Le commerce mondial dans la crise

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Le commerce mondial dans la
crise
• En mars 2009 l’OMC publie un communiqué de presse prévoyant, pour
l’ensemble de l’année 2009, une baisse des exportations mondiales en
volume de 9%, « une contraction sans précédent depuis la seconde guerre
mondiale ». Un an plus, tard, en mars 2010, l’OMC annonce : « Après avoir
connu son plus fort recul en plus de 70 ans, le commerce mondial est prêt
à rebondir en 2010 et à progresser cette année de 9,5 pour cent ». Cette
prévision sera ultérieurement revue à la hausse pour s’établir à 13,5%. Le
commerce mondial a donc connu un épisode d’effondrement entre le
troisième trimestre de 2008 et le premier trimestre de 2009 ; cet épisode
conduit à des interrogations sur les raisons de la chute brutale des
exportations, afin de savoir s’il s’agit uniquement des conséquences de la
récession mondiale ou bien s’il existe des facteurs spécifiques. L’enjeu est
d’importance, puisque au même moment les négociations du Programme
de Doha pour le Développement sont dans l’impasse et que la conclusion
de ce cycle de libéralisation des échanges internationaux est présentée
comme un moyen de relancer la croissance économique.
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Graphique 1 - Taux de croissance des exportations mondiales de marchandises en valeur,
1981-2009
Taux de croissance trimestrielle des importations mondiales de biens et
services, 1965-2009
• Les points marquants des évolutions du commerce mondial en
2008-2009 sont donc : i) l’importance de la chute des échanges, ii)
la simultanéité de l’impact sur l’ensemble des nations et des
produits. La crise de 2008-2009 s’inscrit dans une modification de
longue période des échanges internationaux, tout d’abord dans leur
rapport à l’activité économique générale. Une manière d’approcher
cette originalité peut être saisie grâce au calcul de l’élasticité du
commerce mondial par rapport au revenu mondial : selon Caroline
Freund, l’élasticité du commerce mondial au revenu mondial est
passée de 1,94 dans les années 1960 à 3,36 dans les années 1990 et
3,69 pour les six premières années 2000 (Freund [2009], tableau 1).
Cette tendance de long terme doit donc être prise en compte, mais
elle ne peut, à elle seule, expliquer la brutalité de la chute de 20082009 si on ne s’interroge pas sur ses raisons fondamentales.
• Lorsque l’OMC signale, en mars 2009, l’effondrement des échanges
internationaux, quatre facteurs explicatifs de l’originalité de
l’effondrement des échanges internationaux sont mis en avant :
• la généralisation de la récession ;
• l’importance actuelle des chaînes mondiales d’approvisionnement ;
• les difficultés de financement du commerce ;
• le rôle éventuel du protectionnisme.
• Sous une forme ou sous une autre, ces quatre facteurs vont être présents
dans les analyses des différents auteurs qui se sont intéressés au
phénomène, mais d’autres explications sont aussi avancées. Le premier
élément, la généralisation de la récession, ne mérite pas qu’on s’y arrête
davantage, car il ne concerne pas spécifiquement les échanges
internationaux. Par ailleurs, cette liste n’est pas exhaustive, puisqu’une
cinquième explication, liée à la différence de composition des PIB et du
commerce international, peut être avancée.
• La crise bancaire a eu deux effets distincts sur les entreprises
exportatrices : le premier est que ces firmes vont, comme les
autres, rencontrer des difficultés pour financer leur activité de
production. L’impact sur le commerce international n’est donc pas
spécifique, contrairement au second : les opérations de commerce
international supposent des instruments financiers spécialisés,
comme les lettres de crédit. Le rationnement général du crédit va
donc avoir un effet direct sur les exportations. Il n’est pas aisé
d’avoir des informations précises sur cette dimension financière,
mais, grâce à un rapport du Comité Bancaire de la Chambre de
Commerce Internationale, on dispose d’indications générales,
obtenues auprès de 122 banques de 59 pays qui étaient interrogées
sur l’impact de la crise financière dans le domaine des échanges
internationaux, en analysant les tendances entre les derniers
trimestres de 2007 et de 2008 (ICC [2009]).
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La première indication concerne l’usage habituel des lettres de crédit et des autres
instruments de même type : ils financent environ 20 % du commerce mondial.
Avec le déclenchement de la crise, les exportateurs ont cherché à sécuriser leurs
paiements, ce qui les a conduit à un recours accru à ces formes de financement.
L’impact immédiat a été un ralentissement des exportations, à des semaines de
stockage avant expédition, dans l’attente de la finalisation des termes du
financement. Mais les banques interrogées indiquent, par ailleurs, à la fois que la
tarification des instruments de crédit a augmenté et que les taux de refus sont
significativement plus importants qu’avant la crise. Le crédit crunch a donc joué un
rôle dans la chute des exportations, non seulement pour ralentir des expéditions,
dans un premier temps, mais aussi, dans un second temps, en rendant leur
financement plus difficile. Ce rôle des restrictions de crédit dans la chute du
commerce international a été reconnu lors de la réunion du G20 à Londres, en
avril 2009. En effet, parmi les décisions prises pour lutter contre la crise, les pays
du G20 ont décidé de « garantir un crédit de 250 milliards de dollars destiné à
relancer le financement du commerce international » (point 5 de la déclaration
finale). Les effets des restrictions du crédit ont cependant continué à être sensibles
pour les opérateurs des pays à faibles revenus, en particulier en Afrique comme
l’indique un rapport de novembre 2010.
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La deuxième explication de la crise du commerce international relève de la composition des
échanges. Tout d’abord, lorsque l’on compare la composition des échanges internationaux et
celle des PIB une divergence importante dans la répartition entre marchandises et services
apparaît. Par ailleurs, le commerce international contient une proportion importante de
produits industriels durables dont l’achat peut être différé.
Le commerce mondial est composé pour 80 % de biens manufacturés (produits
électroniques, matériel de transport, machines) ; lors d’une crise générale de la demande, les
consommateurs et les firmes peuvent renoncer à une décision d’achat ou la reporter, dans
l’attente d’une amélioration de leur situation ou de leurs anticipations. Par contraste, les PIB
nationaux sont composés de manière essentielle de services dont tous ne sont pas
échangeables internationalement. L’impact de cette différence de composition peut être
présenté à partir d’un exemple numérique simple. De manière approximative, on peut
considérer que les exportations mondiales sont composées à 80% de biens dont l’achat peut
être différé, alors que leur part dans le produit mondial, l’agrégation des PIB, n’est que de
10%. Face au choc de demande et à l’incertitude qui en résulte, supposons que les achats de
ces biens diminuent de moitié, toutes choses égales par ailleurs. Alors que le produit mondial
n’a diminué que de 5%, les exportations mondiales ont chuté de 40%. Selon les estimations
réalisées sur le commerce des USA, les effets découlant de la composition du commerce
extérieur seraient responsables d’au moins 50% de la baisse des exportations étatsuniennes.
•
Une troisième voie d’explication est liée à une forme particulière de spécialisation
internationale, la spécialisation verticale, qui s’est fortement développée depuis
une quarantaine d’années. Cette forme de spécialisation est en partie liée aux
firmes multinationales et à la création des « filiales ateliers » (cf. Delapierre et
Michalet [1976]), mais aussi aux stratégies d’externalisation des entreprises qui ne
passent pas nécessairement par l’établissement de filiales de production à
l’étranger. Selon l’expression de Bernard Lassudrie-Duchêne [1982], nous sommes
alors en présence d’une Division Internationale des Processus Productifs terme qui
englobe toutes les formes particulières de localisation dans différents pays de la
chaine de production. Les estimations pour 10 pays de l’OCDE et 4 pays émergents
conduisent à considérer qu’entre 1970 et 1990 la spécialisation verticale
représente 21 % des exportations et que ces exportations ont crû de 30% sur cette
période. Selon d’autres travaux, la place des exportations liées à la spécialisation
verticale a plus que doublé entre 1967 et 2005, passant d’environ 3% des
importations mondiales de marchandises, hors énergie, à 6,5%, essentiellement au
bénéfice de l’Asie qui réalisait 0,5 % des importations mondiales en 1967 et 4% en
2005.
• Cette nouvelle forme de la spécialisation internationale a un impact
important sur le volume des échanges internationaux. En effet, la
comptabilisation des exportations et des importations ne se fait pas
en valeur ajoutée mais en grandeurs brutes, ce qui contribue à
amplifier artificiellement l’impact des variations de la demande
finale. Selon l’OMC, « La contraction ou l'expansion du commerce
n'est plus seulement une question de variation des flux
commerciaux entre un pays producteur et un pays consommateur
— les marchandises traversent de nombreuses frontières durant le
processus de production, et les composantes du produit final sont
décomptées à chaque fois qu'elles traversent une frontière. » Selon
l’OMC, son « ampleur globale ne peut être que supposée en raison
de l'absence de renseignements systématiques ».
• Les approches nouvelles parlent de « chaines de valeur
mondiales ».
•
Le protectionnisme est le quatrième candidat à l’explication de la chute du
commerce international. Une originalité de la crise de 2008-2009 est la
préoccupation affirmée, notamment lors des réunions du G20, d’éviter le recours
au protectionnisme. La première prise de position date de la réunion du G20 le 15
novembre 2008 à Washington. Le paragraphe 13 du communiqué final contient
l’engagement des nations concernées à s’abstenir, pendant 12 mois, d’instaurer de
nouvelles barrières au commerce ou à l’investissement, d’imposer de nouvelles
restrictions aux exportations ou de mettre en œuvre des mesures incompatibles
avec les règles de l’OMC pour stimuler les exportations. Le communiqué du 2 avril
2009 concluant la réunion de Londres fait référence à la contraction du commerce
mondial et considère que les effets de la chute de la demande sont exacerbés par
la diminution du crédit commercial et les pressions protectionnistes. Il reprend
une formulation identique à celle de novembre 2008, en précisant que les
gouvernements s’engagent à supprimer les mesures protectionnistes et à ne pas
en prendre de nouvelles pendant l’année 2010. Cela sera réaffirmé à Pittsburgh le
25 septembre 2009. A Toronto, le 27 juin 2010, l’affirmation du rejet de nouvelles
mesures protectionnistes est renouvelée jusqu’à la fin de 2013, ce qui est confirmé
le 12 novembre 2010, à Séoul.
• Sur la base de ces engagements solennels et répétés, le protectionnisme
semble donc écarté comme explication potentielle de l’effondrement du
commerce mondial en 2008-2009. Le G20 a d’ailleurs pris une initiative
intéressante, en demandant que la CNUCED, l’OCDE et l’OMC soient
conjointement chargées d’établir des rapports, publiés avant les réunions
du G20, recensant l’ensemble des mesures protectionnistes prises par les
nations membres du Groupe, qui avaient l’obligation de les notifier. La
lecture de ces rapports donne une image très différente de la réalité, le
protectionnisme ayant été une politique mise en œuvre contrairement
aux engagements. Ainsi, le rapport du 14 septembre 2009 préparé pour la
réunion de Pittsburg fait le point sur les mesures de politique
commerciale prises par les membres du G20 entre avril et août 2009.
Seuls 12 pays ont notifié leurs mesures, 2 n’ont déclaré que des mesures
prises par d’autres (Japon, USA), 6 n’ont rien notifié (Afrique du Sud,
Arabie Saoudite, Argentine, Inde, Indonésie) et les politiques appliquées
ont dû être reconstituées.
• En tout, 80 mesures affectant les importations des membres du G20 sont
recensées ; les membres ayant le plus recours au protectionnisme sont :
• – l’Inde : 21 mesures,
• – les USA : 16 mesures,
• – la Russie : 8 mesures,
• – la Chine : 7 mesures,
• – l’Union Européenne : 6 mesures.
• Le rapport établi le 4 novembre 2010, en prévision du Sommet de Séoul,
présente un bilan des mesures protectionnistes prises entre avril 2009 et
octobre 2010. Aux 80 mesures prises entre avril et août 2009 se sont
ajoutées 95 nouvelles entre septembre 2009 et février 2010, 56 entre
mars et mai 2010, 54 entre mai et octobre 2010. L’ensemble des
restrictions au commerce prises depuis octobre 2008 par les Membres du
G20 couvre 1,8% du total de leurs importations, soit 1,4% des
importations mondiales ; de plus, 15 % seulement des mesures adoptées
depuis le début de la crise ont été retirées.
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