Don Giovanni Wolfgang Amadeus Mozart La belle production classique de Francesca Zambello pour la Royal Opera House Covent Garden de Londres est placée sous la remarquable direction de Sir Charles Mackerras. Elle est servie par une distribution équilibrée et homogène… Ce Don Giovanni jouit de beaucoup d’atouts : une distribution homogène, autour de son duo principal Don Juan/Leporello, respectivement chantés par Simon Keenlyside et Kyle Ketelsen. Si Keenlyside est la coqueluche du moment de la plupart des scènes d’opéra, cela est justifié car il est un magnifique musicien, bon comédien au physique avantageux. Rien de cela n’échappe du reste à Francesca Zambello qui le met notoirement à son avantage. Partant, on comprend vite que ce Don Giovanni est aussi amoureux de ses conquêtes féminines que de son propre ego et qu’il est fasciné par sa puissance sensuelle à séduire. Aucune voix ni aucune présence ne vient écraser les autres protagonistes de la distribution. Chacun dans sa psychologie propre permet une construction dramatique à tout instant lisible et parfaitement en phase avec la musique. Le jeu d’acteurs très élaboré, soutenu par de magnifiques costumes, anime un théâtre remarquable d’où ressort la noirceur perverse d’un Don Giovanni cynique et égocentrique à l’extrême. On regrettera néanmoins le décor peu signifiant de l’Acte I, encore qu’il affiche une certaine sobriété élégante. Loin de nous l'idée de contester l’efficacité de cette façade arrondie sertie d’escaliers sans issue, mais ce sera au jeu et à lui seul d’occuper l’espace scénique. La muraille de l’Acte II paraîtra plus appropriée, plus efficace sur le plan visuel. Mais on attend malgré tout un peu plus de cette production, qui semble quelque peu figée dans l’action sur le devant de la scène et qui ne nous laisse pas vraiment de forte impression. Les duos Ottavio/Donna Anna et Zerline/Masetto nous comblent et la présence de Ramón Vargas nous offre un Ottavio de luxe qui n’est pour une fois, ni falot ni ectoplasmique comme cela est encore trop souvent le cas pour ce rôle. On notera que le Leporello de l’américain Kyle Ketelsen n’est pas loin d’égaler - musicalement autant que dramatiquement - son maître. En effet, il en a pratiquement le physique et la caméra nous montre qu’il est plus jeune que lui. Joyce DiDonato se taille un franc succès en Donna Elvira, son air "Mi tradi quell’anima ingrata" de l’Acte II est une vraie réussite ; elle domine à l’évidence le trio féminin sans toutefois qu’il en en soit affecté, tant il est finement équilibré. La Donna Anna de Marina Poplavskaya affiche cette fragilité psychologique qui caractérise le rôle; tout au plus est-elle trahie par quelques couleurs saturées dans le registre aigu, ou par une technique de vocalise inégale, mais cela est vite compensé par sa remarquable musicalité. La Zerline de Miah Persson est vocalement idéale, fraîche et ravissante comédienne au demeurant et l’on rêve d’entendre son magnifique Masetto (Robert Gleadow) en Figaro. Éric Halfvarson est un beau commandeur plus terrifiant musicalement que dramatiquement, mais on admettra que les flammes infernales qu’il provoque du geste à la fin du dîner, font sensation. Dans l’ombre de la fosse de Covent Garden, la direction sûre, souveraine, dramatique et remarquablement présente du grand Sir Charles Mackerras nous transporte. Jusqu’au bout, le chef australien (né à New York) nous tient en haleine par une direction vigoureuse, dense et nerveuse, qui ne manque jamais de transparence ni de clarté. On ne peut que recommander ce Don Giovanni en raison de la qualité de sa distribution et de sa direction musicale. Cependant, l'ensemble de la production de facture classique, bien que réussi, ne parvient pas à nous transporter à l’égal du chef-d’œuvre de son auteur, un des ouvrages fondateurs du répertoire lyrique. Gilles Delatronchette © Tutti