h i g h l i g h t s 2 01 2 : n e u r o l o g i e Partie de l’ensemble ou contre l’ensemble? Kaspar Schindler Hôpital de l’Isle, Hôpital universitaire, Département universitaire de neurologie, Berne Les épilepsies sont parmi les maladies neurologiques les plus fréquentes et touchent quelques 80 000 per­ sonnes en Suisse. Selon la nouvelle définition, les épi­ lepsies sont caractérisées par au moins une crise et une prédisposition persistante pour la survenue de nouvelles crises [1]. Les crises épileptiques sont dangereuses et leur imprévisibilité limite considérablement la qualité de vie. Le but du traitement est dès lors l’absence totale de nouvelles crises sans occasionner d’effets indésirables intolérables pour le patient, à l’aide de médicaments et/ ou d’interventions chirurgicales ablatives ou neuro­ modulatrices [2]. La notion de «crises» est essentielle dans l’épileptologie. Mais – qu’est­ce que dans le fond une crise épileptique? La Ligue internationale de lutte contre l’épilepsie définit les crises épileptiques comme «la survenue d’événements pathologiques transitoires et/ou de symptômes dus à une activité neuronale cérébrale pathologique excessive ou synchrone» [1]. Cette définition a certes un caractère très général, mais elle laisse ainsi de la place en prévision des nouvelles acquisitions à venir. Des études récentes ont montré qu’une analyse approfondie de la synchro­ nisation de l’activité neuronale propre aux crises épilep­ tiques peut contribuer à mieux comprendre la patho­ physiologie de cette affection [3]. Deux aspects sont particulièrement importants dans ce contexte: 1. La synchronisation apparaît toujours entre deux parties différentiables. Il s’agit donc d’une forme d’interaction. 2. La synchronisation dépend aussi de l’échelle de l’ob­ servation. Certaines parties peuvent par exemple être locales, autrement dit synchronisées sur de courtes distances, et à la fois globales, c’est­à­dire désynchro­ nisées sur de longues distances. L’analyse des parties interactives et de l’ensemble qui en résulte conduit au concept de «système». Nous al­ lons montrer dans ce qui suit que l’approche des crises épileptiques avec une conception systémique ouvrent de toutes nouvelles perspectives. Les parties et l’ensemble: une perspective systémique Kaspar Schindler Un système peut être défini comme une série de parties qui interagissent et forment un ensemble [4]. Cet en­ semble fonctionnel présente souvent des caractéris­ tiques différentes de celles de ses parties. Une perturba­ tion de cette interaction peut perturber le fonctionnement de l’ensemble. Cette représentation est particulière­ ment intéressante car on a pu démontrer que cette in­ teraction – quantitativement assimilée à une synchroni­ sation – entre la région du cerveau dans laquelle les crises épileptiques démarrent et les autres régions cé­ rébrales est modifiée. Durant les périodes entre les crises, il existe donc déjà une diminution de synchroni­ sation entre les régions à l’origine des crises et les autres aires cérébrales [5] et ce phénomène s’accentue encore nettement au début des crises [6]. La perspective systé­ mique voit donc, au début d’une crise, un «découplage» de la région à l’origine de la crise. Pour reconnaître avec certitude ce découplage, il est né­ cessaire de mesurer la synchronisation à des distances différentes [7]. Il s’avère qu’une synchronisation locale élevée peut être associée à une synchronisation globale faible de l’activité neuronale. C’est ce que la figure 1 x montre à l’aide d’un exemple d’électroencéphalogramme (EEG) avec des électrodes intracrâniennes. Malgré une multitude de tentatives de traitements médicamenteux, le patient continuait à souffrir depuis une quinzaine d’an­ nées d’une épilepsie à point de départ suspecté dans le lobe temporal gauche. La région à l’origine des crises n’avait pas pu être délimitée avec suffisamment de pré­ cision par les méthodes non invasives pour permettre une résection chirurgicale. Pour localiser précisément la zone de départ des crises, nous avons procédé à un bilan complémentaire préopé­ ratoire en vue d’une chirurgie antiépileptique de phase II. Après une planification soigneuse assistée par ordina­ teur, nous avons mis en place par de petits trous de fo­ rage pratiqués dans le crâne une série d’électrodes bandelettes et une électrode de profondeur, dont l’em­ placement est visible sur le cliché radiographique de la figure 1A. La figure 1B présente le signal EEG enregistré durant une crise au niveau du lobe temporal gauche. La comparaison entre les synchronisations locale et globale de l’activité neuronale durant cette crise est extrêmement intéressante. Une expression de synchronisation locale élevée est l’apparition à l’EEG de signaux dits «chirp», à oscillations initialement rapides, puis se ralentissant par la suite. Une mesure de la synchronisation globale est superposée au spectrogramme. On voit clairement que la synchronisation chute rapidement juste avant et pendant le signal chirp. Une synchronisation neuronale locale élevée va donc de pair avec une faible synchroni­ sation globale. La figure 1C illustre aussi à l’évidence que la synchronisation globale augmente vers la fin de la crise. L’analyse des crises épileptiques dans une perspective systémique révèle donc dans la première moitié de la crise une «fragmentation fonctionnelle» au moins partielle et à l’approche de la fin de la crise une «confluence» pro­ Forum Med Suisse 2012;12(51–52):1008–1009 1008 h i g h l i g h t s 2 01 2 : n e u r o l o g i e Figure 1 La synchronisation locale élevée va de pair avec la faible synchronisation globale. A. Localisation des électrodes EEG intracrâniennes en bandelettes et profondes sur les clichés radiographiques d’ensemble. Le cercle vert indique le contact de l’électrode en regard du lobe temporal gauche, dont le signal au cours d’une crise est présenté dans la partie B. C. Analyse spectrale et synchronisation globale du signal EEG représenté dans B. La flèche verte marque le début du tracé spectral typique d’un signal «chirp». gressive en un ensemble collectif [8]. On spécule sur le fait que le développement d’un état globalement synchrone pourrait même constituer un mécanisme important pour la fin de la crise. On pense que la synchronisation globale a pour conséquence que de grands réseaux neu­ ronaux deviennent simultanément réfractaires et forcent ainsi l’interruption de la crise [9]. Mieux comprendre la physiopathologie des épilepsies Les résultats décrits ci­dessus suggèrent que l’analyse de la dynamique neuronale des crises épileptiques dans une perspective systémique pourrait conduire à une meil­ leure compréhension de la physiopathologie sous­jacente. Ils montrent en particulier que la synchronisation neu­ ronale au cours des crises épileptiques suit un cours com­ plexe, qui varie en fonction de l’examen de la synchroni­ sation locale ou globale. Les données obtenues devraient devenir exploitables sur le plan diagnostic et pronostic. Par exemple, on peut fréquemment reconnaître la zone de départ de la crise à son découplage fonctionnel en dé­ but de crise [6]. Du point de vue thérapeutique, il s’agit de tester si les interventions qui empêchent ce décou­ plage peuvent aussi prévenir les crises. Sur un plan pratique, les aspects théoriques systé­ miques peuvent se déceler grâce à l’analyse de la syn­ chronisation d’un grand nombre de signaux EEG, rendue possible par les puissances de calcul exponentiellement grandissantes depuis des années [10]. L’objectif est et demeure de permettre à un nombre de plus en plus important de patients épileptiques de mener une vie sans crises, comme pour le cas du patient décrit, qui n’a plus présenté de crises depuis deux ans, suite à l’ablation chirurgicale de la région d’origine de celles­ci. Correspondance: PD Dr méd. Dr sc. nat. Kaspar Schindler Médecin-chef de la consultation des crises/pré-chirurgie épileptique HÔPITAL DE L’ISLE, Hôpital universitaire de Berne Service universitaire de neurologie CH-3010 Berne Kaspar.Schindler[at]insel.ch Références 1 Fisher RS, van Emde Boas W, Blume W, Elger C, Genton P, Lee P, En­ gel J Jr. Epileptic seizures and epilepsy: definitions proposed by the International League Against Epilepsy (ILAE) and the International Bureau for Epilepsy (IBE). Epilepsia. 2005;46:470–2. 2 Wiebe S, Jette N. Epilepsy surgery utilization: who, when, where, and why? Curr Opin Neurol. 2012;25:187–93. 3 Schevon CA, Weiss SA, McKhann G Jr, Goodman RR, Yuste R, Emer­ son RG, Trevelyan AJ. Evidence of an inhibitory restraint of seizure activity in humans. Nat Commun. 2012;3:1060. 4 Von Bertalanffy L. General systems theory: foundations, development, applications (revised version). George Braziller Inc., New York. 1969. 5 Warren CP, Hu S, Stead M, Brinkmann BH, Bower MR, Worrell GA. Synchrony in normal and focal epileptic brain: the seizure onset zone is functionally disconnected. J Neurophysiol. 2010;104:3530–9. 6 Rummel C, Goodfellow M, Gast H, Hauf M, Amor F, Stibal A, et al. A systems­level approach to human epileptic seizures. Neuroinforma­ tics. 2012; in press. 7 Schindler K, Gast H, Goodfellow M, Rummel C. On seeing the trees and the forest: Single­ signal and multisignal analysis of periictal in­ tracranial EEG. Epilepsia. 2012;53:1658–68. 8 Kramer MA, Eden UT, Kolaczyk ED, Zepeda R, Eskandar EN, Cash SS. Coalescence and fragmentation of cortical networks during focal seizures. J Neurosci. 2010;30:10076–85. 9 Schindler K, Leung H, Elger CE, Lehnertz K. Assessing seizure dy­ namics by analysing the correlation structure of multichannel intra­ cranial EEG. Brain. 2007;130:65–77. 10 Moore GE. Cramming more components onto integrated circuits. Electronics. 1965;38:114–7. Forum Med Suisse 2012;12(51–52):1008–1009 1009