Histoire de la Pologne, des origines à nos jours Quatrième cours : Les Polonais sans Pologne (1795-1914) Quatrième cours : 1 — Des partages au Congrès de Vienne 2 — Le temps des barricades (1815-1864) 3 — Prospérer sous les bottes (1848-1914) 1 — Des partages au Congrès de Vienne • L’histoire polonaise se complique à partir de 1795, car jusqu’en 1918-1919, la population polonaise se trouve répartie sur le territoire des trois empires. • Les conditions de vie, l’évolution économique, sociale et culturelle de ces « 3 Polognes » suivent donc des évolutions désormais différenciées. • De plus, les trois États qui se sont partagé la Pologne seront tout au long du XIXe siècle la proie de processus qui auront des impacts sur la situation des populations polonaises. • La lutte pour l’indépendance des Polonais devient dans le contexte de la grande confrontation entre autoritarisme politique et libéralisme, le symbole de la résistance du second au premier. • Ce n’est pas un hasard si le slogan de la lutte polonaise est alors « Pour notre liberté et la vôtre » : reprenant son rôle de « bastion oriental de la civilisation européenne », la nation polonaise s’érige en modèle de résistance des idéaux des Lumières face à la domination de modèles autoritaires. • L’identité nationale polonaise, loin d’être détruite par les assauts des puissances occupantes, sera consolidée par sa lutte pour sa survie et c’est une nation consciente d’ellemême qui surgira des décombres des empires vaincus. • Ce n’était pas évident en 1795, car dans sa grande majorité, la szlachta n’a pas semblé d’abord si mal réagir à la destruction de l’État, témoignage du fait que le système politique avant la catastrophe n’est pas parvenu à faire surgir, à partir des égoïsmes régionaux, une conscience nationale. • Cela s’explique aussi par l’intelligence des nouveaux maîtres, qui n’ont pas remis en question l’organisation socioéconomique des territoires polonais. • Car la szlachta dominait avant 1795 et elle continue de dominer après 1795. • C’est particulièrement vrai sur les territoires relevant de Saint-Péterbourg, car malgré leur rivalité, Polonais et Russes appartiennent à un même espace culturel. • Ainsi, nombreux sont les membres de l’élite polonaise qui croient que la Pologne pourra jouer en Russie le rôle de la Grèce dans l’Empire romain : celui d’un vecteur de civilisation d'une société primitive. • Le cas d’Adam Czartoryski, prince polonais qui deviendra le maître de la politique étrangère russe, est emblématique de cette collaboration d’une part de l’élite polonaise. • Il sera en 1803 nommé par l’empereur Alexandre 1er curateur des territoires du nord-est de l’ancienne république (les territoires lituaniens) et il maintiendra en place le monopole de la langue polonaise dans les écoles et à l’université de Wilno. • Sur les terres prussiennes, le nouveau pouvoir favorisa à partir de 1795 une politique de germanisation modérée qui heurta l’élite, mais pas au point de susciter un mouvement populaire. • Une Société des Amis des Sciences, tolérée par Berlin, servit de centre de consolidation de la culture polonaise et permit à la langue polonaise de continuer à être celle des arts et de la culture sur cette portion du territoire. • En Autriche, où le polonais continuera d’être enseigné à l’école, un groupe de nobles constituera le fer de lance de la résistance et se constituera en organisation secrète, qui sera cependant démantelée. • Cet esprit de résistance trouvera une illustration avec les légions polonaises, car après les premières batailles de la France contre l’Autriche furent capturés, parmi quelque 30 000 soldats, environ 8 000 Polonais, qui seront intégrés aux forces armées de la France républicaine. • Même si ces soldats ne participeront pas aux campagnes militaires avant 1800, c’est un membre de ce groupe qui composera en 1797 le poème « La Pologne n’est pas morte tant que nous vivons », encore aujourd’hui hymne national du pays. À partir de 1806, Napoléon utilisera ses soldats polonais pour faciliter la renaissance temporaire du pays. 1.2 — Le protectorat napoléonien (1807-1813) • En 1806, les forces de l’empire français entrent dans Berlin, contraignant la Prusse à la paix. Alors que l’aristocratie demeure fidèle aux Hohenzollern, 3 000 soldats polonais de l’armée prussienne se joignent aux forces françaises. • Mais si Bonaparte compte utiliser les Polonais, il ne désire pas favoriser une révolution sociale sur ces territoires, préférant s’entendre avec l’aristocratie. • En janvier 1807, il constitua à Varsovie une Commission dirigée par sept aristocrates libéraux, qui fit office de gouvernement sur les terres polonaises « prussiennes » • Le modèle français fut établi sur ces territoires pour faciliter les opérations militaires : un corps d’armée fut constitué avec des officiers et des soldats polonais, de l’armement prussien, mais soumis aux règlements de l’Armée française. • Ces forces contribueront aux batailles d’Eylau et de Friedland, aux termes desquelles Prusse et Russie furent défaites. • Après la Paix de Tilsitt avec la Russie, Bonaparte ressuscita une Pologne « autonome » sur les terres relevant jusqu’alors de la Prusse. • Ce « Duché de Varsovie » s’étendait sur 104 000 kilomètres carrés, abritant une population de 2,6 millions de personnes. • Une constitution libérale fut alors proclamée, mais les institutions locales demeuraient subordonnées au résident français, nommé par Napoléon et véritable chef du territoire. • Malgré ces limitations, la Constitution introduisait une part de l’héritage révolutionnaire, comme la liberté de culte, l’égalité de tous les citoyens et l’abolition du servage. • Cette disposition suscitera l’opposition des élites, qui feront préciser que la propriété terrienne demeurait le monopole de la noblesse. Le Duché de Warszawa • De sorte que, affranchi à titre personnel, le paysan polonais demeurait en fonction économiquement de la noblesse. • En 1808, le Code Napoléon devint le socle judiciaire du Duché et favorisa le développement et la consolidation de la bourgeoisie, permettant aux membres du « tiers État » polonais d’accéder aux postes de direction dans l’administration et dans l’armée. • La domination nobiliaire fut ainsi affaiblie, même si la courte durée de l’expérience du Duché limitera l’efficacité de cette petite révolution sociale. • L’armée napoléonienne jouera pour le paysan polonais le même rôle que pour son homologue français, celui d’une école du « monde moderne », où le mérite prend le pas sur les privilèges de la naissance. • Comme les dispenses du service militaire obligatoire ne seront pas à la portée de la paysannerie, celle-ci intégrera massivement cette armée vectrice de changement. • Après sa victoire contre les Autrichiens en 1809, Napoléon élargit le Duché aux frais des terres relevant de Vienne, englobant Kraków et de Lublin et faisant passer la population à 3,3 millions. • Après l’invasion de la Russie en 1812, Napoléon, pour s’assurer de la fidélité des Polonais, transforma le Duché de Varsovie en Royaume de Pologne, englobant les terres qui seraient reprises des mains de la Russie. • Mais la Campagne de Russie tournera à la catastrophe pour la Grande armée, au sein de laquelle combattaient près de 100 000 Polonais, dont la majorité périt au cours de la désastreuse retraite de Russie. • Sur le chemin de Paris, les forces russes reprirent les territoires temporairement perdus, puis se portèrent sur celle du royaume de Pologne, occupant Varsovie et mettant en place un gouvernement local où ne siégeaient que deux Polonais. • Le bilan de la période napoléonienne en Pologne est donc contrasté, car si l’échec final entraîna des coûts humains importants, en plus des sacrifices demandés par l’effort de guerre exigé par Napoléon. • Mais malgré la brièveté de l’expérience, elle a permis l’introduction de changements sociaux qui vont continuer à agir longtemps après la défaite de Bonaparte. 2 — Le temps des barricades (1815-1864) 2.1 — Le Royaume du Congrès • Interrompus en 1814 par les « 100 jours », les travaux du Congrès de Vienne reprirent au cours de l’été 1815. • La carte de la Pologne, partagée pour une quatrième fois, se trouva compliquée par le résultat des négociations. • Certaines villes dominées par la Prusse avant 1807 (Poznań, Gdańsk, Toruń) retournèrent à cette dernière, alors que Varsovie devint la capitale d’un Royaume du Congrès établi sur le reste des terres du Duché de Varsovie et placé sous la protection de l’Empire de Russie. • L’Autriche récupérait une partie de ses possessions, mais abandonnait Kraków, qui devenait une ville libre placée sous la protection des trois Aigles. • La Pologne d’avant 1795 connait alors cinq statuts différents : terres de Prusse, d’Autriche et de Russie, plus le Royaume du Congrès et la ville libre de Kraków... • Compte tenu de son statut d’autonomie relative, c’est le royaume du Congrès qui représentera, jusqu’à sa fusion avec les terres polonaises de Russie en 1874, la personnalité juridique de l’État polonais, • Les autres populations polonaises seront soumises aux États dominants, même si parfois certaines joueront un rôle dans les troubles au sein du Royaume et des empires • Dans les premières années après le Congrès, la situation du Royaume de Pologne était, dans les circonstances, assez bonne. Le royaume de Pologne • Certes, le pays était dominé politiquement par un roi étranger, mais celui-ci était un homme ouvert et alla jusqu’à donner au Royaume de Pologne une constitution, alors que rien de tel n’existait en Russie même. • Promulguée en novembre 1815, la Constitution reprenait de nombreux éléments de la structure politique et légale du Duché de Varsovie : un lieutenant général représentait le roi, alors que Diète et Sénat continuaient d’exister. • Avec l’abaissement du cens électoral, plus de 100 000 personnes pouvaient participer aux élections, sur une population de 4,5 millions d’habitants. • Cela semble peu, mais la France de Louis XVIII ne permettait la participation que de 90 000 personnes pour une population de 30 millions d’habitants. • La bourgeoisie gagnait significativement en représentativité dans les instances politiques, même si 80 % des députés demeuraient nobles. • La Diète et le Sénat disposaient d’une réelle autonomie en matière législative, une armée « autonome » de 30 000 hommes était maintenue et la liberté de presse était garantie, autre droit exclusif au Royaume dans l’empire russe. • Mais cette autonomie relative, qui distingue à ce moment positivement la situation des Polonais du Royaume de celles de leurs compatriotes ailleurs (à l’exception des habitants de Kraków) sera menacée par divers phénomènes intérieurs et extérieurs. • Car l’armée polonaise est commandée par le frère de l’empereur, le grand-duc Constantin dont le rôle lui permet d’interférer dans toutes les questions sécuritaires. • Surtout, ses exigences en matière de financement vont provoquer une crise budgétaire, qui incitera l’empereur à nommer ministre des Finances un homme à poigne qui remettra en question l’autonomie financière de Warszawa. • Même si les réformes de Drucki-Lubecki vont favoriser le développement économique, elles introduisent une limitation de la souveraineté qui suscite la colère, d’autant que pour financer les réformes, les impôts sont augmentés. • La situation internationale pèsera aussi sur l’évolution de la situation : les membres de la Sainte-Alliance, qui se sont donné pour objectif de lutter contre les tendances révolutionnaires, se lancent au début des années 1820 dans une surenchère conservatrice, qui rend difficile le maintien d’un système libéral au cœur de l’autoritarisme européen. • La mort en 1825 de l’empereur Alexandre 1er et son remplacement par Nicolas 1er ne fera rien pour améliorer la situation, d’autant que l’arrivée sur le trône de Russie de ce dernier donne lieu à une tentative de coup d’État menée par les libéraux. Déjà conservateur, Nicolas devient dès lors franchement réactionnaire. 2.2 — La révolte de 1831 • Les événements de 1830 et 1831 proviennent d’un hiatus croissant entre d’une part l’évolution des institutions du Royaume et du contexte international et d’autre part, l’évolution de la société polonaise. • Ce hiatus provoque au sein de la Diète la montée d’un mécontentement à l’endroit de la tutelle de Saint-Péterbourg. • On assiste tout au long de la décennie à une contestation parlementaire contre la montée de l’arbitraire et pour la défense des institutions et des principes libéraux très mal vus chez les voisins et maîtres. • Surtout, malgré le développement économique, la question paysanne n’est toujours pas résolue, car la liberté paysanne n’avait toujours que peu de réalité, les terres demeurant essentiellement entre les mains des grands propriétaires. • De plus, en 1818, les châtiments corporels contre les paysans furent rétablis, de même que les limitations à leurs déplacements. • La situation des autres paysans polonais était parfois supérieure (en Autriche, où le servage était réduit et en Prusse où il sera aboli en 1810), parfois inférieure (sur les territoires de l’Empire russe, ils furent soumis au servage comme tous les autres paysans jusqu’en 1863). • Les masses paysannes n’ont jamais été en mesure de susciter des changements politiques sans l’appui des classes instruites et leur colère se limite à des explosions violentes, locales, sans conséquences et réprimées. • Mais le maintien d’institutions d’enseignement, véritables forteresses de la culture et de l’identité polonaise, va favoriser l’apparition d’une sous-classe au sein de la szlachta, laquelle sera épaulée dans sa contestation de l’ordre par la bourgeoisie. • Comme la richesse demeure concentrée, la noblesse pauvre et moyenne trouve dans l’instruction un dérivatif et un remède à sa marginalisation économique. • L’apparition de cette intelligentsia, formée dans l’esprit libéral et gardienne de l’identité nationale, dans un contexte de crise économique et politique, va entrainer un sursaut. L’étincelle sera fournie par la situation internationale. • En 1830, la révolution de juillet en France, puis celle de Belgique, susciteront des désirs d’émulation chez les élites instruites. De jeunes officiers disposants de contacts chez les députés libéraux formèrent alors le projet de se débarrasser de la tutelle russe. • Le 30 novembre 1830, les conjurés s’emparent de l’arsenal de Varsovie, mais la tentative d’assassinat prévue contre le grand-duc Constantin échoue et ce dernier parvient à s’enfuir. Les « vainqueurs » apparaissent désemparés, car aucun plan n’avait été prévu pour assurer la relève politique. • Un groupe de députés conservateurs favorisait le maintien d’un dialogue avec la Russie, alors que les députés libéraux penchaient vers une solution plus radicale sur le plan politique, sans remettre en question l’ordre économique. • Aucune de ces deux alternatives ne présentait d’intérêt pour les paysans, qui espéraient des réformes économiques. Si le rejet du statu quo était partagé par toute la société, les solutions la divisaient en fonction de la richesse et du statut. • Le 5 décembre, un ancien général de l’armée napoléonienne, s’appuyant sur l’armée, se proclama dictateur, avec pour mandat de négocier avec la Russie un statut de large autonomie, tout en maintenant l’ordre sur le territoire et le 20 décembre, la Diète accepta sa domination. • Mais Nicolas 1er n’entendait pas accepter ce coup de force et ordonna le retour des forces de Constantin et le rétablissement du statu quo ante, poussant les chefs politiques de Pologne à parler d’indépendance. • En janvier 1831, le dictateur fut renversé, la Diète vota la destitution de Nicolas 1er et déclara l’indépendance. Un gouvernement dominé par les magnats fut formé. • En réaction, Saint-Pétersbourg dépêcha une armée de 135 000 hommes qui éprouva quelques difficultés. • Pour que les forces polonaises triomphent, il eut fallu une aide extérieure, mais la chose était peu probable, malgré la sympathie des libéraux de toute l’Europe pour le mouvement national polonais. • Surtout, il eut fallu un programme politique et économique remettant en question les structures socio-économiques archaïques de la Pologne. • La Diète comptait un certain nombre de députés libéraux prêts à remettre en question ces structures, mais ils restèrent minoritaires et les mesures nécessaires (réelle libération des paysans et réforme agraire) à un ralliement de la paysannerie ne purent être prises. • De sorte que la paysannerie ne voyait pas de raisons de se soulever pour appuyer ceux qui refusaient de remettre en question l’ordre économique et resta à l’écart. • Dans les villes, l’insatisfaction des classes pauvres était grande : ici, la revendication principale concernait la représentation politique, car la domination des magnats n’était pas qu’économique. • Devant le refus d’élargir la participation politique, les villes s’insurgèrent à partir de l’été 1831 contre le pouvoir politique central. • En l’absence de ralliement national, le mouvement était condamné, le pays, isolé, ne pouvant opposer à la puissance russe qu’une société fragmentée • Le 8 septembre 1831, après avoir au cours des semaines précédentes repris le contrôle des territoires environnant, Warszawa fut investie par les troupes russes. • Certains chefs militaires, avec plus de 35 000 hommes, parvinrent à franchir les frontières des puissances voisines, mais Vienne comme Berlin, malgré leurs différends avec la Russie, n’entendaient pas permettre la remise en question du statu quo et ces forces furent désarmées. • Une partie importante des officiers quittèrent alors la zone pour se réfugier en Europe occidentale, en France surtout. 2.3 — D’une crise à une autre (1832-1848)... • Les représentants de l’ordre et tuteurs des Polonais furent très effrayés par le mouvement et la répression fut féroce. • La Diète de Warszawa, les forces armées et les dispositions de la constitution de 1815 furent liquidées. Soldats et officiers furent expédiés dans le Caucase et les meneurs exécutés ou déportés en Sibérie. • Sans être fusionné avec le reste de l’Empire, le Royaume du Congrès fut alors administré directement par un gouverneur militaire résidant dans la capitale polonaise. • La reprise en main ne se limita bien sûr pas à la question politique et les universités de Warszawa et de Wilno furent fermées, la Société des amis de la Science interdite. • Dans la région de Wilno, le système d’éducation fut totalement russifié. • En 1839, l’Église uniate fut interdite et ses deux millions de fidèles forcés à rejoindre l’Église orthodoxe russe. • En Prusse, en Poznanie, les monastères catholiques furent fermés et l’usage de la langue polonaise réduit. • En Autriche, où l’enseignement à partir du secondaire était déjà allemand, les changements ne furent pas notables, mais l’autonomie de Kraków fut liquidée, avant que la ville soit finalement absorbée par l’empire autrichien en 1846. • La pression politique accentua le mouvement migratoire et le pays se vida de ses artistes et penseurs libéraux, alors que la vie intellectuelle de la Pologne se déplaça vers l’Europe. • Même si leur nombre ne fut jamais très élevé, les émigrés polonais vont assurer la survie d’une conscience nationale et culturelle de la Pologne, d’autant que pour la plupart, il s’agit de membres de la petite et moyenne noblesse, instruits et cultivés. • Alors que la production artistique des populations des terres polonaises végète, l’immigration donnera à la culture polonaise quelques grands noms, dont Chopin et Mickiewicz. • Entre 1830 et 1850, la question nationale se voit doubler partout en Europe par la question sociale : les idéaux socialistes commencent à pénétrer les élites européennes et une part d’entre elles partagent la vision marxiste selon laquelle la lutte nationale doit céder la place aux luttes économiques et sociales. • À noter que, pas plus les émigrants que les Polonais restés au pays, ne parviennent à faire taire leurs différends et à constituer un front uni. • Pour les élites des terres occupées, la période 1832-1848 est marquée du sceau du réalisme : incapables de secouer le joug étranger, elles tendent à compenser leur désarroi politique par un grand activisme économique. • Dans les terres russes, l’agriculture continuait de dominer, alors qu’en terres prussiennes et autrichiennes, l’esprit entrepreneurial insufflé par les réformes de ces deux empires permit un développement industriel modéré. • Quant aux terres du royaume, l’étroite tutelle russe ne s’opposa pas à l’émergence d’une petite bourgeoisie industrielle qui s’impliquait dans l’industrie charbonnière et les transports. • Le feu couvait cependant et au cours des années 1840, l’agitation sociale reprit, stimulée par la conjonction, chez les élites intellectuelles, de la question nationale et de la question sociale. • Croyant tirer les leçons des échecs des insurrections précédentes, des programmes politiques plus radicaux firent leur apparition, surtout dans les territoires germaniques, où l’initiative privée était mieux tolérée. • La dichotomie entre aspirations des élites et des masses demeuraient, comme le démonteront les crises des 1846. • À Kraków, des membres de l’élite tentèrent de prendre le contrôle de la ville, fournissant à l’Autriche un prétexte pour mettre fin à son autonomie. • En Galicie, une violente insurrection vit les paysans se jeter sur les grandes propriétés, les brûler et lyncher leurs occupants. Villes et campagnes continuaient d’évoluer en vases clos. • La fureur paysanne obligea les puissances tutélaires à améliorer la condition paysanne : ainsi la Russie, dès 1847, tentera de limiter l’arbitraire des propriétaires. • C’est donc en ordre dispersé que la société polonaise affrontera les tempêtes de 1848. Le souffle, parti de Paris, balaiera l’Europe orientale en mars : Vienne, Berlin, Prague se hérissent alors de barricades, mais la plupart des villes polonaises demeurent plutôt calmes. • Le paradoxe de la participation polonaise au « Printemps des Peuples » est qu’elle concerne plus la diaspora polonaise que les territoires polonais et dans toutes les grandes villes, les Polonais montèrent aux côtés des populations locales à l’assaut des pouvoirs politiques. • Ce paradoxe tient à l’éclatement géographique de la nation polonaise, de même qu’au développement de la question sociale, qui réduit l’importance de la question nationale. • Malgré ces réserves, il y eut en Poznanie et en Galicie deux mouvements assez puissants qui contraignirent les puissances tutélaires à la négociation. • En Poznanie, l’insurrection fut découpée par tranche, alors que les concessions furent tactiques, le temps de permettre la réduction des foyers d’opposition. • À l’issu de l’écrasement de l’insurrection, des concessions économiques à la paysannerie permirent de le détacher de ses meneurs bourgeois et nationalistes. • En Galicie, l’empereur eut l’intelligence, de ne pas attendre l’incendie et dès avril 1848, le servage fut aboli sur l’ensemble des territoires de l’Empire autrichien. • La satisfaction des revendications paysannes permit de détacher ici aussi la paysannerie polonaise de la bourgeoisie, ce qui facilitera la reprise en main : le 26 avril, l’insurrection de Kraków fut étouffée et il en fut de même un peu plus tard dans l’année à Lwow. • Quant aux territoires sous domination russe, ils demeurèrent quiets au cours de ces années, sans doute grâce à la combinaison de la carotte (les concessions de 1847) et de la lourde chape de plomb du système de Nicolas 1er. • De sorte que le bilan de la participation polonaise aux crises de 1848 est contrasté. Car, si la question nationale n’a guère bénéficié des événements, la situation socio-économique de la paysannerie s’est en général améliorée. 2.4 — ... puis à une autre (1863-1864). • Poznanie et Galicie entrent dès 1848, grâce aux concessions économiques de Berlin et Vienne, dans une phase d’apaisement, pendant que les territoires russes entrent à leur tour en ébullition. • L’élément déclencheur de cette crise se trouve encore une fois, dans la configuration internationale : la Guerre de Crimée (1853-1856), qui servira d’électrochoc à Alexandre II et l’incitera à moderniser son pays. • Dès 1857, de nombreux déportés polonais sont autorisés à rentrer sur les terres du royaume. Alors que la censure faiblit, Alexandre II annonce son intention d’abolir le servage. • Au début des années 1860, le statut des paysans polonais de l’empire variait selon qu’ils habitaient le Royaume ou les terres impériales. • Mais si la situation des premiers était supérieure, économiquement, la grande majorité des paysans de l’empire n’avait toujours pas accès à la terre. • La capacité de l’empire russe à obtenir la fidélité des élites des nations soumises explique le hiatus entre industriels et grands propriétaires terriens et le reste de la société polonaise, les premiers étant peu désireux de poursuivre la « chimère nationale ». • Quant à la petite et moyenne noblesse et la bourgeoisie, elles participent aux courants observés dans l’empire à l’époque : l’accès à l’éducation et la sclérose des institutions, provoquent le développement du radicalisme de la jeunesse de ces classes sociales. • Dès l’annonce de l’abolition du servage, les provinces orientales de l’ancienne Pologne s’agitent, car ici la question économique se double d’un problème national: les paysans sont majoritairement ukrainiens et les propriétaires polonais. • La crise provoque la naissance d’un clivage entre « blancs », nobles et partisans d’un compromis pour sauver leur pouvoir économique et les « rouges », radicaux, réclamant l’indépendance et la révolution sociale. • Les premiers s’imposent en 1862 : le royaume obtient un gouvernement civil et une réforme du système d’éducation incluant la multiplication d’écoles primaires et secondaires en langue polonaise, de même que la restauration de l’autonomie de l’université de Warszawa. • Cette stratégie des petits pas ne convenait pas aux « rouges », préférant la voie insurrectionnelle, comme leurs confrères des organisations révolutionnaires et terroristes du reste de l’empire. • Mais, peu nombreux, les rouges manquaient de capacités organisationnelles et leur programme demeurait trop vague aux yeux de la majorité. • Devant la montée des tensions, le gouvernement polonais ordonne l’incorporation dans les forces armées de 10 000 jeunes hommes suspects de fomenter les troubles. Un « Comité central » des chefs des différents mouvements rouges en appela à l’insurrection générale. • Malgré le ralliement de 6 000 ouvriers et d’une partie des chefs « blancs », l’appel ne fut pas entendu, les paysans préférant rester fidèles à l’empereur et la majorité des insurrections rurales se tournèrent contre les grands propriétaires. • Incapable de résister aux forces armées, la rébellion constitua un gouvernement clandestin, qui ne fut pas en mesure de donner une direction cohérente au mouvement. • Les forces étaient trop inégales, les différents regroupements ne parvenaient jamais à réunir plus de 20 000 hommes à la fois, alors que les forces impériales comptaient sur 350 000 soldats. • Il aurait fallu que les insurgés élargissent leur appui sur le territoire de l’empire et auprès de puissances étrangères. • Le gouvernement russe s’employa à empêcher la formation d’un front d’opposition intérieure, accélérant les réformes agraires, ce qui favorisait le maintien de l’appui à l’empereur, d’autant que le radicalisme des « rouges » effrayait. • Sur la scène internationale, la rébellion suscitait des sympathies, mais pas au point de provoquer une participation directe aux côtés des Polonais. On en resta aux protestations et aux propositions de médiations, toutes rejetés par SaintPéterbourg. • Malgré l’arrivée en renforts d’ouvriers « internationalistes », la balance penchait du côté du gouvernement et la répression décapita peu à peu le mouvement, avec une accélération notable à compter du printemps 1864. • Pendaison pour les chefs et déportations pour beaucoup d’autres éclaircirent les rangs des rebelles et « l’ordre » fut rétabli au cours de l’année 1864. • La question agraire partiellement résolue, la question nationale demeurée en suspens, les élites nationalistes des territoires russes entrèrent en sommeil : devant l’impossibilité de secouer par la force la domination étrangère, il valait mieux œuvrer à développer les terres polonaises, en attendant que la situation internationale puisse favoriser leur émancipation. • Ce dernier baroud d’honneur du nationalisme polonais au XIXe siècle et la répression violente qu’il provoqua est depuis ce temps un élément fondamental de la conscience nationale polonaise. 3 — Prospérer sous les bottes (1848-1914) 3.1 — Évolution politique • La Pologne paya cette insurrection : ce qui restait de l’autonomie fut graduellement supprimé et en 1874, le Royaume de Pologne cessa d’exister, absorbé dans l’empire sous le nom de « Territoires de la Vistule », dirigés par un gouverneur général. • Les politiques de russification se déployèrent, justice et système d’enseignement furent russifiés. L’orthodoxie devenue religion d’État, le catholicisme polonais fut détaché de Rome en 1867 par la création d’un Collège aux Affaires catholiques à Saint-Péterbourg, situation acceptée par le Vatican par le biais d’un concordat signé en 1882. • Si la société rentra sous terre, la résistance ne disparut pas, changeant de forme, journaux clandestins et organisations politiques illicites se multiplièrent, même si leur influence demeurait marginale. • Avec l’arrivée de Nicolas II, les choses vont s’améliorer, l’Église catholique sera mieux tolérée et le polonais refera surface dans les institutions d’enseignements, assurant la satisfaction des classes dominantes et leur ralliement. • En Poznanie, la situation politique connut une inflexion significative avec la création du 2e Reich et les Polonais devinrent encore plus minoritaires, le Kulturkampf contre l’Église accentuant l’aliénation polonaise. • Malgré ces politiques discriminatoires, le milieu paysan résiste assez bien, grâce à la puissance de l’Église, mais la situation en ville est plus difficile et la polonité y est en nette régression. • Après une brève pause, les politiques de germanisation reprirent et la représentation populaire demeurait limitée à quelques membres de la noblesse. • Dans l’empire d’Autriche, la situation est bien meilleure, grâce à la révolution de 1867 et à la transformation de l’Empire, au sein duquel les minorités disposent désormais de plusieurs droits fondamentaux. • La germanisation est stoppée : en 1869, système d’éducation et système judicaire sont polonisés et l’université de Kraków, puis celle de Lwów redevinrent polonaise. • De même, un ministère de la Galicie, dirigé par un Polonais, est chargé au sein du gouvernement impérial de diriger la région. • Mais la représentation politique demeure limitée, car si 15 des 72 sièges du « Parlement » étaient réservés à des Polonais, leurs pouvoirs étaient circonscrits et pour l’essentiel consultatifs. • Cette situation avantageuse favorisa une immigration des autres zones vers la Galicie, phénomène temporairement ralenti par les événements de 1905 en Russie. • Après sa défaite contre les Japonais et les manifestations qui suivent, Nicolas II concède certaines institutions représentatives, où les Polonais de l’empire pourront jouer un certain rôle politique. • Mais l’égalité confessionnelle et la suppression de la censure sont temporaires et en 1907, la Douma est dissoute, les règles d’élections sont durcies au point où la représentation polonaise chuta drastiquement. • La crise russe se fit sentir aussi sur les deux autres territoires, alors que grèves et manifestations estudiantines en Poznanie permirent la formation d’un Conseil national polonais et qu’en Galicie une réforme du système électoral élargit la représentation polonaise, tout en accroissant les libertés civiles. 3.2 — Économie et démographie • S’il est un domaine dans lequel le pragmatisme destiné à préparer les Polonais à la levée de la tutelle est évident, c’est bien le développement économique, noblesse et bourgeoisie compensant leur impotence politique par une surenchère dans ce domaine. • Au plan industriel, les vieux centres de productions de Mazovie deviennent l’un des principaux moteurs de l’économie dans l’Empire russe. • En plus des « vieilles » industries (textile et charbon) se développent de nouveaux secteurs : fonte, acier et extraction pétrolière en Galicie, qui fournit à l’empire russe une part considérable de son or noir. • Autre nouveauté, la production électrique, alors que les besoins se multiplient (tramway et éclairage urbain) et suscitent la construction de centrales électriques. • La vapeur demeure la principale source d’énergie, mais le développement de l’électricité entraine celui de la mécanisation. • Ces changements techniques ont des impacts sur la structure de l’économie et entrainent la concentration des capitaux entre les mains de l’aristocratie progressiste ou de la haute bourgeoisie. La communauté juive joue aussi un rôle important dans le secteur bancaire. • Les capitaux étrangers sont aussi importants, surtout dans les terres de l’empire russe qui manque de liquidité, alors que dans les deux autres zones existent des sources indigènes de capitaux. • La révolution industrielle exige aussi des ressources humaines et l’industrialisation a un impact important sur la structure sociale de la Pologne qui, tout en demeurant majoritairement rurale, s’urbanise à un rythme jamais vu auparavant. • Au tournant du XXe siècle, Warswaza comptait environ 500 000 habitants, plus du double de ce qu’elle comptait trois décennies auparavant. • Les villes de Breslau (Wrocław - 250 000 habitants), Łódź (125 000), Lwów (120 000) et Wilno (100 000) rassemblent aussi des populations considérables. 20 à 25 % de la population vit alors dans les villes. • Les villes voient alors affluer des régions rurales une population paysanne pauvre peu qualifiée pour occuper des emplois industriels et émerge une classe ouvrière, dont le nombre surpasse celui des classes urbaines traditionnelles et dont le niveau de vie est exécrable. • Mais la majorité de la population habite en campagne ou dans de petits bourgs ruraux, centre de commerces régionaux. • Si la situation paysanne est en général difficile, il importe de nuancer en fonction des zones. • Sur les terres relevant de la Russie, la paysannerie mettra beaucoup de temps à percevoir une amélioration de ses conditions de vie • La domination économique des propriétaires remplaçant la domination politique, la grande majorité de la paysannerie devenue « libre » était contrainte, faute de terres, de s’engager à titre de travailleur agricole. • Sur les terres autrichiennes et allemandes, le processus de consolidation est plus avancé. Ici, le monopole terrien de la noblesse est battu en brèche par l’émergence d’une classe de paysans riches. • La propriété terrienne se concentre et avec l’amélioration des techniques agricoles, qui réduit la demande en main-d’œuvre en augmentant la productivité, l’exode rural s’intensifie. • Nombreux sont aussi ceux qui partent plus loin, de l’autre côté de l’Atlantique, pour former la base d’une puissante diaspora aux États-Unis et au Canada. • Dès 1910, Chicago devient, avec ses 400 000 Polonais, la « deuxième ville de Pologne », alors que près de 3 millions de Polonais se répartissent sur le territoire des États-Unis. • Les changements concernent la petite noblesse dont le niveau de vie se détériore, obligeant ses enfants à trouver une vocation ailleurs, souvent dans le système d’éducation, accentuant le radicalisme déjà observé. • En 1910, les territoires ayant jadis relevé de l’autorité de la Rzeczpospolita sont peuplés de 23 millions d’habitants, polonais à environ 75 % : 10 millions dans l’empire russe, 4 millions en Allemagne et 4 autres millions en Autriche. • À noter qu’il y existe aussi environ 1 million de Polonais sur les autres terres de l’empire russe. • La population juive se concentre dans les centres urbains, formant plus de 30 % de la population urbaine et près de 10 % de l’ensemble de la population des terres jadis polonaises. 3.3 — Société et idées • La situation des terres polonaises au tournant du XXe siècle est paradoxale, alors que la sclérose politique que la situation induit est combattue par un grand dynamisme économique. • La conjonction de ces deux phénomènes entraîne une grande ébullition intellectuelle et culturelle. • Le développement de l’instruction favorise le développement et la diffusion des nouvelles idées. En Autriche, la fréquentation des universités augmente, permettant l’essor d’une nouvelle intelligentsia, composée d’environ 150 000 personnes. • Ailleurs, la situation est moins rose, surtout en Russie où, après l’assassinat d’Alexandre II, de grandes limitations seront apportées à l’accessibilité à l’éducation, Alexandre III se méfiant de la petite noblesse paupérisée, où les Polonais sont fortement représentés. • Les difficultés des populations ouvrières suscitent dès les années 1880 l’émergence dans les territoires occidentaux de mouvements syndicaux assez importants pour provoquer, par les grèves et les manifestations, des concessions de la part des pouvoirs politiques et économiques. • Réduction de la journée de travail, encadrement du travail des femmes et des enfants, hausses de salaire, etc. : l’Allemagne de la fin du XIXe siècle est très en pointe en matière de politiques sociales et les territoires polonais bénéficient de ces avancées. • Si la population polonaise et ouvrière d’Autriche connait un peu plus tard ces avancées, dans les territoires russes, la situation demeure inchangée jusqu’en 1905, entre autres parce que toute forme de syndicalisme y est interdite. • On ne s’étonnera donc pas de trouver ici un très fort radicalisme au sein de la classe ouvrière. • La période voit la poursuite de la lutte entre le nationalisme et l’internationalisme, les intérêts nationaux et les intérêts de classes. • La Pologne n’est pas la seule à sombrer dans l’exclusivisme, le racisme et la xénophobie, mais l’absence d’État et la subordination des Polonais à des puissances étrangères constituent un terreau fertile. • Les relations entre nationalisme et socialisme ne sont pas univoques, particulièrement en Pologne, car la domination politique a des répercussions économiques. • Certains membres de l’élite nationale tireront les conclusions des échecs précédents, causés par l’opposition de la question nationale et de la question socio-économique. • C’est à cette alliance que se consacra la Ligue nationale au début des années 1890 : alliée avec diverses forces socialistes, sa tangente raciste, xénophobe et antisémite va cependant en éloigner les ténors du socialisme. • Au début du XXe siècle, la Ligue prend le nom de Parti national-démocrate et sous la conduite de son principal théoricien, Dmowski, promouvant un nationalisme ethnique et un catholicisme intransigeant, étend son influence dans les masses rurales. • En 1901 à Poznań, puis en Autriche et en Russie en 1905, le parti intégra les institutions politiques des trois empires, où ses revendications nationales étaient tolérées. • Au centre, le début du siècle voit la formation d’un parti paysan qui se méfiait autant du cléricalisme militant des nationaux-démocrates que de la gauche révolutionnaire. • Progressiste, ce parti, qui participa aux institutions politiques et s’implanta aussi dans les trois territoires, militait en faveur de l’amélioration des conditions de vie de la majorité paysanne, entre autres par le développement de l’instruction. • À gauche, les partis socialistes comptaient de nombreux membres des classes instruites, mais avaient en revanche un appui limité auprès de la population. • La gauche radicale polonaise se caractérisait par un grand éclatement entre tendances, d’autant plus marqué ici par le rapport des différentes formations à la question nationale. • Le parti socialiste polonais accordait la priorité aux revendications d’unification et d’indépendance, alors que les internationalistes du parti de la Social-démocratie du Royaume de Pologne réclamaient la révolution et l’établissement de la dictature du prolétariat. • Le tableau idéologique de l’époque serait incomplet sans l’évocation des filiations idéologiques de la communauté juive, partagée entre le sionisme naissant et le Bund, organisation socialiste juive particulièrement puissante à Wilno (40 % de Juifs) et dont de nombreux membres se retrouveront plus tard au sein des bolchéviques. 3.4 — Culture • L’élite intellectuelle de l’époque n’est pas préoccupée que de querelles politiques et compte au cours de cette période sombre un grand nombre d’artistes et de scientifiques, parfois aussi très engagés au plan social. • C’est grâce à cette partie de la classe intellectuelle qu’un esprit national polonais moderne a pu se constituer en assurant l’existence d’une communauté sur laquelle pourra se reconstruire l’État polonais à partir de 1918. • Même dans les zones sous domination russe, la société s’est développée à un rythme semblable que ce que l’on observe alors ailleurs en Europe, au moins dans les villes. • La campagne est restée plus archaïque : l’alphabétisation est en retard, les soins de santé y sont peu accessibles et perdure un esprit clérical étriqué, en plus d’un antisémitisme virulent dans la zone dominée par la Russie. • L’explosion du nombre de publications en langue polonaise est un bon indicateur du développement culturel de la fin du XIXe siècle : de 1894 à la veille de la guerre le nombre de titres passe de 200 à près de 1000. • Le cinéma polonais fait son apparition en 1908, en même temps que le football et les courses de vélo, qui passionnent déjà les foules, alors que les classes aisées préfèrent s’adonner au tourisme, à l’équitation ou l’escrime. • Ce sont ces dernières qui permettent le déploiement des arts appliqués, le mécénat et le bon goût, stimulés par la croissance économique, devenant un marqueur d’appartenance sociale • C’est le cas à Kraków, alors que l’ancienne capitale royale redevient le centre culturel du monde polonais. Si Malczewski ou Falat ne sont pas nécessairement très connus à l’ouest, ce n’est pas le cas, par exemple, de Kazimierz Malevitch. • La musique (Szymanovski) et la littérature ne sont pas en reste, comme en témoigne le prix Nobel de littérature accordé en 1905 à Sienkiewic (Par le fer et par le feu), ou d’autres auteurs moins connus comme Zeromski (Les gens sans toit) et Reymont (Les paysans) • Le milieu académique connait une forte expansion, alors que les universités de Kraków et Lwów bénéficient des effets de la contre-révolution en zone russe à partir de 1907. • D’autres étudiants vont poursuivre leurs travaux et leurs recherches ailleurs et si le destin de Maria Sklodowska est exceptionnel, ce n’est pas le seul cas. • On ne peut passer sous silence le rôle généralement discret, quelques fois plus visible, de l’Église catholique polonaise au cours de cette sombre période politique. • Souvent, les prélats et la hiérarchie religieuse ont pu s’attirer les foudres des nationalistes pour leur collaboration avec les pouvoirs dominants. • Mais, dans les campagnes en particulier, l’église a aussi servit de trait d’union entre les communautés d’une nation politiquement éparse et elle aura aussi son rôle à a jouer, pour le meilleur comme pour le pire (nationalisme, xénophobie et antisémitisme s’y trouvant parfois trop bien représentés) dans la renaissance à venir.