Article original
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Modèles de la mémoire
humaine : concepts et modèles
en neuropsychologie
de l’adulte et de l’enfant
Sylvie Martins
1,2,3,4
, Bérengère Guillery-Girard
1
, Francis Eustache
1
1
Inserm - EPHE -Université de Caen, unité E0218, GIP Cyceron, CHU de Caen, Caen, France
2
Université Paris Descartes, laboratoire Cognition et Comportement, CNRS-FRE-2987
3
Inserm U663, service de Neurologie et Métabolisme, hôpital Necker-Enfants Malades,
Paris ; Université Paris Descartes, Necker, Paris
4
Service hospitalier Frédéric Joliot, département de Recherche médicale, CEA, Orsay
Résumé. La mémoire est une fonction cognitive complexe dont les différents processus commencent à mieux
être caractérisés grâce à la fois aux données anatomo-cliniques et d’imagerie fonctionnelle. En s’appuyant sur cette
littérature, sont rapportées ici les études neuropsychologiques qui ont contribué à l’élaboration des concepts actuels
et sont exposés les différents systèmes mnésiques qui composent la mémoire humaine. Les systèmes de mémoire
sont détaillés selon les différentes acceptions des études réalisées chez l’adulte et chez l’enfant.
Mots clés :mémoire, modèle, neuropsychologie
Abstract. Human memory systems: Neuropsychological concepts and models in adulthood and childhood.
Human memory is a complex cognitive function that leads to several theoretical frameworks. We address this issue
by reporting several concepts sustained by anatomo-clinical and functional imaging data. We comment the multiple
memory system conception on the bases of adulthood and childhood literature.
Key words:memory, system, neuropsychology
La mémoire humaine est une fonction co-
gnitive complexe qui suscite depuis fort long-
temps l’intérêt de nombreux auteurs dans des
domaines variés. Dans le champ de la neurop-
sychologie, l’étude des patients cérébro-lésés a
conduit à la question fondamentale de l’unicité
ou de la multiplicité de la mémoire et des rela-
tions unissant les différents systèmes mnési-
ques. Après une définition générale des proces-
sus mnésiques, seront présentées diverses
observations neuropsychologiques qui ont per-
mis de montrer l’existence de dissociations en-
tre des capacités altérées et des capacités préser-
vées en mémoire chez un même patient. Les
modèles multisystémiques qui en découlent se-
ront ensuite évoqués. Enfin, si l’étude des dis-
sociations conduit à une vision modulaire de la
mémoire humaine, nous verrons comment ces
systèmes opèrent étroitement les uns avec les
autres au cours du développement.
Définition générale
De longue date, la psychologie cognitive et
la neuropsychologie ont apporté des données
majeures concernant la structure et le fonction-
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´pilepsies, vol. 18, Numéro spécial, septembre 2006
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´pilepsies 2006 ; 18 (Numéro spécial) : 4-14
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nement de la mémoire humaine. Elles ont conduit à considérer
cette fonction mentale comme relativement indépendante des
autres fonctions cognitives tels que, par exemple, le langage,
l’attention, ou les praxies. Ainsi, la mémoire permet spécifique-
ment d’encoder, de stocker et de récupérer différents types
d’informations (informations auditives, visuelles, olfactives,
etc.). Bien que cette définition permette de comprendre aisé-
ment les trois étapes essentielles du traitement mnésique, les
processus qui les sous-tendent sont moins faciles à appréhender.
En effet, l’encodage d’une information donnée peut être réalisé
de manière intentionnelle (lorsque j’apprends le code de la
route) ou de manière incidente (lorsque j’encode le visage de
l’enfant que j’aperçois dans la salle d’attente). Concernant le
stockage, celui-ci peut se faire selon des délais très variables, de
quelques secondes à plusieurs années. Enfin, la récupération
d’une information en mémoire peut s’effectuer de différentes
façons, notamment de façon consciente grâce à des indices
(j’entends une chanson qui me rappelle un événement particu-
lier) ou au contraire à l’insu du sujet (elle sera alors exprimée
implicitement à travers son comportement). De plus, de nom-
breux facteurs peuvent influencer la qualité de chacun de ces
processus. Par exemple les émotions et l’intérêt porté par l’indi-
vidu à une information modifient l’efficacité et la qualité de
mémorisation de celle-ci.
Une ou des mémoires ?
Étude des dissociations dans les maladies de la mémoire
De grands auteurs tels que Korsakoff ou Ribot ont contribué
à l’avènement de la neuropsychologie de la mémoire à la fin du
XIX
e
siècle, en définissant, pour le premier, une sémiologie
précise du syndrome amnésique, et pour le second, en propo-
sant un gradient temporel de l’oubli des informations au détri-
ment des plus récentes. Depuis, les investigations psychologi-
ques sont devenues de plus en plus structurées mettant alors en
évidence l’existence de dissociations fines entre des performan-
ces mnésiques altérées versus préservées chez des patients
cérébro-lésés. Les premières dissociations en mémoire qui ont
été rapportées sont issues pour l’essentiel de l’étude du syn-
drome amnésique permanent, notamment le syndrome amné-
sique bihippocampique dont le patient HM constitue l’arché-
type. A l’âge de 16 ans, ce patient développe une épilepsie dont
l’étiologie est supposée traumatique (à l’âge de 10 ans, ce pa-
tient fut victime d’un accident de la route). Cette épilepsie étant
particulièrement active et pharmacorésistante, HM bénéficie
(en 1953) d’une résection bilatérale des lobes temporaux qui
comprend le pôle temporal, l’amygdale ainsi qu’une partie
importante de la formation hippocampique. Il semble en revan-
che que le cortex périrhinal au niveau ventral ait été épargné.
Les performances de HM en mémoire étant très hétérogènes
selon le type de test neuropsychologique employé, divers cher-
cheurs, au premier rang desquels Brenda Milner (1959), ont
posé la question de l’unicité ou de la multiplicité de la mémoire
humaine et de l’indépendance entre différents systèmes de
mémoire, envisagés alors comme des modules. En effet, la
résection temporale a entraîné chez HM une amnésie antéro-
grade massive, c’est-à-dire un oubli à mesure de certaines infor-
mations depuis l’opération, et une amnésie rétrograde dont
l’étendue est encore aujourd’hui discutée. Les connaissances du
patient acquises durant les années précédant la résection sem-
blent différemment atteintes selon leur nature : la perte des
informations autobiographiques épisodiques par exemple
s’étendrait à la vie entière (Steinvorth et al., 2005).
Dissociation entre mémoire à court terme
et mémoire à long terme
En 1959, B. Milner pointa les difficultés de HM pour récu-
pérer des informations nouvellement rencontrées lorsque le
délai entre l’encodage et la restitution excédait la minute. En
revanche, bien que HM fût incapable de restituer une liste de
mots, il montrait de bonnes capacités aux empans de chiffres
par exemple. De fait, l’une des premières dichotomies proposée
pour rendre compte de ces observations fut la distinction,
modélisée par Atkinson et Shiffrin (1968), entre mémoire à
court terme et mémoire à long terme. Selon ces auteurs, l’infor-
mation issue de différentes modalités sensorielles entrerait en
premier lieu dans le registre sensoriel pour y résider pendant
une période de temps très brève (de l’ordre de quelques millise-
condes). L’information serait ensuite transmise à la seconde
composante du modèle : la mémoire à court terme qui possède
une capacité de stockage limitée, son rôle étant pour l’essentiel
de maintenir temporairement une information qui sera utilisée
pour la résolution d’une tâche donnée (cette conception laisse
déjà entrevoir l’évolution de cette composante unique en une
composante plus complexe, dite mémoire de travail). Cette
information serait ensuite, non pas transférée mais copiée en
mémoire à long terme, ce qui permettrait à l’individu de rappe-
ler cette information à partir de l’un ou l’autre de ces deux
systèmes. La description quelques années plus tard de patients
présentant, à l’inverse de HM, des capacités altérées en mémoire
à court terme et une préservation des performances en mémoire
à long terme (voir l’étude du patient KF, décrit par Warrington et
Shallice, 1969, 1970, 1994) a permis de conforter l’hypothèse de
l’existence de deux systèmes mnésiques distincts mais a remis
en cause l’organisation sérielle du premier modèle. Baddeley
proposera un nouveau modèle de mémoire de travail constitué
de composantes multiples, modèle plus complexe que nous
détaillerons plus loin.
Dissociation entre mémoire procédurale
et mémoire déclarative
En 1968, d’autres investigations auxquelles HM a participé
ont également montré que ce patient était capable d’acquérir de
nouvelles habiletés perceptivo-motrices (dessiner en miroir, sui-
vre une cible en mouvement [rotor-test]) alors même qu’il
n’avait aucun souvenir conscient d’avoir participé aux sessions
d’apprentissage. La mise en évidence d’une préservation de
cette mémoire des habiletés dans le syndrome amnésique per-
manent (puis dans de nombreuses pathologies de la mémoire
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Concepts et modèles systémiques de la mémoire humaine
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telles que l’ictus amnésique ou encore la maladie d’Alzheimer) a
conduit Cohen et Squire (1980) à proposer les termes (issus de
l’intelligence artificielle) de mémoire procédurale et mé-
moire déclarative pour rendre compte de cette dichotomie
désormais admise en neuropsychologie. Le système procédural
constitue ainsi un module relativement indépendant et spécifi-
que tendu vers l’action. Au contraire, les informations de nature
représentationnelle stockées en mémoire déclarative sont faci-
lement verbalisables et accessibles à la conscience. Ces représen-
tations peuvent être des connaissances générales (de type sé-
mantique, à savoir la connaissance de mots, concepts, règles,
etc.) ou spécifiques (de type épisodique, c’est-à-dire concernant
un événement unique situé dans le temps et l’espace).
Dissociation entre mémoire épisodique
et mémoire sémantique
Au sein du concept de mémoire à long terme, un certain
nombre de distinctions ont été mises en lumière grâce à l’étude
des pathologies de la mémoire. Ainsi, la mémoire à long terme
comprendrait entre autres la mémoire épisodique et la mé-
moire sémantique. Initialement proposée par Tulving
(1972), cette dichotomie a subi plusieurs évolutions et sa perti-
nence fait encore débat. Dans les années 1960, B. Milner rap-
portait qu’au décours de l’intervention chirurgicale, les capaci-
tés de HM étaient globalement perturbées en mémoire
épisodique et en mémoire sémantique (c’est-à-dire la mémoire
déclarative). Une vingtaine d’années plus tard, Gabrieli et al.
(1988) confirment que ce patient éprouve des difficultés pour
définir des mots apparus dans le lexique après la résection,
suggérant alors que dans l’amnésie antérograde les deux systè-
mes sont altérés. Depuis, de nombreuses équipes ont proposé
divers protocoles de mémoire à HM et ont notamment rapporté
les difficultés de ce patient dans l’apprentissage de nouvelles
catégories imaginaires. Toutefois, d’autres auteurs ont montré
l’existence de certaines capacités sémantiques préservées chez
ce même patient. Récemment, Stokto et al. (2004) ont proposé à
ce patient la réalisation de mots croisés qui utilisent des mots
issus des périodes pré- et post-chirurgicales. Si HM obtient
effectivement des performances déficitaires pour les mots ré-
cents qui concernent la période post-chirurgicale, il améliore
significativement ses scores lorsque les mots proposés ont un
lien sémantique avec les connaissances pré-existantes de la
période préchirurgicale. Par ailleurs, en 1993, Hayman et Tul-
ving ont mené une étude importante auprès d’un autre patient,
KC, qui présente un syndrome amnésique permanent particu-
lièrement sévère, consécutif à des lésions occipito-temporo-
pariétales (Tulving, 2002, Rosenbaum et al., 2005). Dans cette
étude, KC a été soumis à une tâche d’apprentissage de mots
nouveaux correspondant à une définition amusante. KC est
parvenu à acquérir ces nouvelles informations et à les maintenir
dans le temps, tout comme les sujets contrôles, en dépit de ses
troubles de mémoire épisodique.
Bien que ces recherches apportent des données majeures
concernant l’épargne de la mémoire sémantique dans l’amnésie
antérograde, la possible existence de phénomènes de compen-
sation et/ou de récupération dûs à une réorganisation cérébrale
au décours de la maladie constitue une limite à l’étude des
dissociations entre mémoire épisodique et mémoire sémanti-
que. Les syndromes amnésiques transitoires constituent de fait
un modèle de choix pour l’étude des capacités d’apprentissage
de novo d’informations sémantiques en passant outre ce pro-
blème des phénomènes de réorganisation. Guillary et al. (2001)
ont proposé à de tels patients, durant la phase aiguë de l’ictus
amnésique idiopathique, des phrases ambiguës, dont la com-
préhension est difficile, et un mot-clé permettant de déduire
leur signification. Après un délai allant de quelques minutes à
plusieurs heures, les patients se sont montrés capables de resti-
tuer la signification des phrases sans l’aide des mots-clés. Ces
résultats suggèrent donc que de nouvelles informations peu-
vent être intégrées en mémoire sémantique sans pour autant
accéder au statut de souvenir épisodique.
Si les syndromes amnésiques sont étudiés depuis longtemps
chez l’adulte, ce n’est que très récemment que la possibilité
d’une amnésie organique chez l’enfant a été envisagée. En 1997,
Vargha-Khadem et al. rapportent les cas de 3 enfants amnési-
ques dont l’évaluation neuropsychologique (réalisée à l’adoles-
cence au moyen de tests psychométriques classiques) révèle que
ces enfants ont acquis, malgré leur oubli à mesure, un niveau de
langage et de connaissances académiques proche du niveau
attendu pour leur âge. A ce jour, seule une étude prospective a
montré l’acquisition de nouvelles connaissances en mémoire
sémantique chez deux enfants amnésiques (Guillary-Girard et
al., 2004). Ce protocole, qui repose sur l’acquisition de 8 nou-
veaux concepts, s’appuie sur des méthodes d’apprentissage
éprouvées chez l’adulte telle que la méthode d’apprentissage
sans erreur. Les résultats montrent que ces enfants ont acquis
ces nouveaux concepts alors même qu’ils étaient incapables
d’évoquer des souvenirs épisodiques concernant le contexte des
sessions d’apprentissage. L’étude de la mémoire chez ces enfants
constitue, de fait, une approche novatrice et pertinente du
fonctionnement de la mémoire épisodique et de la mémoire
sémantique puisque les nouvelles acquisitions ont lieu dans un
contexte privilégié, les enfants ne possédant pas a priori de
domaine d’expertise préalable. De plus, l’étude de la mémoire
chez le jeune enfant et le préadolescent apporte un éclairage
nouveau sur les liens existants entre mémoire sémantique et
épisodique avant même la mise en place des fonctions instru-
mentales et exécutives pleinement efficientes qui sont à l’œuvre
chez l’adulte et qui permettent la mise en place de stratégies
compensatoires chez ce dernier.
En conclusion, l’étude de patients présentant un syndrome
amnésique apporte des données majeures sur l’architecture de
la mémoire et suggère que les différents systèmes mnésiques
peuvent fonctionner de façon indépendante. En outre, les mo-
dèles architecturaux proposés actuellement se distinguent es-
sentiellement de par le nombre de systèmes mnésiques envisa-
gés, leurs caractéristiques intrinsèques et leur fonctionnement
au sein d’une structure intégrée.
S. Martins, et al.
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Modèles architecturaux de la mémoire humaine
Modèle mono-hiérarchique de Tulving
Le modèle multisystémique actuellement le plus influent
est sans doute celui développé par Endel Tulving (1995, 2001)
qui prend notamment en compte les aspects à la fois phylogé-
nétiques et ontogénétiques de la mémoire. Cet auteur propose
une organisation architecturale comprenant 5 systèmes de mé-
moire (modèle SPI pour Serial Parallel Independant, figure 1), dans
laquelle les relations entre ces systèmes sont spécifiées (Tulving,
1995). D’après cet auteur, l’encodage sériel d’une nouvelle in-
formation permet à celle-ci d’être transmise des systèmes de bas
niveau vers les systèmes de haut niveau. Le stockage parallèle
autorise une ségrégation des informations dans les différents
sous-systèmes. Enfin, la récupération indépendante permet à
une information d’être rappelée sans nécessiter l’évocation
d’information en provenance des autres systèmes. Ainsi, ce
modèle prédit qu’une information sera encodée dans le système
« inférieur » même si l’encodage dans le système « supérieur »
est défaillant : une information sera par exemple encodée en
mémoire sémantique sans pour autant accéder à la mémoire
épisodique. La réciproque n’est en revanche pas vraie, ce qui
constitue une contrainte importante de ce modèle. Toutefois, la
récupération étant indépendante, une information peut être
rappelée en mémoire épisodique sans s’appuyer nécessairement
sur la récupération d’informations en mémoire sémantique. Le
modèle SPI permet ainsi de rendre compte, du moins en partie,
des doubles dissociations rapportées dans la littérature (voir
supra).
Dans ce modèle hiérarchique (Tulving, 1995), le premier
système (qualifié de non déclaratif) s’exprime indépendam-
ment de processus cognitifs de haut niveau. La mémoire
procédurale est en effet le système chargé de l’encodage, du
stockage et du rappel des procédures qui sous-tendent différen-
tes habiletés telles que les habiletés perceptivo-motrices ou
cognitives. Les connaissances procédurales sont difficilement
verbalisables et s’expriment dans l’action finalisée de façon
implicite (par exemple lorsque je fais du vélo). Bien que ce
système soit intégré au modèle SPI, la question d’une possible
autonomie de celui-ci par rapport aux autres systèmes mnési-
ques demeure actuellement débattue (Beaunieux et al., 1998,
2006). Comme l’attestent de nombreux travaux, l’apprentissage
procédural est relativement épargné dans les pathologies telles
que le syndrome amnésique, la maladie d’Alzheimer ou encore
la démence sémantique. Cependant, l’apprentissage des pa-
tients demeure plus lent et moins efficient que celui des adultes
sains. Certains auteurs ont alors fait l’hypothèse selon laquelle
d’autres systèmes de mémoire joueraient un rôle dans l’acquisi-
tion de nouvelles procédures (Anderson, 1999). Dans ce cadre,
les sujets sains pourraient recourir à d’autres systèmes mnési-
ques (notamment la mémoire épisodique) pour corriger leurs
erreurs et limiter les effets d’interférences qui renforcent l’enco-
dage de mauvais engrammes, tandis que les patients ne peuvent
s’appuyer que sur leur système mnésique préservé et seraient
donc davantage sujets aux interférences. A contrario, dans les
maladies qui touchent plus particulièrement les structures sous-
corticales, telle que la maladie de Parkinson, les patients éprou-
vent d’importantes difficultés lors de l’apprentissage procédural
comme par exemple l’acquisition de la lecture en miroir. Il
semble donc que les régions extra-temporales sous-corticales, et
plus précisément les noyaux gris centraux, jouent un rôle cru-
cial dans l’apprentissage d’une suite organisée d’actions et l’uti-
lisation de compétences procédurales. Sur le plan fondamental,
le modèle SPI ne spécifie pas les relations entre la mémoire
procédurale et les autres systèmes, ce qui constitue une limite du
modèle.
En 2001, l’emphase est davantage portée par l’auteur sur les
relations entre trois autres systèmes : le système de représenta-
tion perceptive (PRS), la mémoire sémantique et la mémoire
épisodique. Ici, ce sont les liens avec la mémoire de travail qui
ne sont pas précisés. Néanmoins, chacun de ces quatre systèmes
prend en charge des informations élaborées et intégrées de
nature représentationnelle.
Le système de représentation perceptive (PRS) opère à
un niveau présémantique (avant l’accès à la signification), et
sous-tend des expressions non conscientes de la mémoire. Ce
système permet l’identification d’objets considérés comme des
entités perceptives. Celui-ci serait composé de 3 sous-
systèmes partageant des propriétés communes mais différenciés
selon le type d’information qu’ils traitent (Schacter, 1994) : a) le
Mémoire procédurale
Système de représentation
perceptive
Mémoire de travail
Mémoire
sémantique
Mémoire
épisodique
Figure 1
.
Modèle SPI.
D’après Tulving (1995) et Eustache et Desgranges (2003).
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Concepts et modèles systémiques de la mémoire humaine
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système de représentations pour la forme visuelle des mots
[RABOT] ; b) le système dédié à la forme auditive des
mots [rabo] ; et c) le système dédié aux descriptions structurales.
L’étude d’un mot ou d’un objet active, ou crée, une représenta-
tion de sa structure perceptive dans le PRS, ce qui facilite le
traitement ultérieur de ce même stimulus à partir d’indices
perceptifs réduits. Le PRS sous-tendrait donc les effets d’amor-
çage perceptifs qui sont définis comme l’effet, généralement
bénéfique, de la rencontre préalable d’une information
(l’amorce) sur notre capacité subséquente à traiter de nouveau
cette information en l’absence de récupération consciente de
celle-ci. Ainsi, le fait d’être confronté une première fois à une
information donnée amorcera notre capacité à identifier, juger
ou effectuer tout autre traitement sur cette même information
mais aussi une autre information qui lui est apparentée. L’inté-
rêt pour l’étude de ces effets d’amorçage s’est développé avec les
travaux de Warrington et Weiskrantz (1974) qui ont montré que
les patients amnésiques obtenaient des performances normales
à des épreuves de mémoire dans lesquelles les consignes ne
faisaient pas explicitement référence à la présentation initiale
du matériel encodé (par exemple, l’épreuve qui consiste à com-
pléter des trigrammes : CHEVAL / CHE___). Ces observations
suggèrent que les régions temporales internes ne jouent pas ici
un rôle majeur. En revanche, l’intégrité des régions sensorielles
(notamment les régions néocorticales postérieures) serait néces-
saire à la préservation des effets d’amorçage perceptifs. Depuis
une dizaine d’années, une nouvelle source d’inférence, à savoir
l’imagerie fonctionnelle, apporte des précisions quant aux phé-
nomènes cérébraux qui accompagnent l’effet d’amorçage. Si la
rencontre première avec une information (l’amorce) entraîne
une augmentation du débit sanguin cérébral dans les régions
postérieures, la présentation subséquente de cette amorce ou
d’une information apparentée se traduit, sur le plan hémody-
namique, par une baisse de la perfusion sanguine dans ces
mêmes régions postérieures (Nb : lorsque l’information a été
préalablement intégrée dans le réseau de connaissances préexis-
tant). Ce phénomène physiologique est actuellement considéré
comme un principe d’économie cérébrale (Lebreton et al.,
2002 ; Henson et al., 2004.
Selon le modèle SPI, l’information qui est encodée et stoc-
kée au niveau des PRS peut ensuite être transférée vers le sys-
tème supérieur appelé mémoire sémantique. Dans la première
acception proposée par Tulving (1972), la mémoire sémantique
faisait référence à la compréhension du langage (mémoire des
mots et concepts). Cette conception a été revue à plusieurs
reprises et la mémoire sémantique est actuellement définie
comme le système de mémoire chargé de l’encodage, du main-
tien et de la récupération d’informations générales indépen-
damment de leur contexte d’acquisition. Ces informations peu-
vent concerner plusieurs domaines, tels que les mots et
concepts (par exemple: la famille), la culture générale (Rome est
la capitale de l’Italie) ou encore les aspects sémantiques person-
nels ou les connaissances générales sur soi (la ville où je suis
né (e)). Ce système est associé à la conscience noétique qui
permet au sujet une conduite introspective sur le monde sans
qu’il lui soit nécessaire de revivre l’épisode d’encodage. Une
information peut donc être récupérée sans référence au
contexte d’apprentissage, indépendamment du self et du temps
subjectif (Tulving, 2001).
La nature même des informations prises en charge par ce
système (informations générales de nature conceptuelle, infor-
mations sémantiques personnelles par exemple) pose néan-
moins question. Plusieurs études en neuropsychologie ont rap-
porté le cas de patients présentant des déficits sémantiques
spécifiques à un type d’information, les patients conservant, par
exemple, une bonne compréhension des mots concrets contras-
tant avec d’importantes difficultés pour les mots abstraits.
D’autres encore ont décrit l’altération des capacités en mémoire
sémantique pour une catégorie de connaissances précises, les
patients montrant ici des performances effondrées lorsque la
restitution concerne des objets animés, tandis qu’il existe chez
eux une préservation des connaissances pour les objets inani-
més (Warrington & Shallice, 1984). Ces observations, recueillies
auprès de patients dont les lésions sont généralement circons-
crites au niveau du lobe temporal externe, suggèrent que la
mémoire sémantique serait elle-même composite et ces sous-
systèmes seraient au moins partiellement séparés sur le plan
fonctionnel et neuro-anatomique (Samson, 2003, pour revue).
Toutefois, le lobe temporal externe ne sous-tend pas seul les
capacités de mémoire sémantique. Si l’on se réfère notamment
aux modèles de la consolidation (Moscovitch et al., 2006 pour
revue), bien que la mémoire sémantique ne dépende pas direc-
tement des lobes temporaux internes, elle s’appuie en partie sur
ces structures au moment de l’acquisition de nouvelles informa-
tions. Ainsi, la mémoire sémantique impliquerait un réseau
comprenant les cortex entorhinal, péririhnal et parahippocam-
pique. Les travaux de Vargha-Kadhem et al. ont apporté des
arguments forts concernant le rôle des structures temporales
internes en mémoire sémantique (1997). Les auteurs postulent
en effet que les zones entorhinales et périrhinales suffisent à la
mémorisation d’informations factuelles indépendamment de
leur contexte d’encodage. Au regard de la littérature, il semble
donc que si l’hippocampe joue un rôle dans la mémorisation de
nouvelles informations, il ne serait pas indispensable au fonc-
tionnement de la mémoire sémantique.
Selon Tulving, la mémoire épisodique est le système
mnésique le plus évolué sur le plan phylogénétique et ontogé-
nétique. Il est spécifiquement dédié à la mémorisation d’infor-
mations personnellement vécues, situées dans leurs contextes
spatial et temporel d’apprentissage. Le propre de la mémoire
épisodique est donc de permettre le souvenir conscient d’une
expérience personnelle antérieure, et en ce sens elle est tournée
vers le passé. Lors de la récupération d’un souvenir, l’individu
voyage ainsi mentalement dans le temps et « revit » l’épisode
original. Le sentiment subjectif associé à ce rappel est intrinsè-
quement lié au self de l’individu. Selon Tulving, la mémoire
épisodique s’accompagne donc nécessairement chez l’homme
de la conscience autonoétique (Tulving, 2001) et permet au
sujet de prendre conscience de sa propre identité. La mémoire
épisodique propre à l’individu est donc conçue comme une
S. Martins, et al.
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