ON NE PAIE PAS - premier

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DARIO FO
2012/13
PHOTO © JULIEN CORREC
ON NE PAIE PAS ! ON NE PAIE PAS !
MISE EN SCÈNE CHRISTOPHE ROUXEL | THÉÂTRE ICARE
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Licences spectacles1-142915 2-142916 3-142917
EN TOURNÉE EN LOIRE-ATLANTIQUE
ON NE PAIE PAS !
ON NE PAIE PAS !
EN TOURNÉE EN LOIRE-ATLANTIQUE
MACHECOUL
OCTVE 12 21:00
CHÂTEAUBRIANT
VE19 20:45
SAINT-LYPHARD
VE26 20:30
PORNICHET
NOVVE 16
20:00
VALLET
MA20 20:30
LA CHEVROLIÈRE
VE23 20:30
LIGNÉ
DI2517:00
DURÉE : 2h05
PUBLIC : à partir de la 3e
SOMMAIRE
Présentation3
La pièce
Note d’intention
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CONTACTS PÔLE PUBLIC ET MÉDIATION
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Dario Fo, auteur
6
Christophe Rouxel
et le théâtre Icare
8
Manon Albert
[email protected]
02 28 24 28 08
Florence Danveau
[email protected]
02 28 24 28 17
La presse en parle
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Annexes 12
PHOTO © JULIEN CORREC
Extrait9
LE GRAND T
84, rue du Général Buat
BP 30111
44001 NANTES Cedex 1
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PRÉSENTATION
On ne paie pas ! On ne paie pas !
Par le Théâtre Icare
Texte Dario Fo
Adaptateurs Toni Cecchinato et Nicole Colchat
Mise en scène Christophe Rouxel
Collaboration artistique Luigi de Angelis
Scénographie Silvio Crescoli
Lumières Christophe Olivier
Costumes Caroline Leray
Maquillage Sylvie Aubry
Son Benjamin Rouxel
Régie générale Paul Seiller
Avec Florence Gerondeau, Delphine Lamand, Frédéric Louineau, Didier Morillon et Didier Royant
Production Théâtre Icare
Le Théâtre Icare est une compagnie conventionnée, subventionnée par le Ministère de la culture et de la
communication – Drac des Pays de la Loire, la Ville de Saint-Nazaire, le Conseil régional des Pays de la Loire,
et le Conseil général de Loire-Atlantique.
Avec le soutien pour le décor du Grand T scène conventionnée Loire-Atlantique
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PHOTO © JULIEN CORREC
LA PIÈCE
« On ne paie pas ! On ne paie pas ! »
C’est le slogan lancé en chœur par un millier de
femmes ulcérées par la montée des prix dans un
supermarché de la banlieue de Milan.
Antonia repart chez elle surchargée de grands pochons de courses. Elle rencontre Margherita, sa voisine, qui lui donne un coup de main et elle lui raconte
par le menu la révolte puis la mise à sac du supermarché. Mais que faire de ces marchandises « volées » ? Le mari d’Antonia, Giovanni, syndicaliste pur,
dur et légaliste, ne supporterait aucun compromis.
Antonia décide de mentir, purement et simplement.
Mais la situation s’accélère. L’État a réagi très vite à
cette atteinte grave à la propriété et au commerce.
La police, puis la gendarmerie, par vagues successives, ratissent le quartier, procèdent à une fouille
méticuleuse des appartements. Antonia, dépassée
par les évènements, s’emberlificote dans des mensonges de plus en plus farfelus. Elle cache une partie des marchandises sous le manteau de sa voisine.
La voilà enceinte ! Giovanni, qui revient du boulot,
est surpris. Il s’interroge. Ce quiproquo va déchaîner
une avalanche d’évènements invraisemblables dont
le grotesque va révéler avec une efficacité redoutable les dysfonctionnements d’une société en crise
où les rapports d’oppression, de spéculation et de
profit ont acculé les classes modestes à l’indignité.
Et Giovanni peut répondre à ceux qui disent :
« On n’avait pas raison, nous autres, les gens de
gauche ? Voyez !
Le capitalisme s’effondre ! »
« … oui, le capitalisme s’écroule… mais il s’écroule
sur nous. »
Visionnez la séquence du journal « 19/20 » de France3 sur On ne paie pas ! On ne paie pas ! en
cliquant sur le lien ci-dessous :
http://www.youtube.com/watch?v=YLoWlRX_9_I&feature=player_embedded
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NOTE D’INTENTION
Par Christophe Rouxel
On ne paie pas ! On ne paie pas !, c’est cette voix de
femme qui crie à son homme : « La classe ouvrière,
qui c’est ? C’est nous… Nous et notre rage, notre
misère et notre désespoir… comme tous ceux qu’on
est en train d’expulser. Regarde-les… pire que des
déportés… Tu ne veux rien savoir, tu te bouches les
yeux. Tu n’es même plus un communiste… tu es un
clérical de gauche… un couillon. » Et son homme de
lui répondre : « Non je ne suis pas un couillon… Moi
aussi, je me fous en rage, et ce n’est pas contre toi,
c’est contre moi… contre mon impuissance. »
Les moments de crises sont tellement récurrents
qu’on finirait par s’y habituer. Alors pour ne pas se
laisser prendre à trop de désabusement, entrons
avec Dario Fo en crises de rires et d’engagement
furieux et joyeux.
C’est dans cet état d’esprit que j’aborde le travail de
On ne paie pas ! On ne paie pas ! ce jour le 24 août
2010, à Saint-Nazaire.
Christophe Rouxel, metteur en scène
PHOTO © JULIEN CORREC
On ne paie pas ! On ne paie pas ! de Dario Fo nous
intéresse parce que l’humeur de la comédie est associée ici à une réflexion politique pour former une farce
militante jubilatoire. On trouve dans cette proposition de Dario Fo une formidable virtuosité à conduire
les personnages dans une course haletante, à la fois
absurde et sincère, vers une révolte manifeste d’ouvrières au milieu des années 70 en Italie. Presque un
demi-siècle plus tard, le texte retrouve une jeunesse
et une efficacité joyeuses. Ici, des femmes et des
hommes finissent par réaliser des actes identiques
et pacifiques pour se venger de trop d’injustices à
leur égard, avec des principes bien différents mais
qui finissent donc par se rejoindre dans les actes.
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DARIO FO, AUTEUR
PHOTO © M. FALSINI
dissoute. En 1970 – seconde rupture – Dario Fo se
détache du parti communiste et crée, avec ses camarades, un autre collectif théâtral : « La Comune ». Ces
années sont celles des grands succès : Mystère
Bouffe, en 1969, épopée des opprimés inspirée de
la culture médiévale, apporte à Dario Fo une renommée mondiale ; Mort accidentelle d’un anarchiste,
en 1970, et Faut pas payer, en 1974, sont écrits en
liaison, l’une avec la demande de révision du procès
de l’anarchiste Guiseppe Pinelli défenestré à Milan,
l’autre avec la campagne d’autoréduction des factures en période d’inflation.
NOTICE BIOGRAPHIQUE
Dario Fo naît en 1926 à San Giano, village de Lombardie au bord du lac Majeur, dans une famille prolétaire de tradition démocratique et antifasciste. Il découvre très jeune le théâtre populaire et la tradition
orale, par l’intermédiaire de son grand-père, « fabulatore » connu. Doué en dessin et en peinture – talent
qui lui permettra de dessiner lui-même les affiches
de ses spectacles – il commence par étudier l’art et
l’architecture à Milan.
En 1952, il écrit pour la radio ses premiers monologues comiques, intitulés Poer nano, « Pauvre nain ».
Il découvre le Piccolo Teatro de Giorgio Strehler, fait
ses débuts d’acteur et écrit des revues de critique
sociale.
En 1954, il épouse Franca Rame, fille d’une grande
famille de comédiens populaires, qui devient son inséparable partenaire. Ensemble, ils fondent leur première
compagnie professionnelle : la compagnie Fo-Rame.
Jusqu’en 1967, Dario Fo écrit et interprète des comédies destinées aux théâtres « bourgeois », mais dans
lesquelles il explore la culture populaire et promeut une
critique sociale et politique de l’époque : il fustige les
institutions et les classes dirigeantes tout en déployant une fantaisie débridée. En 1968 a lieu une
rupture essentielle dans le parcours de Fo : il fonde
l’association « Nuova Scena » avec l’aide du PCI,
« au service des forces révolutionnaires » et s’extrait du circuit du théâtre « bourgeois ». À cause de
conflits idéologiques, l’association est cependant vite
L’anti-conformisme de Dario Fo, ainsi que son engagement politique et social l’entraînent dans d’innombrables procès et controverses en Italie, avec l’État,
la police, la télévision, le pape : son émission Canzonissima est censurée ; selon le pape, Mistero buffo
offense « les sentiments religieux des Italiens ». En
collaboration avec Franca Rame, il écrit une série de
monologues inspirés par la lutte des Italiennes pour
le droit au divorce et la légalisation de l’avortement.
Il invente, dans la veine de Mystère Bouffe, des histoires désopilantes et graves, comme Histoire du
tigre. En 1980, on lui interdit d’entrer aux États-Unis,
où il devait donner une représentation exceptionnelle,
à cause de son affiliation au « Soccorso Rosso », une
organisation de soutien aux détenus.
Artiste hors normes, il reçoit en 1997 le Prix Nobel
de Littérature pour avoir « dans la tradition des bateleurs médiévaux, fustigé le pouvoir et restauré la
dignité des humiliés. »
Dario Fo a eu ces dernières années un adversaire de
choix, source inépuisable de satire et de critiques
virulentes de sa part : Silvio Berlusconi.
Sur le plan artistique, Dario Fo est revenu à ses premières amours : la peinture. Il continue cepandant à
arpenter les scènes du Piccolo Teatro ou les parvis
des églises, lors de spectacles conférences sur l’histoire de l’art où – avec force, dessins de sa main à
l’appui – il réinvente, avec la fougue irrévérencieuse
qui le caractérise, l’histoire du Caravage, de Giotto,
de Léonard de Vinci, de Mantegna, ou encore celle
de saint François d’Assise ou de Saint-Ambroise, le
saint patron de Milan, sa ville (à la mairie de laquelle
il s’était même présenté en 2006).
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UN HOMME DE THÉÂTRE : QUELQUES
REPÈRES CHRONOLOGIQUES
1958-1968 : Compagnie Dario Fo – Franca Rame :
période « bourgeoise »
Dario Fo écrit sept comédies, dont Isabelle, trois
caravelles et un charlatan, à partir des modèles populaires de la farce et de la commedia dell’arte, en
les inscrivant dans un contexte contemporain. Par le
biais de l’ironie et du grotesque, une critique sociale
apparaît déjà.
1968-1970 : Collectif théâtral « Nuova Scena »
La révolution culturelle chinoise, les événements de
mai 1968 en France, les mouvements de lutte en
Italie amènent Dario Fo et Franca Rame à mettre
fin à leur compagnie pour créer l’association Nuova
Scena, « au service des formes révolutionnaires, non
pour réformer l’État bourgeois, mais pour favoriser
la croissance d’un processus révolutionnaire susceptible de porter au pouvoir la classe ouvrière ». Fo
s’inscrit alors dans un circuit mis sur pied par le PCI.
Parmi les spectacles de cette période : L’Ouvrier
connaît 300 mots, le patron 1000, c’est pour ça qu’il
est le patron ; première version de Mistero Buffo.
1980-1997: Dario Fo et Franca Rame créent de
nouveaux spectacles, invités et reconnus dans le
monde entier. En 1991, il monte ainsi à la Comédie
Française Le Médecin volant et Le Médecin malgré
lui.
1997 : Dario Fo reçoit le prix Nobel de Littérature.
Fo a écrit ensuite des comédies Il diavolo con le
zinne (1997) et des monologues construits sur le
modèle de Mistero Buffo : Lu santo jullare Francesco (1999) et Il tiempo degli uomini liberi (2004).
L’arrivée du deuxième gouvernement Berlusconi lui
inspire L’Anomalo Bicefalo, écrit avec Franca Rame.
1970 : Collectif théâtral de « La Comune »
Dario Fo rompt avec le PCI. Il fonde donc un nouveau collectif et met sur un pied un nouveau circuit,
« alternatif », distinct du précédent.
Parmi les spectacles de cette période : Mort accidentelle d’un anarchiste, Feddayn (joué par les Palestiniens du Front de libération), Guerre du peuple
au Chili (sur les luttes des mineurs chiliens), Faut
pas payer !, L’Enlèvement de Fanfani, Histoire du
tigre et autres histoires. Pendant cette période Mistero Buffo est développé et repris.
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CHRISTOPHE ROUXEL, METTEUR EN SCÈNE ET LE THÉÂTRE ICARE
PHOTO © GUY TOUBLANC - CARÈNE
Entre 1995 et 2001, il est élu membre du Conseil
Économique et Social de la Région des Pays de la
Loire. Il est membre du jury du Prix d’écriture théâtrale de Guérande. On ne paie pas ! On ne paie pas
! est la trente-deuxième mise en scène de Christophe
Rouxel avec le Théâtre Icare.
Depuis 1979, Christophe Rouxel mène une carrière
professionnelle consacrée au théâtre : acteur, formateur, metteur en scène et directeur de compagnie.
Attaché à une éthique de théâtre exigeant et populaire, il n’a cessé d’explorer des modes singuliers de
représentation pour favoriser la rencontre avec de
nouveaux publics.
De 1982 à 1990, à Rieux (56), son village natal, il
dirige un projet de création théâtrale en milieu rural.
Il signe trois mises en scène présentées durant sept
ans devant 70 000 spectateurs. En 1986, il réalise Port-Nazaire, naissance d’une ville industrielle,
Saint-Nazaire, où il a fondé et installé le Théâtre Icare
en 1984.
Depuis 1990, il s’attache essentiellement à la direction artistique de cette compagnie, conventionnée
depuis 1995, qui a à son actif plus de trente créations : Koltès, Weiss, O’Neil, Bourdon, Chevalier,
Valentin, Beckett, Bihan, Wenzel, Simon, Zariab,
Shakespeare, Cannet, Büchner, Duras, Morrison,
Odensten, Claudel, De Angelis, Vauthier, Karge...
Depuis plusieurs années, il a constitué une équipe
d’acteurs et de formateurs, qui intervient dans de
nombreux espaces d’éducation et au sein même du
Théâtre Icare.
Il a encadré de nombreux stages à l’international Chili, Portugal (avec l’aide de l’AFAA et de l’Alliance
Française), et en France dans les conservatoires
de Bordeaux, Angers et La Roche-sur-Yon, et participé à un stage de mise en scène avec Peter Brook
(1993). Il est également sollicité pour des lectures,
comme récitant, avec diverses formations musicales
et comme comédien.
Les mises en scène de Christophe Rouxel pour le
Théâtre Icare :
1985 Chapeau de Banane, de K. Valentin
1987 Outre-mer, d’A. Chevalier
1988 La Dernière Bande, de Samuel Beckett
1990 Jock, de J-L. Bourdon
1991 Chant du coq et Fin de programme
de J-L. Bourdon
1992 Quai Ouest, de Bernard-Maris Koltès
1993 Marat Sade, de Peter Weiss
1994 Max Gericke, de M. Karge
L’Instruction, de Peter Weiss
1995 Medea, de J. Vauthier
1996 Une lune pour les déshérités, d’E. O’Neill
1997 Roberto Zucco, de Bernard-Marie Koltès
1998 Beauregard, de Luigi De Angelis
1999 Chant d’amour pour l’Ulster, de Bill Morrison
2000 L’Échange, de Paul Claudel
Macbeth, d’après William Shakespeare
2001 Woyzeck, de Georg Büchner
2002 L’Affaire de la rue de Lourcine, d’E. Labiche
2003 Ces murs qui nous écoutent, d’après S. Zariâb
Marat Sade, de Peter Weiss
2004 Jazz’n Faust, de F. Smektala et P-G. Verny
Un drôle de silence, de Julien Simon
2005 Don Juan, d’après différents auteurs.
2006 Little Boy la passion, de Jean-Pierre Cannet
2007 Gheel Terre Promise, d’après Per Odensten
2008 La Maladie de la Mort, de Marguerite Duras
Gheel la ville des fous, d’après Per Odensten
2009 Combat de nègre et de chiens, de B-M Koltès
La Princesse de Gheel d’après M. Maeterlinck
2009 La Nuit juste avant les forêts, de B-M Koltès
2011 On ne paie pas ! On ne paie pas ! de Dario Fo
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EXTRAIT
Giovanni
Qu’est-ce qu’elle a, Margherita ?
bable.) Et si lui ne le sait pas, comment veux-tu qu’il
te l’annonce, à toi ?
Antonia
Qu’est-ce qu’elle devrait avoir, je ne comprends pas.
Giovanni
Comment ça qu’il ne le sait pas ?
Giovanni
Ben, là, devant, là… on dirait qu’elle a enflé.
Antonia
Je ne sais pas, moi, peut-être qu’elle n’a pas voulu
lui dire !
Antonia
Et alors ? C’est la première fois que tu vois une
femme mariée avec un gros ventre ?
Giovanni
Attends, tu es en train de me dire qu’elle est enceinte ?
Antonia
C’est ce qui arrive généralement quand on fait
l’amour avec son mari.
Giovanni
Elle en est à quel mois ? Dimanche dernier, je l’ai
vue, et j’ai pas remarqué…
Antonia
Quand est-ce que tu as remarqué quoi que ce soit
chez une femme, toi ?! Dimanche dernier, c’est dimanche dernier. Il s’en passe des choses en une
semaine !
Giovanni
Écoute, je suis peut-être crétin, mais pas à ce pointlà. Luigi ne m’a rien dit.
On bosse à la même chaîne, du matin au soir et il
me met la tête comme ça avec sa petite femme chérie. Il me l’aurait dit quand-même, si elle attendait un
enfant !
Antonia (qui ne sait pas comment s’en sortir)
Beh… y’a des choses, comme ça que… qu’on n’a
peut-être pas envie d’aller raconter à tout le monde.
C’est gênant…
Giovanni
C’est gênant ? Mais t’es folle ou quoi ? Ça le gênerait de dire que sa femme est enceinte ? C’est une
honte, maintenant, de mettre sa femme enceinte ?
Antonia (qui cherche ses mots)
Peut-être que… peut-être qu’il ne te l’a pas dit parce
que… Parce qu’il ne le sait pas encore. (Giovanni
la regarde abasourdi. Antonia continue, impertur-
Giovanni
Comment ça, elle n’a pas voulu lui dire ?
Antonia
Ben parce que… parce que Margherita est très réservée… et aussi parce que Luigi… il est toujours
à dire que c’est encore trop tôt, que c’est pas le
moment, qu’avec la crise on sait pas, qu’ils devraient
d’abord s’établir… et puis qu’on risque de la renvoyer si elle est enceinte. Tellement flippé qu’il lui a
fait prendre la pilule !
Giovanni
Mais si elle prend la pilule, comment ça se fait qu’elle
est enceinte ?
Antonia
Ben la pilule a pas dû agir comme il faut ! Ça arrive…
Giovanni
Mais si la pilule n’a pas agi comme il faut, pourquoi
elle le cacherait à son mari ? C’est pas sa faute, à
elle !
Antonia
Ben peut-être que la pilule n’a pas agit comme il faut
parce que… parce qu’elle ne la prenait pas, la pilule… et si tu prends pas la pilule… (elle ne sait plus
quoi dire) il arrive que la pilule ne fasse pas effet…
(elle prend le balai et se met à balayer)
Giovanni
Mais qu’est-ce tu racontes ?
Antonia (tousse nerveusement)
Margherita… Margherita est très catholique… très…
et le Pape a proclamé que prendre la pilule était un
péché mortel…
Giovanni
Dis-moi, tu es tombée folle, c’est ça ? Tu parles
comme une démente, là ! La pilule qui n’agit pas
9
parce qu’on ne la prend pas ! Elle avec un bidon de
neuf mois et son mari qui ne se rend compte de rien,
et maintenant le Pape !
Giovanni
Bien sûr que tu as bien fait ! Tu as bien fait ! Bien
sûr !
Antonia (de plus en plus en difficulté)
Peut-être que Luigi ne se rendait compte de rien
parce que… Margherita se sanglait !
Antonia
Et c’est comme ça qu’on s’est retrouvées à la maison et qu’elle s’est enfin décidée à se dessangler :
Ploff ! Un ventre !! T’aurais vu ça, Giovanni !
Antonia
Oui, bien serré, toute comprimée, pour que ça se
voie pas. Et aujourd’hui, quand je l’ai vue, comme ça,
je lui ai dit : « Mais Margherita, tu t’emmaillotes encore
? Mais tu es folle ! Tu veux perdre ton bébé ? Mais tu
vas l’étouffer ! Qu’est-ce t’en as à faire qu’ils te renvoient ? Un bébé c’est quand même plus important
que le boulot ! » J’ai bien fait non ?
Giovanni
Je l’ai vu !
Antonia
Et je lui ai même dit : « écoute Margherita, si ton mari
fait des histoires, tu lui diras de venir chez moi, et mon
Giovanni, il va lui expliquer la vie, lui, à sa façon ! » J’ai
bien fait ou pas ?
PHOTO © JULIEN CORREC
Giovanni
Elle se sanglait ?
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LA PRESSE EN PARLE
« Indignez-vous, avec le sourire… et Dario Fo. Le
Théâtre Icare réussit une adaptation d’On ne paie
pas ! On ne paie pas !, farce politique du subversif
dramaturge italien, d’une brûlante actualité. L’histoire
d’une émeute de la faim… »
Ouest-France, 14 janvier 2011
« La comédie On ne paie pas ! On ne paie pas ! est
un rayon de soleil dans la brume du quotidien. »
Presse-Océan, 16 janvier 2011
« 10 spectacles nominés aux Coups de cœur du
Club de la presse Grand Avignon-Vaucluse : […] On
ne paie pas ! On ne paie pas ! par le Théâtre Icare à
17h35 au Grenier à sel. »
La Provence, 20 juillet 2011
« Désespérément drôle ! Comme Pasolini, il donne
la parole au peuple […] Face à l’agressivité contemporaine, à la mondialisation envahissante, cette interprétation de Dario Fo rassemble et réveille. »
La Marseillaise, 24 juillet 2011
« Engagez-vous ! […] Dans l’écrin parfait de sa scéno acidulée, la compagnie Théâtre Icare porte l’auteur avec une énergie débordante… »
Le Bruit du Off 2011, 18 juillet 2011
11
ANNEXES
FAUT PAS PAYER ! (DEVENU ON NE PAIE PAS ! ON NE PAIE PAS !) 1974 - TEXTE ET CONTEXTE
MATÉRIAUX POUR APPROFONDIR L’ANALYSE
12
III. Faut pas payer ! – 1974 :
texte et contexte
III.1. Histoire(s) Faut pas payer ! est traversé par l’histoire politique : la pièce s’ancre dans une réalité concrète très précise et renvoie aux tensions qui parcourent alors le pays. Antonia et Margherita ne peuvent plus payer depuis plusieurs mois leur loyer, le gaz et l’électricité. Giovanni et Luigi sont en passe de perdre leur travail, leur usine devant être délocalisée. Même les divergences politiques de ces deux hommes reprennent celles du moment : Luigi pour l’action directe, sans passer par les partis, Giovanni pour le respect de la loi et des impulsions du syndicat. La réalité politique et économique est plus qu’une référence dans le théâtre de Dario Fo, elle en est la matière même. a.
La désobéissance civile Faut pas payer ! s’inspire des luttes de quartiers des années 70 et d’une forme toute particulière qu’elles revêtirent : la désobéissance civile. La première manifestation de celle-­‐ci fut l’auto-­‐réduction des loyers dans un quartier ouvrier de Turin en 1970. Le mouvement s’étendit peu à peu à d’autres villes, et d’autres factures : le chauffage, les transports urbains, l’électricité. Ce mouvement visait à faire prendre en main les revendications par les intéressés eux-­‐mêmes et permit une résistance assez efficace contre l’augmentation du coût de la vie pour les ouvriers et petits salariés. Au moment où Dario Fo inventait l’argument de sa pièce à partir du mouvement d’auto-­‐réduction des factures, des mouvements spontanés contre les augmentations abusives des supermarchés apparurent, sans qu’on puisse établir de lien d’antériorité ni de causalité entre l’histoire et le théâtre. Ainsi, deux supermarchés de Milan furent envahis et dévalisés en octobre 1974 par des manifestants, en majorité des femmes. La Provincia, 20.10.1974, article conservé par Dario Fo.
b.
Des années de plomb 8
Les années 70 en Italie furent nommées les « années de plomb ». Période noire de l’histoire politique, économique et sociale, elle fut traversée par des conflits et des tensions violentes. Chômage, délocalisation, misère allaient de pair avec manifestations, radicalisation politique, affrontements, attentats terroristes. Texte 1 : « Entre « compromis historique » et terrorisme, retour sur l'Italie des années 70 », Toni Negri, 2002. Toni Negri est l’auteur, entre autres, de La Classe ouvrière contre l'Etat, Galilée, Paris, 1978, et d'Italie rouge et noire, Hachette, Paris, 1985. Il a été chargé de cours à l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm et enseignant à l'université Paris-­‐VIII, ainsi qu'au Collège international de philosophie. (…) En Italie, les années 70 commencent, en fait, en 1967-­‐1968 et se terminent en 1983. En 1967-­‐1968 le mouvement étudiant, comme dans tous les pays développés, érigea des barricades. Pourtant, son envergure et son impact n'eurent pas la même ampleur que dans les autres pays européens : en Italie, le mai 68 étudiant proprement dit fut faible. Mais il n'en va pas de même si on le juge d'un point de vue plus général : il a en effet ouvert, dans le système du pouvoir, une brèche dans laquelle s'est engouffrée, en vagues successives, la protestation sociale contre un système qui accumulait les retards dans la modernisation du capitalisme et réprimait le potentiel démocratique hérité de la lutte antifasciste et de la Résistance. C'est ainsi qu'après les étudiants d'autres acteurs sociaux se sont imposés sur la scène politique. Par exemple, 1969 est l'année ouvrière des nouveaux conseils d'entreprise (consigli di fabbrica), de l'égalitarisme dans les augmentations de salaire, du dérèglement des politiques capitalistes en matière de marché du travail. Le statut des travailleurs (statuto dei lavoratori) couronne cette phase des luttes. Viendront l'organisation des pouvoirs des régions, l'introduction du divorce, l'objection de conscience, sans parler de nombreuses innovations législatives qui ont « décongelé » la vieille société de l'après-­‐guerre. Autant de réponses institutionnelles à un enchaînement continu de luttes -­‐ pas seulement étudiantes, ni même ouvrières -­‐ ouvert par 1968. La « stratégie de la tension » Vers 1973-­‐1974, le cadre se modifie. Jusqu'à ce moment-­‐là, la relation entre les mouvements sociaux et la « gauche » avait été, malgré des accidents de parcours, essentiellement dialectique. Après la crise du pétrole de 1973 et les premières contre-­‐offensives capitalistes, les choses changent. La gauche italienne interrompt le dialogue avec les nouvelles forces sociales, et sa composante majoritaire, le Parti communiste italien (PCI), propose un « compromis historique » (compromesso storico) à l'adversaire de toujours, la Démocratie chrétienne (DC). Or le système politique italien, il faut le rappeler, était alors caractérisé, pour des raisons liées à la position du pays dans le scénario de la « guerre froide » par son « bipartisme imparfait ». Autrement dit, dans la norme de la vie parlementaire existait une convention ad excludendum concernant le PCI : quelle que fût sa force électorale, le [PCI] était exclu du pouvoir, censé rester entre les mains de la Démocratie chrétienne, rempart de l'Occident. Malgré cette contrainte institutionnelle, les deux forces avaient imaginé un système de pouvoir permettant un certain équilibre, espérant ainsi modérer les conflits sociaux lorsque ceux-­‐ci débordaient. A côté d'un « bipartisme imparfait » existait donc ce qu'on appelait un « coassociativisme imparfait ». Au début des années 70, s'appuyant sur la force électorale croissante que lui offre le développement des mouvements sociaux, le PCI décide de participer plus en profondeur à la majorité. Il ne se présente plus seulement comme un « parti de lutte », mais comme un « parti de lutte et de gouvernement ». Du coup, à partir de 1973-­‐1974, le Parlement va travailler dans une unanimité de fait. En 1978, le PCI ira jusqu'à appuyer le nouveau gouvernement. Ce faisant, il démissionnera des dernières fonctions de contrôle qui lui étaient imparties, dans le « bipartisme imparfait », en tant que représentant de l'opposition. Le « coassociativisme » devenait « parfait ». Les années 1974 à 1978 voient s'approfondir progressivement l'alliance entre DC et PCI : du gouvernement et du Parlement, celle-­‐ci s'étend à tout le système de pouvoir, de l'administration centrale à la périphérie, aux syndicats, à la gestion des moyens de communication et, dulcis in fundo, à la police. Simultanément, les luttes s'accentuent et les mouvements sociaux rompent définitivement avec toute représentation institutionnelle. N'oublions pas qu'il s'agissait de batailles de très grande envergure et d'énorme intensité. Car, au-­‐delà du simple exercice de ce « contre-­‐pouvoir » qu'ils incarnaient depuis 1968, les mouvements sociaux étaient alimentés par les conséquences des politiques de déflation monétaire et de restructuration industrielle par lesquelles s'organisait une première -­‐ mais décisive -­‐ « sortie du fordisme » du système productif italien. Or le « compromis historique » s'était justement bâti autour de ces « politiques d'austérité » contre lesquelles se dressait la mobilisation sociale. Ainsi, quand la répression -­‐ celle du patronat dans les usines et celle de la police, bénéficiant d'un nouvel arsenal législatif, dans la société -­‐ passa les bornes démocratiques, la résistance en vint à son tour à s'armer. C'est surtout parmi les ouvriers des grandes usines du Nord, sauvagement restructurées, que les Brigades rouges (1) 9
commencèrent à s'organiser ; et c'est dans ces mêmes usines, ou dans les zones limitrophes, qu'apparurent des pratiques de « justice prolétarienne », tantôt de masse, tantôt clandestines. A cet enchevêtrement de composantes sociales et politiques, désormais traversé par une série ininterrompue de luttes ouvrières et de violences urbaines, s'ajoute une variable indépendante et surdéterminée. C'est la provocation directe -­‐ comment l'appeler, sinon « terroriste » ? -­‐ des organes de l'Etat en charge des obligations de la « défense atlantique », avant, pendant et après le « compromis historique ». A partir du massacre de Milan en 1969, ces appareils ne cessent, année après année, d'accroître leur intervention, des bombes lancées pendant les défilés et les meetings populaires, dans les gares et dans les trains, jusqu'à l'horrible tuerie de Bologne en 1980 (2) (actuellement, aucun des responsables et des commanditaires de ces massacres n'est incarcéré). Ces actions criminelles ont évidemment jeté de l'huile sur le feu d'une résistance qui ne demandait qu'à s'exprimer et en avait les moyens. En 1977, le mouvement connaît une soudaine et très forte flambée, à partir de Bologne, la ville-­‐vitrine de la politique urbaine du PCI. A l'issue d'une manifestation, un énième militant y est tué par la police. Une émeute éclate. Le maire communiste et le gouvernement de « compromis historique » envoient les chars balayer les barricades. A la même période, le secrétaire national du syndicat communiste est expulsé de l'université de Rome, après de très violents accrochages, par un mouvement étudiant de masse qui s'élargit désormais au prolétariat urbain. A Milan, Turin, Naples, Padoue défilent d'énormes cortèges dans lesquels, de plus en plus fréquemment, apparaissent des groupes extrémistes armés, qui s'affirment comme une des composantes du mouvement. La résistance ouvrière et les mouvements prolétariens urbains contre les restructurations grandissent irrésistiblement dans la rancune à l'égard de la trahison de la gauche. S'ensuit une quasi-­‐guerre civile qu'aucun des acteurs ne contrôle plus. Cette tragédie va se terminer par une défaite. Pour tout le monde. Les premiers vaincus sont les mouvements sociaux. Totalement coupés des représentants de la gauche traditionnelle, incapables de donner une forme politique adéquate à l'expression du contre-­‐pouvoir et de contrôler celui-­‐ci, ils seront entraînés dans le gouffre d'un extrémisme toujours plus aveugle et violent. L'enlèvement et l'assassinat d'Aldo Moro (3) représenteront l'apogée d'un mouvement qui, mettant en avant ses objectifs militaires, avait perdu la capacité de mesurer les conséquences politiques de ses actions. Prise dans cet étau, la mouvance politique qui avait structuré les aspirations de centaines de milliers d'agitateurs et de militants sera bientôt dissoute par une répression massive et puissante. Les forces politiques porteuses du « compromis historique » ont cherché, elles aussi, à sortir de l'isolement social dans lequel elles étaient tombées, mais par une politique de répression pure et simple. Elles gagnèrent, mais ce fut une victoire à la Pyrrhus. Polices spéciales, prisons spéciales, tribunaux et procès spéciaux, activité spéciale de gouvernement : l'« urgence » a remodelé, tout en l'isolant encore plus, la structure constitutionnelle d'un système politique déjà massacré par le « bipartisme imparfait ». Avec des conséquences dramatiques, et d'abord pour le PCI, qui, à partir de ces années-­‐là, sera à la merci de la droite, enregistrant une baisse continue de ses suffrages et échouant à rétablir le moindre contact avec des mouvements sociaux, d'ailleurs marginalisés. Le Parti communiste va devenir ce que jamais, dans son histoire originale et glorieuse, il n'avait été : un groupe bureaucratique cantonné à l'intérieur de la machine du pouvoir et à l'extérieur de la société. Pour sa part, la Démocratie chrétienne a perdu au cours de ces événements sa position constitutionnelle centrale : elle s'enfermera dans la gestion de son pouvoir local et n'arrivera plus à se donner les instruments nécessaires à la compréhension du paysage productif et social au sein duquel la crise était née. C'est au gouvernement Bettino Craxi (socialiste), mis en place en 1983, qu'incombera la tâche de transformer l'isolement de la classe politique en une énorme machine de corruption et de dégradation de la société et de l'Etat. Les années 70 étaient finies. […] Toni Negri, EspaiMarx, 2002. NOTES (1) Les Brigate Rosse (Brigades rouges) étaient, comme Prima Linea (Première ligne, 1976-­‐1980), un des groupes militaires de l'extrême gauche -­‐ dans laquelle on comptait également, mais agissant sur le seul plan politique, Lotta Continua (Lutte continue, 1969-­‐1976), Potere Operaio (Pouvoir ouvrier, 1969-­‐1973), etc. (2) L'explosion d'une bombe dans la Banque de l'agriculture, piazza Fontana, à Milan, le 12 décembre 1969 (16 morts et 98 blessés), marque le début de la « stratégie de la tension », laquelle culminera avec l'attentat à la gare centrale de Bologne, le 2 août 1980 (85 morts et 200 blessés). Dans les deux cas, comme la justice l'a confirmé plus tard, c'est l'extrême droite qui était l'instrument de ce terrorisme aveugle. Selon les statistiques du ministère italien de l'intérieur, 67,55 % des violences (rixes, actions de guérilla, destruction de biens) commises en Italie de 1969 à 1980 sont imputables à l'extrême droite, 26,5 % à l'extrême gauche, et 5,95 % à d'autres. (3) Au moment de son enlèvement, le 16 mars 1978, Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne, négociait avec Enrico Berlinguer les possibles modalités d'une association du PCI au gouvernement. 10
Lexique Celui-­‐ci est établi à partir des notes de Valeria Tasca proposées à la fin de l’édition de Faut pas payer ! (Editions Dramaturgie). Pour des informations plus approfondies, on pourra donc s’y reporter. -­‐ Compromis historique : terme forgé à l’automne 1973, il désigne le pacte d’alliance passé entre la Démocratie chrétienne et le Parti communiste, dans la perspective de gérer ensemble le pouvoir. Cette alliance consistait essentiellement à maintenir après la victoire sur les fascistes et les nazis, le bloc politique antifasciste, qui deviendrait un bloc de pouvoir dans le cadre d’une démocratie bourgeoise progressiste. La gauche extraparlementaire y vit la preuve définitive que le PCI abandonnait toute perspective révolutionnaire. Cette alliance se brisa en 1980. -­‐ Gauche extraparlementaire : l’expression désigne en Italie les secteurs de la gauche qui ne se reconnaissent pas dans les partis de la gauche historique, le PCI et le PSI, et qui refusent la représentation au Parlement comme expression politique du prolétariat. Ces organisations se sont formées autour des années 60, autour de deux axes : l’un, « ouvriériste », l’autre, marxiste léniniste. Parmi ces groupes : Potere Operaio, Gruppi comunisti rivoluzionari. L’un des journaux représentatifs de cette gauche fut Lotta continua. -­‐ Lois spéciales : établies entre 1974 et 1982, ces lois spéciales désignent un ensemble de textes et de dispositions donnant à la police et à la justice des droits accrus pour lutter contre la criminalité dans les grandes villes et surtout contre les manifestations de lutte armée organisée. Parmi ces mesures : l’interrogatoire par la police des gens arrêtés, avec avocat, puis sans – mesure qui a entraîné des cas de torture ; l’extension des mesures de garde à vue et la réduction des cas de liberté provisoire ; l’autorisation des arrestations préventives ; jusqu’à la loi dite des « repentis », votée en 1982, qui consent d’énormes avantages à ceux qui, inculpés de crimes politiques, dénoncent leurs co-­‐inculpés. -­‐ Terrorisme : un mouvement armé clandestin s’est développé en Italie à partir de 1972. Divers éléments de la gauche extraparlementaire jugèrent qu’un affrontement révolutionnaire entre le prolétariat et l’Etat bourgeois était imminent. Ils se donnèrent des structures clandestines et s’armèrent. Et pendant plusieurs années intervinrent dans les luttes sociales, qui se durcirent au cours des années 70. Les premiers actes furent la dégradation de produits industriels, des locaux de police et de gendarmerie, puis la séquestration de dirigeants industriels et de syndicalistes « jaunes ». Peu à peu, leurs actes s’aggravèrent, jusqu’aux attentats meurtriers et aux homicides. L’un des événements les plus marquants fut le meurtre d’Aldo Moro, retenu en otage pendant plusieurs semaines. Au début des années 80, l’Etat italien lança une contre-­‐offensive très dure contre la lutte armée et obtint des succès importants conduisant à l’incarcération de plusieurs milliers de militants, réels ou supposés. L’un des groupes les plus connus de cette lutte armée fut les Brigades rouges. 11
III.2. Une « farce politique » Texte 2 : Extrait de la préface de Valéria Tasca de Faut pas payer ! , aux éditions Dramaturgie. « Avec Non si paga !, [Dario Fo] s’approprie le vaudeville, pour démonter une situation qui tantôt s’enlise dans la grisaille du fourneau à gaz et tantôt débouche sur la menace d’une charge de police. Or le recours au vaudeville, loin de servir à esquiver le réel, permet de le montrer tel qu’il est, déglingué, incohérent, jusque dans ses emballements farfelus qui révèlent paradoxalement des mécanismes impitoyables. Les personnages, et singulièrement Giovanni, jouent le double jeu d’instruments dociles qui actionnent les rouages contre eux-­‐
mêmes, et d’obstacles qui font trébucher la machine ou la projettent sur une trajectoire insensée. Ils sont proches en cela d’une autre tradition, celle de la commedia dell’arte, et surtout du Zanne balourd, trop sot pour comprendre les ordres de son maître, ce qui lui permet de désobéir ou mieux encore, d’exécuter au pied de la lettre les instructions reçues et d’en faire éclater aux yeux l’absurdité. Le hasard fournit dans Non si paga ! des données de départ quasi invraisemblables, comme le veut la tradition comique. C’est la silhouette ventrue de Margherita qui cache des provisions sous son manteau, ce sont les boîtes de nourriture pour animaux emportées par Antonia dans sa hâte de remplir son panier à bon compte. A partir de là on a un mécanisme d’enchaînements rigoureux et rigoureusement insensés. La grossesse de Margherita se transmet par contagion à son amie Antonia et par miracle au gendarme qui ne voulait pas croire en Sainte Eulalie. La nourriture pour animaux soulève le dégoût, puis clame la fringale, et devient enfin le repas qu’on partage. […] Dario Fo a écrit que Non si paga ! est une pièce sur la faim. De la razzia initiale au miracle de Sainte Eulalie, on parle de nourriture, on rêve de nourriture. Tout est dans l’imagination, dans l’assaisonnement. Deux gouttes de citron et les têtes de lapins se goberaient comme des huîtres. La pâtée pour chien et chat devient un pâté à la française. La bouillie de millet, trop peu cuite dans une décoction infâme, fait son entrée dans la gastronomie exotique, par la petite porte du révisionnisme. […] Enfin au lieu de roses de la légende, suave régal pour croyants repus, Sainte Eulalie fait un miracle en gonflant le ventre de femmes avec de la salade et des choux. De quoi rassasier un troupeau de zèbres. Dommage que les ouvriers ne soient pas des zèbres, pas plus qu’ils ne sont des canaris, des chats ou des chiens. Il n’y a de vrai, au bout du compte, que la vie de chien qu’on leur fait mener. » Valéria Tasca, extrait de la préface de Faut pas payer ! aux Editions Dramaturgie. III. 3. Archives a.
La création de Faut pas payer ! par le collectif « La Comune » De cette création, il reste des esquisses de Dario Fo de la scénographie et des personnages et de nombreuses photos. Texte 3 : L’usage du dessin, extrait de « J’aime inventer la réalité », entretien avec Dario Fo, Revue du TNS OutreScène, mai 2004. « Quand je prépare un spectacle, je déroule tout le texte, séquence de jeu par séquence de jeu, en autant de dessins que je montre aux acteurs au début du travail. Je dessine le cadre, les jeux de scène, les accessoires, les gags, et parfois des détails de mimique ou de posture, tels que je les imagine et non pas tels qu’ils doivent être réalisés : c’est un point de départ, pas un modèle. Quand j’ai monté Le Médecin malgré lui et Le Médecin volant à la Comédie Française, je suis arrivé avec deux gros cahiers de dessins. C’est dans mes dessins que je trouve la façon juste de communiquer l’intention. Je suis toujours resté un figuratif. Pour moi, l’espace est fondamental. Souvent, je mets en place tout un discours dans les mots et puis, tout doucement, les mots se transforment en sons, en gestes surtout, en postures, en déplacements. Un soudain renversement de situation, par exemple, provoque le rire et dans ce cas seulement, la situation provoque la réflexion. Le procédé du renversement est celui qui permet de communiquer l’essentiel avec légèreté. » Esquisses réalisées pour Faut pas payer ! 12
Scénographie imaginée par Dario Fo
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Esquisse pour affiche
Affiche de Dario Fo de Faut pas payer !
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Photos de Faut pas payer !
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b.
Des affiches de Faut pas payer ! « Faut pas payer ! » fut joué dans de très nombreux pays. Les affiches suivantes témoignent de cette reprise internationale. Chacune d’elles raconte à sa manière la pièce, mettant l’accent sur la dimension politique ou comique. Un travail d’analyse de l’image pourrait être réalisé autour de ces représentations iconographiques. 16
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III.4 Quelques pistes de réflexions On peut envisager plusieurs axes pour étudier Faut pas payer !. Ces propositions bien sûr ne sont pas exhaustives : les registres tragique et comique ; l’inscription de la thématique de la faim ; la notion de « récit » ; théâtre et dialectique : le dialogue comme lieu de débat ; théâtre et politique ; le hors scène ; une dramaturgie fondée sur le rythme. III.5 Extrait Giovanni, rentrant chez lui, croise Margherita avec un « ventre énorme » : sur l’ordre d’Antonia, elle a caché sous son manteau des provisions volées. Elle sort. GIOVANNI Mais qu’est-­‐ce qu’elle a, Margherita ? ANTONIA Pourquoi, elle devrait avoir quelque chose ? GIOVANNI Mais… elle est toute gonflée par devant : un ventre énorme ! ANTONIA C’est la première fois que tu vois une femme mariée avec un ventre énorme ? GIOVANNI Tu veux dire qu’elle est enceinte ? ANTONIA C’est la moindre des choses qui puissent arriver quand on fait l’amour. GIOVANNI Mais à quel mois en est-­‐elle ? Je l’ai vue dimanche dernier, je n’ai rien remarqué. ANTONIA Tu n’as jamais rien compris aux femmes. Depuis dimanche, ça fait déjà une semaine. Et en une semaine, il peut s’en passer des choses ! GIOVANNI Ecoute, je suis idiot, mais pas à ce point. Nous travaillons à la même chaîne de montage, Luigi et moi, il me raconte toujours tout ce qui se passe entre sa femme et lui. Et il ne m’a pas dit qu’elle attendait un enfant. ANTONIA (ne sachant pas comment s’en sortir.) Ce sont des choses qui… dont… on est gêné d’en parler en public. GIOVANNI Gêné ? Mais tu es stupide ? Gêné de dire que sa femme attend un enfant ? Il en aurait honte ? « Sainte Vierge, j’ai mis ma femme enceinte ! » ANTONIA (cherchant ses mots.) Il ne te l’a pas dit peut-­‐être … parce qu’il ne le sait pas encore. (Giovanni la regarde ahuri et elle continue imperturbable) Et si lui ne le sait pas, comment veux-­‐tu qu’il te le raconte ? GIOVANNI Il ne le sait pas ? ANTONIA Eh oui, elle n’a peut-­‐être pas voulu le lui dire. GIOVANNI Comment pas voulu ? ANTONIA Eh oui… elle est très réservée… et aussi parce que Luigi… lui répète tous les jours que c’est trop tôt… que ce n’est pas le moment… avec la crise… que si elle est enceinte, son usine la licenciera… Tant et si bien qu’il l’oblige à prendre la pilule. GIOVANNI S’il l’oblige à prendre la pilule, comment se fait-­‐il qu’elle soit enceinte ? ANTONIA La pilule n’a pas dû agir. Ça arrive. GIOVANNI Alors pourquoi l’a-­‐t-­‐elle caché à son mari ? Ce n’est pas de sa faute. ANTONIA Eh bien, c’est que … la pilule n’a pas agi… peut-­‐être … parce qu’elle ne la prenait pas, la pilule. Et quand on ne prend pas la pilule… (Ne sachant plus quoi dire.)…souvent, elle n’agit pas, la pilule. GIOVANNI Qu’est-­‐ce que tu racontes ? ANTONIA (très nerveuse) Margherita est très catholique… et comme le pape a dit que la pilule était un péché mortel… GIOVANNI Dis-­‐moi, tu divagues ? La pilule qui n’agit pas quand on ne la prend pas… Le pape ! … Elle avec un ventre de neuf mois et un mari qui ne s’aperçoit de rien ! ANTONIA (de plus en plus en difficulté.) Luigi ne pouvait pas s’en apercevoir, parce que Margherita … s’emmaillotait. Faut pas payer !, Dario Fo, Premier Temps. 19
IV. Matériaux pour approfondir l’analyse
IV. 1 Un théâtre populaire Le théâtre de Dario Fo s’inspire et se nourrit du théâtre populaire. De nombreux éléments y renvoient : l’importance du corps, dans le discours et en jeu ; l’usage de la langue ; l’importance du récit et de l’acteur conteur. a.
Le corps Texte 4 : « la parole du corps », extrait de Dario Fo : un acteur épique, de Bernard Dort, Travail Théâtral, 1974. On rencontre dans les spectacles de Dario Fo l’évidence d’un corps contre laquelle viennent s’échouer tous les tours de l’intellect, tous les raffinements du « jeu dans le jeu ». Que Fo ponctue son jeu de rots, de pets, qu’il nous donne à entendre le gargouillis d’un estomac affamé ou le ronronnement d’une panse bien remplie ce n’est certes pas accessoire. C’est le rappel mystérieux de l’existence, des besoins et des satisfactions – les plus immédiats – du corps. Le cul, le ventre, le sexe […] sont les points de référence, d’ancrage. Le discours de Fo y ramène toujours. Car c’est bien du corps, de ses désirs, de ses insatisfactions et de ses satisfactions élémentaires qu’il s’agit. Rein de populiste là-­‐dedans, mais, bel et bien, une parole profondément populaire. Cette parole « grotesque » qui double (et peut-­‐être fonde) toute parole « sacrée » ou culturelle. […] Mistero Buffo, ce monologue d’un mime qui parle et dont la vocation est le dialogue, nous donne accès, le plus simplement du monde, à l’affirmation première de tout théâtre populaire : celle de la primauté du corps face à tous les travestissements sociaux. » b.
La langue Texte 5 : l’usage de la langue, extrait de Dario Fo : un acteur épique, Bernard Dort, Travail Théâtral, 1974. « Il faudrait encore étudier avec précision les variations de langage, les dialectes dont use Dario Fo. Ce qu’il conteste, c’est la langue nationale et littéraire, établie une fois pour toutes, la lange comme propriété privée dans le respect de laquelle scène et salle scellent un accord jaloux. En face d’elle, il ressuscite, il élabore ce qu’il appelle le langage des jongleurs : « Il y avait des centaines de dialectes et une énorme différence, plus grande qu’aujourd’hui, entre un endroit et l’autre, si bien que le jongleur aurait dû savoir des centaines de dialectes. Alors qu’est-­‐ce qu’il faisait ? Il en inventait un à lui. Un langage formé sur beaucoup de dialectes, avec la possibilité de changer des mots à des moments déterminés, et quand il se trouvait dans l’embarras, ne sachant pas quel mot choisir, pour faire comprendre quelque chose, voilà que tout d’un coup il mettait trois, quatre, cinq synonymes. »* * Dario Fo, Mistero Buffo Texte 6 : la langue de Dario Fo, extrait de la « Note du traducteur » de Valeria Tasca pour Faut pas payer ! « La langue de Dario Fo, qu’il s’agisse de théâtre, de manifestes ou d’entretiens, est directe, vive, familière, on se l’approprie avec plaisir, elle sonne bien à l’oreille. Preuve qu’il s’agit d’une langue d’écrivain, et non de la transcription réaliste des bredouillements, des platitudes et des approximations du langage courant, celui qu’on prétend libre parce qu’on n’en perçoit pas la molle et morne rhétorique. Dario Fo utilise systématiquement toutes les variations possibles entre les dialectes, ceux de l‘Italie du Nord essentiellement et de l’italien. Il en résulte une langue différente de celle que diffusent les mass media, moins nationale assurément mais bien plus collective, car elle rappelle l’accent, la gouaille, la verve de gens qu’on a entendus dans la rue. » Texte 7 : le grommelot, extrait du Gai savoir de l’acteur, Dario Fo. « Grommelot est un terme d’origine française, forgé par les comédiens et déformé par les Vénitiens qui disaient gramlotto. C’est un conglomérat de sons qui, sans avoir de signification précise, arrivent à suggérer un sens ; c’est un jeu d’onomatopées arbitrairement organisées mais qui, grâce aux gestes, aux rythmes et à certaines sonorités, font passer un discours achevé. 20
On peut articuler des grommelots de toutes sortes, évoquant les structures lexicales les plus variées. La première forme de grommelot, c’est évidemment celle des enfants. […] Nous pouvons parler tous les grommelots, anglais, français, allemand, espagnol, napolitain, vénitien, romain, tous, absolument tous ! » c.
Le quatrième mur Texte 8 : « Briser le quatrième mur », extrait du Gai savoir de l’acteur, Dario Fo. « Une grande partie du théâtre, même moderne, est conçue pour conditionner le public à une totale passivité. A commencer par le noir complet dans la salle, qui prédispose à une sorte d’anéantissement mental et, par opposition, crée une attention purement émotive. On suit ce qui se passe sur scène comme si on était au-­‐delà d’un rideau, d’un quatrième mur qui permet de voir, sans être vu, le déroulement d’histoires intimes et privées, parfois scabreuses. On les écoute « l’abat-­‐jour baissé », dans le noir, en espion qui se livre au plaisir morbide du voyeur. Eh bien ! le souci de briser le quatrième mur était déjà une idée fixe des comédiens dell’arte. Molière lui-­‐même avait conçu de renouveler le théâtre français à partir de l’intuition vraiment révolutionnaire des hommes de théâtre italiens. J’ai déjà dit que son maître avait été Scapin et qu’il avait lui-­‐même joué sous ce masque. A partir de son expérience du milieu des comédiens dell’arte, il avait compris qu’il était important d’impliquer corporellement le spectateur. Il avait commencé par déplacer la scène vers l’avant. Quand on a construit la plupart des théâtres, le proscenium arrivait jusqu’à la ligne imaginaire qui relie les deux loges en vis-­‐à-­‐vis, au-­‐
delà du cadre de scène : position idéale pour un acteur qui joue des textes non pas intimistes, mais au contraire épiques et vraiment populaires. Il est ainsi projeté physiquement vers le parterre, au milieu du public, complètement en dehors du cadre de scène, à l’extérieur du portique qui délimite la scène proprement dite. Cet espace s’appelle d’ailleurs avant-­‐scène, et c’est là que Molière fait avancer tous ses acteurs. » d.
L’acteur épique Texte 9 : le conteur populaire, extrait de la préface de Valeria Tasca de Faut pas payer ! aux éditions Dramaturgie. Lire Dario Fo, c’est restituer aux textes leur épaisseur corporelle, retrouver sous l’écriture une parole qui n’est jamais désincarnée, suspendue dans le vide ? Pour comprendre son langage théâtral (…), la référence la plus éclairante est celle du conteur populaire (…) : jongleur ou giullare des moralités médiévales, fabulatori ou conteurs des bourgades d’hier, cantastorie ou chanteurs-­‐conteurs de la Sicile (…). Dario Fo ne refuse pas de se rattacher aux expériences contemporaines du théâtre politique, comme celle de Piscator et de Brecht, à condition que parler d’un théâtre et d’un jeu « épiques » soit en même temps redécouvrir un mode de représentation très ancien, peut-­‐être primitif, encore vivant en tout cas, celui de l’epos, du récit. La situation du conteur est exemplaire pour le comédien car elle impose avec le public un lien de chaque instant. (…) Revenir à la tradition des conteurs, c’est restaurer, enrichir et transmettre une culture orale qui constitue la mémoire du groupe, et comme dit Dario Fo, son « journal parlé » […]. Il prête, comme on dit, sa voix à des personnages souvent nombreux. N’y en eût-­‐il qu’un, jamais l’être fictif et l’être réel ne se confondent. Le conteur est le maître visible des « ficelles », par lesquelles les événements se constituent en histoire. […] L’histoire, à tous les sens du mot, ne va pas sans un regard critique sur elle-­‐même. De ces divers décalages, inhérents à la pratique des conteurs ; le théâtre de Dario Fo tient son pouvoir d’ironie et de charge grotesque. Texte 10 : Les « fabulatori » du Lac Majeur, Dario Fo, Préface de Allons-­‐y, on commence, farces de Dario Fo. Tout commence, j’en suis sûr, par le lieu de naissance. En ce qui me concerne, je suis né dans un village au bord du lac Majeur, près de la frontière suisse. Un pays de contrebandiers et de pêcheurs plus ou moins braconniers. Deux métiers qui, outre une bonne dose de courage, exigent beaucoup, énormément d’imagination. Il est bien connu que, si on utilise son imagination à transgresser la loi, on en réserve une partie pour son plaisir personnel et celui de ses plus proches amis. Voilà pourquoi, ayant grandi dans un milieu où chacun est un personnage, où chaque personnage cherche une histoire à raconter, j’ai pu aborder le théâtre avec un bagage assez insolite, et surtout vivant, présent et vrai, comme sont vraies les histoires racontées par des hommes vrais. 21
Il peut sembler un peu gratuit de ramener à cette seule origine ce qui constitue le fond de mes ouvrages, cette sorte de surréel, de fantastique, de grotesque. Tout ne vient peut-­‐être pas de là ; c’est pourtant de mes compatriotes que j’ai appris à regarder et à lire les choses de cette façon. Les fabulatori (conteurs) parcouraient la région du lac Majeur, aux environs de mon village natal, et racontaient sur les places ou dans les auberges d’étranges histoires, un peu naïves, un peu folles. La simplicité les caractérisait. Ils racontaient simplement ce qu’ils observaient de la vie quotidienne, mais en le portant jusqu’à l’exagération. Ces histoires « absurdes » cachaient leur amertume, l’amertume d’une déception et d’une satire acerbe contre le monde officiel, que peu d’auditeurs sans doute percevaient. [Elles avaient un fond moral, politique. Nécessairement. Il s’agissait en fin de compte de la défense de celui qui se fait bafouer, exploiter, flouer, blouser]. Ils racontaient, toujours à la première personne, l’histoire d’étranges pêcheurs qui, lançant leur ligne avec trop de force, ramenaient les clochers de l’autre rive ; celle d’étranges courses de barques où le batelier, oubliant de lever lancer, traînait l’île entière derrière sa barque et ne franchissait qu’au second rang la ligne d’arrivée ; celle de gens qui faisaient la course avec des escargots : quand l’escargot, pour gagner, allait s’écraser contre une pierre, ils s’apitoyaient et, par esprit chevaleresque, n’avaient plus le cœur de le ramasser pour le manger ; celle d’étranges explorateurs du monde sous-­‐marin qui découvraient un pays comme celui d’en haut, mais immobile, parfaitement propre, avec tous ses personnages. (…) Quand j’avais quatorze ou quinze ans, je m’amusais à reproduire les schémas de ces conteurs. Je croyais qu’ils les inventaient, j’ai découvert ensuite qu’il s’agissait d’une tradition. Tout cela est resté en moi comme un noyau positif, structurel. Texte 11 : le jeu épique, à propos de Mistero Buffo, extrait de Dario Fo : un acteur épique, Bernard Dort, Travail Théâtral, 1974. « Fo double littéralement son jeu de commentaires. […] Et c’est précisément cette alternance du jeu et du commentaire, du langage et de la mimique qui fonde Mistero Buffo. Certes ces commentaires ont d’abord une fonction d’explication et d’information. Fo explique dans quel contexte sont nés les textes qu’il va interpréter. […] C’est le commentaire qui fait le pont entre leur passé et notre présent. Mais la fonction de ce commentaire est aussi proprement sémantique : son rapport au jeu est constitutif du sens (ou des sens) même de la représentation. […] Dario Fo ne procède pas mécaniquement : du côté du commentaire, le message ; de celui du jeu, l’illustration. […] Il y a compénétration, entrelacement. Le commentaire est loin d’être pur de tout jeu et le jeu de tout commentaire. […] Le sens court du passé au présent, du geste à la parole, de l’individu à la foule. Il n’est jamais complet nulle part. Il est découpé, livré en brèves séquences, tantôt parlées, tantôt mimées, séparées les unes des autres et pourtant enchevêtrées. Il ne cesse de s’engendrer dans le fonctionnement multiple de cet acteur-­‐commentateur qu’est Dario Fo. Tout ce que, commentant le théâtre épique brechtien, Walter Benjamin écrivait du « jeu interrompu » et du « gestus que l’on peut citer » s’applique ici à la lettre. Fo pratique une constante interruption. Ses gestes en demeurent suspendus. Il les regarde, les commente, en rit, les répète ou les prolonge. » 22
IV.2. Théâtre militant Texte 12 : « Créer des espaces nouveaux », extrait de Fo ou l’espace libre du théâtre, Bernard Dort, postface de Mort accidentelle d’un anarchiste et Faut pas payer ! Ce livre inscrit ces deux farces « dans un double contexte : celui des luttes politiques italiennes dont [elles sont issues], celui d’une pratique théâtrale globale, plus large que l’écriture et la représentation, que Fo a toujours entendu instituer et sur laquelle, parallèlement à sa création, il n’a cessé de réfléchir. Le lexique établi par Valeria Tasca nous fournit les renseignements nécessaires pour déchiffrer les innombrables références […] aux événements d’actualité, mais surtout il nous permet de réinscrire [ces textes] dans ce qui est plus qu’un contexte, dans ce qui est [leur] réalité. Ce qui ne veut pas dire bien sûr qu’il [les] referme sur la situation italienne des années 1970 et le réduit à ne refléter que les combats de l’extrême gauche transalpine d’alors. Il nous rappelle aussi la spécificité de l’entreprise théâtrale de Fo. En effet, loin de subordonner son activité à un objectif partisan, Fo n’a cessé d’affirmer l’autonomie et le caractère « unitaire » du travail culturel comme condition de son efficacité politique. […] Loin de s’arc-­‐bouter sur une prétendue irrécupérabilité des textes militants ou de rêver à une impossible pureté des prises de positions idéologiques, Dario Fo élargit le concept de théâtre jusqu’à celui d’espace – d’espace culturel et politique. Son objectif, c’est l’invention de tels espaces nouveaux : des espaces gérés par la classe ouvrière, des lieux qui permettent « une confrontation incessante » et où « puissent se développer la discussion et la dialectique » -­‐ non « un terrain où, à chaque fois, la tendance hégémonique, livrant bataille contre telle ligne ou tel groupe, cherche à rester la seule maîtresse », car « sur ce terrain-­‐là, il ne peut rien pousser, pas même du chiendent », mais des espaces libres, où, dans et par le jeu, on peut débattre d’une société nouvelle. » Texte 13 : « Du théâtre au meeting : une soirée à quarticciolo » « On nous avait dit : vous vous perdrez en route. Effectivement, ce n’est pas facile d’arriver jusqu’à Quarticciolo, aux confins de cette banlieue romaine dont les anneaux concentriques grignotent peu à peu la campagne. Nous suivons la via Nomentanna : les « borgate » de Pasolini ont cédé la place aux H.L.M. des cités-­‐dortoirs. Nous finissons tout de même par trouver : une place mal éclairée, un minuscule bar où nous nous précipitons pour acheter un sandwich et le « théâtre » lui-­‐même : un vieux cinéma dont la salle, dépouillée d’ornement, paraît immense. A l’entrée, un membre du collectif théâtral de la Commune fouille rapidement les spectateurs : précaution d’usage, mais particulièrement nécessaire en cette soirée qui suit les incidents de Primavalle. On se souvient que dans cette autre « borgata » de Rome, un incendie criminel avait provoqué la mort d’un militant du M.S.I. (le parti néo-­‐fasciste italien) et de son jeune frère. Un panneau apposé sur les lieux semblait « signer » le crime : Giustizia proletaria (justice prolétarienne). […] Un peu partout en Italie, et à Rome tout particulièrement, l’extrême-­‐gauche craignait des « représailles » fascistes : en fait, ce soir-­‐là, rien ne se produisit, mais une tension était dans l’air, qui ne favorisait pas le contact du comédien avec le public. Dario Fo accueille à l’entrée. Le groupe de la Commune fonctionne grâce à un système d’abonnement : une carte d’un coût de 1000 lires (7 F environ) permet d’avoir accès à n’importe quel spectacle du collectif, dans n’importe quelle ville d’Italie, moyennant un ticket d’entrée d’un prix modique (700 lires, 4.90 F environ). Pendant que les spectateurs prennent place, Fo nous parle d’une nouvelle tentative d’intimidation dont sa famille a été l’objet le jour-­‐même. Déjà, quelques semaines auparavant, sa femme, la populaire comédienne Franca Rame, interprète de la plupart de ses spectacles, a été victime à Milan d’une grave agression de la part d’un commando d’extrême-­‐
droite. Dario Fo et les siens sont contraints de se cacher, de changer sans cesse d’adresse ; la vie de son fils est en danger et aujourd’hui même est arrivée au domicile de l’acteur une lettre contenant un explosif sans détonateur, avec sur un bout de papier ces mots : « Simple avertissement ». Nous entrons dans la salle ; elle est remplie aux deux tiers : « un succès », nous expliquera Fo, théâtre et même cinémas étant d’ordinaire vides pendant le week-­‐
end de Pâques. Il est difficile de se faire une idée du public : jeune en tout cas, beaucoup d’étudiants apparemment ; des ouvriers aussi ? C’est difficile à dire. Au fond de la salle se dresse la scène : une simple estrade de bois, dépourvue du moindre élément de décor, mais hérissée de fils électriques ; quelques « spots » fixés sur un cadre métallique suffiront à éclairer le comédien pendant la représentation. Fo et les jeunes membres de la Commune (barbes noires, treillis militaires) s’affairent pour régler à vue le son et les éclairages. Normalement une projection de diapositives accompagne le spectacle, mais Fo nous dira tout à l’heure qu’elle ne pourra avoir lieu, un commando fasciste ayant fait main basse sur une partie du matériel. […] « Notre théâtre est un théâtre de propagande et de provocation qui soutient les luttes de la classe prolétarienne », écrit Dario Fo. A cette fin, chaque représentation du collectif de la Commune est suivie d’un débat, dont les moments les plus significatifs sont publiés par la suite avec le texte de la pièce. Mais le débat n’est qu’un aspect de l’action militante des comédiens : le spectacle s’insère dans une pratique politique concrète dont il est impossible de le séparer, la mobilisation idéologique qu’il provoque s’accompagne d’une sensibilisation du public 23
aux luttes révolutionnaires en cours. On en arrive ainsi à une forme de théâtre-­‐meeting qui peut revêtir les aspects les plus divers. Ainsi le soir où j’ai vu le Mistero Buffo, l’entracte a permis, outre la vente accoutumée de documents du collectif de la Commune (textes ou enregistrement des spectacles, photos, films, etc.), une quête en faveur des éditeurs d’extrême-­‐gauche, Samona et Savelli, dont la maison d’édition venait d’être plastiquée. Et surtout, à la fin de la représentation, Dario Fo a demandé aux spectateurs de rester pour assister à la projection d’un film sur la première grande manifestation d’opposition au régime grec : l’occupation de l’université d’Athènes par les étudiants en grève. La projection, commentée par un des animateurs de la Commune, fut suivie de la lecture de divers textes ou télégrammes émanant d’organisations révolutionnaires du tiers-­‐monde, et la soirée (où, exceptionnellement, l’urgence des événements politiques empêcha le déroulement d’un véritable débat sur le spectacle) s’acheva sur l’exposé d’un avocat romain d’extrême-­‐gauche démontant parfaitement la version officielle des incidents de Primavalle et mettant en cause les survivances de l’ère fasciste dans le code de procédure criminelle italien. IV.3 Revue de presse : un prix Nobel inattendu Dario Fo, le Nobel imprévu, Valeria Tasca, Le Monde, 11 Octobre 1997 Le Prix Nobel de littérature pour Dario Fo ! Ce diable d'homme nous a habitués à le trouver là où on ne l'attendait pas, mais voir l'iconoclaste couronné par une si respectable Académie, et couronné au titre de la littérature, on en reste pantois « esterrefatto », comme il a dit aux journalistes. Et en même temps, tout joyeux, allégé, dilaté, réconforté. Je crois entendre son rire devant les commentaires bêtes et pincés que rapporte la presse italienne, et j'espère qu'il va régaler ses amis d'une improvisation assassine sur les grognons professionnels. Dommage de ne pas y assister ! […] Dario Fo est un homme des planches (le palcoscenico des Italiens), il a besoin de leur élasticité pour trouver le rythme de son souffle et sur ce rythme donner vie à ses mots, comme il a besoin d'un public avec lequel entrer physiquement en résonance. Avec lui, c'est bien la communauté des acteurs qui est aujourd'hui honorée, et nous nous en réjouissons. Mais, par goût du paradoxe un goût qu'il ne m'a pas donné mais que j'ai cultivé en le fréquentant, je revendique volontiers son appartenance à la littérature, au risque de provoquer ses protestations. Il aime la langue, les mots, les sons, les syllabes, les phrases, les figures, les étymologies... Quand on aborde Dario Fo par le spectacle, comme il est juste de le faire, on est fasciné par la mobilité du visage, par la qualité du geste, son ampleur et sa précision, par la variété, la chaleur et la justesse des intonations de voix. Sans doute est-­‐ce depuis que j'ai abordé la traduction de ses pièces que je suis consciente de son écriture. Le traducteur de théâtre est d'abord légitimement préoccupé par les problèmes -­‐ j'énumère dans le désordre -­‐ de lisibilité, de rythme, de niveaux de langue, de jeux de mots et de mots inventés, d'allusions à l'histoire ou à l'actualité. Mais quand il s'agit vraiment d'un auteur, il faut, avec tous ces «problèmes», construire une unité, un style, presque au sens architectural du terme. Le nez sur la page, on perd de vue que Dario Fo est aussi un peintre, un dessinateur surtout, un scénographe. D'où la lutte à mener avec la ligne écrite pour qu'elle ne se perde pas en méandres, sinon signifiants, pour que les contours de la réplique ne bavent pas, sinon par choix. Un travail de l'oreille et de l'œil, en quelque sorte. C'est aussi une fête : Dario Fo est un écrivain parce qu'il aime la langue, les mots, les sons, les syllabes, les phrases, les figures, les étymologies... On sait que, depuis Mistero Buffo surtout (1969), il utilise volontiers les dialectes de l'Italie du Nord, des confins du Piémont et du Milanais jusqu'à la Vénétie. Et comme à cette date il a pris pour emblème le jongleur (giullare), figure médiévale, il a reconstruit pour la scène une langue archaïque, portant les traces des vagabondages de ces poètes-­‐comédiens-­‐musiciens, qui les menaient des rives de l'Adriatique à la vallée du Rhône : c'est le vénéto-­‐provençal, philosophiquement suspect peut-­‐être, mais d'une grande efficacité poétique. Dario Fo ne s'en tient pas là. Il aime déplacer les frontières, géographiques, historiques, même biologiques... Il devient chat, chien, tigre, à volonté, aidé assurément par son habileté mimique : il griffe, il se ramasse pour bondir, il se détend, il se désarticule, et tout cela sans imitation réaliste, par des gestes qui sont la synthèse des mouvements naturels. Il invente aussi des mots à dire en crachant de colère ou en hurlant à la lune, mieux : des mots qui sont par eux-­‐mêmes des grumeaux de colère ou des lambeaux de désespoir. Comme il a entendu un marionnettiste de Shangaï faire dialoguer un tigre et un soldat, le voilà qui, au retour, parle tigre, avec l'accent de Bergame. Cela nous vaut la succulente Histoire du tigre, que les Parisiens ont eu la joie d'entendre et de voir sur la scène du TEP en 1980. A qui se demanderait comment les Espagnols ont pu communiquer avec les indigènes, Dario Fo raconte qu'un paysan de la vallée du Pô, embarqué par hasard dans l'une des expéditions de Christophe Colomb, avait une telle passion pour les langues étrangères qu'il réussit à apprendre l'« indien » : c'est Johan Padan à la découverte des Amériques, une grande jonglerie de 1991. Adopté par les Indiens, respecté, cajolé, le héros est parfois pris de nostalgie, au souvenir du vin, du rire des filles et de son dialecte. La langue est un plaisir essentiel, vital, que l'acteur partage avec le poète. Par bonheur, ils nous le font partager. 24
Et le « grommelot » qu'il prononce et écrit « gramelot » et fait remonter aux comédiens dell'arte ? Désireux de se faire comprendre du public et d'échapper à la malveillance des sergents du guet, les acteurs italiens contemporains de Molière avaient, dit-­‐il, inventé un langage « grommelé » restituant à l'oreille le phrasé du français, mais impossible à noter, donc à censurer. Sans doute, ici encore, c'est le jeu de l'acteur qui, en grande partie, supplée les lacunes de la signification verbale. En partie seulement. La musique de la langue est en elle-­‐même porteuse de sens. Décidément, c'est un prix de poésie qu'on aurait dû décerner à Dario Fo ! Dans ses attendus, l'Académie suédoise lui rend hommage aussi pour avoir « fustigé le pouvoir et restauré la dignité des humiliés ». Le jongleur joue le rôle de bouffon, investi du pouvoir de dire que le roi est nu et que « le patron n'est qu'une vessie pleine de vent » (La Naissance du jongleur). A cette belle légende solaire répondent les récits de massacres et d'exactions jalonnait l'histoire de l'humanité : d'un côté l'espoir, de l'autre la révolte, qui font ensemble la « dignité des humiliés ». Mais on ne la restaure ni par des images lénifiantes ni par des incantations. Il y faut, selon la formule d'Hubert Gignoux, « une volée de colère et de rire ». C'est ce que nous apprennent Dario Fo et son Gai savoir. » Le jury Nobel couronne Dario Fo, roi du jonglage et de la comédie Extraits de l’entretien accordé par Dario Fo à Pierre-­‐André Boutang, diffusé intégralement sur Arte le 17 décembre 1997. « PAB -­‐ Alors, pour poser toutes les questions idiotes qu'il faut bien poser, est-­‐ce que tu imaginais que tu allais avoir le prix Nobel ? DF-­‐ C'est un grand scandale pour l'Italie. Des gens du Corriere della sera ont écrit : "Le prix Nobel, c'est foutu. Il n'existe plus du moment où Dario Fo est dans la sélection finale." Ça, c'est beau ! Mais c'est la première fois dans l'histoire du prix qu'un acteur, qui écrit aussi, arrive à remporter le prix Nobel. C'est aussi une récompense qui est donnée à ma compagne de toujours, Franca Rame. Je ne croyais pas que je l'aurais, car j'étais encore dans l'idée que le Nobel allait aux littéraires purs. Le littéraire qui écrit pour écrire et qui reste dans l'écriture. On a fait le choix révolutionnaire de quelqu'un qui n'a pas écrit tout de suite, mais qui a écrit en conséquence du jeu qu'il a fait sur scène. Ils ont choisi un comédien qui emploie la voix, le rythme, le geste, la musique, la danse, le corps... Tout ! Lorsque j'écris, l'œuvre est déjà composée. C'est une reconstruction écrite de ce qui se passe sur la scène. Mon grand maître, c'est Ruzzante... Les Français ne connaissent pas Ruzzante... Seuls des gens comme Molière ou Shakespeare sont arrivés au niveau de Ruzzante ! De lui, j'ai appris la possibilité de détruire et de reconstruire la langue... et l'emploi des mots qui n'existent pas... A un certain moment dans l'écriture, j'écris "grammelot"... Quand on regarde l'oeuvre complète publiée de Dario Fo, on peut trouver des grammelots. Qu'est-­‐ce que le grammelot ? C'est un langage que l'on ne comprend pas, et qui est fait de syllabes et de mots inventés, qui n'existent dans aucune langue et qui donnent l'impression d'entendre du français, de l'anglais ou de l'allemand par le jeu du rythme verbal. Une improvisation ? Oui, complètement. Les rythmes sont fixés, et puis il y a l'improvisation. L'improvisation, c'est quelque chose qu'il faut ordonner complètement. On ne peut pas aller, comme cela, alla fiera. Non ! Il faut avoir des règles ! Il faut s'exercer. Mais pas dans sa chambre ! C'est le public qui donne le rythme, la rigolade, le temps, le silence, etc. Le public, à chaque fois, a une respiration différente. Tu dois obliger le public à respirer comme toi, au même rythme. A quel moment est venue la décision de ne pas être un homme de théâtre normal, qui aurait un théâtre, qui jouerait des pièces devant le public ? En 1967. Nous jouions Il faut l'agiter, cette dame ! , pièce ironique sur le grotesque de l'Amérique... Le public venait avec une espèce de malaise : il comprenait le jeu, il faisait silence et, à la fin, il sortait avec une espèce de rage. Alors, on s'est demandé s'il était utile que nous fassions de la provocation de ce genre. Les spectateurs se sentent « démocratiques » parce qu'ils acceptent la provocation. Ils sortent pleins de rage, en blasphémant. Ils n'aiment pas ce qu'ils voient. Ils l'acceptent pour le rituel : aller pour prendre des coups de bâton, pour se sentir « démocratiques ». Ce n'est pas la peine de leur donner cette satisfaction ! Nous devons faire un spectacle qui s'adresse à des gens qui comprennent ce que nous disons. Et ce sont les gens qui doivent nous dire ce qu'ils veulent que nous jouions... » Sont nés alors des textes qui parlaient de la classe ouvrière, des étudiants qui sont sans travail, qui souffrent, qui n'ont pas la possibilité d'arriver dans la vie, des femmes qui ont des difficultés, des pauvres... et surtout les gens qui n'ont pas de pouvoir, qui doivent agir avec désespoir pour obtenir ce qu'ils ont le droit d'avoir. Et on ne peut pas le faire dans le même théâtre que celui où viennent les gens normaux. 25
C'est quoi, les gens normaux, pour vous ? Ceux qui ont de l'argent ? Oui, il y en a qui sont ouverts et d'autres qui sont des "gens de marchandises", des industriels ou, pis encore, des gens qui travaillent pour des industriels... Nous sommes allés dans la périphérie et nous avons organisé une collaboration avec le Parti communiste et le Parti socialiste, qui avaient des organisations communes. Nous nous sommes mis à faire du théâtre. Mais avec tout ! Nous sommes arrivés avec le plateau, la scène, toute la technique. Et c'était quelque chose d'incroyable ! Au point que l'espace que nous avions n'était pas suffisant : il fallait en chercher d'autres ! Des palais des sports ouverts, des églises abandonnées, et aussi des églises toujours consacrées, avec le saint dedans, en accord avec ce mouvement des prêtres-­‐ouvriers. C'est pour cela que maintenant les journaux de la Curia sont durs avec nous. Ils ont beaucoup souffert ! Quand ils voient des pièces comme Le Pape et la Sorcière, on ne peut pas demander au pape ou à la curie romaine de penser que Dario Fo est leur meilleur ami ! Mais les évêques sont venus voir ce Pape. Je le sais parce que j'étais présent, bien caché... J'ai vu les ministres de l'Eglise qui regardaient et rigolaient. Le jeu de l'ironie, ils l'aimaient. Eux, ils pouvaient rire, mais le peuple chrétien, lui, ne devait pas rire... C'était dangereux, ta manière de travailler ? Ça te faisait des ennemis ? Des gens, parfois, nous ont mis des bombes. Par exemple au Théâtre de Milan. Je suis sûr que c'était la police spéciale... Je n'arrive pas à imaginer Dario Fo en habit, sur l'estrade du Nobel, et faisant un discours bien sage ! J'ai déjà porté ce costume sur scène. Le frac, ce n'est pas quelque chose qui m'est étranger. C'est un élément de mon métier ! Je crois que je me sentirai à l'aise. C'est le costume de la comédie ! Je vais parler italien. Je serai soutenu par la traductrice suédoise. Il y aura une partie écrite, et une autre improvisée ! Et alors j'imagine qu'il y aura des Japonais ou des Chinois qui ne comprendront pas où ils sont, qui changeront de feuilles, qui les laisseront tomber ! Les gens diront : "Arrête ! Nous ne comprenons pas !" Ce n'est pas mal ! On arrive à produire une émotion dans la lecture. Ce n'est pas du "blablabla" mécanique ! Est-­‐ce que tu peux m'expliquer pourquoi tu es si heureux et si fier d'être un «jongleur » ? Le jongleur, c'est le commencement de la fabulation dans l'histoire du monde. Le jongleur, c'était celui qui avait la possibilité d'attirer l'attention des gens de la rue qui passaient. Cet homme attirait l'attention. Avec humour, avec émotion, avec ironie, avec la cervelle qui commence à bouger et à produire des images. Ça, c'était vraiment le commencement du théâtre de tous les temps : les jongleurs étaient dans le théâtre grec ! Avant encore, les premiers qui ont raconté des histoires dans la littérature des Grecs, c'étaient des jongleurs ! Après, il y avait quelqu'un qui écrivait ce que les jongleurs racontaient. Même la Bible ! Le Christ avait cette qualité de prendre les gens, de leur parler, à partir des images de l'amour, de Dieu, de la conscience de l'amour chez les hommes : c'était une extraordinaire jonglerie magique ! Je suis content de venir de là ! Et entre le jongleur et le bouffon du roi, y a-­‐t-­‐il une grande différence ? Disons que le jongleur part toujours de la tragédie pour réaliser son discours. Le jongleur a besoin de désespoir, de souffrance, pour traduire son jeu en joie et en espoir. Le jongleur parle de la fin et la traduit en rigolade. La fin de tout : la fin de l'amour, la fin de la joie. C'est pour cela que le roi devient quelque chose d'idiot dans le jeu du jongleur. Dieu, qui est à côté de moi, a un visage humain, et il rigole, et il enrage, et il se trompe, et il dit aussi des mauvaises paroles, et il dit aussi des mensonges. Le jongleur doit toujours faire rire ? Mais aussi provoquer l'émotion ! Molière disait : « J'aime réussir à faire rire, parce que la tragédie fait descendre les larmes sur le visage. » Mais les larmes qui coulent font aussi descendre les pensées du cerveau. Et la rigolade, le rire, restent comme des clous dans la tête. Ce sont des clous de pensée, les clous de la conscience. On n'arrive pas à imaginer, en France, comment un homme de théâtre peut devenir un homme aussi important dans les enjeux politiques, sociaux... J'ai toujours voulu être en dehors d'un jeu politique, rester libre, pour pouvoir attaquer les gens qui sont sur le même discours, au même niveau culturel, politique. Aujourd'hui, j'attaque les juges, que j'ai beaucoup défendus. Tu n'as pas l'impression d'avoir lutté pour rien depuis trente ou quarante ans ? Non ! C'est notre devoir, de continuer. Nous sommes des intellectuels. C'est déjà un grand privilège que la Fortune nous a donné. La seule façon pour des gens comme nous d'être présents, c'est de faire de l'art, l'art qui parle des besoins des hommes, de la justice, de la souffrance. Ce n'est pas vrai que le théâtre, c'est quelque chose que l'on peut voir, comme cela, le soir, détendu... Non ! C'est quelque chose qui fait violence sur les consciences et qui cherche à faire sortir une nouvelle façon de raisonner.» Dario Fo, Pierre-­‐André Boutang, Le Monde, 10 décembre 1997. IV.4. Liens avec l’actualité a.
Délocalisation 26
Texte : Les délocalisations d'entreprises, 12 janvier 2004, la Documentation française JVC, Continental, Alcatel, St microélectronics, Alstom… Ces noms désignent des entreprises dont le point commun est d'avoir fermé des établissements implantés en France tout en délocalisant leur production vers l'étranger. Nous assistons à des délocalisations d'entreprises depuis une vingtaine d'années, et ce mouvement va certainement se poursuivre. Qu'entend-­‐on par le terme "délocalisation" ? Et quel est le mode de traitement par les pouvoirs publics de ce phénomène ? Qu'entend-­‐on par délocalisation ? La délocalisation d'entreprise peut s'entendre selon un sens plus ou moins strict. Au sens strict, elle désigne le déplacement vers l'étranger d'une activité économique existante en France vers l'étranger dont la production est ensuite importée en France. La mission interministérielle sur les mutations économiques (MIME) retient ainsi cette définition et distingue alors les délocalisations d'entreprises de phénomènes telles que les relocalisations d'entreprises, les localisations de la production et les investissements à l'étranger. La relocalisation d'entreprises consiste à déplacer son site de production à l'étranger afin de se rapprocher d'un marché et de vendre sa production sur place. Quant aux localisations de la production à l'étranger, elles constituent une des formes des investissements à l'étranger. Caractéristiques des délocalisations Il n'existe pas de statistiques publiques précises sur les délocalisations. Cependant, selon la MIME, les délocalisations au sens strict représenteraient globalement autour de 10% du montant des investissements directs à l'étranger soit 305 millions d'euros environ sur la période 1998-­‐2002. Même si toute suppression d'un emploi dans le secteur industriel ne fait pas l'objet d'une délocalisation, la diminution de l'emploi industriel en France constitue un indicateur de l'ampleur de ce phénomène. Les secteurs de l'industrie concernés par les délocalisations sont nombreux : cuir, textile, habillement, métallurgie, électroménager, automobile, électronique… Egalement touché, le secteur tertiaire : centres téléphoniques, informatique, comptabilité… A vrai dire, toute production de masse et tout service répétitif sont susceptibles d'être délocalisés dans des territoires où le coût de la main d'œuvre est nettement moindre. La désindustrialisation des uns signe l'industrialisation des autres. Les territoires bénéficiaires des délocalisations d'entreprises sont l'Inde, le Maghreb, la Turquie, les pays d'Europe centrale et orientale (PECO) et l'Asie (notamment la Chine). Si les syndicats incriminent la logique financière sous-­‐jacente aux stratégies de délocalisation, la théorie des avantages économiques, détenus par les pays cités précédemment, en particulier grâce à un faible coût de la main d'œuvre, peut également expliquer ce phénomène de délocalisation et de spécialisation économique des territoires. L'action des pouvoirs publics : anticiper et accompagner les restructurations économiques. Lors du conseil des ministres du 12 février 2003, le gouvernement actait le fait que l'économie française est confrontée en permanence à des mutations et restructurations économiques. Pour faire face à ces mutations conduisant "à des créations et des destructions d'emplois, avec des conséquences difficiles pour les salariés et les territoires", le gouvernement a créé une mission interministérielle sur les mutations économiques, MIME. La mission interministérielle a tout d'abord un rôle de veille et d'anticipation des restructurations. En ce sens, est prévue la mise en place des observatoires régionaux des mutations économiques dont le pilotage sera assuré conjointement par l'Etat et la région. La région Pays de la Loire a vu naître la première son observatoire en 2003. La seconde mission de la MIME consiste à accompagner la reconversion économique des territoires et le reclassement des salariés, notamment en facilitant le travail en commun des différents ministères et en s'appuyant sur les expériences réussies pour améliorer l'efficacité des dispositifs mis en œuvre Autre outil créé récemment par le gouvernement : les contrats de site. Ces contrats visent à redynamiser les bassins d'emploi les plus touchés par les restructurations. Il s'agit d'une stratégie territoriale élaborée par l'ensemble des acteurs et déclinée en actions à engager immédiatement ou sur une durée de trois, quatre ans. Douze contrats de site qui devraient être évalués en 2004 ont été signés jusqu'ici. L'innovation, une des solutions au phénomène des délocalisations ? Plusieurs leviers d'actions pour les pouvoirs publics existent car la décision d'implantation d'une entreprise ne dépend pas que du seul coût de la main d'œuvre. Le potentiel marchand d'un territoire, les infrastructures, notamment de transport, la qualification de la main d'œuvre sont également sources d'attractivité. Dans une interview donnée au journal Les échos en juin 2003, Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, explique qu'il souhaite renforcer l'attractivité de la France en mettant l'accent sur l'innovation, la recherche développement et la formation professionnelle. L'innovation, qu'elle prenne la forme d'un nouveau matériau, d'une nouvelle technique ou d'un nouveau débouché (fibres synthétiques destinées au secteur de l'automobile par exemple) est créatrice d'activités. Quant à la formation, elle est le gage d'une main d'œuvre qualifiée. Le gouvernement actuel a choisi par ailleurs de diminuer les charges sur les salaires, d'alléger les formalités pesant sur les entreprises ou d'ouvrir à la concurrence le secteur de l'énergie (attendant une baisse du prix de 27
l'électricité pour les entreprises). Récemment, en décembre 2003, lors d'un séminaire gouvernemental sur l'attractivité de la France, il a été décidé d'attirer via différentes aides des compétences étrangères ciblées (post-­‐
doctorants français expatriés, cadres étrangers, étudiants étrangers de haut niveau issus des disciplines scientifiques, techniques et managériales) ou certaines activités (ONG en France, production cinématographique et artistique). Il reste que ces différentes actions n'empêchent pas la suppression d'emplois en France. Selon les chiffres de la Direction de l'animation de la recherche des études et des statistiques (du ministère du travail), au 3ème trimestre 2003, la France enregistre une disparition nette d'emplois de 20000 emplois, la création d'emplois dans le secteur tertiaire (+10 000) ne compensant plus la perte d'emplois du secteur industriel (-­‐33 000 emplois) et le taux de chômage sur cette période s'élève à 9,7%. b. Une campagne d’affichage étonnante : Leclerc Les affiches suivantes reprennent des affiches de mai 1968. A plus d’un égard, elles font songer à Faut pas payer ! et aux affiches présentées ci-­‐dessus. Elles travaillent sur les mêmes symboles. Mais au service cette fois d’un hypermarché : Leclerc. 28
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