L’algorithme de Newton-Hooke
P. Coullet 1, M. Monticelli
INLN, 1361 route des lucioles, 06560 Valbonne
et
J. Treiner
LPTMS, Bˆ
atiment 100 Universit´
e Paris-Sud
15, rue Georges Cl´
emenceau 91405 Orsay Cedex
1 Introduction
R´
esoudre des ´
equations diff´
erentielles constitue l’un des probl`
emes techniques
les plus importants dans les sciences de l’ing´
enieur. Ces ´
equations sont aujourd’hui
r´
esolues sur ordinateur, au moyen de diverses m´
ethodes d’approximation. Pour ne
prendre qu’un exemple, mais il est frappant, le calcul de la position de la Terre
sur son axe de rotation, essentiel au positionnement par satellite (GPS), est bas´
e
sur un mod`
ele d’une Terre non-rigide et fait intervenir la r´
esolution de millions
d’´
equations diff´
erentielles. Ce mod`
ele a ´
et´
e retenu d´
ebut Juillet 2003 par la com-
munaut´
e internationale pour ´
etablir les tables de correspondance entre le r´
eferentiel
terrestre et celui du satellite, et a ´
et´
e recompens´
e par le prix Descartes [1] de la
Commission Europ´
eenne. Il conduit `
a une pr´
ecision de la localisation d’un objet
terrestre de moins de dix centim`
etres.
La r´
esolution d’une ´
equation diff´
erentielle n’est pas simple en g´
en´
eral, notam-
ment lorsque son degr´
e est sup´
erieur `
a un. La premi`
ere m´
ethode d’approximation
des solutions d’une ´
equation diff´
erentielle est due `
a L´
eonard Euler [2]. Elle revient
`
a remplacer les diff´
erentielles par des accroissements finis. Remplacer une d´
eriv´
ee
par le rapport de deux diff´
erences finies conduit g´
en´
eralement `
a une erreur dont
l’ampleur d´
epend du pas de discr´
etisation. La justification rigoureuse du passage
`
a la limite, lorsque le ”pas de discr´
etisation” tend vers 0, permettra `
a Cauchy de
d´
evelopper la th´
eorie moderne des ´
equations diff´
erentielles.
Dans l’enseignement des sciences au lyc´
ee, la m´
ethode d’Euler a ´
et´
e intro-
duite `
a l’occasion de la mise en place des programmes de math´
ematiques en classe
de premi`
ere scientifique en septembre 2001. Le contexte propos´
e est celui de la
construction de l’approximation d’une courbe int´
egrale d´
efinie par y0(t)=f(t)
et y(t0)=y0en utilisant l’approximation 1f=f0(t)1t. Elle permet de faire
r´
efl´
echir l’´
el`
eve `
a la signification de la d´
eriv´
ee d’une fonction selon un chemine-
ment inverse de celui qui conduit `
a sa d´
efinition : au lieu de calculer la d´
eriv´
ee
1Membre de l’Institut Universitaire de France
d’une fonction connue, on construit une fonction inconnue de proche en proche `
a
partir de la connaissance de sa d´
eriv´
ee locale. La notion de limite peut ˆ
etre reli´
ee `
a
celle du choix du pas de discr´
etisation. L´
el`
eve perc¸oit ´
egalement l’importance de
la condition initiale.
En classe terminale scientifique, la m´
ethode d’Euler est utilis´
ee dans des contex-
tes vari´
es o`
u une grandeur physique ob´
eit `
a une ´
equation diff´
erentielle de la forme
y0=ay +b. D´
ecroissance radioactive, circuits ´
electriques simples, chute de mo-
biles sous l’effet de la pesanteur et d’une force de frottement fluide, autant de situa-
tions conduisant `
a des ´
evolutions exponentielles pour lesquelles la m´
ethode d’Euler
peut ˆ
etre mise en oeuvre ais´
ement `
a l’aide d’un tableur. Un des enjeux de ces acti-
vit´
es consiste, par la manipulation d’accroissements finis, `
a faciliter l’appropriation
future de la notion de diff´
erentielle, au cours des ´
etudes post-baccalaur´
eat.
La m´
ethode d’Euler, qui constitue une excellente introduction aux m´
ethodes
de discr´
etisation, est cependant de pr´
ecision limit´
ee. Elle est souvent remplac´
ee par
des m´
ethodes plus sophistiqu´
ees qui permettent une meilleure pr´
ecision dans le cal-
cul des solutions. Ces m´
ethodes sont toutes bas´
ees sur un processus de discr´
etisation
dans lequel l’´
equation diff´
erentielle est remplac´
ee par une ´
equation aux diff´
erences
finies.
Le but du pr´
esent article est de mettre en regard la m´
ethode d’Euler, comme
m´
ethode d’approximation des ´
equations du mouvement de la dynamique, avec la
discr´
etisation implicite contenue dans l’expos´
e des principes de la m´
ecanique par
Isaac Newton dans les Principia (1687 pour la premi`
ere ´
edition en latin). Cette
discr´
etisation ne r´
esulte pas, comme on va le voir, de la recherche d’une approxi-
mation d’´
equations continues, que Newton ne formule d’ailleurs pas, mais repose
sur une vision d’embl´
ee discr´
etis´
ee, impulsionnelle, du mouvement, que Robert
Hooke a propos´
ee d`
es le milieu des ann´
ees 1660 ([3]). La surprise, c’est de consta-
ter d’une part que cette discr´
etisation ne co¨
ıncide pas avec celle d’Euler, et d’autre
part qu’elle r´
ealise une bien meilleure approximation des ´
equations exactes!
2 La discr´
etisation des ´
equations de la dynamique et les
lois de conservation
2.1 L’algorithme d’Euler
Soit l’´
equation diff´
erentielle autonome2du premier ordre
dx
dt =f(x)(1)
2c’est-`
a-dire dont le second membre ne d´
epend pas explicitement du temps
La m´
ethode d’Euler consiste `
a remplacer l’´
equation diff´
erentielle par une ´
equation
aux diff´
erences finies. Celle-ci est obtenue `
a partir de l’approximation selon la-
quelle on remplace la d´
eriv´
ee par le rapport de deux accroisssements finis
dx
dt 1x
1t(2)
ou, en posant 1t=h
1x=x(t+h)x(t)(3)
On obtient donc : x(t+h)x(t)=hf (x(t)) (4)
D´
efinissant xn=x(t+nh), l’´
equation aux differences finies devient une relation
de r´
ecurrence du premier ordre
xn+1=xn+hf (xn)(5)
La m´
ethode d’Euler constitue, tant par sa simplicit´
e que par son caract`
ere histo-
rique, le fondement de l’analyse num´
erique des solutions des ´
equations diff´
erentielles
ordinaires. En remplac¸ant dans l’´
equation (4) x(t+h)par son d´
eveloppement de
Taylor au premier ordre : x(t)+hdx/dt +0(h2), on v´
erifie que l’´
equation aux
diff´
erences finies (4) est une approximation d’ordre un de l’´
equation diff´
erentielle
(1).La m´
ethode d’Euler se g´
en´
eralise simplement `
a des ´
equations diff´
erentielles
du premier ordre coupl´
ees, comme celles de la m´
ecanique. L´
equation qui d´
ecrit le
mouvement d’une masse ponctuelle sur une droite sous l’effet d’une force s’´
ecrit
dx
dt =v(6)
mdv
dt =f(x)(7)
o`
uxrepr´
esente la position de la masse et f(x)la force. L´
equation (6) d´
efinit la
vitesse. L´
equation (7), elle, exprime la deuxi`
eme loi de Newton sous sa forme
diff´
erentielle. L’approximation d’Euler des solutions de ces ´
equations est donn´
ee
par les relations
xn+1=xn+hvn(8)
vn+1=vn+hf(xn)
m(9)
Dans le cas d’un mouvement plan, comme celui des plan`
etes, ces ´
equations se
g´
en´
eralisent en :
xn+1=xn+hv1,n(10)
yn+1=yn+hv2,n(11)
v1,n+1=v1,n+hf1(xn,yn)
m(12)
v2,n+1=v2,n+hf2(xn,yn)
m(13)
2.2 L’algorithme de Newton-Hooke et la loi des aires
Une centaine d’ann´
ees avant la publication d’Euler, I. Newton d´
eveloppait dans
ses ”Principia” [4], [5] une m´
ethode de discr´
etisation du mouvement bas´
ee sur un
mod`
ele physique du mouvement dans lequel les forces agissent de fac¸on discon-
tinue, par une s´
erie d’impulsions de plus en plus fr´
equentes mais d’amplitudes de
plus en plus petites. La deuxi`
eme loi du mouvement que l’on traduit par la fameuse
´
equation E
f=mEa(14)
n’a en r´
ealit´
e jamais ´
et´
e´
enonc´
ee explicitement par Newton sous cette forme 3. La
deuxi`
eme loi stipule simplement que ”le changement de mouvement est propor-
tionnel `
a la force motrice imprim´
ee et se produit le long de la ligne droite dans
laquelle cette force est imprim´
ee”.Mouvement signifie ici la quantit´
e de mouve-
ment, c’est `
a dire le produit de la masse et de la vitesse. Par force motrice imprim´
ee,
Newton entend une force qui agit pendant un temps tr`
es bref. Exprim´
e sous forme
alg´
ebrique, il s’agit donc de l’´
equation :
m
1v =E
f1t(15)
Pour bien comprendre le mod`
ele m´
ecanique que Newton a en tˆ
ete, il faut se repor-
ter `
a sa d´
emonstration de la loi des aires (deuxi`
eme loi de Kepler), donn´
ee dans la
Proposition I de la seconde section du Livre 1 (Th´
eor`
eme I). Suivons son raisonne-
ment pas `
a pas, en nous appuyant sur la figure 1 :
”Supposons que le temps soit divis´
e en parties ´
egales (discr´
etisation), et que
dans la premi`
ere partie de ce temps, le corps, par la force qui lui a ´
et´
e imprim´
ee,
d´
ecrive le segment AB : suivant la premi`
ere loi du mouvement (la loi de l’inertie)
dans un second temps ´
egal au premier, il d´
ecrirait, si rien ne l’en empˆ
echait, le
3Comme l’a montr´
e de fac¸on tr`
es convaincante Michel Blay [6], la r´
e-´
ecriture des Principia dans
le langage formel du calcul diff´
erentiel de Leibnitz est en grande partie l’oeuvre de Varignon
A
B
c
CD
d
V
W
S
FIG. 1 – Construction de la proposition I de la section I du Livre I. Pour New-
ton, l’orbite est donn´
ee. Le point cest obtenu en continuant la trajectoire AB
(Bc =AB). Du point con m`
ene la parall`
ele `
aBS.Cest obtenu comme l’in-
tersection avec l’orbite. L’orbite n’a cependant pas ´
et´
e trac´
ee par Newton. Les
triangles SAB et SBc, correspondant au mouvement inertiel, ont la mˆ
eme aire
puisqu’ils ont un cˆ
ot´
e et la hauteur correspondante ´
egaux. De fac¸on similaire, les
triangles SBc et SBC ont eux aussi les mˆ
emes aires. Cette construction, que l’on
peut consid´
erer comme la pierre angulaire des ”Principia” a ´
et´
e sugg´
er´
ee `
a New-
ton par Robert Hooke lors d’une correspondance dont l’importance est d´
esormais
connue (voir [3]). Pour R. Hooke, les points sont les approximations d’une or-
bite. Ils sont obtenus en calculant les d´
eflections BV,CW, .., proportionnelles aux
forces en B,C, ... Cette construction est ´
equivalente `
a l’algorithme des ´
equations
(18-21).
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