La sensibilité aux antibiotiques des bactéries uropathogènes dans

publicité
Progrès en urologie (2016) 26, 346—352
Disponible en ligne sur
ScienceDirect
www.sciencedirect.com
ARTICLE ORIGINAL
La sensibilité aux antibiotiques des
bactéries uropathogènes dans la ville de
Nouakchott — Mauritanie
Sensitivity to antibiotics uropathogens bacteria in Nouakchott — Mauritania
N.S.M. Hailaji a, M.L. Ould Salem a,∗,b, S.M. Ghaber a,c
a
Département des sciences fondamentales, faculté de médecine de Nouakchott (USTM),
Nouakchott, Mauritanie
b
Laboratoire de bactériologie, centre hospitalier national (CHN) de Nouakchott, laboratoire
MEDILAB, Nouakchott, Mauritanie
c
Laboratoire d’analyses médicales MAURILAB, Nouakchott, Mauritanie
Reçu le 29 octobre 2015 ; accepté le 13 avril 2016
Disponible sur Internet le 17 mai 2016
MOTS CLÉS
Infection urinaire ;
Examen
cytobactériologique
des urines ;
Antibiogramme ;
BLSE ;
Nouakchott ;
Mauritanie
∗
Résumé
Introduction. — L’infection urinaire (IU) est une pathologie fréquente aussi bien en communauté qu’à l’hôpital. Au cours de ces dernières années, on a assisté à une augmentation de
l’incidence des résistances aux antibiotiques des germes responsables d’IU, notamment à cause
de l’émergence des entérobactéries ayant une bêtalactamase à spectre étendu (BLSE).
But. — Le but de ce travail était d’étudier l’épidémiologie des germes responsables des infections urinaires, ainsi que leur sensibilité aux antibiotiques au niveau de 3 laboratoires d’analyses
médicales dans la ville de Nouakchott (Mauritanie) chez tous les patients se présentant à ces
laboratoires pour ECBU durant une période de six mois.
Matériels et méthodes. — Il s’agit d’une étude prospective réalisée au niveau de trois laboratoires d’analyses médicales à Nouakchott, sur une période de six mois allant du début
janvier à fin juin 2014 chez tous les patients se présentant à ces structures pour ECBU durant
cette période. La culture a été faite selon les techniques usuelles, et l’antibiogramme a
été réalisé selon les recommandations du Comité de l’antibiogramme de la Société française
de microbiologie (CA-SFM). L’analyse statistique a été effectuée à l’aide du logiciel SPSS
Statistics 20.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (M.L. Ould Salem).
http://dx.doi.org/10.1016/j.purol.2016.04.004
1166-7087/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
La sensibilité aux antibiotiques des bactéries uropathogènes
347
Résultats. — Sur 3082 prélèvements d’urine, 568 répondaient aux critères d’infection urinaire,
soit 18,4 % de positivité. Ces infections ont concerné des patients hospitalisés (17,8 %) et surtout
des consultants externes (82,2 %). Le sex-ratio F/H était 1,6. L’épidémiologie des infections
urinaires au niveau de ces 3 laboratoires d’analyses médicales est globalement comparable
aux données de la littérature en ce qui concerne l’âge, le sexe, le terrain, et le germe le plus
fréquemment responsable (Escherichia coli 64,4 %). Mais, des différences sur les résistances sont
observées : résistances plus élevées aux bêtalactamines, aux quinolones de 1re génération, aux
fluoroquinolones et au cotrimoxazole. L’IU était fréquente chez les patients sondés (64,9 %),
les diabétiques (52,4 %), les hospitalisés (49,3 %), et chez les femmes enceintes (38,7 %). La
prévalence des infections urinaires à entérobactéries productrices des BLSE dans notre étude
était de 12,8 %, parmi toutes les infections urinaires à entérobactéries. Les souches d’E. coli et
de Klebsiella spp isolées ont exprimé une BLSE respectivement dans 10,4 et 20,4 % des cas.
Conclusion. — La répartition des souches dans notre étude est comparable à la littérature,
en revanche, la résistance aux antibiotiques est plus importante dans notre série, conséquence
probablement de l’usage inapproprié de ces molécules dans notre pays, d’où l’intérêt de prévoir
une bonne stratégie d’approvisionnement et de dispensation de ces molécules ainsi que la
révision du traitement empirique des IU dans notre pays.
Niveau de preuve.— 4.
© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS
Urinary tract
infection;
Urine culture;
Antibiogram;
ESBL;
Nouakchott;
Mauritania
Summary
Introduction. — A urinary tract infection (UTI) is a frequent pathology in outpatients and admitted patients as well. In recent years, there has been an increase in the resistance of germs
responsible for UTI to tested antibiotics, particularly because of the emergence of Enterobacteria secreting extended-spectrum beta-lactamase (ESBL).
Objective. — The aim of this work was to study the epidemiology of germs responsible for
urinary tract infections and their antibiotic sensitivity at three clinical laboratories in the city
of Nouakchott (Mauritania) in all patients presenting to these laboratories for urine culture
during a period of six months.
Methods. — This is a prospective study conducted at three clinical laboratories in Nouakchott,
over a period of six months from January 1st to June 30th 2014 for all patients coming to
these laboratories for urinalysis test during this period. The culture was performed according
to the usual techniques, and the antibiogram was done according to the recommendations of
the Antibiogram Committee of the French Society of Microbiology. The statistical analysis was
performed using SPSS Statistics 20.
Results. — From 3082 urine exam, 568 were positive, which means 18.4%. These infections
were for hospitalized patients (17.8%) and outpatients in particular (82.2%). Sex ratio F/M was
1.6. The epidemiology of urinary tract infections in these three medical analysis laboratories
is comparable to the past studies data regarding age, sex, and the bacteria, the most frequently responsible (Escherichia coli 64.4%). But differences in the resistance of E. coli are
observed: higher resistance to beta-lactam antibiotics, the quinolones, the fluoroquinolones,
and cotrimoxazol. UTI was common in patients with urinary catheter (64.9%), diabetics (52.4%),
hospitalized patients (49.3%) and pregnant women (38.7%). The prevalence of urinary tract
infections caused by Enterobacteria ESBL in our study was 12.8%, of all urinary tract infections caused by Enterobacteria; 10.4 and 20.4% of the E. coli and Klebsiella spp, respectively
produced a ESBL.
Conclusion. — The distribution of germs in our study is comparable to the literature, however,
antibiotic resistance is higher in our study, which is probably a result of the inappropriate use
of these drugs in our country, therefore it is important for us to create a good strategy to
supply and distribute these drugs, as well as the review of the empirical treatment of UTI in
our country.
Level of evidence.— 4.
© 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
348
N.S.M. Hailaji et al.
Introduction
Méthodologie
Les infections urinaires (IU) sont fréquentes aussi bien en
milieu hospitalier qu’en milieu communautaire. Au cours
de ces dernières années, on a assisté à une augmentation
de l’incidence des résistances aux antibiotiques des germes
responsables des IU, notamment à cause de l’émergence
des entérobactéries productrices d’une bêtalactamase dite
à spectre étendu (BLSE) [1,2].
Dans notre pays l’examen cytobactériologique des urines
(ECBU), qui est le seul élément de diagnostic de certitude,
n’est que rarement demandé en cas de suspicion d’IU, l’auto
médication est aussi une pratique courante de nos patients.
Ces facteurs, entre autres, ont amené à une forte sélection
des bactéries multirésistantes. Pour ces raisons l’étude de
l’épidémiologie des bactéries responsables des IU et surtout
leur sensibilité aux antibiotiques nous semblent nécessaires
pour aboutir à des recommandations thérapeutiques des IU
en Mauritanie.
Le but de ce travail était d’étudier l’épidémiologie des
germes responsables des infections urinaires toutes confondues (hautes et basses), ainsi que leur sensibilité aux
antibiotiques au niveau de 3 laboratoires d’analyses médicales dans la ville de Nouakchott chez tous les patients se
présentant à ces laboratoires pour ECBU durant une période
de six mois, afin de mieux guider l’antibiothérapie de première intention.
L’identification a été réalisée selon les caractères morphologiques, culturaux et métaboliques des germes, et
l’antibiogramme a été réalisé selon les recommandations
du Comité de l’antibiogramme de la Société française de
microbiologie (CA-SFM) [4]. La recherche de sécrétion de
ß-lactamases à spectre étendu (BLSE) a été établie par le
test de synergie entre un disque central d’amoxicilline-acide
clavulanique distant de 30 mm des disques de céfotaxime,
ceftazidime et ceftriaxone. La saisie et l’analyse des données ont été effectuées à l’aide du logiciel SPSS Statistics 20.
Patients et méthodes
Nous rapportons les résultats d’une étude prospective
descriptive réalisée entre janvier et juin 2014 au niveau
de 3 laboratoires d’analyses médicales dans la ville de
Nouakchott, il s’agit : du laboratoire de bactériologie du
centre hospitalier national (CHN) de Nouakchott, du laboratoire d’analyses médicales MEDILAB et du laboratoire
d’analyses médicales MAURILAB, chez tous les patients
se présentant à ces structures pour ECBU durant cette
période.
Pour éviter toute souillure par la flore commensale le
protocole de prélèvement a été bien expliqué aux patients
ou le cas échéant, au personnel médical.
Critères d’inclusion et d’exclusion
Ont été inclus dans notre étude tous les patients ayant une
leucocyturie supérieure ou égale à 104 /mL associée à :
• une bactériurie supérieure ou égale à 103 UFC/mL chez
l’homme ;
• une bactériurie supérieure ou égale à 103 UFC/mL chez la
femme si le germe isolé est Escherichia coli ou Staphylococcus saprophyticus ;
• une bactériurie supérieure ou égale à 104 UFC/mL chez la
femme si le germe isolé est autre que les deux espèces
précédentes.
Chez les patients sondés le seuil de bactériurie était de
105 UFC/mL [3].
Ont été exclus tous les patients ayant un ECBU négatif ou
positif associé à une parasitose.
Résultats
Nous avons étudié 3082 prélèvements d’urines dont
568 répondaient aux critères d’infection urinaire, soit
18,4 % de positivité. Ces infections ont concerné des
patients hospitalisés (17,8 %) et surtout des consultants
externes (82,2 %). L’âge moyen dans notre série était de
44,7 ans avec des extrêmes de 15 jours et 91 ans.
Le sexe féminin était prédominant avec 61,7 % de femmes
pour 38,3 % d’hommes, ce qui correspond à un sex-ratio F/H
de 1,6.
Parmi les malades, 64,9 % (368) avaient au moins
un des symptômes urinaires suivants (brûlure mictionnelle, dysurie, pollakiurie, hématurie). Les autres patients
présentaient d’autres symptômes (douleurs abdominales,
syndrome infectieux chez l’enfant, fièvre. . .).
Ont été effectués à domicile 73,2 % des prélèvements,
20,7 % à l’hôpital et 6,1 % au niveau des laboratoires.
L’infection urinaire était présente chez 49,3 % de patients
hospitalisés (76/154), 28,9 % de consultants externes
(349/1208), 64,9 % de patients sondés (74/114), 52,4 % de
patients diabétiques (86/164), et sur 756 femmes, 98 étaient
enceintes dont 38 ont développé une UI soit 38,7 %.
Les bacilles Gram négatif représentaient 94 % des souches
bactériennes isolées, dont 92,2 %, sont des entérobactéries
et les cocci gram positif représentaient 6 %. La fréquence
de répartition des souches bactériennes isolées dans notre
étude est représentée dans le Tableau 1.
Tableau 1 Fréquence de répartition des souches bactériennes isolées d’examens cytobactériologiques des
urines.
Germes
Effectif Pourcentage (%)
Escherichia coli
366
Klebsiella spp
137
Staphylococcus aureus
30
Proteus mirabilis
11
Pseudomonas aeruginosa
9
Citrobacter koseri
4
Enterobacter cloacae
4
Staphylococcus saprophyticus
4
Acinetobacter baumannii
1
Morganella morganii
1
Salmonella spp
1
Total
568
64,4
24,1
5,7
1,9
1,6
0,7
0,7
0,7
0,2
0,2
0,2
100,0
La sensibilité aux antibiotiques des bactéries uropathogènes
Tableau 2
349
Pourcentage des souches BLSE au sein de chaque entérobactérie.
Souche
E-BLSE
Entérobactérie
Pourcentage (%)
Escherichia coli
Klebsiella spp
Enterobacter cloacae
Proteus mirabilis
Citrobacter koseri
Total
38
28
1
0
0
67
366
137
4
11
4
522
10,4
20,4
25
0
0
12,8
BLSE : bêtalactamase à spectre étendu ; E-BLSE : entérobactéries productrices des BLSE.
Tableau 3 Pourcentage de résistance aux antibiotiques
des souches d’Escherichia coli et de Klebsiella spp
isolées.
Antibiotique
Escherichia coli
Klebsiella spp
Amoxicilline
Amoxicilline + acide
clavulanique
Ticarcilline
Imipeneme
Cefalotine
Cefoxitine
Cefotaxime
Netilmicine
Gentamicine
Ofloxacine
Ciprofloxacine
Colistine
Acide nalidixique
Cotrimoxazole
Fosfomycine
Nitrofuranes
Tétracycline
82,1
28,2
RN
35,1
77,2
1
60,9
19,8
18,4
3
13,5
28,3
28,6
1,7
40,6
58,4
4,3
38,9
66,1
RN
0
60,7
31,5
37,9
7,6
19,5
36,5
33,6
0,8
48,0
44,6
21,2
30,9
49
RN : résistance naturelle.
La production de BLSE a été observée chez 67 souches
d’entérobactéries soit une prévalence globale de 12,8 %. Les
souches d’E. coli et de Klebsiella spp produisent une BLSE
respectivement dans 10,4 et 20,4 % des cas.
Parmi 74 souches hospitalières, 8 produisent une BLSE,
soit 10,8 % et sur 332 germes externes, 26 produisent une
BLSE, soit 7,8 %.
La répartition des entérobactéries productrices des BLSE
(E-BLSE) au sein de chaque espèce isolée est représentée
dans le Tableau 2.
En ce qui concerne la résistance nous avons constaté des
résistances plus élevées aux bêtalactamines, aux quinolones
de 1re génération, aux fluoroquinolones et au cotrimoxazole. Les pourcentages de résistance aux antibiotiques des
souches d’E. coli et de Klebsiella spp isolées sont présentés
dans le Tableau 3.
Discussion
Notre étude montre que l’épidémiologie des infections urinaires au niveau de ces trois laboratoires est globalement
comparable aux données de la littérature mondiale en ce
qui concerne l’âge, le sexe, le terrain et le germe le plus
fréquemment responsable qui est l’E. coli. Cette dernière a
dominé le profil épidémiologique aussi bien pour les germes
hospitaliers (50 %) que communautaires (61,7 %).
Notre taux d’ECBU positif, qui est de 18,4 %, est un
peu plus élevé que celui trouvé par Ben Haj Khalifa et al.
en Tunisie (15,44 %) [5] et Romli au Maroc (11 %) [2]. Ces
prélèvements concernaient essentiellement des consultants
externes (82,2 %). Une situation qui trouve sa justification
dans le fait que l’IU constitue une des infections bactériennes communautaires les plus fréquentes [6].
Les bacilles à Gram négatif, dans notre étude, représentaient 94 % de l’ensemble des germes isolés. Ils sont
représentés essentiellement par les entérobactéries (92,2 %)
avec en tète de liste l’E. coli (64,4 %). Notre constat est
partagé par d’autres auteurs avec des taux variables [2,7,8].
La physiopathologie ascendante de l’IU ainsi que la
forte colonisation du périnée par les entérobactéries
d’origine digestive, associées aux facteurs spécifiques
d’uropathogénicité telles que les adhésines bactériennes
capables de se lier à l’épithélium urinaire expliquent cette
prédominance [6,9].
Parmi les entérobactéries isolées dans notre étude, Klebsiella spp vient en deuxième position avec 24,1 %, un résultat
proche de celui trouvé par d’autres études avec des taux
variables [10,11].
Le taux de prévalence des E-BLSE dans notre étude était
de 12,8 %. En fait, ce taux varie d’un pays à un autre et
d’un centre à un autre. À titre d’exemple, les pays du Sud
de l’Europe enregistraient des taux dépassant les 10 % ; en
revanche, ceux du Nord en enregistraient moins de 5 % [12].
Au Maroc, Lahlou et al. ont retrouvé un taux de 9 % [11].
En 2010, une étude réalisée dans un service d’urologie à
l’hôpital Ibn Sina de Rabat a montré un taux de 17,5 % [13].
Notre taux de prévalence de 12,8 % doit attirer notre
attention sur l’ampleur de la dissémination inéluctable et
éventuellement dramatique de ces souches en l’absence de
mesures de lutte et de prévention, surtout que la majorité
de nos malades (82,2 %) étaient des consultants externes.
Ceci serait lié à l’importance de la prévalence du portage
fécal des E-BLSE chez nos patients en communautaire.
Il est donc évident que ce type de souches n’est plus
l’apanage du milieu hospitalier, comme en témoignent par
ailleurs, les données de la littérature mondiale.
Notre étude met l’accent sur la place majeure de Klebsiella avec environ 41,8 % des isolats des E-BLSE ; Klebsiella
est en même temps la bactérie la plus pourvoyeuse de BLSE
350
N.S.M. Hailaji et al.
Tableau 4 La répartition des entérobactéries BLSE ainsi que le pourcentage du phénotype BLSE pour chaque entérobactérie isolée.
Souche
E-BLSE
Pourcentage (%)
Entérobactéries
Pourcentage (%)
Escherichia coli
Klebsiella spp
Enterobacter cloacae
Proteus mirabilis
Citrobacter koseri
Total
38
28
1
0
0
67
56,71
41,79
1,49
0
0
100
366
137
4
11
4
522
10,4
20,4
25
0
0
12,8
BLSE : bêtalactamase à spectre étendu ; E-BLSE : entérobactéries productrices des BLSE.
au sein de son genre à raison de 20,4 % de toutes les Klebsielles suivie d’E. coli 10,4 %, constat reproduit par Lahlou
et al. [11].
Pour Ben Haj Khalifa et al., Klebsiella produisait des
BLSE dans 20,2 % des cas [14], alors que pour Romli et al.
ce taux touche 25 % des cas [2]. Cependant, certains
auteurs relatent un déclin de cette dominance en faveur
d’Enterobacter ou d’E. coli [15,16].
La répartition des entérobactéries productrices des BLSE
ainsi que le pourcentage du phénotype BLSE pour chaque
espèce sont représentés dans le Tableau 4.
Profil de sensibilité des souches d’E. coli
Notre étude confirme le caractère inquiétant de l’évolution
de la résistance d’E. coli aux Aminopenicillines. Ainsi, il
apparaît que seules 17,9 % des souches d’E. coli sont sensibles à l’amoxicilline. Cette observation est conforme
aux résultats de certains auteurs notamment africains :
Podie à Cotonou a obtenu 19,9 % de souches sensibles à
l’amoxicilline [17], pour Aknaf 17,2 % de souches d’E. coli
sont sensibles à l’amoxicilline [18].
Ce taux de résistance élevé peut être expliqué par
l’utilisation médicale abusive de cet antibiotique dans nos
structures sanitaires mais aussi par l’automédication.
Par ailleurs, une étude réalisée en France a trouvé que
plus de 50 % des ces souches sont résistantes à l’amoxicilline
[19].
Les aminosides gardent une bonne activité, essentiellement l’amikacine et à moindre degré la gentamicine
atteignant respectivement 99 % et 85,9 %.
Les résistances acquises concernent surtout les entérobactéries productrices de BLSE, ce constat est d’ailleurs
partagé par d’autres auteurs [9,11].
L’émergence de souches résistantes à la cefotaxime, qui
est l’un des antibiotiques les plus actifs sur les entérobactéries, est de plus en plus observée [9]. Dans notre étude,
le taux de résistance d’E. coli à cet antibiotique était de
18,4 %, contrairement à ce qui a été montré par d’autres
études qui ont trouvé un taux de résistance inférieur à 5 %
[20—22].
Le taux de résistance d’E. coli au cotrimoxazole était de
50,7 %, il est nettement supérieur à celui noté en Europe
(20 à 30 %) [22,23]. Cette molécule est à éviter en première
intention par nos praticiens car son taux de résistance est
assez élevé.
Dans notre travail, les taux de résistance d’E. coli à
la ciprofloxacine et à l’acide nalidixique sont respectivement de 28,6 % et 40,6 %, des résultats proches de ceux
rapportés par Lahlou Amine [11]. Par contre, d’autres
études ont trouvé un taux de résistance inférieur à 20 %
[21,24].
En France, la résistance des souches d’E. coli aux fluoroquinolones est très variable : 3 % à 25 % selon la présentation
clinique et le terrain [3].
Cette émergence de la résistance pourrait être expliquée par le fait qu’un traitement probabiliste de première
intention d’une IU, à base d’une fluoroquinolone est souvent
utilisé dans notre pays.
L’émergence de la résistance des entérobactéries aux
quinolones et aux fluoroquinolones constitue le principal problème lié à leur utilisation. Cette résistance
fait intervenir différents mécanismes dont le plus fréquent est la modification des cibles, ADN gyrase et/ou
topoisomérase IV par mutation ponctuelle d’un acide
aminé.
Profil de sensibilité des souches de Klebsiella
spp
Nous avons enregistré 48 % de résistance pour l’acide
nalidixique, 36,5 % pour l’ofloxacine et 33,6 % pour la ciprofloxacine.
À Bamako, Tahirou a trouvé que la sensibilité de Klebsiella pneumoniae aux céphalosporines de deuxième et
troisième générations est de 84 % pour la cefoxitine et 58 %
pour la cefotaxime [25]. Dans notre travail, nous avons
enregistré 62,1 % de sensibilité pour cefotaxime et 68,5 %
pour cefoxitine. Ce taux de sensibilité plus élevé pour la
cefoxitine que pour la cefotaxime s’explique par le nombre
important des souches productrices des BLSE parmi les
souches de Klebsiella isolées.
Il est à signaler que la production des BLSE ne pourrait
expliquer seule le taux élevé de résistance aux céphalosporines de 3e génération dans notre série, d’autres
mécanismes de résistance telle que la production de céphalosporinases plasmidiques, y seraient probablement associés
[26].
Il est à noter également que 21,2 % des souches de Klebsiella étaient résistantes à la fosfomycine, sans qu’on ait
une explication de cette résistance élevée par rapport à la
littérature.
La sensibilité aux antibiotiques des bactéries uropathogènes
La sensibilité des isolats de Klebsiella à la gentamicine était de 79,7 %, comparable à celle décrite en France
(65—70 %) [3].
Conclusion
La diffusion des bactéries productrices des BLSE est et restera une problématique majeure des prochaines décennies.
Ce constat de multirésistance est certes alarmant et doit
conduire les praticiens à une prescription rationnelle des
antibiotiques, guidée de préférence par les résultats d’un
antibiogramme correctement réalisé et interprété et ce,
pour diminuer la pression de sélection exercée par une antibiothérapie à large spectre, parfois abusive et inadéquate.
Dans notre contexte, il est important de suivre
l’évolution de l’épidémiologie des infections urinaires aussi
bien en communauté qu’à l’hôpital, de connaître les profils de résistance aux antibiotiques, voire de déterminer
l’enzyme en cause afin d’agir de manière ciblée et pouvoir
ajuster les politiques de lutte et de prévention contres les
bactéries multirésistants.
Recommandations
Nous proposons, à la lumière des résultats obtenus, la mise
en œuvre de quelques mesures devant déboucher sur un
meilleur contrôle des ces phénomènes de résistance aux
antibiotiques :
• éviter les prescriptions probabilistes d’antibiotiques et
mettre en place de bonnes pratiques en matière
d’antibiothérapie aussi bien dans la communauté qu’à
l’hôpital ;
• éviter l’usage trop fréquent d’une même classe
d’antibiotique dans nos structures sanitaires et sensibiliser les praticiens sur une prescription rationnelle
des antibiotiques, guidée de préférence par un antibiogramme correctement réalisé et interprété ; dans
ce cadre nous recommandons de limiter la prescription
des fluoroquinolones, qui présentent des niveaux de
résistances inquiétants ;
• éviter la prescription de l’amoxicilline + acide clavulanique et des C3G dans le traitement des IU masculines
(efficacité limitée et effet délétère, des formes orales,
sur le microbiote intestinal) [3] ;
• être prudent dans l’usage des bandelettes urinaires (BU).
En effet, bandelette la BU seule n’est recommandée
que dans la cystite aiguë simple. Dans toutes les autres
situations, elle ne sert que comme aide au diagnostic et
d’autres arguments doivent être pris en considération [3].
Il est à signaler que dans notre contexte où la bilharziose
est assez fréquente l’usage de ces BU pourrait amener à
une surprescription d’ECBU ;
• renforcer la surveillance de sensibilité des bactéries aux
antibiotiques dans notre pays et mettre en place une
stratégie thérapeutique adaptée à l’épidémiologie locale
pour le traitement des infections urinaires.
Dans ce cadre le traitement d’une IU peut poser des
problèmes thérapeutiques. À l’hôpital, les germes multirésistants responsables d’IU peuvent nécessiter des molécules
351
qui ne sont toujours pas disponibles (imipénème, amikacine,
netilmicine. . .).
Chez les consultants externes comme chez les hospitalisés, le pourcentage de résistances acquises ajoutées aux
résistances naturelles rend aujourd’hui nécessaire une prescription fondée sur un antibiogramme, ce qui n’est pas
encore la règle chez les praticiens exerçant dans des zones
éloignées des centres hospitaliers.
Pour les consultants externes, nous recommandons
l’utilisation de certaines molécules qui ne sont habituellement pas utilisées dans notre pays pour le traitement
d’une cystite aiguë simple et qui gardent une bonne activité,
comme la fosfomycine :
• réaliser systématiquement un ECBU au cours des syndromes infectieux chez les enfants en général et
respecter les conditions de réalisation des prélèvements
urinaires ;
• l’accès palustre endémique dans les pays africains comme
le nôtre fait perdre au clinicien le réflexe de la réalisation de l’ECBU au profit de la goutte épaisse devant
un syndrome infectieux chez l’enfant ; une telle situation
retarde le délai de diagnostic positif de l’infection urinaire et prédispose parfois à une antibiothérapie tardive
voire inefficace, source d’infection urinaire compliquée,
avec apparition de résistance de germes au traitement
habituel ;
• disponibiliser les antibiotiques actifs sur les bactéries
hospitalières multirésistantes tels que : l’imipénème,
l’amikacine ;
• imposer le respect des règles d’hygiène dans nos structures hospitalières et veiller à ce que les équipes
médicales chargées des soins réalisent des gestes quotidiens de façon aseptique, particulièrement en cas de
sondage urinaire ;
• lutter contre la vente libre des antibiotiques par les
officines et sensibiliser la population sur le danger de
l’automédication.
Ce n’est qu’au prix de ces efforts constants et continus
que l’on pourra espérer ralentir l’émergence des multirésistances des germes responsables d’IU et espérer un jour
renverser la tendance.
Déclaration de liens d’intérêts
M.L. Ould Salem est le directeur du laboratoire MEDILAB et
S.M. Ghaber est le directeur du laboratoire MAURILAB.
Références
[1] Fouquet M, Morange V, Bruyère F. Évolution sur cinq ans des
infections à germes produisant une bêtalactamase à spectre
étendu. Prog Urol 2012;22:17—21.
[2] Romli A, Derfoufi O, Omar C, Hajjam Z, Zouhdi M. Les entérobactéries BLSE des infections urinaires : épidémiologie et
résistance. Maroc Med 2011;1(33):12—6.
[3] Diagnostic et antibiothérapie des infections urinaires
bactériennes communautaires de l’adulte. SPILF; 2014.
Disponible à l’URL : http://www.infectiologie.com/fr/
recommandations.html.
352
[4] Société
française
de
microbiologie,
Comite
de
l’antibiogramme de la Société française de microbiologie.
Recommandations 2012; 2012 [Disponible à l’URL : http://
www.sfm-microbiologie.org/UserFiles/files/casfm/CASFM
2012.pd].
[5] Ben Haj Khalifa A, Khedher M. Fréquence et résistance aux antibiotiques des bactéries uropathogènes à l’hôpital universitaire
Tahar Sfar de Mahdia. Rev Tun Infectiol 2010;4(2):57—61.
[6] Alvarez C, Pangon B, Allouch PY, Ghnassia JC. Infections urinaires : principaux aspects épidémiologiques, bactériologiques
et cliniques. Feuill Biol 1992;23:15—24.
[7] Ben Abdallah H, Sahnoun O, Ben Romdhane F, Loussaief C, Noomen S, Bouzouaia N, et al. Profil de sensibilité aux antibiotiques
des entérobactéries uropathogènes isolées dans la région de
Monastir. Rev Tun Infectiol 2008;2(2):5—8.
[8] Raka L, Berisha L, Mulliqui-Osmani G. Etiology and susceptibility of urinary tract isolates in Kosova. Int J Antimicrob Agents
2004;23(Suppl. 1):2—5.
[9] Larabi K, Masmoudi A, Fendri C. Étude bactériologique et phénotypes de résistance des germes responsables d’infections
urinaires dans un centre hospitalo-universitaire de Tunis : à
propos de 1930 cas. Med Mal Infect 2003;33:348—52.
[10] Epok JC [Thèse] Aspects épidémiologiques et étiologiques des
infections urinaires à l’hôpital national du point G. Bamako:
Pharmacie; 1998.
[11] Lahlou Amine I, Chegri M, L’Kassmi H. Épidémiologie et
résistance aux antibiotiques des entérobactéries isolées
d’infections urinaires à l’hôpital militaire Moulay-Ismail de
Meknès. Antibiotiques 2009;11:90—6.
[12] Nijssen S, Florijn A, Bonten MJM, Schmitz FJ, Verhoef
J, Fluit AC. Beta-lactam susceptibilities and prevalence
of ESBL-producing isolates among more than 5000 European Enterobacteriaceae isolates. Int J Antimicrob Agents
2004;24:585—91.
[13] Bellahcen B [Thèse] Les entérobactéries sécrétrices de bêtalactamases à spectre étendu en urologie à l’hôpital Ibn Sina de
Rabat. Université Mohammed V Rabat: Médecine; 2010.
[14] Ben Haj Khalifa A, Khedher M. Épidémiologie des souches de
Klebsiella spp. uropathogènes productrices de ß-lactamases
à spectre élargi dans un hôpital universitaire Tunisien, 2009.
Pathol Biol (Paris) 2012;60(2):1—5.
[15] Leotard S, Negrin N. Épidémiologie des entérobactéries sécrétrices de bêtalactamases à spectre étendu (E-BLSE) au centre
hospitalier de Grasse (2005—2008). Pathol Biol 2010;58:35—8.
N.S.M. Hailaji et al.
[16] Giraud-Morin C, Fosse T. Évolution récente et caractérisation
des entérobactéries productrices de BLSE au CHU de Nice
(2005—2007). Pathol Biol 2008;56:417—23.
[17] Podie M, Karelle N [Thèse] Évaluation de la sensibilité aux
antibiotiques des germes les plus fréquemment isolés au laboratoire de bactériologie du CHU de Cotonou (à propos de
896 souches bactériennes isolées du 1er mars au 30 juin 1999).
Cotonou: Médecine; 1999 [no 853 : 128 p.].
[18] Aknaf I [Thèse] Étude rétrospective sur les infections urinaires
au CHU Ibn Sina de Rabat (Maroc) (à propos de 11 015 ECBU).
Dakar: Médecine; 2006. p. 115—37.
[19] Trivalle C, Lopez-Tourres F, Minozzi C, Mathieu D. Bacterial
ecology of urine isolates from elderly hospitalized patients:
incentive to empirical therapy. Rev Geriatr 2006;31(2):77—82.
[20] Thibaut S, Caillon J, Huart C, Grandjean G, Lombrail P, Potel G,
et al. Susceptibility to the main antibiotics of Escherichia coli
and Staphylococcus aureus strains identified in community
acquired infections in France, Med Qual 2004—2007. Med Mal
Infect 2010;40:74—80.
[21] Bouza E, San Juan R, Munõz P, Voss A, Kluytmans J. A European
perspective of nosocomial urinary tract infections. Report on
the microbiology workload, etiology and antimicrobial susceptibility (ESGNI-003 study). Clin Microbiol Infect 2001;7:523—31.
[22] Prère MF, Licznar P, Decramer S, Fayet O. Escherichia coli des
infections urinaires et pyélonéphrites aiguës en pédiatrie : 1 %
des souches sont résistantes à certaines céphalosporines de 3e
génération. Pathol Biol 2004;52:497—500.
[23] Lemort ML, Neuville S, Medus M, Gueudet P, Saada M, Aumaître
H, et al. Évolution comparée de la sensibilité de souches
de Escherichia coli isolées d’infections urinaires de patients
consultant aux urgences et de patients hospitalisés en 2002 et
2004 à l’hôpital de Perpignan. Pathol Biol 2006;54:427—30.
[24] Honderlick P, Cahen P, Gravisse J, Vignon D. Quelle sensibilité
aux antibiotiques pour les bactéries responsables d’infections
urinaires ? Que penser de fosfomycine et nitrofuranes ? Pathol
Biol 2006;54:462—6.
[25] Tahirou M [Thèse] Sensibilité et évolution de la résistance des
entérobactéries aux antibiotiques à l’hôpital national du point
G. Bamako: Pharmacie; 2005.
[26] Gueudet T, Richter S, Szulc M, Jehl F. Les nouvelles formes
de résistance des bactéries aux antibiotiques : deux cas de
Klebsiella pneumoniae produisant une céphalosporinase plasmidique. Med Mal Infect 2010;40:177—9.
Téléchargement