LE RAPPEL PHYSIOLOGIQUE LA LARYNGECTOMIE TOTALE La chirurgie du larynx 20 ans après. Docteur Christophe RUAUX Chirurgien ORL – Clinique mutualiste de "la Sagesse" - RENNES 1 - A l'occasion de ces 1Oèmes journées consacrées à l'évolution de la prise en charge des tumeurs du pharyngo-larynx ces 20 dernières années, il est à noter qu'en ce qui concerne les méthodes thérapeutiques, une part égale a été faite à la chirurgie, aux traitements médicaux et à la radiothérapie. Il y a 20 ans les choses auraient été bien différentes, la chirurgie occupant alors une place prépondérante voire exclusive. Ceci témoigne parfaitement de l'évolution des méthodes de traitement, mais aussi de l'état d'esprit qui prévalent aujourd'hui. 2 - Si on reprend l'historique des techniques d'exérèse utilisées dans le traitement de ces tumeurs pharyngo-laryngées, il apparaît que les plus importantes d'entre elles étaient déjà mises au point bien avant 1975. Pour exemple nous pouvons citer par ordre chronologique : - la 1ère trachéotomie décrite par A SCLEPIADE en 1000 avant notre ère, - la 1ère laryngectomie partielle mise au point par BOWES en 1833, - la 1ère laryngectomie totale effectuée par BILLROTH en 1873, - et la 1ère laryngectomie reconstructive réalisée en 1954 par HOFFMANN -SAGUEZ. En ce qui concerne les techniques de reconstruction ou de réhabilitation, - dès 1907 BECK proposait de rétablir la continuité pharyngo-oesophagienne à partir de l'estomac tubulisé, - en 1935 GUTTMAN imaginait le procédé de la fistule vocale en créant une communication entre trachée et oesophage, - SEIDENBERG en 1959 a amélioré le procédé de reconstruction de la filière digestive grâce au transfert de jéjunum libre. Enfin, BAKAMJIAN a apporté la solution du lambeau cutané deltopectoral en 1965. Par ailleurs, l'équipe de JAKO et STRONG était la 11 à utiliser le laser dans le traitement des tumeurs de l'endolarynx dès 1972.. 3 - On pourrait donc avoir le sentiment qu'en 1975 la chirurgie était arrivée à son terme. Pourtant bien des progrès vont encore être apportés. En effet l'évolution durant ces 20 dernières années va être guidée par un double objectif : consolider au maximum les chances de guérison de la maladie tout en préservant dès que cela sera possible, les fonctions de ventilation, déglutition et phonation du patient. C'est ainsi que nous allons observer une évolution dans 4 secteurs : - amélioration des techniques déjà existantes, - apport de nouvelles méthodes chirurgicales, - précision des arguments du choix de l'intervention, - prise de décision thérapeutique au sein d'équipes pluridisciplinaires. Nous avons donc progressivement assisté à un perfectionnement des techniques de laryngectomie. Celui-ci concernait plus particulière ment les "laryngectomies partielles" n'emportant qu'une partie verticale ou horizontale du larynx, les "laryngectomies reconstructives" laissant en place suffisamment de structures anatomiques pour conserver une filière respiratoire et digestive naturelle, et enfin les "laryngectomies élargies" aux organes de voisinage du fait des nouvelles possibilités de reconstruction et des progrès de la réanimation. Il faut noter également que l'ensemble de ces techniques ne sont plus réservées à quelques novateurs mais largement diffusées auprès de la plupart des équipes rodées à la chirurgie cervico-faciale. En ce qui concerne les réelles nouveautés chirurgicales depuis 1975, on peut retenir 4 grandes étapes qui toutes tentent à améliorer le confort du patient. - La 1ere d'entre elles est représentée par le "lambeau de grand pectoral " mise au point en 1978 par ARIYAN. Il s'agit d'utiliser la peau de la région pectorale dont la vascularisation est dépendante du muscle grand pectoral sous-jacent pour assurer la reconstruction d'une perte de substance cutanée cervicale ou muqueuse pharyngée. Ce lambeau a été d'un apport considérable dans la chirurgie carcinologique cervicale et il est aujourd'hui d'utilisation quotidienne. La même année SINGER et BLOM ont mis au point la 1ère "prothèse vocale miniaturisée" dont on connaît à l'heure actuelle la diffusion auprès de nos patients et l'intérêt dans la qualité du résultat vocal notamment en cas de difficulté d'acquisition de la voix oesophagienne. - En 1979, YAN a quant à lui élaboré une nouvelle technique de reconstruction dite du "lambeau chinois" qui consiste à prélever un fragment cutané au niveau de l'avant-bras dont la vascularisation est dépendante du plan aponévrotique sous-jacent. L'ensemble est monté en région cervicale et la vascularisation artérielle et veineuse anastomosée aux vaisseaux du cou. Si cette technique est de réalisation longue, délicate et quelque peu aléatoire, elle a pour avantage par rapport au lambeau de grand pectoral d'apporter une structure cutanée plus fine, souple et donc mieux adaptée à la reconstruction de la filière pharyngée. - En dernier lieu en 1981, a été mise au point une technique de "gastrostomie percutanée" par PONSKI dont le but est de libérer les patients des désagréments de la sonde nasogastrique. Celle-ci est alors remplacée par une tubulure d'alimentation pénétrant directement au travers de la paroi abdominale jusque dans l'estomac et dont la mise en place se fait au cours d'une simple fibroscopie digestive haute.Les arguments du choix entre les différents types d'intervention chirurgicale ne reposent plus aujourd'hui sur les seuls examens cliniques du patient et explorations endoscopiques mais sur l'appréciation exacte de l'extension de la maladie grâce aux progrès de la radiologie. L'échographie du cou découvre des ganglions que l'on ne peut percevoir par la seule palpation manuelle. Le scanner du larynx ou du pharynx permet de rechercher un envahissement en profondeur notamment vers les structures cartilagineuses. L'imagerie par résonance magnétique est également utilisée mais ses indications sont réservées à quelques cas qui demeurent difficiles et sa diffusion reste encore limitée. Il est également nécessaire de tenir compte non plus des seules études statistiques permettant d'apprécier les taux de guérison à distance de telle ou telle méthode mais, également de considérer la qualité de vie des malades, selon les différentes techniques d'exérèse ou de reconstruction. A cet effet nous pouvons aujourd'hui appréhender de façon objective les fonctions de déglutition et de phonation. Pour ce qui est de la "déglutition", il s'agit non plus de photographier à un instant donné la situation du bol alimentaire mais bien de suivre en continu son cheminement, de la cavité buccale jusque dans l'oesophage ; ces méthodes de radiocinéma sont appelées vidéo-échographies ou vidéo-radioscopies. En ce qui concerne l'étude de la "voix", nous sommes susceptibles, grâce à la vidéo-laryngostroboscopie, d'authentifier et d'observer le mode de fonctionnement de l'élément vibrateur responsable de l'émission sonore corde vocale restante ou néocorde, repli muqueux pharyngé ou laryngé. Egalement, l'oreille de l'otorhinolaryngologiste est aidée par les méthodes d'analyses instrumentales de la voix qui rendent compte très précisément du champ d'intensité et de fréquence de la voix ou même des caractéristiques du timbre vocal. Si l'ensemble des 1 ères méthodes radiographiques sont d'une aide précieuse au chirurgien pour choisir la technique qui lui parait idéale, les seconds moyens d'explorations sont essentiels à la rééducation pratiquée en post opératoire par les orthophonistes. Il est nécessaire cependant d'en tenir compte en pré opératoire car telle chirurgie, partielle ou reconstructive, du pharyngo-larynx pourra demander un travail orthophonique particulièrement intense et difficile que seuls certains patients seront susceptibles de réaliser. La dernière évolution concerne la prise de décision ultime qui n'est plus aujourd'hui le seul fait du chirurgien. Si l'otorhinolaryngologiste spécialisé en chirurgie cervico-faciale demeure l'élément de référence pour le malade comme pour ses collègues, il s'intègre maintenant au sein d'une double équipe diagnostique et thérapeutique. La 1ere comprend un radiologue et un anatomo-pathologiste qui' permettent de déterminer au mieux quelle est la nature et l'extension exacte de la lésion. Leurs précisions sont essentielles car elles constituent la base de discussion pour la 2 nde équipe. Celle-ci est constituée par un radiothérapeute et un chimiothérapeute qui jugeront de l'intérêt respectif de leur mode de traitement respectif (rayons, médicaments). Chaque maladie et aussi chaque malade est un cas particulier qui nécessite une évaluation certes, la plus précise possible de la tumeur mais également des capacités organiques et psychologiques du patient à supporter tel ou tel traitement.. 4 - En synthèse, nous pourrions résumer l'évolution de la chirurgie du cancer du pharyngo-larynx de 1975 à 1995 en 3 points. Une attitude maximaliste initiale reposait sur une chirurgie dite "d'organe" partant du principe que lorsqu'une structure anatomique était un tant soit peu concernée par un processus cancéreux, toute cette structure devait être ôtée. C'était l'âge de la laryngectomie totale, seule garante d'un succès à long terme. Aujourd'hui l'état d'esprit s'est modifié et dans tous les cas nous posons la question de savoir dans quelle mesure il est possible soit de conserver, soit de réhabiliter ultérieurement les fonctions naturelles essentielles que nous avons déjà citées, en particulier la pho-nation. C'est ainsi que se sont développées les laryngectomies partielles et reconstructives mais également les prothèses vocales miniaturisées sans contre partie sur les taux de survie. Le 21 point est que dans les années 1975 une multitude de techniques chirurgicales étaient proposées sans qu'aucune d'entre elles n'ait réellement fait la preuve de son intérêt, mise à part bien sûr la laryngectomie totale. Aujourd'hui les choses se sont clarifiées et notre pratique quotidienne ne repose que sur une quinzaine de méthodes différentes et parfaitement codifiées. Pour chacune d'entre elles nous en connaissons les indications selon le statut de la maladie et du malade mais également les conséquences fonctionnelles et leur modalité de rééducation ortho-phonique. Enfin, s'il y a 20 ans les deux seules solutions thérapeutiques proposées étaient la chirurgie ou la radiothérapie elles étaient encore bien souvent effectuées de façon "exclusive", c'est-à-dire l'une ou l'autre. Actuellement il en va tout autrement et avec la chimiothérapie l'ensemble de ces traitements est régulièrement proposé en "association" de façon concomitante, le but ultime étant de limiter voire d'éviter la chirurgie. On conçoit dont que l'évolution sur ces 20 dernières années correspond essentiellement à une modification de l'état d'esprit vis-à-vis du malade et de sa maladie. Il n'en demeure pas moins qu'un impératif demeure, celui d'apporter au patient les meilleures chances de guérison à longue échéance mais le "prix à payer" est devenu dans un nombre non négligeable de cas moins lourd. Pour exemple, nous pouvons citer qu'en 1979, 62 % des patients présentant un cancer du larynx subissaient une laryngectomie totale alors qu'en 1989 ils ne sont plus que 51 %. Cette différence s'est faite, non pas aux dépens des laryngectomies élargies, mais au profit des laryngectomies partielles et reconstructives, et ce, sans conséquence sur les taux de survie. CONGRES DE RENNES