Chimiothérapie néo-adjuvante. Expérience du centre Jean

Depuis 1982, au centre Jean-Perrin, les patientes porteuses d’un cancer du sein opé-
rable, mais de volume important, ne permettant pas une chirurgie conservatrice,
sont d’emblée traitées par une chimiothérapie néo-adjuvante. Celle-ci a évolué au fil
du temps avec cinq phases II successives en fonction de l’arrivée des drogues
majeures du cancer du sein (tableau 1). Initialement, le choix de la combinaison des
agents cytotoxiques s’est porté naturellement sur le protocole alors appliqué en situa-
tion adjuvante, à savoir le protocole AVCF, combinant sur plusieurs jours adriamy-
cine, vincristine, cyclophosphamide et 5-fluoro-uracile (tableau 1). En effet, cette
polychimiothérapie avec anthracyclines était en passe de montrer son efficacité dans
une étude française multicentrique randomisée du groupe Oncofrance (AVCF versus
CMF). Le bénéfice du protocole AVCF appliqué en adjuvant s’est, du reste, confirmé
à long terme. Le méthotrexate a été ajouté au début à l’AVCF sans qu’aucun bénéfice
clinique supplémentaire n’ait été observé ; il a été supprimé du protocole par la suite.
167 patients ont été traités par AVCF ± M (1-6). Avec la démonstration de l’efficacité
de la vinorelbine (Navelbine®) en situation métastatique, nous avons développé en
1991 un protocole de deuxième génération de chimiothérapie néo-adjuvante, le pro-
tocole NEM combinant Navelbine®, épirubicine et méthotrexate, administrés en J1
et en J8 (tableau 1). La toxicité de cette combinaison s’est avérée acceptable. Les résul-
tats immédiats ont été tout à fait satisfaisants avec 90 % de réponses partielles objec-
tives (RPO) et un taux de conservation mammaire de 87 %, tandis que le taux de
réponses complètes pathologiques (pRC) a, pour la première fois, dépassé la barre
des 10 % (très exactement 14 %) selon la classification de B. Chevallier (3) chez 89
patientes (7). Une troisième génération de protocoles de chimiothérapie néo-adju-
vante a pu naître grâce à la démonstration de l’efficacité des facteurs de croissance
hématopoïétiques pour intensifier la chimiothérapie conventionnelle. Nous avons
repris le squelette du protocole le plus ancien, c’est-à-dire l’AVCF, et remplacé la vin-
cristine par la vinorelbine (Navelbine®), plus hématotoxique, et nous avons remplacé
l’adriamycine par la THP-adriamycine. Du fait d’une moindre cardiotoxicité de cet
analogue, nous avons pu utiliser une dose double d’anthracycline (60 mg/m2sur trois
Chimiothérapie néo-adjuvante.
Expérience du centre Jean-Perrin.
Importance de la tumeur résiduelle et de
la rémission histologique complète
P. Chollet, H. Curé, S. Amat, M.-A. Mouret-Reynier
et F. Penault-Llorca
jours au lieu de 30 mg/m2dans le protocole AVCF). Et pour optimiser l’intensifica-
tion de cette combinaison, nous avons raccourci l’intercure à quinze jours.
Cependant, étant donné le risque d’aplasie et ses conséquences infectieuses graves, ce
protocole dit TNCF (tableau 1) a été réservé aux formes les plus graves des cancers
du sein opérables. Nous avons sélectionné pour cela 69 patientes présentant au
moins trois des sept caractéristiques suivantes : un jeune âge, une taille tumorale de
plus de 3 cm (les tumeurs de ces patientes avaient une taille médiane de 4,2 cm par
évaluation clinique ou de 3,7 cm par évaluation échographique), une atteinte gan-
glionnaire axillaire clinique (49 N1 et 6 N2), un grade III SBR (32 des 60 carcinomes
canalaires invasifs), une phase S de plus de 5 % (29 fois sur 32 évaluations, réalisées
par cytométrie en flux), des récepteurs hormonaux négatifs (32 sur 53 étudiés) ou un
statut pré-ménopausique (85 % des patientes). Ce protocole de troisième génération
s’est révélé très efficace : augmentation significative du taux de pRC à 34 % selon la
classification de Chevallier, chiffre qui représente le taux le plus important qui soit
publié dans la littérature (5). Toute notre expérience est basée sur six cures de chi-
miothérapie avant chirurgie.
Tableau 1 - Protocoles de chimiothérapie néo-adjuvante réalisés au centre Jean-Perrin de
1982 à 2002.
Protocole Cytostatiques Doses (mg/m2) Cycle Intervalle
(nb de patientes) (jours)
AVCF ± M Adriamycine 30 J1
(166) Vincristine 1 J1
Cyclophosphamide 300 J2 à J5 28
Fluoro-uracile 400 J2 à J5
Méthotrexate 20 J2 à J4
NEM Vinorelbine 25 J1 et J8
(112) Epirubicine 35 J1 et J8 28
Méthotrexate 20 J1 et J8
TNCF* THP-adriamycine 20 J1 à J3
(69) Vinorelbine 25 J1 et J4 21
Cyclophosphamide 300 J1 à J4
Fluoro-Uracile 400 J1 à J4
NET (50) Vinorelbine 25 J1 et J8
Epirubicine 35 J1 et J8 21
Paclitaxel 175 J9
TXT (86) Docetaxel 100 J1 21
FEC 100 Fluoro-uracile 500 J1 21
(40) Epirubicine 100
Cyclophosphamide 500
* Suivi de facteur de croissance hématopoïétique GM-CSF ou G-CSF pendant dix jours.
294 Cancer du sein
Enfin, avec l’avènement des taxanes dans le traitement du cancer du sein métasta-
tique, nous avons réalisé deux autres essais thérapeutiques en situation néo-adju-
vante :
un essai docétaxel (Taxotère-TXT), monothérapie à la posologie optimale de
100 mg/m2pour un nombre optimal de six cures. Il s’agit d’une étude conjointe
avec le CHU de Tours (P. Bougnoux) : 86 patientes on été incluses. Un taux de
21 % de pRC a été observé ;
– un essai avec les trois familles majeures du traitement du cancer du sein dans une
même association, le NET (Navelbine®, epirubicine et Taxol®). 35 patientes ont
été incluses. Alors qu’un taux important de réponse objective a été observée en
échographie (87 %), la pRC n’a été que de 13 % selon la classification de B.
Chevallier, mais l’analyse faite selon D. M. Sataloff (8) donne un taux plus éle
de 21 % (9).
Par ailleurs, 40 patientes ont été traitées par FEC 100 ; il s’agissait des patientes qui
n’avaient pas été incluses dans l’un des cinq protocoles d’essais de phase II (10).
Ainsi, l’expérience de vingt années de chimiothérapie néo-adjuvante au centre
Jean-Perrin a cumulé 523 patientes, d’un âge médian de 49 ans dont 55 % non
ménopausées, avec des tumeurs de 40 mm de diamètre moyen, de stade II pour
75 % d’entre elles, de stade III pour 25 %, de type carcinome canalaire invasif dans
80 % des cas, de grade I SBR dans 15 % des cas, de grade II dans 50 % des cas et de
grade III dans 35 %.
Quant à l’efficacité de cette chimiothérapie d’induction évolutive depuis 1982 :
en terme de réponse tumorale, la réponse a été évaluée par trois méthodes : cli-
nique, échographique et mammographique. L'évaluation échographique est pour
nous la plus fiable ; elle est de surcroît assez bien corrélée à la réponse patholo-
gique : en cas de réponse complète échographique, 50 % des tumeurs solides
seront en pRC ; à l'inverse, une absence de réponse ou une réponse partielle écho-
graphique sera sanctionnée par la persistance de tissu tumoral en histologie ;
– en terme de survie, avec un recul médian de 15,1 années pour le protocole AVCF
± M (extrêmes : 7,4 à 22,1), un recul médian de 9,29 ans pour le NEM (extrêmes :
1,7 à 12,4) et un recul médian de 9,8 ans pour le TNCF (extrêmes : 2,2 à 13), il est
possible d’apprécier la survie à cinq ans et à dix ans pour les trois protocoles de
chimiothérapie première ; la survie globale (figure 1) et la survie sans rechute
(figure 2) sont superposables quel que soit le protocole de chimiothérapie pre-
mière utilisé. Nous ne montrons pas ici la survie des protocoles NET, TXT et FEC
100 qui ont un recul insuffisant.
Au total, la réponse tumorale observée au centre Jean-Perrin est conforme à celle de
la littérature ; et l’objectif de conservation mammaire a été atteint dans 70 % des
cas, tandis que la réponse complète histologique a évolué au fil du temps, passant de
moins de 10 % à 34 %.
Chimiothérapie néo-adjuvante… 295
Figure 1 - Courbe de survie globale selon le type de chimiothérapie d’induction (SG).
Figure 2 - Courbe de survie sans rechute selon le type de chimiothérapie d’induction (SSR).
Importance de la maladie résiduelle après chimiothérapie néo-
adjuvante
La néoplasie mammaire est une affection composite associée à l’expression de para-
mètres anatomiques, cliniques et biologiques variés, dont la présence définit pour
chaque malade un niveau de risque de récidive impliquant la mise en œuvre d’un
traitement général associant la chimiothérapie et/ou l’hormonothérapie.
L’adaptation du traitement loco-régional à chaque type de tumeur, ainsi que les trai-
tements adjuvants (schématiquement, chimiothérapie chez la femme non méno-
pausée et hormonothérapie chez la femme ménopausée) ont permis d’améliorer la
survie des patientes.
Depuis quelques années, il existe un regain d’intérêt pour la chimiothérapie
néo-adjuvante dans la prise en charge thérapeutique des sujets présentant, soit un
cancer du sein localement avancé, soit un cancer du sein de taille notable, dans l’ob-
jectif de :
– permettre une chirurgie conservatrice plus fréquente ;
296 Cancer du sein
obtenir une meilleure éradication de la maladie métastatique par un traitement
précoce avant le développement de clones résistants et alors que le facteur anti-
angiogénique potentiel sécrété par la tumeur primitive est toujours présent ;
– tester la chimio-sensibilité tumorale in vivo, malade par malade.
L’évaluation de cette chimio-sensibilité fournit l’opportunité d’examiner de
manière dynamique de nombreux facteurs morphologiques, histo-pathologiques et
biologiques de la tumeur, comme la promotion d’une chimio-résistance, les méca-
nismes d’apoptose et de prolifération, l’invasivité cellulaire, etc. Ainsi, plusieurs
auteurs ont étudié la possibilité de guider le choix des modalités thérapeutiques à
titre individuel. L'utilisation croissante de la chimiothérapie néo-adjuvante et
l’amélioration de la survie des patientes grâce aux traitements adjuvants impliquent
qu’il est important d'identifier des paramètres cliniques, histo-pathologiques et bio-
logiques associés à la réponse tumorale et à la survie. En attendant l’identification
et l’usage clinique de tests biologiques décisifs, l’utilisation des paramètres clinico-
pathologiques classiques garde toute sa valeur.
Le regroupement des données obtenues sur nos malades, ainsi que ceux des
équipes de Tours, Angers et Brive qui ont participé à nos essais phase II, a permis de
montrer que la réponse histo-pathologique fixe le pronostic de la maladie résiduelle
après chimiothérapie première. Il est capital de souligner que les facteurs classiques
initiaux vont être modifiés par le traitement néo-adjuvant.
Conséquences de la réponse histo-pathologique sur le contrôle
local et la survie
La plupart des études attribuent une valeur pronostique essentielle à la réponse his-
topathologique évaluée après une chimiothérapie première (11-15). Elle serait un
facteur pronostique beaucoup plus puissant que la réponse clinique dans les cancers
du sein localement avancés (16, 17), mais également dans les cancers du sein opé-
rables (18, 12). De même, un envahissement ganglionnaire résiduel après chimio-
thérapie est un indicateur de mauvais pronostic dans plusieurs séries avec long recul
(18, 11, 12, 14, 15). Pour évaluer la réponse tumorale après chimiothérapie,
P. Chollet et coll. (19) ont utilisé la classification de Chevallier (20), qui permet une
évaluation simultanée de la réponse au niveau du sein et des aires ganglionnaires
axillaires, et prend en compte la présence de carcinome in situ résiduel, au pronostic
imprécis. Ainsi, la réponse complète histo-pathologique est un facteur de meilleur
pronostic individuellement valable quand elle est obtenue sur le sein et les ganglions
axillaires. Dans la littérature, la plupart des études ont attribué un rôle pronostique
à la réponse histo-pathologique évaluée sur le sein uniquement. Cependant, l’im-
portance de l’atteinte ganglionnaire résiduelle est telle que l’on doit recommander
de continuer à effectuer le curage axillaire post-chimiothérapie, ou au minimum la
technique du ganglion sentinelle, selon un usage cliniquement validé. En effet, la
maladie micro-métastatique au niveau axillaire semble être un facteur pronostique
potentiel, après traitement par chimiothérapie néo-adjuvante (21-23). Ces données
sont toutefois contestées et méritent donc confirmation. La réponse complète histo-
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