Présentation

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Histoire de la
Pologne, des
origines à nos jours
Quatrième cours :
Les Polonais sans Pologne
(1795-1914)
Quatrième cours :
1 — Des partages au Congrès de Vienne
2 — Le temps des barricades (1815-1864)
3 — Prospérer sous les bottes (1848-1914)
1 — Des partages au Congrès
de Vienne
• L’histoire polonaise se complique à partir de 1795, car
jusqu’en 1918-1919, la population polonaise se trouve
répartie sur le territoire des trois empires.
• Les conditions de vie, l’évolution économique, sociale et
culturelle de ces « 3 Polognes » suivent donc des évolutions
désormais différenciées.
• De plus, les trois États qui se sont partagé la Pologne seront
tout au long du XIXe siècle la proie de processus qui auront
des impacts sur la situation des populations polonaises.
• La lutte pour l’indépendance des Polonais devient dans le
contexte de la grande confrontation entre autoritarisme
politique et libéralisme, le symbole de la résistance du
second au premier.
• Ce n’est pas un hasard si le slogan de la lutte polonaise est
alors « Pour notre liberté et la vôtre » : reprenant son rôle de
« bastion oriental de la civilisation européenne », la nation
polonaise s’érige en modèle de résistance des idéaux des
Lumières face à la domination de modèles autoritaires.
• L’identité nationale polonaise, loin d’être détruite par les
assauts des puissances occupantes, sera consolidée par sa
lutte pour sa survie et c’est une nation consciente d’ellemême qui surgira des décombres des empires vaincus.
• Ce n’était pas évident en 1795, car dans sa grande majorité,
la szlachta n’a pas semblé d’abord si mal réagir à la
destruction de l’État, témoignage du fait que le système
politique avant la catastrophe n’est pas parvenu à faire surgir,
à partir des égoïsmes régionaux, une conscience nationale.
• Cela s’explique aussi par l’intelligence des nouveaux maîtres,
qui n’ont pas remis en question l’organisation socioéconomique des territoires polonais.
• Car la szlachta dominait avant 1795 et elle continue de
dominer après 1795.
• C’est particulièrement vrai sur les territoires relevant de
Saint-Péterbourg, car malgré leur rivalité, Polonais et Russes
appartiennent à un même espace culturel.
• Ainsi, nombreux sont les membres de l’élite polonaise qui
croient que la Pologne pourra jouer en Russie le rôle de la
Grèce dans l’Empire romain : celui d’un vecteur de civilisation
d'une société primitive.
• Le cas d’Adam Czartoryski, prince polonais qui deviendra le
maître de la politique étrangère russe, est emblématique de
cette collaboration d’une part de l’élite polonaise.
• Il sera en 1803 nommé par l’empereur Alexandre 1er curateur
des territoires du nord-est de l’ancienne république (les
territoires lituaniens) et il maintiendra en place le monopole
de la langue polonaise dans les écoles et à l’université de
Wilno.
• Sur les terres prussiennes, le nouveau pouvoir favorisa à
partir de 1795 une politique de germanisation modérée qui
heurta l’élite, mais pas au point de susciter un mouvement
populaire.
• Une Société des Amis des Sciences, tolérée par Berlin, servit
de centre de consolidation de la culture polonaise et permit à
la langue polonaise de continuer à être celle des arts et de la
culture sur cette portion du territoire.
• En Autriche, où le polonais continuera d’être enseigné à
l’école, un groupe de nobles constituera le fer de lance de la
résistance et se constituera en organisation secrète, qui sera
cependant démantelée.
• Cet esprit de résistance trouvera une illustration avec les
légions polonaises, car après les premières batailles de la
France contre l’Autriche furent capturés, parmi quelque 30
000 soldats, environ 8 000 Polonais, qui seront intégrés aux
forces armées de la France républicaine.
• Même si ces soldats ne participeront pas aux campagnes
militaires avant 1800, c’est un membre de ce groupe qui
composera en 1797 le poème « La Pologne n’est pas morte
tant que nous vivons », encore aujourd’hui hymne national du
pays. À partir de 1806, Napoléon utilisera ses soldats
polonais pour faciliter la renaissance temporaire du pays.
1.2 — Le protectorat napoléonien (1807-1813)
• En 1806, les forces de l’empire français entrent dans Berlin,
contraignant la Prusse à la paix. Alors que l’aristocratie
demeure fidèle aux Hohenzollern, 3 000 soldats polonais de
l’armée prussienne se joignent aux forces françaises.
• Mais si Bonaparte compte utiliser les Polonais, il ne désire
pas favoriser une révolution sociale sur ces territoires,
préférant s’entendre avec l’aristocratie.
• En janvier 1807, il constitua à Varsovie une Commission
dirigée par sept aristocrates libéraux, qui fit office de
gouvernement sur les terres polonaises « prussiennes »
• Le modèle français fut établi sur ces territoires pour faciliter
les opérations militaires : un corps d’armée fut constitué avec
des officiers et des soldats polonais, de l’armement prussien,
mais soumis aux règlements de l’Armée française.
• Ces forces contribueront aux batailles d’Eylau et de
Friedland, aux termes desquelles Prusse et Russie furent
défaites.
• Après la Paix de Tilsitt avec la Russie, Bonaparte ressuscita
une Pologne « autonome » sur les terres relevant jusqu’alors
de la Prusse.
• Ce « Duché de Varsovie » s’étendait sur 104 000 kilomètres
carrés, abritant une population de 2,6 millions de personnes.
• Une constitution libérale fut alors proclamée, mais les
institutions locales demeuraient subordonnées au résident
français, nommé par Napoléon et véritable chef du territoire.
• Malgré ces limitations, la Constitution introduisait une part de
l’héritage révolutionnaire, comme la liberté de culte, l’égalité
de tous les citoyens et l’abolition du servage.
• Cette disposition suscitera l’opposition des élites, qui feront
préciser que la propriété terrienne demeurait le monopole de
la noblesse.
Le Duché de Warszawa
• De sorte que, affranchi à titre personnel, le paysan polonais
demeurait en fonction économiquement de la noblesse.
• En 1808, le Code Napoléon devint le socle judiciaire du
Duché et favorisa le développement et la consolidation de la
bourgeoisie, permettant aux membres du « tiers État »
polonais d’accéder aux postes de direction dans
l’administration et dans l’armée.
• La domination nobiliaire fut ainsi affaiblie, même si la courte
durée de l’expérience du Duché limitera l’efficacité de cette
petite révolution sociale.
• L’armée napoléonienne jouera pour le paysan polonais le
même rôle que pour son homologue français, celui d’une
école du « monde moderne », où le mérite prend le pas sur
les privilèges de la naissance.
• Comme les dispenses du service militaire obligatoire ne
seront pas à la portée de la paysannerie, celle-ci intégrera
massivement cette armée vectrice de changement.
• Après sa victoire contre les Autrichiens en 1809, Napoléon
élargit le Duché aux frais des terres relevant de Vienne,
englobant Kraków et de Lublin et faisant passer la population
à 3,3 millions.
• Après l’invasion de la Russie en 1812, Napoléon, pour
s’assurer de la fidélité des Polonais, transforma le Duché de
Varsovie en Royaume de Pologne, englobant les terres qui
seraient reprises des mains de la Russie.
• Mais la Campagne de Russie tournera à la catastrophe pour
la Grande armée, au sein de laquelle combattaient près de
100 000 Polonais, dont la majorité périt au cours de la
désastreuse retraite de Russie.
• Sur le chemin de Paris, les forces russes reprirent les
territoires temporairement perdus, puis se portèrent sur celle
du royaume de Pologne, occupant Varsovie et mettant en
place un gouvernement local où ne siégeaient que deux
Polonais.
• Le bilan de la période napoléonienne en Pologne est donc
contrasté, car si l’échec final entraîna des coûts humains
importants, en plus des sacrifices demandés par l’effort de
guerre exigé par Napoléon.
• Mais malgré la brièveté de l’expérience, elle a permis
l’introduction de changements sociaux qui vont continuer à
agir longtemps après la défaite de Bonaparte.
2 — Le temps des barricades
(1815-1864)
2.1 — Le Royaume du Congrès
• Interrompus en 1814 par les « 100 jours », les travaux du
Congrès de Vienne reprirent au cours de l’été 1815.
• La carte de la Pologne, partagée pour une quatrième fois, se
trouva compliquée par le résultat des négociations.
• Certaines villes dominées par la Prusse avant 1807 (Poznań,
Gdańsk, Toruń) retournèrent à cette dernière, alors que
Varsovie devint la capitale d’un Royaume du Congrès établi
sur le reste des terres du Duché de Varsovie et placé sous la
protection de l’Empire de Russie.
• L’Autriche récupérait une partie de ses possessions, mais
abandonnait Kraków, qui devenait une ville libre placée sous
la protection des trois Aigles.
• La Pologne d’avant 1795 connait alors cinq statuts différents :
terres de Prusse, d’Autriche et de Russie, plus le Royaume
du Congrès et la ville libre de Kraków...
• Compte tenu de son statut d’autonomie relative, c’est le
royaume du Congrès qui représentera, jusqu’à sa fusion avec
les terres polonaises de Russie en 1874, la personnalité
juridique de l’État polonais,
• Les autres populations polonaises seront soumises aux États
dominants, même si parfois certaines joueront un rôle dans
les troubles au sein du Royaume et des empires
• Dans les premières années après le Congrès, la situation du
Royaume de Pologne était, dans les circonstances, assez
bonne.
Le royaume de Pologne
• Certes, le pays était dominé politiquement par un roi
étranger, mais celui-ci était un homme ouvert et alla jusqu’à
donner au Royaume de Pologne une constitution, alors que
rien de tel n’existait en Russie même.
• Promulguée en novembre 1815, la Constitution reprenait de
nombreux éléments de la structure politique et légale du
Duché de Varsovie : un lieutenant général représentait le roi,
alors que Diète et Sénat continuaient d’exister.
• Avec l’abaissement du cens électoral, plus de 100 000
personnes pouvaient participer aux élections, sur une
population de 4,5 millions d’habitants.
• Cela semble peu, mais la France de Louis XVIII ne permettait
la participation que de 90 000 personnes pour une population
de 30 millions d’habitants.
• La bourgeoisie gagnait significativement en représentativité
dans les instances politiques, même si 80 % des députés
demeuraient nobles.
• La Diète et le Sénat disposaient d’une réelle autonomie en
matière législative, une armée « autonome » de 30 000
hommes était maintenue et la liberté de presse était garantie,
autre droit exclusif au Royaume dans l’empire russe.
• Mais cette autonomie relative, qui distingue à ce moment
positivement la situation des Polonais du Royaume de celles
de leurs compatriotes ailleurs (à l’exception des habitants de
Kraków) sera menacée par divers phénomènes intérieurs et
extérieurs.
• Car l’armée polonaise est commandée par le frère de
l’empereur, le grand-duc Constantin dont le rôle lui permet
d’interférer dans toutes les questions sécuritaires.
• Surtout, ses exigences en matière de financement vont
provoquer une crise budgétaire, qui incitera l’empereur à
nommer ministre des Finances un homme à poigne qui
remettra en question l’autonomie financière de Warszawa.
• Même si les réformes de Drucki-Lubecki vont favoriser le
développement économique, elles introduisent une limitation
de la souveraineté qui suscite la colère, d’autant que pour
financer les réformes, les impôts sont augmentés.
• La situation internationale pèsera aussi sur l’évolution de la
situation : les membres de la Sainte-Alliance, qui se sont
donné pour objectif de lutter contre les tendances
révolutionnaires, se lancent au début des années 1820 dans
une surenchère conservatrice, qui rend difficile le maintien
d’un système libéral au cœur de l’autoritarisme européen.
• La mort en 1825 de l’empereur Alexandre 1er et son
remplacement par Nicolas 1er ne fera rien pour améliorer la
situation, d’autant que l’arrivée sur le trône de Russie de ce
dernier donne lieu à une tentative de coup d’État menée par
les libéraux. Déjà conservateur, Nicolas devient dès lors
franchement réactionnaire.
2.2 — La révolte de 1831
• Les événements de 1830 et 1831 proviennent d’un hiatus
croissant entre d’une part l’évolution des institutions du
Royaume et du contexte international et d’autre part,
l’évolution de la société polonaise.
• Ce hiatus provoque au sein de la Diète la montée d’un
mécontentement à l’endroit de la tutelle de Saint-Péterbourg.
• On assiste tout au long de la décennie à une contestation
parlementaire contre la montée de l’arbitraire et pour la
défense des institutions et des principes libéraux très mal vus
chez les voisins et maîtres.
• Surtout, malgré le développement économique, la question
paysanne n’est toujours pas résolue, car la liberté paysanne
n’avait toujours que peu de réalité, les terres demeurant
essentiellement entre les mains des grands propriétaires.
• De plus, en 1818, les châtiments corporels contre les
paysans furent rétablis, de même que les limitations à leurs
déplacements.
• La situation des autres paysans polonais était parfois
supérieure (en Autriche, où le servage était réduit et en
Prusse où il sera aboli en 1810), parfois inférieure (sur les
territoires de l’Empire russe, ils furent soumis au servage
comme tous les autres paysans jusqu’en 1863).
• Les masses paysannes n’ont jamais été en mesure de
susciter des changements politiques sans l’appui des classes
instruites et leur colère se limite à des explosions violentes,
locales, sans conséquences et réprimées.
• Mais le maintien d’institutions d’enseignement, véritables
forteresses de la culture et de l’identité polonaise, va
favoriser l’apparition d’une sous-classe au sein de la
szlachta, laquelle sera épaulée dans sa contestation de
l’ordre par la bourgeoisie.
• Comme la richesse demeure concentrée, la noblesse pauvre
et moyenne trouve dans l’instruction un dérivatif et un
remède à sa marginalisation économique.
• L’apparition de cette intelligentsia, formée dans l’esprit libéral
et gardienne de l’identité nationale, dans un contexte de crise
économique et politique, va entrainer un sursaut. L’étincelle
sera fournie par la situation internationale.
• En 1830, la révolution de juillet en France, puis celle de
Belgique, susciteront des désirs d’émulation chez les élites
instruites. De jeunes officiers disposants de contacts chez les
députés libéraux formèrent alors le projet de se débarrasser
de la tutelle russe.
• Le 30 novembre 1830, les conjurés s’emparent de l’arsenal
de Varsovie, mais la tentative d’assassinat prévue contre le
grand-duc Constantin échoue et ce dernier parvient à
s’enfuir. Les « vainqueurs » apparaissent désemparés, car
aucun plan n’avait été prévu pour assurer la relève politique.
• Un groupe de députés conservateurs favorisait le maintien
d’un dialogue avec la Russie, alors que les députés libéraux
penchaient vers une solution plus radicale sur le plan
politique, sans remettre en question l’ordre économique.
• Aucune de ces deux alternatives ne présentait d’intérêt pour
les paysans, qui espéraient des réformes économiques. Si le
rejet du statu quo était partagé par toute la société, les
solutions la divisaient en fonction de la richesse et du statut.
• Le 5 décembre, un ancien général de l’armée napoléonienne,
s’appuyant sur l’armée, se proclama dictateur, avec pour
mandat de négocier avec la Russie un statut de large
autonomie, tout en maintenant l’ordre sur le territoire et le 20
décembre, la Diète accepta sa domination.
• Mais Nicolas 1er n’entendait pas accepter ce coup de force et
ordonna le retour des forces de Constantin et le
rétablissement du statu quo ante, poussant les chefs
politiques de Pologne à parler d’indépendance.
• En janvier 1831, le dictateur fut renversé, la Diète vota la
destitution de Nicolas 1er et déclara l’indépendance. Un
gouvernement dominé par les magnats fut formé.
• En réaction, Saint-Pétersbourg dépêcha une armée de
135 000 hommes qui éprouva quelques difficultés.
• Pour que les forces polonaises triomphent, il eut fallu une
aide extérieure, mais la chose était peu probable, malgré la
sympathie des libéraux de toute l’Europe pour le mouvement
national polonais.
• Surtout, il eut fallu un programme politique et économique
remettant en question les structures socio-économiques
archaïques de la Pologne.
• La Diète comptait un certain nombre de députés libéraux
prêts à remettre en question ces structures, mais ils restèrent
minoritaires et les mesures nécessaires (réelle libération des
paysans et réforme agraire) à un ralliement de la paysannerie
ne purent être prises.
• De sorte que la paysannerie ne voyait pas de raisons de se
soulever pour appuyer ceux qui refusaient de remettre en
question l’ordre économique et resta à l’écart.
• Dans les villes, l’insatisfaction des classes pauvres était
grande : ici, la revendication principale concernait la
représentation politique, car la domination des magnats
n’était pas qu’économique.
• Devant le refus d’élargir la participation politique, les villes
s’insurgèrent à partir de l’été 1831 contre le pouvoir politique
central.
• En l’absence de ralliement national, le mouvement était
condamné, le pays, isolé, ne pouvant opposer à la puissance
russe qu’une société fragmentée
• Le 8 septembre 1831, après avoir au cours des semaines
précédentes repris le contrôle des territoires environnant,
Warszawa fut investie par les troupes russes.
• Certains chefs militaires, avec plus de 35 000 hommes,
parvinrent à franchir les frontières des puissances voisines,
mais Vienne comme Berlin, malgré leurs différends avec la
Russie, n’entendaient pas permettre la remise en question du
statu quo et ces forces furent désarmées.
• Une partie importante des officiers quittèrent alors la zone
pour se réfugier en Europe occidentale, en France surtout.
2.3 — D’une crise à une autre (1832-1848)...
• Les représentants de l’ordre et tuteurs des Polonais furent
très effrayés par le mouvement et la répression fut féroce.
• La Diète de Warszawa, les forces armées et les dispositions
de la constitution de 1815 furent liquidées. Soldats et officiers
furent expédiés dans le Caucase et les meneurs exécutés ou
déportés en Sibérie.
• Sans être fusionné avec le reste de l’Empire, le Royaume du
Congrès fut alors administré directement par un gouverneur
militaire résidant dans la capitale polonaise.
• La reprise en main ne se limita bien sûr pas à la question
politique et les universités de Warszawa et de Wilno furent
fermées, la Société des amis de la Science interdite.
• Dans la région de Wilno, le système d’éducation fut
totalement russifié.
• En 1839, l’Église uniate fut interdite et ses deux millions de
fidèles forcés à rejoindre l’Église orthodoxe russe.
• En Prusse, en Poznanie, les monastères catholiques furent
fermés et l’usage de la langue polonaise réduit.
• En Autriche, où l’enseignement à partir du secondaire était
déjà allemand, les changements ne furent pas notables, mais
l’autonomie de Kraków fut liquidée, avant que la ville soit
finalement absorbée par l’empire autrichien en 1846.
• La pression politique accentua le mouvement migratoire et le
pays se vida de ses artistes et penseurs libéraux, alors que la
vie intellectuelle de la Pologne se déplaça vers l’Europe.
• Même si leur nombre ne fut jamais très élevé, les émigrés
polonais vont assurer la survie d’une conscience nationale et
culturelle de la Pologne, d’autant que pour la plupart, il s’agit
de membres de la petite et moyenne noblesse, instruits et
cultivés.
• Alors que la production artistique des populations des terres
polonaises végète, l’immigration donnera à la culture
polonaise quelques grands noms, dont Chopin et Mickiewicz.
• Entre 1830 et 1850, la question nationale se voit doubler
partout en Europe par la question sociale : les idéaux
socialistes commencent à pénétrer les élites européennes et
une part d’entre elles partagent la vision marxiste selon
laquelle la lutte nationale doit céder la place aux luttes
économiques et sociales.
• À noter que, pas plus les émigrants que les Polonais restés
au pays, ne parviennent à faire taire leurs différends et à
constituer un front uni.
• Pour les élites des terres occupées, la période 1832-1848 est
marquée du sceau du réalisme : incapables de secouer le
joug étranger, elles tendent à compenser leur désarroi
politique par un grand activisme économique.
• Dans les terres russes, l’agriculture continuait de dominer,
alors qu’en terres prussiennes et autrichiennes, l’esprit
entrepreneurial insufflé par les réformes de ces deux empires
permit un développement industriel modéré.
• Quant aux terres du royaume, l’étroite tutelle russe ne
s’opposa pas à l’émergence d’une petite bourgeoisie
industrielle qui s’impliquait dans l’industrie charbonnière et
les transports.
• Le feu couvait cependant et au cours des années 1840,
l’agitation sociale reprit, stimulée par la conjonction, chez les
élites intellectuelles, de la question nationale et de la
question sociale.
• Croyant tirer les leçons des échecs des insurrections
précédentes, des programmes politiques plus radicaux firent
leur apparition, surtout dans les territoires germaniques, où
l’initiative privée était mieux tolérée.
• La dichotomie entre aspirations des élites et des masses
demeuraient, comme le démonteront les crises des 1846.
• À Kraków, des membres de l’élite tentèrent de prendre le
contrôle de la ville, fournissant à l’Autriche un prétexte pour
mettre fin à son autonomie.
• En Galicie, une violente insurrection vit les paysans se jeter
sur les grandes propriétés, les brûler et lyncher leurs
occupants. Villes et campagnes continuaient d’évoluer en
vases clos.
• La fureur paysanne obligea les puissances tutélaires à
améliorer la condition paysanne : ainsi la Russie, dès 1847,
tentera de limiter l’arbitraire des propriétaires.
• C’est donc en ordre dispersé que la société polonaise
affrontera les tempêtes de 1848. Le souffle, parti de Paris,
balaiera l’Europe orientale en mars : Vienne, Berlin, Prague
se hérissent alors de barricades, mais la plupart des villes
polonaises demeurent plutôt calmes.
• Le paradoxe de la participation polonaise au « Printemps des
Peuples » est qu’elle concerne plus la diaspora polonaise
que les territoires polonais et dans toutes les grandes villes,
les Polonais montèrent aux côtés des populations locales à
l’assaut des pouvoirs politiques.
• Ce paradoxe tient à l’éclatement géographique de la nation
polonaise, de même qu’au développement de la question
sociale, qui réduit l’importance de la question nationale.
• Malgré ces réserves, il y eut en Poznanie et en Galicie deux
mouvements assez puissants qui contraignirent les
puissances tutélaires à la négociation.
• En Poznanie, l’insurrection fut découpée par tranche, alors
que les concessions furent tactiques, le temps de permettre
la réduction des foyers d’opposition.
• À l’issu de l’écrasement de l’insurrection, des concessions
économiques à la paysannerie permirent de le détacher de
ses meneurs bourgeois et nationalistes.
• En Galicie, l’empereur eut l’intelligence, de ne pas attendre
l’incendie et dès avril 1848, le servage fut aboli sur
l’ensemble des territoires de l’Empire autrichien.
• La satisfaction des revendications paysannes permit de
détacher ici aussi la paysannerie polonaise de la bourgeoisie,
ce qui facilitera la reprise en main : le 26 avril, l’insurrection
de Kraków fut étouffée et il en fut de même un peu plus tard
dans l’année à Lwow.
• Quant aux territoires sous domination russe, ils demeurèrent
quiets au cours de ces années, sans doute grâce à la
combinaison de la carotte (les concessions de 1847) et de la
lourde chape de plomb du système de Nicolas 1er.
• De sorte que le bilan de la participation polonaise aux crises
de 1848 est contrasté. Car, si la question nationale n’a guère
bénéficié des événements, la situation socio-économique de
la paysannerie s’est en général améliorée.
2.4 — ... puis à une autre (1863-1864).
• Poznanie et Galicie entrent dès 1848, grâce aux concessions
économiques de Berlin et Vienne, dans une phase
d’apaisement, pendant que les territoires russes entrent à
leur tour en ébullition.
• L’élément déclencheur de cette crise se trouve encore une
fois, dans la configuration internationale : la Guerre de
Crimée (1853-1856), qui servira d’électrochoc à Alexandre II
et l’incitera à moderniser son pays.
• Dès 1857, de nombreux déportés polonais sont autorisés à
rentrer sur les terres du royaume. Alors que la censure faiblit,
Alexandre II annonce son intention d’abolir le servage.
• Au début des années 1860, le statut des paysans polonais de
l’empire variait selon qu’ils habitaient le Royaume ou les
terres impériales.
• Mais si la situation des premiers était supérieure,
économiquement, la grande majorité des paysans de l’empire
n’avait toujours pas accès à la terre.
• La capacité de l’empire russe à obtenir la fidélité des élites
des nations soumises explique le hiatus entre industriels et
grands propriétaires terriens et le reste de la société
polonaise, les premiers étant peu désireux de poursuivre la
« chimère nationale ».
• Quant à la petite et moyenne noblesse et la bourgeoisie,
elles participent aux courants observés dans l’empire à
l’époque : l’accès à l’éducation et la sclérose des institutions,
provoquent le développement du radicalisme de la jeunesse
de ces classes sociales.
• Dès l’annonce de l’abolition du servage, les provinces
orientales de l’ancienne Pologne s’agitent, car ici la question
économique se double d’un problème national: les paysans
sont majoritairement ukrainiens et les propriétaires polonais.
• La crise provoque la naissance d’un clivage entre « blancs »,
nobles et partisans d’un compromis pour sauver leur pouvoir
économique et les « rouges », radicaux, réclamant
l’indépendance et la révolution sociale.
• Les premiers s’imposent en 1862 : le royaume obtient un
gouvernement civil et une réforme du système d’éducation
incluant la multiplication d’écoles primaires et secondaires en
langue polonaise, de même que la restauration de
l’autonomie de l’université de Warszawa.
• Cette stratégie des petits pas ne convenait pas aux
« rouges », préférant la voie insurrectionnelle, comme leurs
confrères des organisations révolutionnaires et terroristes du
reste de l’empire.
• Mais, peu nombreux, les rouges manquaient de capacités
organisationnelles et leur programme demeurait trop vague
aux yeux de la majorité.
• Devant la montée des tensions, le gouvernement polonais
ordonne l’incorporation dans les forces armées de 10 000
jeunes hommes suspects de fomenter les troubles. Un
« Comité central » des chefs des différents mouvements
rouges en appela à l’insurrection générale.
• Malgré le ralliement de 6 000 ouvriers et d’une partie des
chefs « blancs », l’appel ne fut pas entendu, les paysans
préférant rester fidèles à l’empereur et la majorité des
insurrections rurales se tournèrent contre les grands
propriétaires.
• Incapable de résister aux forces armées, la rébellion
constitua un gouvernement clandestin, qui ne fut pas en
mesure de donner une direction cohérente au mouvement.
• Les forces étaient trop inégales, les différents regroupements
ne parvenaient jamais à réunir plus de 20 000 hommes à la
fois, alors que les forces impériales comptaient sur 350 000
soldats.
• Il aurait fallu que les insurgés élargissent leur appui sur le
territoire de l’empire et auprès de puissances étrangères.
• Le gouvernement russe s’employa à empêcher la formation
d’un front d’opposition intérieure, accélérant les réformes
agraires, ce qui favorisait le maintien de l’appui à l’empereur,
d’autant que le radicalisme des « rouges » effrayait.
• Sur la scène internationale, la rébellion
suscitait des
sympathies, mais pas au point de provoquer une participation
directe aux côtés des Polonais. On en resta aux protestations
et aux propositions de médiations, toutes rejetés par SaintPéterbourg.
• Malgré l’arrivée en renforts d’ouvriers « internationalistes », la
balance penchait du côté du gouvernement et la répression
décapita peu à peu le mouvement, avec une accélération
notable à compter du printemps 1864.
• Pendaison pour les chefs et déportations pour beaucoup
d’autres éclaircirent les rangs des rebelles et « l’ordre » fut
rétabli au cours de l’année 1864.
• La question agraire partiellement résolue, la question
nationale demeurée en suspens, les élites nationalistes des
territoires russes entrèrent en sommeil : devant l’impossibilité
de secouer par la force la domination étrangère, il valait
mieux œuvrer à développer les terres polonaises, en
attendant que la situation internationale puisse favoriser leur
émancipation.
• Ce dernier baroud d’honneur du nationalisme polonais au
XIXe siècle et la répression violente qu’il provoqua est depuis
ce temps un élément fondamental de la conscience nationale
polonaise.
3 — Prospérer sous les bottes
(1848-1914)
3.1 — Évolution politique
• La Pologne paya cette insurrection : ce qui restait de
l’autonomie fut graduellement supprimé et en 1874, le
Royaume de Pologne cessa d’exister, absorbé dans l’empire
sous le nom de « Territoires de la Vistule », dirigés par un
gouverneur général.
• Les politiques de russification se déployèrent, justice et
système d’enseignement furent russifiés. L’orthodoxie
devenue religion d’État, le catholicisme polonais fut détaché
de Rome en 1867 par la création d’un Collège aux Affaires
catholiques à Saint-Péterbourg, situation acceptée par le
Vatican par le biais d’un concordat signé en 1882.
• Si la société rentra sous terre, la résistance ne disparut pas,
changeant de forme, journaux clandestins et organisations
politiques illicites se multiplièrent, même si leur influence
demeurait marginale.
• Avec l’arrivée de Nicolas II, les choses vont s’améliorer,
l’Église catholique sera mieux tolérée et le polonais refera
surface dans les institutions d’enseignements, assurant la
satisfaction des classes dominantes et leur ralliement.
• En Poznanie, la situation politique connut une inflexion
significative avec la création du 2e Reich et les Polonais
devinrent encore plus minoritaires, le Kulturkampf contre
l’Église accentuant l’aliénation polonaise.
• Malgré ces politiques discriminatoires, le milieu paysan
résiste assez bien, grâce à la puissance de l’Église, mais la
situation en ville est plus difficile et la polonité y est en nette
régression.
• Après une brève pause, les politiques de germanisation
reprirent et la représentation populaire demeurait limitée à
quelques membres de la noblesse.
• Dans l’empire d’Autriche, la situation est bien meilleure,
grâce à la révolution de 1867 et à la transformation de
l’Empire, au sein duquel les minorités disposent désormais
de plusieurs droits fondamentaux.
• La germanisation est stoppée : en 1869, système d’éducation
et système judicaire sont polonisés et l’université de Kraków,
puis celle de Lwów redevinrent polonaise.
• De même, un ministère de la Galicie, dirigé par un Polonais,
est chargé au sein du gouvernement impérial de diriger la
région.
• Mais la représentation politique demeure limitée, car si 15
des 72 sièges du « Parlement » étaient réservés à des
Polonais, leurs pouvoirs étaient circonscrits et pour l’essentiel
consultatifs.
• Cette situation avantageuse favorisa une immigration des
autres zones vers la Galicie, phénomène temporairement
ralenti par les événements de 1905 en Russie.
• Après sa défaite contre les Japonais et les manifestations qui
suivent,
Nicolas
II
concède
certaines
institutions
représentatives, où les Polonais de l’empire pourront jouer un
certain rôle politique.
• Mais l’égalité confessionnelle et la suppression de la censure
sont temporaires et en 1907, la Douma est dissoute, les
règles d’élections sont durcies au point où la représentation
polonaise chuta drastiquement.
• La crise russe se fit sentir aussi sur les deux autres
territoires, alors que grèves et manifestations estudiantines
en Poznanie permirent la formation d’un Conseil national
polonais et qu’en Galicie une réforme du système électoral
élargit la représentation polonaise, tout en accroissant les
libertés civiles.
3.2 — Économie et démographie
• S’il est un domaine dans lequel le pragmatisme destiné à
préparer les Polonais à la levée de la tutelle est évident, c’est
bien le développement économique, noblesse et bourgeoisie
compensant leur impotence politique par une surenchère
dans ce domaine.
• Au plan industriel, les vieux centres de productions de
Mazovie deviennent l’un des principaux moteurs de
l’économie dans l’Empire russe.
• En plus des « vieilles » industries (textile et charbon) se
développent de nouveaux secteurs : fonte, acier et extraction
pétrolière en Galicie, qui fournit à l’empire russe une part
considérable de son or noir.
• Autre nouveauté, la production électrique, alors que les
besoins se multiplient (tramway et éclairage urbain) et
suscitent la construction de centrales électriques.
• La vapeur demeure la principale source d’énergie, mais le
développement de l’électricité entraine celui de la
mécanisation.
• Ces changements techniques ont des impacts sur la
structure de l’économie et entrainent la concentration des
capitaux entre les mains de l’aristocratie progressiste ou de
la haute bourgeoisie. La communauté juive joue aussi un rôle
important dans le secteur bancaire.
• Les capitaux étrangers sont aussi importants, surtout dans
les terres de l’empire russe qui manque de liquidité, alors que
dans les deux autres zones existent des sources indigènes
de capitaux.
• La révolution industrielle exige aussi des ressources
humaines et l’industrialisation a un impact important sur la
structure sociale de la Pologne qui, tout en demeurant
majoritairement rurale, s’urbanise à un rythme jamais vu
auparavant.
• Au tournant du XXe siècle, Warswaza comptait environ 500
000 habitants, plus du double de ce qu’elle comptait trois
décennies auparavant.
• Les villes de Breslau (Wrocław - 250 000 habitants), Łódź
(125 000), Lwów (120 000) et Wilno (100 000) rassemblent
aussi des populations considérables. 20 à 25 % de la
population vit alors dans les villes.
• Les villes voient alors affluer des régions rurales une
population paysanne pauvre peu qualifiée pour occuper des
emplois industriels et émerge une classe ouvrière, dont le
nombre surpasse celui des classes urbaines traditionnelles et
dont le niveau de vie est exécrable.
• Mais la majorité de la population habite en campagne ou
dans de petits bourgs ruraux, centre de commerces
régionaux.
• Si la situation paysanne est en général difficile, il importe de
nuancer en fonction des zones.
• Sur les terres relevant de la Russie, la paysannerie mettra
beaucoup de temps à percevoir une amélioration de ses
conditions de vie
• La domination économique des propriétaires remplaçant la
domination politique, la grande majorité de la paysannerie
devenue « libre » était contrainte, faute de terres, de
s’engager à titre de travailleur agricole.
• Sur les terres autrichiennes et allemandes, le processus de
consolidation est plus avancé. Ici, le monopole terrien de la
noblesse est battu en brèche par l’émergence d’une classe
de paysans riches.
• La propriété terrienne se concentre et avec l’amélioration des
techniques agricoles, qui réduit la demande en main-d’œuvre
en augmentant la productivité, l’exode rural s’intensifie.
• Nombreux sont aussi ceux qui partent plus loin, de l’autre
côté de l’Atlantique, pour former la base d’une puissante
diaspora aux États-Unis et au Canada.
• Dès 1910, Chicago devient, avec ses 400 000 Polonais, la
« deuxième ville de Pologne », alors que près de 3 millions
de Polonais se répartissent sur le territoire des États-Unis.
• Les changements concernent la petite noblesse dont le
niveau de vie se détériore, obligeant ses enfants à trouver
une vocation ailleurs, souvent dans le système d’éducation,
accentuant le radicalisme déjà observé.
• En 1910, les territoires ayant jadis relevé de l’autorité de la
Rzeczpospolita sont peuplés de 23 millions d’habitants,
polonais à environ 75 % : 10 millions dans l’empire russe, 4
millions en Allemagne et 4 autres millions en Autriche.
• À noter qu’il y existe aussi environ 1 million de Polonais sur
les autres terres de l’empire russe.
• La population juive se concentre dans les centres urbains,
formant plus de 30 % de la population urbaine et près de
10 % de l’ensemble de la population des terres jadis
polonaises.
3.3 — Société et idées
• La situation des terres polonaises au tournant du XXe siècle
est paradoxale, alors que la sclérose politique que la situation
induit est combattue par un grand dynamisme économique.
• La conjonction de ces deux phénomènes entraîne une
grande ébullition intellectuelle et culturelle.
• Le développement de l’instruction favorise le développement
et la diffusion des nouvelles idées. En Autriche, la
fréquentation des universités augmente, permettant l’essor
d’une nouvelle intelligentsia, composée d’environ 150 000
personnes.
• Ailleurs, la situation est moins rose, surtout en Russie où,
après l’assassinat d’Alexandre II, de grandes limitations
seront apportées à l’accessibilité à l’éducation, Alexandre III
se méfiant de la petite noblesse paupérisée, où les Polonais
sont fortement représentés.
• Les difficultés des populations ouvrières suscitent dès les
années 1880 l’émergence dans les territoires occidentaux de
mouvements syndicaux assez importants pour provoquer,
par les grèves et les manifestations, des concessions de la
part des pouvoirs politiques et économiques.
• Réduction de la journée de travail, encadrement du travail
des femmes et des enfants, hausses de salaire, etc. :
l’Allemagne de la fin du XIXe siècle est très en pointe en
matière de politiques sociales et les territoires polonais
bénéficient de ces avancées.
• Si la population polonaise et ouvrière d’Autriche connait un
peu plus tard ces avancées, dans les territoires russes, la
situation demeure inchangée jusqu’en 1905, entre autres
parce que toute forme de syndicalisme y est interdite.
• On ne s’étonnera donc pas de trouver ici un très fort
radicalisme au sein de la classe ouvrière.
• La période voit la poursuite de la lutte entre le nationalisme et
l’internationalisme, les intérêts nationaux et les intérêts de
classes.
• La Pologne n’est pas la seule à sombrer dans l’exclusivisme,
le racisme et la xénophobie, mais l’absence d’État et la
subordination des Polonais à des puissances étrangères
constituent un terreau fertile.
• Les relations entre nationalisme et socialisme ne sont pas
univoques, particulièrement en Pologne, car la domination
politique a des répercussions économiques.
• Certains membres de l’élite nationale tireront les conclusions
des échecs précédents, causés par l’opposition de la
question nationale et de la question socio-économique.
• C’est à cette alliance que se consacra la Ligue nationale au
début des années 1890 : alliée avec diverses forces
socialistes, sa tangente raciste, xénophobe et antisémite va
cependant en éloigner les ténors du socialisme.
• Au début du XXe siècle, la Ligue prend le nom de Parti
national-démocrate et sous la conduite de son principal
théoricien, Dmowski, promouvant un nationalisme ethnique et
un catholicisme intransigeant, étend son influence dans les
masses rurales.
• En 1901 à Poznań, puis en Autriche et en Russie en 1905, le
parti intégra les institutions politiques des trois empires, où
ses revendications nationales étaient tolérées.
• Au centre, le début du siècle voit la formation d’un parti
paysan qui se méfiait autant du cléricalisme militant des
nationaux-démocrates que de la gauche révolutionnaire.
• Progressiste, ce parti, qui participa aux institutions politiques
et s’implanta aussi dans les trois territoires, militait en faveur
de l’amélioration des conditions de vie de la majorité
paysanne, entre autres par le développement de l’instruction.
• À gauche, les partis socialistes comptaient de nombreux
membres des classes instruites, mais avaient en revanche un
appui limité auprès de la population.
• La gauche radicale polonaise se caractérisait par un grand
éclatement entre tendances, d’autant plus marqué ici par le
rapport des différentes formations à la question nationale.
• Le parti socialiste polonais accordait la priorité aux
revendications d’unification et d’indépendance, alors que les
internationalistes du parti de la Social-démocratie du
Royaume de Pologne réclamaient la révolution et
l’établissement de la dictature du prolétariat.
• Le tableau idéologique de l’époque serait incomplet sans
l’évocation des filiations idéologiques de la communauté
juive, partagée entre le sionisme naissant et le Bund,
organisation socialiste juive particulièrement puissante à
Wilno (40 % de Juifs) et dont de nombreux membres se
retrouveront plus tard au sein des bolchéviques.
3.4 — Culture
• L’élite intellectuelle de l’époque n’est pas préoccupée que de
querelles politiques et compte au cours de cette période
sombre un grand nombre d’artistes et de scientifiques,
parfois aussi très engagés au plan social.
• C’est grâce à cette partie de la classe intellectuelle qu’un
esprit national polonais moderne a pu se constituer en
assurant l’existence d’une communauté sur laquelle pourra
se reconstruire l’État polonais à partir de 1918.
• Même dans les zones sous domination russe, la société s’est
développée à un rythme semblable que ce que l’on observe
alors ailleurs en Europe, au moins dans les villes.
• La campagne est restée plus archaïque : l’alphabétisation est
en retard, les soins de santé y sont peu accessibles et
perdure un esprit clérical étriqué, en plus d’un antisémitisme
virulent dans la zone dominée par la Russie.
• L’explosion du nombre de publications en langue polonaise
est un bon indicateur du développement culturel de la fin du
XIXe siècle : de 1894 à la veille de la guerre le nombre de
titres passe de 200 à près de 1000.
• Le cinéma polonais fait son apparition en 1908, en même
temps que le football et les courses de vélo, qui passionnent
déjà les foules, alors que les classes aisées préfèrent
s’adonner au tourisme, à l’équitation ou l’escrime.
• Ce sont ces dernières qui permettent le déploiement des arts
appliqués, le mécénat et le bon goût, stimulés par la
croissance
économique,
devenant
un
marqueur
d’appartenance sociale
• C’est le cas à Kraków, alors que l’ancienne capitale royale
redevient le centre culturel du monde polonais. Si Malczewski
ou Falat ne sont pas nécessairement très connus à l’ouest,
ce n’est pas le cas, par exemple, de Kazimierz Malevitch.
• La musique (Szymanovski) et la littérature ne sont pas en
reste, comme en témoigne le prix Nobel de littérature
accordé en 1905 à Sienkiewic (Par le fer et par le feu), ou
d’autres auteurs moins connus comme Zeromski (Les gens
sans toit) et Reymont (Les paysans)
• Le milieu académique connait une forte expansion, alors que
les universités de Kraków et Lwów bénéficient des effets de
la contre-révolution en zone russe à partir de 1907.
• D’autres étudiants vont poursuivre leurs travaux et leurs
recherches ailleurs et si le destin de Maria Sklodowska est
exceptionnel, ce n’est pas le seul cas.
• On ne peut passer sous silence le rôle généralement discret,
quelques fois plus visible, de l’Église catholique polonaise au
cours de cette sombre période politique.
• Souvent, les prélats et la hiérarchie religieuse ont pu s’attirer
les foudres des nationalistes pour leur collaboration avec les
pouvoirs dominants.
• Mais, dans les campagnes en particulier, l’église a aussi
servit de trait d’union entre les communautés d’une nation
politiquement éparse et elle aura aussi son rôle à a jouer,
pour le meilleur comme pour le pire (nationalisme,
xénophobie et antisémitisme s’y trouvant parfois trop bien
représentés) dans la renaissance à venir.
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