épisodique devient un sous-système
spécialisé de la mémoire sémantique, laquelle devient un
sous-système spécialisé de la mémoire procédurale [10]
(figure 1). Cette organisation exclut la possibilité de doubles
dissociations, les systèmes de haut niveau dans la hiérarchie
se situant dans une relation de dépendance par rapport aux
systèmes de plus bas niveau. Tulving apporte des arguments
de divers ordres (neuropsychologiques, ontogénétiques,
phylogénétiques...), à l’appui de cette organisation «par
emboîtement »des différents systèmes. De fac¸on originale,
ce modèle inclut trois formes de conscience correspondant
à chacun des systèmes : la mémoire procédurale est mise
en jeu sans faire appel à la conscience («anoétique »), car
il s’agit de la sollicitation, dans l’action, d’une procédure
totalement automatisée. La mémoire sémantique, associée
à la conscience noétique, permet d’évoquer des représen-
tations qui ne sont pas perceptivement présentes. Enfin, le
niveau de conscience autonoétique caractérise la mémoire
épisodique. La terminologie qualifiant les niveaux de
conscience associés aux systèmes de mémoire (noétique...)
est directement dérivée des thèses de la phénoménologie et
de son fondateur, E. Husserl [11].
Au début des années 1990, deux nouveaux systèmes de
mémoire intègrent cette organisation : le système de repré-
sentations perceptives qui sous-tend les effets d’amorc¸age
perceptif et la mémoire à court terme (ou mémoire de tra-
vail). Ces cinq systèmes de mémoire constituent le cadre
dans lequel est proposé, en 1995, le modèle SPI (sériel
parallèle indépendant) [12] (figure 2). Celui-ci est fon-
damental car, tout en demeurant un modèle structural
(comprenant cinq systèmes de mémoire), il vise à préciser
de fac¸on générale l’organisation et les relations entre les sys-
tèmes. Ce modèle conjugue ainsi les deux grands concepts
qui président à la description structurale et fonctionnelle de
la mémoire : les systèmes et les processus. Le modèle SPI
est aussi une proposition pour tenter de dépasser certaines
rigidités des conceptions monohiérarchiques antérieures, et
notamment l’impossibilité, selon ces dernières, de mettre en
évidence des doubles dissociations neuropsychologiques :
l’encodage comporte une dimension sérielle (l’encodage
dans un système dépend de la qualité de l’encodage dans
le système inférieur), le stockage s’effectue en parallèle
dans les différents systèmes, et la récupération des infor-
mations stockées dans un système est indépendante de la
récupération dans les autres systèmes. Ainsi, ce modèle
prédit que l’encodage d’une information dans un système
«inférieur »(par exemple la mémoire sémantique) peut
se réaliser même si l’encodage dans le système supérieur
(la mémoire épisodique) est défaillant, mais non l’inverse
(ce qui demeure une contrainte forte). En revanche, au
niveau de la récupération, les contraintes sont beaucoup
plus faibles. Par exemple, le modèle SPI n’exclut pas les
troubles de la récupération d’informations sémantiques sans
troubles de la récupération en mémoire épisodique. Il per-
met ainsi de rendre compte (au moins en partie) de certaines
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Mémoire
Épisodique
Sémantique
Procédurale Anoétique
Noétique
Autonoétique
Degré de
conscience
Figure 1. Modèle d’organisation hiérarchique [10]. À chaque système de mémoire correspond une forme de conscience différente.
Mémoire épisodique
Mémoire de travail
Mémoire sémantique
Mémoire procédurale
Système de représentations perceptives
Figure 2. Le modèle SPI [12]. Ce modèle comprend cinq systèmes de mémoire : un système d’action (la mémoire procédurale) et quatre systèmes de
représentation. L’organisation de ces derniers est dépendante des processus : l’encodage est sériel à partir du système de représentations perceptives, le
stockage s’effectue en parallèle dans les différents systèmes, et la récupération de l’information est indépendante à partir des différents systèmes.
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Dossier
Mémoire
épisodique
Encodage Stockage
É
vénements
personnels
Connaissances
générales
Données
perceptives
Identifier
des objets
Réfléchir au
moment présent
Se souvenir
du passé
Récupération
Mémoire
sémantique
Mémoire
perceptive
Entrée
Figure 3. Relations entre mémoire perceptive, mémoire sémantique et mémoire épisodique (Tulving, communication personnelle, 2003).
doubles dissociations rencontrées dans les pathologies
démentielles, tout particulièrement des troubles de la
mémoire sémantique au stade précoce de la démence
sémantique.
Cette organisation vaut pour les quatre systèmes de
représentation, mais non pour le système d’action : la
mémoire procédurale. En fait, les relations entre la mémoire
procédurale et les autres systèmes ne sont pas spécifiées, ce
qui constitue une limite du modèle. Dans les publications
ultérieures (voir notamment [13]), l’emphase est portée sur
les relations entre mémoire perceptive, mémoire séman-
tique et mémoire épisodique (figure 3). Les liens avec la
mémoire de travail ne sont pas non plus précisés, ce qui
constitue une autre limite, compte tenu surtout des déve-
loppements importants dans ce domaine et notamment la
proposition, faite par Baddeley [14], d’un buffer épisodique
à l’interface entre les «structures à court terme »et les
«structures à long terme ».
Tulving et la mémoire épisodique
aujourd’hui : une «merveille
de la nature »
L’expression «merveille de la nature »est utilisée
dans l’article publié en 2002 [7, 8] dans lequel Tulving
met l’emphase sur les particularités de ce système de
mémoire qui rend possible le voyage mental dans le temps :
le sens du temps subjectif, la conscience autonoétique et le
moi, ce que Tulving nomme le «voyageur »(«sans voya-
geur, pas de voyage »). L’auteur décline les spécificités de
la mémoire épisodique en plusieurs points.
La mémoire épisodique est autobiographique au sens
où elle stocke les souvenirs d’événements personnellement
vécus, elle est essentielle pour le self, l’identité [15]. Ce
point est capital car cette conception tranche avec une
vision restrictive de la mémoire épisodique et de son éva-
luation (par exemple par l’apprentissage de listes de mots).
Cette définition est parfois mal comprise : la mémoire épi-
sodique est autobiographique mais l’inverse n’est pas vrai,
puisque la mémoire autobiographique repose à la fois
sur des représentations épisodiques et des représentations
sémantiques. Cette réflexion théorique de Tulving sur les
liens entre mémoire épisodique et self est à l’origine de
différents modèles qui développent particulièrement ces
aspects (par exemple le modèle de la mémoire du soi de
Conway [16].
La mémoire épisodique est orientée vers le passé et Tul-
ving propose un développement lyrique à l’appui de cette
conception : «À une exception près, le cours du temps
est linéaire et à sens unique. Le caractère unidirection-
nel du temps est l’une des lois les plus fondamentales de
la nature. C’est cette loi qui a inéluctablement déterminé
sur les plans cosmique, géologique, physique, biologique,
psychologique – tous les événements de l’univers depuis
sa création. Les galaxies et les étoiles naissent et meurent,
les êtres vivants sont d’abord jeunes avant de vieillir, les
causes précèdent toujours les effets, il n’y a pas de retour
vers le passé, et ainsi de suite. L’écoulement du temps est
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