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1008
highlights 2012: neurologie
Forum Med Suisse 2012;12(51–52):1008–1009
Partie de l’ensemble ou contre l’ensemble?
Kaspar Schindler
Hôpital de l’Isle, Hôpital universitaire, Département universitaire de neurologie, Berne
Les épilepsies sont parmi les maladies neurologiques
les plus fréquentes et touchent quelques 80 000 per
sonnes en Suisse. Selon la nouvelle dénition, les épi
lepsies sont caractérisées par au moins une crise et une
prédisposition persistante pour la survenue de nouvelles
crises [1]. Les crises épileptiques sont dangereuses et
leur imprévisibilité limite considérablement la qualité
de vie. Le but du traitement est dès lors l’absence totale
de nouvelles crises sans occasionner d’effets indésirables
intolérables pour le patient, à l’aide de médicaments et/
ou d’interventions chirurgicales ablatives ou neuro
modulatrices [2].
La notion de «crises» est essentielle dans l’épileptologie.
Mais – qu’estce que dans le fond une crise épileptique?
La Ligue internationale de lutte contre l’épilepsie dénit
les crises épileptiques comme «la survenue d’événements
pathologiques transitoires et/ou de symptômes dus à
une activité neuronale cérébrale pathologique excessive
ou synchrone» [1]. Cette dénition a certes un caractère
très général, mais elle laisse ainsi de la place
en prévi
sion
des nouvelles acquisitions à venir. Des études récentes
ont montré qu’une analyse approfondie de la synchro
nisation de l’activité neuronale propre aux crises épilep
tiques peut contribuer à mieux comprendre la patho
physiologie de cette affection [3]. Deux aspects sont
parti culièrement importants dans ce contexte:
1. La synchronisation apparaît toujours entre deux
parties différentiables. Il s’agit donc d’une forme
d’interaction.
2. La synchronisation dépend aussi de l’échelle de l’ob
servation. Certaines parties peuvent par exemple être
locales, autrement dit synchronisées sur de courtes
distances, et à la fois globales, c’estàdire désynchro
n isées sur de longues distances.
L’ analyse des parties interactives et de l’ensemble qui
en résulte conduit au concept de «système». Nous al
lons montrer dans ce qui suit que l’approche des crises
épileptiques avec une conception systémique ouvrent
de toutes nouvelles perspectives.
Les parties et l’ensemble:
une perspective systémique
Un système peut être déni comme une série de parties
qui interagissent et forment un ensemble [4]. Cet en
semble fonctionnel présente souvent des caractéris
tiques différentes de celles de ses parties. Une perturba
tion de cette interaction peut perturber le fonctionnement
de l’ensemble. Cette représentation est particulière
ment intéressante car on a pu démontrer que cette in
teraction – quantitativement assimilée à une synchroni
sation – entre la région du cerveau dans laquelle les
crises épileptiques démarrent et les autres régions cé
rébrales est modiée. Durant les périodes entre les
crises, il existe donc déjà une diminution de synchroni
sation entre les régions à l’origine des crises et les autres
aires cérébrales [5] et ce phénomène s’accentue encore
nettement au début des crises [6]. La perspective systé
mique voit donc, au début d’une crise, un «découplage»
de la région à l’origine de la crise.
Pour reconnaître avec certitude ce découplage, il est né
cessaire de mesurer la synchronisation à des distances
différentes [7]. Il s’avère qu’une synchronisation locale
élevée peut être associée à une synchronisation globale
faible de l’activité neuronale. C’est ce que la gure 1 x
montre à l’aide d’un exemple d’électroencéphalogramme
(EEG) avec des électrodes intracrâniennes. Malgré une
multitude de tentatives de traitements médicamenteux,
le patient continuait à souffrir depuis une quinzaine d’an
nées d’une épilepsie à point de départ suspecté dans le
lobe temporal gauche. La région à l’origine des crises
n’avait pas pu être délimitée avec sufsamment de pré
cision par les méthodes non invasives pour permettre
une résection chirurgicale.
Pour localiser précisément la zone de départ des crises,
nous avons procédé à un bilan complémentaire préopé
ratoire en vue d’une chirurgie antiépileptique de phase II.
Après une planication soigneuse assistée par ordina
teur, nous avons mis en place par de petits trous de fo
rage pratiqués dans le crâne une série d’électrodes
bandelettes et une électrode de profondeur, dont l’em
placement est visible sur le cliché radiographique de la
gure 1A. La gure 1B présente le signal EEG enregistré
durant une crise au niveau du lobe temporal gauche. La
comparaison entre les synchronisations locale et globale
de l’activité neuronale durant cette crise est extrêmement
intéressante. Une expression de synchronisation locale
élevée est l’apparition à l’EEG de signaux dits «chirp»,
à oscillations initialement rapides, puis se ralentissant
par la suite. Une mesure de la synchronisation globale
est superposée au spectrogramme. On voit clairement
que la synchronisation chute rapidement juste avant et
pendant le signal chirp. Une synchronisation neuronale
locale élevée va donc de pair avec une faible synchroni
sation globale. La gure 1C illustre aussi à l’évidence
que la synchronisation globale augmente vers la n de
la crise.
L’ analyse des crises épileptiques dans une perspective
systémique révèle donc dans la première moitié de la crise
une «fragmentation fonctionnelle» au moins partielle et à
l’approche de la n de la crise une «conuence» pro
Kaspar Schindler