Saison 2003-2004 FRANCOIS LE SAINT JONGLEUR de Dario Fo DOSSIER PÉDAGOGIQUE Sur la photo : Jean-Marie Pétiniot © Véronique Vercheval ING nous aide à initier les jeunes au théâtre dès l’école. FRANCOIS LE SAINT JONGLEUR Dario Fo Distribution Adaptation : Nicole Colchat et Toni Cecchinato Avec Jean –Marie Pétiniot Metteur en scène : Toni Cecchinato Lumière : Jacques Perera Régie générale : Vincent Rutten Régie lumière/son : Jacques Perera Toile de Dario Fo peinte par James Block Direction technique : Jacques Magrofuoco Coproduction Festival de Spa et Atelier Théâtre Jean Vilar Dates : 18 novembre 2003 au 11 janvier 2004 Lieu : Théâtre Blocry Réservations : 0800/25 325 Contact écoles : Adrienne Gérard : 0473/936.976 – 010/47.07.11 2 PLAN I. L’Auteur Biographie Des Prix Point de vue sur l’homme de théâtre II. La mise en scène et le jeu de l’acteur selon Fo Maître de toutes les techniques Le théâtre de l’oeil Dario Fo, acteur épique III. Le récit conté Présentation Intentions de scène Détails du récit : Prologue Acte I Acte II IV. Les contextes historique, politique et religieux La Papauté et la crise de l’Eglise au XIIIème siècle La naissance des ordres mendiants : les Franciscains et les Dominicains Le vrai François d’Assise V. Bibliographie 3 I. L’Auteur Biographie Dario Fo est né en 1926, à San Giano, en Lombardie. Il fut très tôt en contact avec le théâtre populaire et la tradition orale. Son grand-père était un fabulatore connu. Après s’être initié à l’architecture à Milan, il opte pour la scénographie. A la même époque, il fait ses premiers pas dans l’improvisation d’une suite de monologues comiques intitulée Poer Nano (Pauvre nain) devant des groupes d’étudiants et des amis. Au cours des années qui suivent, il apprend sur le tas l’écriture télévisuelle et radiophonique, le cabaret et le spectacle de chansons. A Brera, il a connu De Chirico et F. Léger, d’autres peintres italiens contemporains ainsi qu’une foule d’artistes de la scène (Strehler) et de cinéastes, de G. Pontecorvo à Fellini et De Sica. En 1951, il rencontre Franca Rame, femme de théâtre, qu’il épouse en 1954. Le couple forme ensemble sa propre compagnie en 1959 où Franca était la prima donna et Dario, l’écrivain. La consécration internationale vient en 1960 avec la pièce : Les Archanges ne jouent pas au billard électrique - Gli Archangeli non giocano a flipper . En 1968, ils fondent, avec l’aide de la gauche la coopérative théâtrale « Nuova Scena ». En 1970, suite à des conflits idéologiques, Dario Fo rompit avec le parti communiste et créa sa compagnie « La Commune ». En 1974, il obtient un théâtre permanent au Palazzino Liberty à Milan, inauguré avec sa pièce à succès : « Faut pas payer ! » - Non si paga, non si paga ! Son anti-conformisme, son courage civique, son engagement social et politique entraînèrent Fo dans d’innombrables procès et controverses en Italie avec l’Etat, la police, la censure, les médias et le Vatican. «Mistero Buffo » avait, selon le pape, « offensé les sentiments religieux des Italiens ! »… Que penser alors de sa pièce « Tutta casa, letto e chiesa » inspirée des luttes pour obtenir le divorce et la légalisation de l’avortement dans son pays ? En 1980, il fut interdit de séjour aux Etats-Unis où il devait donner une représentation exceptionnelle, à cause de son affiliation au « Soccorso rosso », une organisation communiste de soutien aux militants détenus ou licenciés ainsi qu’aux droits communs. 4 Quelques pièces marquantes : 1959, Les Archanges ne jouent pas au billard électrique 1964, Isabelle, trois caravelles et un charlatan. 1965, Septième commandement : tu voleras un peu moins 1968, Cette dame est à jeter 1969, Mistero Buffo et L’ouvrier connaît 300 mots, le patron 1 000, c’est pour ça qu’il est le patron. 1970, Mort accidentelle d’un anarchiste. 1974, On ne paie pas, on ne paie pas ! (Faut pas payer !) 1975, L’Enlèvement de Fanfani 1976, La marijuana de maman est toujours la meilleure 1979, Histoire du tigre et autres histoire 1980, Klaxon, trompettes .. et autres bruits 1982, Fabulage obscène 1983, Couple ouvert à deux battants 1984, Presque par hasard une femme, Elisabeth 1986, L’enlèvement de Francesca. 1987, Rôles de femmes qui comprend Couple ouvert et Une journée quelconque. 1991, Johan Padan à la découverte des Amériques. 1993, Dialogues sur Ruzzante et Maman ! au secours !. 1994, Du sexe ? merci, juste pour goûter d’après Le Zen et l’art de baiser de Jacopo Fo. En 1999, il écrit François le Saint Jongleur. Des prix Parmi les récompenses qui ont couronné le travail de Dario Fo, on retrouve le prix Eduardo da Taormina Arte (1986), le prix national contre la violence et les gangs de l’Association M. Torre (1986), le prix new-yorkais Obie (1986) et le prix Agro Dolce (1987-1988). En 1981, il reçoit le Prix Sonning. En 1997, Dario Fo reçoit le Prix Nobel de Littérature en octobre, divisant l’opinion culturelle internationale. Récipiendaire en 2000 de trois prix Molière pour La Mort d'un anarchiste, il est invité la même année à Delphes pour un important congrès intitulé D'Aristophane à Dario Fo. 5 Un si beau prix ! « C’est un grand scandale pour l’Italie (que j’aie reçu le Prix Nobel). Des gens du Corriere dela sera ont écrit : « Le prix Nobel, c’est foutu. Il n’existe plus du moment où Dario Fo est dans la sélection finale ». Ca, c’est beau ! Mais c’est la première fois dans l’histoire du prix qu’un acteur, qui écrit aussi, arrive à remporter le prix Nobel. C’est aussi une récompense qui est donnée à ma compagne, Franca Rame. Je ne croyais pas que je l’aurais, car j’étais encore dans l’idée que le Nobel allait aux littéraires purs. Le littéraire qui écrit pour écrire et qui reste dans l’écriture. On a fait le choix révolutionnaire de quelqu’un qui n’a pas écrit tout de suite, mais qui a écrit en conséquence du jeu qu’il a fait sur la scène. Ils ont choisi un comédien qui emploie la voix, le rythme, le geste, la musique, la danse, le corps... Tout ! Lorsque j’écris, l’œuvre est déjà composée. C’est une reconstruction de ce qui se passe sur la scène. J’ai déjà porté ce costume sur scène. Le trac, ce n’est pas quelque chose qui m’est étranger. Je crois que je me sentirai à l’aise. C’est le costume de la comédie ! Je vais parler italien. Je serai soutenu par la traductrice suédoise. Il y aura une partie écrite et une partie improvisée. Et alors, j’imagine qu’il y aura des Japonais ou des Chinois qui ne comprendront pas où ils sont, qui changeront de feuilles, qui les laisseront tomber. Les gens diront : « Arrête ! Nous ne comprenons pas ! » Ce n’est pas mal ! On arrive à produire une émotion dans la lecture. Ce n’est pas du « blabla » mécanique. » Dario Fo in Le Monde, 17 décembre 1997 Clown nobélisé « La force de Fo, a estimé le jury, est de créer des textes qui en même temps amusent, engagent et ouvrent des perspectives ». Si d’autres auteurs de théâtre ont déjà reçu cet insigne honneur, aucun d’entre eux n’était, avant tout, comme l’auguste italien, un homme de planches. Il a d’ores et déjà annoncé que le magot du Prix Nobel lui servirait à relancer le procès du pauvre bougre dont il a raconté l’histoire dans « Mort accidentelle d’un anarchiste ». L’Humanité, novembre 1997 6 Point de vue sur l’homme de théâtre « Quand Dario Fo préconise et pratique un théâtre et un jeu épiques, il renvoie à un mode de représentation très ancien, primitif peut-être, et encore vivant, celui de l’epos, du récit. La référence au conteur a d’abord l’intérêt d’éclairer le rapport du comédien avec son public, un lien dont la tension et la qualité varient en fonction des deux parties et non de la seule bravura de l’acteur. Il faut donc parler aux gens de ce qui les concerne. Or, si les conteurs traditionnels trouvent dans leur héritage culturel un fonds qui, provenant de la communauté, l’intéresse aussi toute entière, il n’en va pas de même pour les comédiens. Le fonds culturel du répertoire a un contenu de classe et « relire les classiques » ne suffit pas à fonder un théâtre populaire. Revenir aux conteurs, c’est donc restituer au peuple une culture orale que les livres nient ou trahissent et que le transistor n’a pas appris à servir. Cette culture orale, à la fois apprise et improvisée est la mémoire du groupe et son « journal parlé ». Pour un cantastorie sicilien, la Passion du Christ modèle le chant funèbre sur la mort d’un syndicaliste. La superposition des deux images ne sert pas d’ornement, elle opère un renversement des valeurs, arrachant les Evangiles au catéchisme du pouvoir. L’histoire, dans tous les sens du mot, ne va pas sans un regard critique sur ellemême. Décalages, rupture de rythme, distance ironique, distorsion grotesque, tout cela apparente le théâtre de Dario Fo aux récits des fabulatori qu’il se donne pour maîtres. Quand il définit le théâtre populaire comme un « théâtre de situations », ce n’est pas seulement pour l’opposer au théâtre psychologique bourgeois, c’est aussi pour décrire un certain mode de fonctionnement dramatique. Au départ, il y a une situation-clé, le plus souvent paradoxale. Elle met en mouvement un mécanisme, une « machine scénique » qui va suivre sa logique propre, naïve, absurde ou cynique, sans cesse confrontée en tout cas avec la logique du sens commun, de la vérité ou de l’espérance. Le spectacle se déroule ainsi sur plusieurs plans, plusieurs systèmes d’enchaînement s’y entrecroisent ou s’y contrecarrent, obligeant en quelque sorte le spectateur à « tourner autour » de l’histoire représentée pour la comprendre. Au théâtre de chevalet, Dario Fo substitue un théâtre « en haut relief » où tout est découvert, la fiction comme les acteurs. Un théâtre sans coulisses ni miracles. » Valérie Tasca 7 II - La mise en scène et le jeu de l’acteur selon Fo Maître de toutes les techniques « Le privilège de Fo est, du reste, de ne pas partir de la littérature : grâce à sa sensibilité d’acteur, le texte naît de la pratique de la scène comme chez Molière ou Shakespeare. La littérature peut attendre. Les propriétés mimétiques de la langue ou les effets scéniques s’accompagnent nécessairement de ceux de l’image : le théâtre de Fo s’inspire toujours de la peinture figurative, d’une situation visuelle qui remonte à l’histoire de l’art, de la Renaissance en particulier et symboliquement. Si Fo est proprement un homme de théâtre total, on oublie trop souvent d’attribuer à l’auteur comme à l’acteur, la contribution de la vision de l’artiste à son talent de metteur en scène et du costumier. » Franco Quadri (1984) Le Théâtre de l’oeil « Encore aujourd’hui, quand j’imagine un travail, quand je l’écris, je pense essentiellement en termes de « plan et de hauteur », fondamentaux en architecture. Deux dimensions utilisées également en peinture. (...) Ce qui est important pour moi, c’est l’idée de l’enchaînement des séquences, des figures plastiques et chromatiques, des perspectives des acteurs en mouvement et des objets. (...) Je me suis passionné pour la Renaissance, non seulement italienne, mais encore espagnole et j’ai étudié aussi les grands peintres flamands et français. L’image me sert pour fixer l’assise de l’écriture, pour continuer plus avant le développement du travail. Je n’ai rien fait d’autre que de projeter une figuration esthétique dans le théâtre. Il s’agit d’exprimer l’intelligence et la fantaisie. Il y a trente ans, venir parler de l’importance et de la valeur de l’espace, du rythme et des couleurs, était une hérésie et faisait bondir 75% des critiques. Pour un certain type de théâtre, c’est maintenant une petite révolution comme d’employer très souvent des marionnettes ou des mannequins. (...) Je crois très fort à la collaboration, à la participation de plus de personnes dans un projet et à l’évolution des idées. Cela ne m’intéresse pas de m’arrêter à une solution unique, une action répétitive. Il en va de même dans mon activité artistique. Je suis toujours disposé à changer. Je préfère me jeter à corps perdu dans la recherche de l’innovation, comme un artisan et non comme un démiurge. 8 Pour « L’histoire du Soldat » (à la Scala de Milan), j’ai fait plus de deux cents esquisses sur un écran de verre pour étudier les infinies possibilités de composition de manière à ce que les images pussent se mouvoir sur fond transparent, ainsi se sont construites les improvisations jusqu’à trouver la bonne, la plus juste. Cela a été une véritable expérience didactique et un « spectacle professionnel ». Désormais, dans ma vie d’homme de théâtre, tout se fond et s’interpénètre. L’artiste « public », l’acteur et l’artiste « privé » n’existent pas. Le peintre qui oeuvre dans son atelier clos, c’est terminé. » interview de D. Fo par Paolo Landi (1984) L’acteur doit choisir son camp, parce qu’il a un devoir social et moral vis-à-vis du public. C’est un communicateur d’idées, de pensées, d’émotions, de socialité, de cynisme. Il doit communiquer dans le bien, dans le mal, dans le sarcasme, dans la férocité ou dans le rire contre l’injustice. Il doit choisir son camp. Un acteur ou un comédien ou un homme de théâtre quel qu’il soit, qui plaît à tout le monde, est quelque chose d’horrible et d’insupportable. Je ne suis pas sûr qu’une telle personne existe d’ailleurs. Dario Fo, « Le gai savoir de l’acteur » Dario Fo, acteur épique « L’acteur doit pouvoir espacer ses gestes comme le typographe espace les mots » (Walter Benjamin). A aucun moment, Fo ne s’établit dans un personnage : il en joue un, deux, dix ou cent. Il ne s’attarde pas à fignoler. C’est par un geste, une inflexion de voix qu’il indique un personnage, puis un autre ; par un placement sommaire dans l’espace. Il jongle avec les gestes comme avec les inflexions... et avec élégance. (...) Le monologue brisé et multiforme de Dario Fo ne se referme pas sur lui-même : il appelle le dialogue (avec le public). En face d’elle (la langue officielle, qu’il conteste), il ressuscite et élabore ce qu’il appelle le langage des jongleurs : « Il y avait des centaines de dialectes et une énorme différence, plus grande qu’aujourd’hui, d’un endroit à l’autre, si bien que le jongleur aurait dû connaître des centaines de dialectes. Alors, qu’est-ce qu’il faisait ? Il s’en inventait un à lui. Un langage formé de beaucoup de dialectes avec des possibilités de changer de mots à des moments déterminés jusqu’à, pour se faire comprendre, user de quatre ou cinq synonymes. ». Amalgamant, lui aussi, plusieurs dialectes, le langage de Fo ne tient pas seulement compte des différences géographiques, il se constitue aussi sur le décalage historique qui fonde toute la représentation. En plus de la virtuosité, du rythme, et de l’étourdissement des métamorphoses, interviennent les commentaires. Ils ont une fonction d’explication et d’information. Ils font le pont entre le passé et le présent. 9 Enfin, le commentaire intervient à l’intérieur du jeu : il est constitutif du sens même de la représentation. Du côté du commentaire : le message, du côté du jeu : l’illustration. L’histoire et l’actualité se relaient à tous les niveaux. » Bernard Dort 10 III. Le récit conté à partir d’extraits de textes canoniques latins et de vieilles fables populaires d’Ombrie Présentation Fo se sert toujours de l’histoire pour retrouver par le théâtre, la vérité souvent trahie sinon occultée par le pouvoir dominant (ce qui a été le cas pour certains écrits de la vie du Saint, censurés par l’Eglise). Mieux, il construit un véritable conte populaire. Il relie à sa manière les Fioretti et les fresques des églises romanes avec le plus grand respect quant au fond religieux, mais avec toute l’irrévérence voulue envers l’hagiographie officielle. Dario Fo le dit : « C’est qu’il s’agit toujours de retrouver la culture du peuple, ensevelie, dégradée, déformée, camouflée par les prêtres, les aristocrates et ainsi de suite, pour la restituer au peuple sans ses maquillages afin qu’il en use... (Interview de J.P. Léonardini) Nous découvrons un homme du XIIIe siècle, homme d’action, de vérité, d’humilité, proche de nous par ses faiblesses et touchant parce que profondément joyeux. Ses préoccupations sont les nôtres : le pouvoir et/de l’argent, la pauvreté et le « charity business », la violence et la guerre, l’amour et le respect de la nature. Intentions de scène « Du texte que je vais vous conter maintenant, il ne reste aucune trace écrite ; je me suis permis de le reconstruire moi-même sur base des témoignages et des chroniques de l’époque. Je n’ai pas de preuves à l’appui, vous devez me faire confiance ! Ce qui est certain, c’est que lorsque le texte original ressurgira dans son intégrité, comme cela s’est déjà produit au siècle dernier pour d’autres récits de l’époque, vous pourrez vous exclamer : Je le connaissais déjà ! » Le conte se compose d’un prologue et de cinq tableaux répartis en deux actes. Ce sont différents épisodes de la vie du Saint Jongleur. « Parmi les recherches que j’ai menées sur François, j’ai découvert qu’il s’était lui-même autodéfini jongleur en déclarant d’entrée de jeu « Je suis le jongleur au service de Dieu » . 11 Ce n’est pas sans arrière-pensées qu’il a choisi cette figure emblématique pour dénoncer une fois encore les dangers de toute pensée unique. Le Saint d’Assise fut le premier grand réformateur d’une Eglise établie, trop encline à accorder au pouvoir ce qu’elle déniait au peuple. Dire si la tentative du Saint qui prêchait la pauvreté a réussi, l’histoire nous l’a déjà dit. S’affubler du qualificatif de bouffon satirique, au début du treizième siècle, était une provocation très dangereuse… Il fallait être fou ou masochiste. Les jongleurs étaient aimés du petit peuple mais haïs et persécutés par les puissants, qu’ils clouaient régulièrement au pilori, en les désignant eux-mêmes comme des clowns. » Détails du récit : Prologue Acte I Le Sermon de Bologne L’expulsion des notables et l’effondrement des 40 tours Le St. Jongleur et le Loup de Gubbio Acte II François va trouver le Pape François se meurt Reprenons en synthèse le déroulement de l’ensemble : Prologue : Présentation des intentions de scène décrites plus haut et du but recherché, c.à.d. dépouiller François des édulcorations de La légende Majeure écrite par St. Bonaventure et, partant, découvrir le vrai François. Acte I Le Sermon de Bologne (1222) Plaidoyer pour la Paix en fustigeant les cruelles guerres féodales, sur fond de Césaropapisme : les pauvres paient toujours de leur sang et de leurs larmes, sans oublier la famine... Expulsion des Notables et effondrement des 40 Tours François prend le parti des défavorisés contre sa propre classe et la Commune triomphe des Bourgeois (Prise de La Rocca en 1200). Cependant, dans un autre épisode, les Assisiates sont défaits par les Pérugins (Bataille de Ponte San Giovanni, 1202). 12 Prisonnier, François est condamné aux carrières et devient un excellent maçon et tailleur de pierre. De retour chez lui, il s’adonne aux réjouissances et mène une vie de gai luron ripailleur ; suite à sa rencontre avec un lépreux, il connaît son « Chemin de Damas » et se convertit totalement. C’est sa seconde vie. Nous assistons à un complet renversement de situation : le jeune homme riche matériellement, devient délibérément pauvre. Sa richesse sera spirituelle et sa mission sera de prêcher l’exemple du Christ. Finement, avec humour et intelligence, il veut faire comprendre qu’il est nécessaire d’abolir les rapports de force et revenir à la simplicité évangélique à travers l’amour et le respect de la nature, des êtres et des créatures. Le Saint Jongleur et le loup de Gubbio Une bête monstrueuse égorge dans la région, moutons, bergers et même des enfants. François, appelé à la rescousse arrive et décide de parler au Loup, qui s’est sagement couché à ses pieds... Tout ce passage à valeur et fonction de parabole : il faut aider le loup à changer de vie en l’acceptant dans la communauté, en dépit du fait que ce soit sa nature de croquer tout le monde. Ce serait trop facile de laisser la nature prendre toujours le dessus. La force ne résout pas grand chose (elle appelle toujours la force), c’est l’acceptation qui peut aboutir à condition de faire preuve de bonne volonté et de détermination. Le loup va même sauver la vie de François, menacé par des chiens féroces, suite à une tentative d’apaiser une querelle avec les moines de Stroppiano, qui se sont arrogés le droit de posséder et d’exploiter une carrière de pierres en falsifiant les propos du Pape...ô ironie du sort ! Acte II François va trouver le Pape à Rome Deux miracles, Les Noces de Cana (déjà dans Mistero buffo) et la Multiplication des pains, sont racontés ici de manière aussi burlesque que vivante, colorée de gouaille populaire et marquée surtout au coin du bon sens : il est simplement question de rassasier les convives du banquet et le peuple venu écouter le prêche de François. Suit l’épisode des porcs, géniale pirouette du plus haut comique, où nous voyons le Pape demander pardon et embrasser François, qui s’est vautré dans la fange des porcs où Innocent III l’avait envoyé ! C’est lui qui va sauver l’Eglise que le Pape a vu se fissurer en rêve. Très subtilement, François touche à l’essentiel et réduit le pouvoir papal à néant en égratignant au passage la main-mise sur la charité : 13 « ...Dès l’instant où des donations me passent entre les mains pour être distribuées, je m’arroge un pouvoir, une puissance... « Tu veux démontrer par là, (dit le Pape) que celui qui gère la charité est le véritable patron. Que celui qui a pouvoir de décider à qui la distribuer est plus fort que l’empereur ! ...Non, je ne dis pas...Laisse-moi parler, François...Tu as raison : de quel droit puis-je me considérer comme le représentant de Dieu sur terre ?...Qu’est-ce que j’ai à voir avec ce type qui n’a jamais détenu ni bien ni pouvoirs. Moi, j’ai du pouvoir, j’en ai beaucoup (...) Je veux bien admettre que ta pensée est sainte et illuminée, mais il faut que tu ailles tenir ces discours à ceux à qui il s’adresse...pas à moi qui ne peux pas le comprendre. Ou plutôt, si...Je le comprends, mais je ne peux pas l’accepter ! Tu dois tenir ces discours à des porcs ! » Cet épisode se termine par la louange des oiseaux, véritable hymne à la liberté, à la joie de vivre et à la beauté et à la fantaisie. Lumineuse intelligence aussi du message christique. « Parce que nous autres homme, si nous pouvions par enchantement nous libérer de tout ce fatras et nous dépouiller de toutes ces passions tristes, nous serions si légers… nous l’éviterions spontanément dans le ciel… il suffirait du souffle d’un enfant pour nous faire voler. » François se meurt Vient d’abord le petit miracle de la fontaine de Bagno Rapo, séquestrée par le comte de Gera, afin que plus personne ne puisse s’y baigner : il l’a fait recouvrir d’un dôme de pierre. Une tempête et un tremblement de terre éclatent après le passage de François et l’éclair fait sauter le dôme. La fontaine est à nouveau accessible à tous. Ensuite, dans le palais de l’Evêque Hugolin, protégé par des soldats, François vit ses derniers moments en chantant avec ses frères, la gloire de Dieu. Auparavant, dans la rédaction définitive de la Règle de son Ordre, il a inscrit la recommandation de travailler pour «gagner » son aumône. Il ne suffit pas, en effet, de chanter en laissant les pauvres donner sur le peu qu’ils possèdent... 14 V – Les contextes historique, politique et religieux. La papauté et la crise de l’Eglise au XIIIème siècle Après 1122, qui voit la fin de la Querelle des Investitures par le Concordat de Worms, nous assistons à plusieurs changements d’importance à tous les niveaux : a) Politique : Naissance des Etats modernes centralisés et forts. En France, avec Philippe II Auguste, qui unifie le territoire, puis Louis VIII et Louis IX, le futur Saint Louis, qui vont grandir la France, qui sera une grande puissance avec l’avènement des Valois sous Philippe IV le Bel. En Angleterre, Jean sans Terre devient Roi et tente l’unification. b) Religieux : L’Eglise sort de la féodalité et structure sa hiérarchie et sa doctrine à travers les 4 Conciles successifs du Latran (1123-1139-1179 & 1215). L’épopée des Croisades bat son plein (4e., 5e. & 6e. 1202 à 1229) et l’éclosion des Ordres religieux mendiants, notamment, est très forte. Le XIIIe. S. voit la construction des Cathédrales romanes et le développement de la Scolastique. c) Historique : Essor des Villes et des communes, de la scolarité et des grandes Universités (1200 /Paris 1217/ Toulouse) Avènement de la bourgeoisie et du Commerce. A cette évolution historique et politique, l’Eglise va donner plusieurs réponses, mais connaître aussi de graves échecs face à l’impact de la laïcité grandissante : 1) Fondation des ordres religieux, essor du mouvement canonial (Droit canon) et l’acceptation de la diversité ecclésiale. 2) Echec moral de la 4e Croisade contre les Musulmans (1202-4) parce que déviée de ses buts spirituels. 3) La lutte contre les hérésies internes se solde par des massacres Vaudois (1209), des Albigeois (1215)et Cathares, sans compter les ravages de l’Inquisition (qui atteindra son apogée en 1227). Prisonnière de ses traditions, l’Eglise va se montrer incapable de contrecarrer efficacement les défis de l’histoire : l’agression de l’argent, les nouvelles formes de violence, l’aspiration contradictoire des chrétiens à jouir de plus d’aisance matérielle, de puissance et de concupiscence. 15 Elle va s’opposer à la création d’ordre religieux par des laïcs non hérétiques, Béguines ou Bégard. Dans le monde, les juifs, les lépreux, les homosexuels sont toujours exclus. La Naissance des ordres mendiants : Les Franciscains et les Dominicains Dans ce contexte furieux, vont naître les ordres mendiants et avec eux une expérience mystique qui va exercer une influence considérable dans le Siècle, et même sauver l’Eglise pour une part. Les Dominicains sont eux, initiateurs du développement de la mystique spéculative : St. Thomas d’Aquin (1125 -74) établit les règles de la vie mystique dans un encadrement scolastique dans sa « Somme Théologique ». Cet ordre des Frères prêcheurs sera reconnu en 1216. Le premier couvent avait été fondé par Saint Dominique en 1206, à Prouilhe, près de Toulouse. Les Franciscains prôneront une spiritualité plus affective et plus proche du peuple. St. Bonaventure, Ste. Claire, Ste. Angèle de Foligno et Raymond Lulle seront les grands propagateurs de l’ordre fondé par St. François. Le vrai François d’Assise (1181/2- 1226) Fils d’un riche marchand, il est tout naturellement préparé à prendre la succession de son père. Jeune homme, il va passer son temps en divertissements oisifs : le jeu, les femmes, les beuveries, les chansons et bavardages de tavernes. Il sera vite le meneur de la jeunesse dorée d’Assise... Grand admirateur de la poésie courtoise, il se fait chansonnier et jongleur. Mais, c’est la Chevalerie, qui l’attire et donc, la guerre. Sa première expérience est désastreuse : dans une bataille contre Pérouse, il est fait prisonnier durant un an. Son père obtient son rachat et sa libération contre rançon. Malgré la maladie et une santé fragile, il rêve de gloire : il rejoint les armées pontificales à Spolète où il ne se révèlera pas un glorieux militaire. Il sera appelé à d’autres combats, à manier des armes plus spirituelles... 1205 : Rencontrant un lépreux, il l’embrasse, pleure et passe plusieurs jours à jeûner, méditer et prier : c’est sa conversion. Elle va cependant s’opérer sur plusieurs années, marquée par plusieurs dates capitales : 1206 : Revenu à Assise, il se dépouille publiquement de ses vêtements et de ses biens et veut « Nu, suivre le Christ nu ». Il va ensuite restaurer les chapelles de San Damiano et de Porziuncola. 16 Commence alors une vie de pauvreté et de simplicité, exemple frappant du message évangélique, qui fascine encore aujourd’hui. François va, en fait, transposer dans son idéal religieux, son héritage chevaleresque : la Pauvreté, c’est sa Dame. Les saintes Vertus sont autant d’héroïnes courtoises. Le Jongleur et le Troubadour seront porteurs de la joie, de l’humour et du rire, d’une forme d’innocence aussi. « L’innocence est la préservation d’une clarté enfantine à l’âge adulte...Tout garde sa fraîcheur, sa pureté, sa nouveauté, sa couleur. De cette innocence jaillissent l’étonnement et l’enchantement. Elle conduit à la spiritualité. » Dario Fo 1209 : Après lecture d’un passage de St. Mathieu, il visionne la mission de prédication de ses frères, 12 compagnons au début. 1210 : La première règle est établie et approuvée oralement par le Pape Innocent III. 1212 Prise d’habit de Ste. Claire (1194-1253) qui fondera les Clarisses (Tiers ordre). 1215 : Il participe au Concile du Latran et y rencontre St. Dominique. De 1212 à 1219, l’ordre va connaître une extension rapide. François commence alors ses voyages ; il va parcourir bien des pays et participera à la 5e croisade où il tentera de convertir le Sultan (1220). Dépassé par le développement de ses fondations (et miné par une santé précaire), il en laisse le gouvernement à Elie de Cortone et se retire dans la contemplation. L’ordre sera placé sous la protection du Cardinal Ugolino à la curie romaine. Il reçoit les stigmates à l’Alverne en 1224. François établira la règle de son ordre en élaborant trois versions (1210, 1221 et 1223), la dernière ayant été approuvée par le Pape Honorius III (Regula bullata). Il nous laissera bien sûr des Cantiques (Cantique de frère Soleil/ Cantique des créatures), des Louanges (Louanges de Dieu/ Louange de la Joie) et des Laudes (Laudes séraphiques). Retenons enfin quelques épîtres et son Testament. Notons au passage, que ces textes sont les premiers de la littérature italienne. Il sera canonisé en 1228 par Grégoire IX. En 1230, son corps est transféré à la cathédrale patriarcale d’Assise. 17 V - BIBLIOGRAPHIE I. HISTOIRE GOBRI, Ivan St. François d’Assise et l’esprit franciscain Paris, Le Seuil, 1981, « Maîtres Spirituels » 10 GRAEF, Hilda Histoire de la mystique Paris, Le Seuil, 1972, « Livre de Vie » 112 LADOUES, Françoise Brève histoire de l’église catholique Paris, Desclée De Brouwer, 1988 LE GOFF, Jacques Saint François d’Assise Paris, Gallimard, 1999 MATHIEU-ROSAY, Jean Dictionnaire du Christianisme Alleur, Marabout, 1990 MU Histoire 493 MATIVA, Adrien S.J. Vita nuova I Du Poverello à Pirandello La Littérature italienne, Gembloux, Duculot, TIMMERMANS, Félix La Harpe de St. François Paris, Le Seuil, 1961 « Livre de Vie » 4 2000 ans de PapautéParis, Gallimard, 2002 « Découvertes » II. ŒUVRES THEATRALES DE DARIO FO En italien : Elles sont éditées en plusieurs tomes par Einaudi à Milan depuis 1970 sous l’intitulé : « Commedie ». N.B. la production de Dario Fo compte environ 70 pièces. + Dario Fo parlà di Dario Fo, Lerici 1977 Manuale minimo dell’attore, Einaudi 1987 18 En français : Sous les auspices de B. DORT, la collection « Dramaturgie » a publié en 1997 : Mort accidentelle d’un Anarchiste Faut pas payer ! Mystère Bouffe Histoire du tigre et autres histoires Récits de femmes et autres histoires A paraître : Premières farces Klaxons, trompettes…et pétarades + Dario Fo III. Le Gai savoir de l’acteur, Gallimard, 1987 OUVRAGES SUR LE THEATRE DE Dario FO LEONARDINI, Jean-Pierre Dario Fo, Franca Rame et autres histoires Jongleurs des exploités 1974 DORT, Bernard Dario Fo, un acteur épique, in « Travail théâtral » 1974 JOLY, Jacques Le théâtre militant de Dario Fo, in « Travail théâtral » 1974 19