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intense et dans un contexte de levée de l'interdit de tuer, certains soldats ont
pris parfois plaisir à combattre (ex. : le caporal Hitler). Ils livrent alors de leur
expérience du front pendant et après le conflit, une vision héroïque et
mythifiée de la guerre, vécue comme une expérience virile, régénératrice, dont
les idéologies totalitaires ont pu se réclamer.
2. L'effet de la « guerre totale » sur les sociétés
en conflit
2.1. La première guerre totale ET industrielle6 ?
• Près de 10 millions de soldats sont morts et 17 millions d'autres ont été
blessés pendant la guerre. Ce sont surtout des hommes jeunes, entre 18 et 25
ans, et c'est la première fois en Europe qu'un conflit se révèle aussi meurtrier.
En France, les limites d'âge sont repoussées vers le bas (17 ans pour les
volontaires) et vers le haut (48 ans) ; pour un pays comme le nôtre, cela
signifie la perte de 1/30ème de la population totale et près de 40 % des
hommes âgés de 20 à 30 ans ! Au Royaume-Uni, ce sont d'abord des
volontaires (2,4 millions en 1914 et 1915), puis des conscrits, comme aux
États-Unis (2 millions d'avril 1917 à novembre 1918). Les peuples colonisés
sont également mis à contribution à l'arrière, au front et dans les territoires
coloniaux (1,5 million d'hommes pour l'Empire britannique et 0,5 million pour
l'Empire français)7.
• À l'arrière, la présence au front et la perte d'êtres chers n'a épargné aucune
famille soumise à l'angoisse, à la mort et au deuil. L'arrière a partagé, avec les
combattants, les représentations d'une guerre perçue comme un sacrifice
nécessaire. Les journaux diffusent l'image du « barbare » ennemi, qui ne
respecte rien, et vis-à-vis de qui il est donc légitime de faire preuve de la
même brutalité. Le départ massif des hommes à la guerre a obligé à mobiliser
les femmes, les vieillards et les enfants/adolescents aux champs, dans les
transports et les usines : c'est la France républicaine qui utilise le mieux ce
volant de main d'oeuvre8 dès l'automne de 1914 ; très vite, les
« Munitionettes » deviennent populaires même si leur impact réel sur la
6 En effet, on peut déjà considérer comme « totales » certaines guerres antiques comme les
trois Guerres Puniques (entre Rome et Carthage) de 264 à 146 av. J.-C. ; de même, la
« Guerre de Sécession » américaine (1861-1865) présente des caractères de totalité dans le
cadre de la « Seconde Révolution Industrielle » naissante.
7 Contrairement à certaines déformations médiatico-idéologiques récentes (ex. : le très
approximatif film Indigènes qui a scandalisé de nombreux anciens combattants de 1939-
1945) attention à ne pas exagérer leur contribution : en 1914-1918, les troupes
coloniales ne dépassent pas 1-2 % de l'effectif total... Contrairement à une légende tenace,
le taux de perte des troupes coloniales, mesuré rigoureusement, n'est pas supérieur aux
Métropolitains et ils restent même moins longtemps en première ligne (ils supportent mal le
climat). Par ailleurs, les troupes coloniales sont composées, en bonne partie, de colons
européens (ex. : majoritaires chez les Zouaves d'Algérie française). Enfin, un certain nombre
de colonisés ne servent qu'à l'arrière du front en civil (ex. : les Indochinois).
8 Le Second Reich allemand est incapable de se mobiliser aussi bien, compte tenu de sa
structure politique peu unifiée et centralisée (ex. : la Bavière a sa propre armée), où chaque
échelon militaire ou civil défend jalousement ses prérogatives, même face aux ordres de
l'Empereur Guillaume II.