Cours - « La Première Guerre mondiale : l`expérience combattante

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Cours - « La Première Guerre mondiale :
l'expérience combattante dans une guerre
totale » [MB 3.4]
Sommaire
Introduction.........................................................................................................1
1. Les combattants et la violence des champs de bataille..................................1
1.1. L'expérience tragique du feu....................................................................1
1.2. Les causes de l'endurance des combattants............................................3
1.3. Une « brutalisation » des hommes ?.........................................................3
2. L'effet de la « guerre totale » sur les sociétés en conflit.................................4
2.1. La première guerre totale ET industrielle ?...............................................4
2.2. La guerre totale modifie les données du combat.....................................5
2.3. Les civils face aux violences.....................................................................7
Conclusion...........................................................................................................8
Introduction
Entre le 28 juillet 1914 (3 août pour la France) et l'armistice du 11 novembre
1918, des millions de combattants s'affrontent au cours d'une « guerre
totale »1. Cette notion qualifie un conflit armé qui mobilise toutes les
ressources disponibles de l'État, sa population entière autant que la politique,
l'économie, la culture, etc. Guerre sans limites morales, elle provoque des
destructions militaires autant que civiles sans précédents, impose une gestion
étatisée et centralisée, ainsi que le contrôle de l'opinion par une propagande
omniprésente. Sa durée et son étendue géographique, la capacité de
destruction des armes utilisées, l'implication des civils, changent la nature
profonde et les objectifs de la guerre même.
Comment la violence des champs de bataille a-t-elle marqué de façon nouvelle
l'expérience combattante ?
L'étude des soldats et de la violence sur les champs de bataille permet de
définir l'effet d'une « guerre totale » sur les sociétés en conflit.
1. Les combattants et la violence des champs de
bataille
1.1. L'expérience tragique du feu
La Première Guerre mondiale a entraîné la mobilisation d'environ 70 millions
d'Européens. Aucun conflit n'avait auparavant tué autant d'hommes en si peu
de temps. En moyenne, chaque jour, 900 Français, plus de 1 300 Allemands et
1 450 Russes ont été tués. Ex. : 20 000 Britanniques sont morts le premier jour
1 Cet adjectif fut utilisé par le général allemand Erich Luddendorf dès 1935 et repris dans son
ouvrage Der totale Krieg (De la guerre totale) publié en 1937.
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de la bataille de la Somme en 1916. Le nombre des blessés est immense ; on
recense au total 8 millions d'invalides et d'infirmes de guerre en 1918, dont
des gazés, des mutilés et des blessés de la face (ou « gueules cassées »).
Pertes humaines 1914-1918, 8 millions de Fr. mobilisés : 16,8 % tués
(Serbie 37 % ; Bulgarie 22 % ; All. 15,4 %) ; 18 % des soldats et 22 % des
officiers ; 51 % des élèves de l'Ec. Normale Sup. ; 40 % des soldats ont été
blessés => 300 000 mutilés et 2 millions d'invalide à 10 % au moins.
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Figure 1. Le nombre moyen de morts français par jour aux armées,
1914-1918
(BECKER Jean-Jacques, AUDOIN-ROUZEAU Stéphane, La France, la nation, la guerre : 1850-1920, SEDES, 1995, p.
285-286).
• Jamais les soldats n'ont été aussi vulnérables. Les bombardements d'artillerie
occasionnent environ 75 % des pertes directes. Les éclats d'obus mutilent,
tuent, enfouissent les vivants... Sous le feu des canons et des mortiers, des
mitrailleuses, on se terre, dès la fin de l'année 1914, au fond des tranchées
creusées, dans les trous d'obus. On s'enferre dans les réseaux de barbelés du
no man's land2. Essayés dès octobre 1914, utilisés largement à partir d'avril
1915, les gaz de combat (ex. : le chlore, le « gaz moutarde »...), responsables
de souffrances intenses et prolongées, terrifient les soldats. Toutes les armées
ne sont pas à égalité devant les gaz : les Russes et les Italiens, pauvrement
équipés, les Américains peu expérimentés, souffrent beaucoup plus que les
Français ou les Britanniques.
À ces souffrances s'ajoutent la vue des morts et des blessés, la chaleur en
été et le froid en hiver, la pluie et la boue, les parasites et les rats,
l'épuisement physique et nerveux, l'éloignement des proches... Les soldats
développent des troubles psychiques (« stress post-traumatique » ) pendant et
après le conflit : cauchemars, tremblements, mutisme3... Certains sont
2 C'est la zone située entre les deux tranchées opposées.
3 Tous ces traumatismes furent étudiés après la guerre par le fondateur de la psychanalyse,
l'autrichien Sigmund Freud.
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incapables de se réadapter à la vie civile ordinaire. Chemises noires fascistes,
SA nazis mettent à profit cette violence des vétérans ; certains deviennent
même des criminels (vols à main armée, meurtres...).
1.2. Les causes de l'endurance des combattants
La ténacité des combattants, voire leur consentement au conflit, s'explique
par un ensemble de contraintes et de représentations qui imprègnent et
modèlent leurs comportements. Obligés de faire leur « devoir patriotique »,
sous peine de lourdes sanctions en cas de refus ou de lâcheté au combat, les
soldats accomplissent aussi un devoir de solidarité vis-à-vis de leurs
camarades. Face à l'isolement et à la peur, la solidarité est essentielle au front
et les « loisirs » s'organisent à proximité immédiate, en particulier le théâtre
aux armées4. Les liens avec l'arrière sont rares, et censurés par des
commissions spécialisées qui interceptent les courriers et gardent ceux jugés
« subversifs ».
La plupart des soldats a, de plus, le sentiment de mener une guerre
défensive pour sauver le sol de la mère-patrie, de défendre la civilisation
contre la barbarie, mais aussi leur famille. Par exemple, en août 1914, l'opinion
publique allemande se sent beaucoup plus concernée par la défense de
Königsberg, ville natale du philosophe Kant, face aux « hordes de moujiks »
russes que par l'opposition avec la France. Des désertions se produisent mais
sont rares sur le front Ouest et les mutineries françaises de 1917 ne relèvent
pas du pacifisme mais uniquement du désir de ne plus attaquer en pure perte
(les soldats qui mettent la crosse en l'air ne refusent pas de tenir les positions
de défense face à l'ennemi ; la revendication de la fin des combats est donc
très minoritaire parmi les quelques 50 000 soldats concernés par les
évènements).
1.3. Une « brutalisation » des hommes ?
Quelques moments de fraternisation entre troupes ennemies se produisent,
surtout au début de la guerre (ex. : organisation d'un match de football entre
soldats britanniques et allemands pour la Noël de 1914). Mais la brutalité des
combats et la place grandissante de la propagande développent une image
très négative de l'adversaire, qui est relayée par la « culture de guerre », c'est
à dire l'ensemble d'idées, de représentations et d'attitudes que les belligérants
ont de la guerre, de ses violences et de ses souffrances ; elle contribue à
entretenir la haine de l'ennemi que l'on déshumanise (ex. : Boches, Fritz,
Huns...) et à justifier le combat à outrance par du « bourrage de crâne ».
Généralement anonyme et donnée à distance, la mort est aussi donnée de
près, à l'arme blanche (ex. : couteau, massue...) lors des «coups de main»
nocturnes des « nettoyeurs de tranchées ». Selon certains historiens, les
soldats auraient subi une «brutalisation»5. En fait, confrontés à une violence
4 Des artistes célèbres de cette époque s'y produisent pour soutenir le moral des troupes,
telle la très célèbre actrice Sarah Bernhardt.
5 Néologisme forgé par l'historien américain George L. Mosse qui y vit la « matrice des
totalitarismes ».
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intense et dans un contexte de levée de l'interdit de tuer, certains soldats ont
pris parfois plaisir à combattre (ex. : le caporal Hitler). Ils livrent alors de leur
expérience du front pendant et après le conflit, une vision héroïque et
mythifiée de la guerre, vécue comme une expérience virile, régénératrice, dont
les idéologies totalitaires ont pu se réclamer.
2. L'effet de la « guerre totale » sur les sociétés
en conflit
2.1. La première guerre totale ET industrielle6 ?
Près de 10 millions de soldats sont morts et 17 millions d'autres ont été
blessés pendant la guerre. Ce sont surtout des hommes jeunes, entre 18 et 25
ans, et c'est la première fois en Europe qu'un conflit se révèle aussi meurtrier.
En France, les limites d'âge sont repoussées vers le bas (17 ans pour les
volontaires) et vers le haut (48 ans) ; pour un pays comme le nôtre, cela
signifie la perte de 1/30ème de la population totale et près de 40 % des
hommes âgés de 20 à 30 ans ! Au Royaume-Uni, ce sont d'abord des
volontaires (2,4 millions en 1914 et 1915), puis des conscrits, comme aux
États-Unis (2 millions d'avril 1917 à novembre 1918). Les peuples colonisés
sont également mis à contribution à l'arrière, au front et dans les territoires
coloniaux (1,5 million d'hommes pour l'Empire britannique et 0,5 million pour
l'Empire français)7.
À l'arrière, la présence au front et la perte d'êtres chers n'a épargné aucune
famille soumise à l'angoisse, à la mort et au deuil. L'arrière a partagé, avec les
combattants, les représentations d'une guerre perçue comme un sacrifice
nécessaire. Les journaux diffusent l'image du « barbare » ennemi, qui ne
respecte rien, et vis-à-vis de qui il est donc légitime de faire preuve de la
même brutalité. Le départ massif des hommes à la guerre a obligé à mobiliser
les femmes, les vieillards et les enfants/adolescents aux champs, dans les
transports et les usines : c'est la France républicaine qui utilise le mieux ce
volant de main d'oeuvre8 dès l'automne de 1914 ; très vite, les
« Munitionettes » deviennent populaires même si leur impact réel sur la
6 En effet, on peut déjà considérer comme « totales » certaines guerres antiques comme les
trois Guerres Puniques (entre Rome et Carthage) de 264 à 146 av. J.-C. ; de même, la
« Guerre de Sécession » américaine (1861-1865) présente des caractères de totalité dans le
cadre de la « Seconde Révolution Industrielle » naissante.
7 Contrairement à certaines déformations médiatico-idéologiques récentes (ex. : le très
approximatif film Indigènes qui a scandalisé de nombreux anciens combattants de 1939-
1945) attention à ne pas exagérer leur contribution : en 1914-1918, les troupes
coloniales ne dépassent pas 1-2 % de l'effectif total... Contrairement à une légende tenace,
le taux de perte des troupes coloniales, mesuré rigoureusement, n'est pas supérieur aux
Métropolitains et ils restent même moins longtemps en première ligne (ils supportent mal le
climat). Par ailleurs, les troupes coloniales sont composées, en bonne partie, de colons
européens (ex. : majoritaires chez les Zouaves d'Algérie française). Enfin, un certain nombre
de colonisés ne servent qu'à l'arrière du front en civil (ex. : les Indochinois).
8 Le Second Reich allemand est incapable de se mobiliser aussi bien, compte tenu de sa
structure politique peu unifiée et centralisée (ex. : la Bavière a sa propre armée), chaque
échelon militaire ou civil défend jalousement ses prérogatives, même face aux ordres de
l'Empereur Guillaume II.
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production ne doit pas être surestimé parce que l'essentiel des ouvriers
spécialisés et de l'encadrement demeure masculin9. Les industries
performantes des belligérants permettent la production massive et
standardisée, sous contrôle de l'État, d'armements redoutables : canons qui
envoient des obus jusqu'à plus de 130 km (ex. : « la Parisienne » Pariser
Kanonen de 1918) ; mitrailleuses qui envoient 600 projectiles par minute ou
encore chars et avions, qui sont des armes nouvelles. La combinaison
d'effectifs nombreux et des « batailles de matériel » rend compte des pertes
immenses. Rien qu'en France, les 13 000 obus journaliers fabriqués en août
1914 sont passés à 250 000 en avril 1918 !
2.2. La guerre totale modifie les données du combat
Sur le plan technologique et industriel, la guerre de tranchées met en œuvre
une puissance de feu plus perfectionnée et plus dévastatrice que dans les
conflits précédents10. Dans cette forme de guerre qui dure de fin 1914 à mars
1918, les assaillants rencontrent un réseau de barbelés plus ou moins
important dont les fils enchevêtrés ralentissent leur avance sous les feux
meurtriers de mitrailleuses, lance-grenades, « crapouillots »11 et/ou
minenwerfer légers (petit obusier à tir courbe) ; sur la lèvre de la tranchée en
zig-zag ou à angle droit pour éviter les tirs en enfilade, côté ennemi une
banquette de tir aménagée (sacs de terre avec créneau) permet de surveiller
et de battre le cas échéant le champ de tir (le no man's land). Au fil du temps
et des relèves successives, ces tranchées se transforment sous les effets des
tirs d'artillerie, des intempéries, des aménagements, etc. L'arrière de la ligne
de tranchée est atteint par des boyaux profonds, permettant relèves,
évacuations sanitaires, ravitaillement et acheminement des munitions et
matériels nécessaires à l'aménagement de sapes, d'abris, de postes de
commandement, etc. Plusieurs réseaux de tranchées peuvent ainsi se succéder
en profondeur, plus ou moins camouflés aux vues aériennes. Au-delà se situent
cuisines roulantes, postes de secours, batteries d'artillerie, antenne
chirurgicale...
Schéma simplifié (1)
9 Contrairement à une certaine légende, le travail en usine ne constituait pas pour les femmes
une « libération » ou un progrès. Par exemple, des milliers d'ouvrières furent grièvement
blessées par les acides en polissant des obus.
10 La Première Guerre Mondiale n'a pas inventé les tranchées : déjà utilisées dans l'Antiquité,
elles sont fondamentales lors de la guerre russo-japonaise de 1904-1905.
11 Mot qui signifie littéralement « petit crapaud » ; il désigne, dans le vocabulaire des
« Poilus », un mortier de tranchée.
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