francois le saint jongleur - Atelier Théâtre Jean Vilar

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Saison 2003-2004
FRANCOIS LE SAINT JONGLEUR
de Dario Fo
DOSSIER PÉDAGOGIQUE
Sur la photo : Jean-Marie Pétiniot
© Véronique Vercheval
ING nous aide à initier les jeunes au théâtre dès l’école.
FRANCOIS LE SAINT JONGLEUR
Dario Fo
Distribution
Adaptation : Nicole Colchat et Toni Cecchinato
Avec Jean –Marie Pétiniot
Metteur en scène : Toni Cecchinato
Lumière : Jacques Perera
Régie générale : Vincent Rutten
Régie lumière/son : Jacques Perera
Toile de Dario Fo peinte par James Block
Direction technique : Jacques Magrofuoco
Coproduction Festival de Spa et Atelier Théâtre Jean Vilar
Dates : 18 novembre 2003 au 11 janvier 2004
Lieu : Théâtre Blocry
Réservations : 0800/25 325
Contact écoles : Adrienne Gérard : 0473/936.976 – 010/47.07.11
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PLAN
I. L’Auteur
Biographie
Des Prix
Point de vue sur l’homme de théâtre
II. La mise en scène et le jeu de l’acteur selon Fo
Maître de toutes les techniques
Le théâtre de l’oeil
Dario Fo, acteur épique
III. Le récit conté
Présentation
Intentions de scène
Détails du récit :
Prologue
Acte I
Acte II
IV. Les contextes historique, politique et religieux
La Papauté et la crise de l’Eglise au XIIIème siècle
La naissance des ordres mendiants : les Franciscains et les Dominicains
Le vrai François d’Assise
V. Bibliographie
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I. L’Auteur
Biographie
Dario Fo est né en 1926, à San Giano, en Lombardie. Il fut très tôt en contact
avec le théâtre populaire et la tradition orale. Son grand-père était un fabulatore connu.
Après s’être initié à l’architecture à Milan, il opte pour la scénographie.
A la même époque, il fait ses premiers pas dans l’improvisation d’une suite de
monologues comiques intitulée Poer Nano (Pauvre nain) devant des groupes
d’étudiants et des amis. Au cours des années qui suivent, il apprend sur le tas l’écriture
télévisuelle et radiophonique, le cabaret et le spectacle de chansons.
A Brera, il a connu De Chirico et F. Léger, d’autres peintres italiens
contemporains ainsi qu’une foule d’artistes de la scène (Strehler) et de cinéastes, de G.
Pontecorvo à Fellini et De Sica.
En 1951, il rencontre Franca Rame, femme de théâtre, qu’il épouse en 1954. Le
couple forme ensemble sa propre compagnie en 1959 où Franca était la prima donna et
Dario, l’écrivain. La consécration internationale vient en 1960 avec la pièce : Les
Archanges ne jouent pas au billard électrique - Gli Archangeli non giocano a flipper .
En 1968, ils fondent, avec l’aide de la gauche la coopérative théâtrale « Nuova
Scena ». En 1970, suite à des conflits idéologiques, Dario Fo rompit avec le parti
communiste et créa sa compagnie « La Commune ».
En 1974, il obtient un théâtre permanent au Palazzino Liberty à Milan, inauguré
avec sa pièce à succès : « Faut pas payer ! » - Non si paga, non si paga !
Son anti-conformisme, son courage civique, son engagement social et politique
entraînèrent Fo dans d’innombrables procès et controverses en Italie avec l’Etat, la
police, la censure, les médias et le Vatican. «Mistero Buffo » avait, selon le pape,
« offensé les sentiments religieux des Italiens ! »… Que penser alors de sa pièce
« Tutta casa, letto e chiesa » inspirée des luttes pour obtenir le divorce et la légalisation
de l’avortement dans son pays ?
En 1980, il fut interdit de séjour aux Etats-Unis où il devait donner une
représentation exceptionnelle, à cause de son affiliation au « Soccorso rosso », une
organisation communiste de soutien aux militants détenus ou licenciés ainsi qu’aux
droits communs.
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Quelques pièces marquantes :
1959, Les Archanges ne jouent pas au billard électrique
1964, Isabelle, trois caravelles et un charlatan.
1965, Septième commandement : tu voleras un peu moins
1968, Cette dame est à jeter
1969, Mistero Buffo et L’ouvrier connaît 300 mots, le patron 1 000, c’est pour ça
qu’il est le patron.
1970, Mort accidentelle d’un anarchiste.
1974, On ne paie pas, on ne paie pas ! (Faut pas payer !)
1975, L’Enlèvement de Fanfani
1976, La marijuana de maman est toujours la meilleure
1979, Histoire du tigre et autres histoire
1980, Klaxon, trompettes .. et autres bruits
1982, Fabulage obscène
1983, Couple ouvert à deux battants
1984, Presque par hasard une femme, Elisabeth
1986, L’enlèvement de Francesca.
1987, Rôles de femmes qui comprend Couple ouvert et Une journée quelconque.
1991, Johan Padan à la découverte des Amériques.
1993, Dialogues sur Ruzzante et Maman ! au secours !.
1994, Du sexe ? merci, juste pour goûter d’après Le Zen et l’art de baiser de
Jacopo Fo.
En 1999, il écrit François le Saint Jongleur.
Des prix
Parmi les récompenses qui ont couronné le travail de Dario Fo, on retrouve le
prix Eduardo da Taormina Arte (1986), le prix national contre la violence et les gangs de
l’Association M. Torre (1986), le prix new-yorkais Obie (1986) et le prix Agro Dolce
(1987-1988). En 1981, il reçoit le Prix Sonning.
En 1997, Dario Fo reçoit le Prix Nobel de Littérature en octobre, divisant l’opinion
culturelle internationale.
Récipiendaire en 2000 de trois prix Molière pour La Mort d'un anarchiste, il est
invité la même année à Delphes pour un important congrès intitulé D'Aristophane à
Dario Fo.
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Un si beau prix !
« C’est un grand scandale pour l’Italie (que j’aie reçu le Prix Nobel). Des gens du
Corriere dela sera ont écrit : « Le prix Nobel, c’est foutu. Il n’existe plus du moment où
Dario Fo est dans la sélection finale ». Ca, c’est beau ! Mais c’est la première fois dans
l’histoire du prix qu’un acteur, qui écrit aussi, arrive à remporter le prix Nobel.
C’est aussi une récompense qui est donnée à ma compagne, Franca Rame. Je
ne croyais pas que je l’aurais, car j’étais encore dans l’idée que le Nobel allait aux
littéraires purs. Le littéraire qui écrit pour écrire et qui reste dans l’écriture. On a fait le
choix révolutionnaire de quelqu’un qui n’a pas écrit tout de suite, mais qui a écrit en
conséquence du jeu qu’il a fait sur la scène. Ils ont choisi un comédien qui emploie la
voix, le rythme, le geste, la musique, la danse, le corps... Tout ! Lorsque j’écris, l’œuvre
est déjà composée. C’est une reconstruction de ce qui se passe sur la scène.
J’ai déjà porté ce costume sur scène. Le trac, ce n’est pas quelque chose qui
m’est étranger. Je crois que je me sentirai à l’aise. C’est le costume de la comédie ! Je
vais parler italien. Je serai soutenu par la traductrice suédoise. Il y aura une partie écrite
et une partie improvisée. Et alors, j’imagine qu’il y aura des Japonais ou des Chinois qui
ne comprendront pas où ils sont, qui changeront de feuilles, qui les laisseront tomber.
Les gens diront : « Arrête ! Nous ne comprenons pas ! » Ce n’est pas mal ! On arrive à
produire une émotion dans la lecture. Ce n’est pas du « blabla » mécanique. »
Dario Fo in Le Monde, 17 décembre 1997
Clown nobélisé
« La force de Fo, a estimé le jury, est de créer des textes qui en même temps
amusent, engagent et ouvrent des perspectives ». Si d’autres auteurs de théâtre ont
déjà reçu cet insigne honneur, aucun d’entre eux n’était, avant tout, comme l’auguste
italien, un homme de planches.
Il a d’ores et déjà annoncé que le magot du Prix Nobel lui servirait à relancer le
procès du pauvre bougre dont il a raconté l’histoire dans « Mort accidentelle d’un
anarchiste ».
L’Humanité, novembre 1997
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Point de vue sur l’homme de théâtre
« Quand Dario Fo préconise et pratique un théâtre et un jeu épiques, il renvoie à
un mode de représentation très ancien, primitif peut-être, et encore vivant, celui de
l’epos, du récit.
La référence au conteur a d’abord l’intérêt d’éclairer le rapport du comédien avec
son public, un lien dont la tension et la qualité varient en fonction des deux parties et
non de la seule bravura de l’acteur.
Il faut donc parler aux gens de ce qui les concerne. Or, si les conteurs
traditionnels trouvent dans leur héritage culturel un fonds qui, provenant de la
communauté, l’intéresse aussi toute entière, il n’en va pas de même pour les
comédiens. Le fonds culturel du répertoire a un contenu de classe et « relire les
classiques » ne suffit pas à fonder un théâtre populaire.
Revenir aux conteurs, c’est donc restituer au peuple une culture orale que les
livres nient ou trahissent et que le transistor n’a pas appris à servir. Cette culture orale,
à la fois apprise et improvisée est la mémoire du groupe et son « journal parlé ». Pour
un cantastorie sicilien, la Passion du Christ modèle le chant funèbre sur la mort d’un
syndicaliste. La superposition des deux images ne sert pas d’ornement, elle opère un
renversement des valeurs, arrachant les Evangiles au catéchisme du pouvoir.
L’histoire, dans tous les sens du mot, ne va pas sans un regard critique sur ellemême. Décalages, rupture de rythme, distance ironique, distorsion grotesque, tout cela
apparente le théâtre de Dario Fo aux récits des fabulatori qu’il se donne pour maîtres.
Quand il définit le théâtre populaire comme un « théâtre de situations », ce n’est
pas seulement pour l’opposer au théâtre psychologique bourgeois, c’est aussi pour
décrire un certain mode de fonctionnement dramatique.
Au départ, il y a une situation-clé, le plus souvent paradoxale. Elle met en
mouvement un mécanisme, une « machine scénique » qui va suivre sa logique propre,
naïve, absurde ou cynique, sans cesse confrontée en tout cas avec la logique du sens
commun, de la vérité ou de l’espérance.
Le spectacle se déroule ainsi sur plusieurs plans, plusieurs systèmes
d’enchaînement s’y entrecroisent ou s’y contrecarrent, obligeant en quelque sorte le
spectateur à « tourner autour » de l’histoire représentée pour la comprendre.
Au théâtre de chevalet, Dario Fo substitue un théâtre « en haut relief » où tout
est découvert, la fiction comme les acteurs. Un théâtre sans coulisses ni miracles. »
Valérie
Tasca
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II - La mise en scène et le jeu de l’acteur selon Fo
Maître de toutes les techniques
« Le privilège de Fo est, du reste, de ne pas partir de la littérature : grâce à sa
sensibilité d’acteur, le texte naît de la pratique de la scène comme chez Molière ou
Shakespeare. La littérature peut attendre.
Les propriétés mimétiques de la langue ou les effets scéniques s’accompagnent
nécessairement de ceux de l’image : le théâtre de Fo s’inspire toujours de la peinture
figurative, d’une situation visuelle qui remonte à l’histoire de l’art, de la Renaissance en
particulier et symboliquement.
Si Fo est proprement un homme de théâtre total, on oublie trop souvent
d’attribuer à l’auteur comme à l’acteur, la contribution de la vision de l’artiste à son talent
de metteur en scène et du costumier. »
Franco Quadri (1984)
Le Théâtre de l’oeil
« Encore aujourd’hui, quand j’imagine un travail, quand je l’écris, je pense
essentiellement en termes de « plan et de hauteur », fondamentaux en architecture.
Deux dimensions utilisées également en peinture. (...) Ce qui est important pour moi,
c’est l’idée de l’enchaînement des séquences, des figures plastiques et chromatiques,
des perspectives des acteurs en mouvement et des objets. (...) Je me suis passionné
pour la Renaissance, non seulement italienne, mais encore espagnole et j’ai étudié
aussi les grands peintres flamands et français.
L’image me sert pour fixer l’assise de l’écriture, pour continuer plus avant le
développement du travail. Je n’ai rien fait d’autre que de projeter une figuration
esthétique dans le théâtre. Il s’agit d’exprimer l’intelligence et la fantaisie. Il y a trente
ans, venir parler de l’importance et de la valeur de l’espace, du rythme et des couleurs,
était une hérésie et faisait bondir 75% des critiques. Pour un certain type de théâtre,
c’est maintenant une petite révolution comme d’employer très souvent des marionnettes
ou des mannequins. (...)
Je crois très fort à la collaboration, à la participation de plus de personnes dans
un projet et à l’évolution des idées. Cela ne m’intéresse pas de m’arrêter à une solution
unique, une action répétitive. Il en va de même dans mon activité artistique. Je suis
toujours disposé à changer.
Je préfère me jeter à corps perdu dans la recherche de l’innovation, comme un
artisan et non comme un démiurge.
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Pour « L’histoire du Soldat » (à la Scala de Milan), j’ai fait plus de deux cents
esquisses sur un écran de verre pour étudier les infinies possibilités de composition de
manière à ce que les images pussent se mouvoir sur fond transparent, ainsi se sont
construites les improvisations jusqu’à trouver la bonne, la plus juste. Cela a été une
véritable expérience didactique et un « spectacle professionnel ».
Désormais, dans ma vie d’homme de théâtre, tout se fond et s’interpénètre.
L’artiste « public », l’acteur et l’artiste « privé » n’existent pas. Le peintre qui oeuvre
dans son atelier clos, c’est terminé. »
interview de D. Fo par Paolo Landi (1984)
L’acteur doit choisir son camp, parce qu’il a un devoir social et moral vis-à-vis
du public. C’est un communicateur d’idées, de pensées, d’émotions, de socialité, de
cynisme. Il doit communiquer dans le bien, dans le mal, dans le sarcasme, dans la
férocité ou dans le rire contre l’injustice. Il doit choisir son camp. Un acteur ou un
comédien ou un homme de théâtre quel qu’il soit, qui plaît à tout le monde, est quelque
chose d’horrible et d’insupportable. Je ne suis pas sûr qu’une telle personne existe
d’ailleurs.
Dario Fo, « Le gai savoir de l’acteur »
Dario Fo, acteur épique
« L’acteur doit pouvoir espacer ses gestes comme le typographe espace les
mots » (Walter Benjamin).
A aucun moment, Fo ne s’établit dans un personnage : il en joue un, deux, dix
ou cent. Il ne s’attarde pas à fignoler. C’est par un geste, une inflexion de voix qu’il
indique un personnage, puis un autre ; par un placement sommaire dans l’espace. Il
jongle avec les gestes comme avec les inflexions... et avec élégance. (...)
Le monologue brisé et multiforme de Dario Fo ne se referme pas sur lui-même :
il appelle le dialogue (avec le public).
En face d’elle (la langue officielle, qu’il conteste), il ressuscite et élabore ce qu’il
appelle le langage des jongleurs : « Il y avait des centaines de dialectes et une énorme
différence, plus grande qu’aujourd’hui, d’un endroit à l’autre, si bien que le jongleur
aurait dû connaître des centaines de dialectes.
Alors, qu’est-ce qu’il faisait ? Il s’en inventait un à lui. Un langage formé de
beaucoup de dialectes avec des possibilités de changer de mots à des moments
déterminés jusqu’à, pour se faire comprendre, user de quatre ou cinq synonymes. ».
Amalgamant, lui aussi, plusieurs dialectes, le langage de Fo ne tient pas
seulement compte des différences géographiques, il se constitue aussi sur le décalage
historique qui fonde toute la représentation.
En plus de la virtuosité, du rythme, et de l’étourdissement des métamorphoses,
interviennent les commentaires. Ils ont une fonction d’explication et d’information. Ils
font le pont entre le passé et le présent.
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Enfin, le commentaire intervient à l’intérieur du jeu : il est constitutif du sens
même de la représentation. Du côté du commentaire : le message, du côté du jeu :
l’illustration. L’histoire et l’actualité se relaient à tous les niveaux. »
Bernard Dort
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III. Le récit conté à partir d’extraits de textes canoniques
latins et de vieilles fables populaires d’Ombrie
Présentation
Fo se sert toujours de l’histoire pour retrouver par le théâtre, la vérité souvent
trahie sinon occultée par le pouvoir dominant (ce qui a été le cas pour certains écrits de
la vie du Saint, censurés par l’Eglise). Mieux, il construit un véritable conte populaire.
Il relie à sa manière les Fioretti et les fresques des églises romanes avec le plus
grand respect quant au fond religieux, mais avec toute l’irrévérence voulue envers
l’hagiographie officielle.
Dario Fo le dit : « C’est qu’il s’agit toujours de retrouver la culture du peuple,
ensevelie, dégradée, déformée, camouflée par les prêtres, les aristocrates et ainsi de
suite, pour la restituer au peuple sans ses maquillages afin qu’il en use...
(Interview de J.P. Léonardini)
Nous découvrons un homme du XIIIe siècle, homme d’action, de vérité,
d’humilité, proche de nous par ses faiblesses et touchant parce que profondément
joyeux.
Ses préoccupations sont les nôtres : le pouvoir et/de l’argent, la pauvreté et le
« charity business », la violence et la guerre, l’amour et le respect de la nature.
Intentions de scène
« Du texte que je vais vous conter maintenant, il ne reste aucune trace écrite ; je
me suis permis de le reconstruire moi-même sur base des témoignages et des
chroniques de l’époque. Je n’ai pas de preuves à l’appui, vous devez me faire
confiance ! Ce qui est certain, c’est que lorsque le texte original ressurgira dans son
intégrité, comme cela s’est déjà produit au siècle dernier pour d’autres récits de
l’époque, vous pourrez vous exclamer : Je le connaissais déjà ! »
Le conte se compose d’un prologue et de cinq tableaux répartis en deux actes.
Ce sont différents épisodes de la vie du Saint Jongleur.
« Parmi les recherches que j’ai menées sur François, j’ai découvert qu’il s’était
lui-même autodéfini jongleur en déclarant d’entrée de jeu « Je suis le jongleur au
service de Dieu » .
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Ce n’est pas sans arrière-pensées qu’il a choisi cette figure emblématique pour
dénoncer une fois encore les dangers de toute pensée unique. Le Saint d’Assise fut le
premier grand réformateur d’une Eglise établie, trop encline à accorder au pouvoir ce
qu’elle déniait au peuple. Dire si la tentative du Saint qui prêchait la pauvreté a réussi,
l’histoire nous l’a déjà dit.
S’affubler du qualificatif de bouffon satirique, au début du treizième siècle, était
une provocation très dangereuse… Il fallait être fou ou masochiste.
Les jongleurs étaient aimés du petit peuple mais haïs et persécutés par les
puissants, qu’ils clouaient régulièrement au pilori, en les désignant eux-mêmes comme
des clowns. »
Détails du récit :
Prologue
Acte I
Le Sermon de Bologne
L’expulsion des notables et l’effondrement des 40 tours
Le St. Jongleur et le Loup de Gubbio
Acte II
François va trouver le Pape
François se meurt
Reprenons en synthèse le déroulement de l’ensemble :
Prologue : Présentation des intentions de scène décrites plus haut et du but
recherché, c.à.d. dépouiller François des édulcorations de La légende Majeure écrite
par St. Bonaventure et, partant, découvrir le vrai François.
Acte I
Le Sermon de Bologne (1222)
Plaidoyer pour la Paix en fustigeant les cruelles guerres féodales, sur fond de
Césaropapisme : les pauvres paient toujours de leur sang et de leurs larmes, sans
oublier la famine...
Expulsion des Notables et effondrement des 40 Tours
François prend le parti des défavorisés contre sa propre classe et la Commune
triomphe des Bourgeois (Prise de La Rocca en 1200).
Cependant, dans un autre épisode, les Assisiates sont défaits par les Pérugins
(Bataille de Ponte San Giovanni, 1202).
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Prisonnier, François est condamné aux carrières et devient un excellent maçon
et tailleur de pierre.
De retour chez lui, il s’adonne aux réjouissances et mène une vie de gai luron
ripailleur ; suite à sa rencontre avec un lépreux, il connaît son « Chemin de Damas » et
se convertit totalement. C’est sa seconde vie.
Nous assistons à un complet renversement de situation : le jeune homme riche
matériellement, devient délibérément pauvre. Sa richesse sera spirituelle et sa mission
sera de prêcher l’exemple du Christ. Finement, avec humour et intelligence, il veut faire
comprendre qu’il est nécessaire d’abolir les rapports de force et revenir à la simplicité
évangélique à travers l’amour et le respect de la nature, des êtres et des créatures.
Le Saint Jongleur et le loup de Gubbio
Une bête monstrueuse égorge dans la région, moutons, bergers et même des
enfants. François, appelé à la rescousse arrive et décide de parler au Loup, qui s’est
sagement couché à ses pieds...
Tout ce passage à valeur et fonction de parabole : il faut aider le loup à changer
de vie en l’acceptant dans la communauté, en dépit du fait que ce soit sa nature de
croquer tout le monde. Ce serait trop facile de laisser la nature prendre toujours le
dessus. La force ne résout pas grand chose (elle appelle toujours la force), c’est
l’acceptation qui peut aboutir à condition de faire preuve de bonne volonté et de
détermination.
Le loup va même sauver la vie de François, menacé par des chiens féroces,
suite à une tentative d’apaiser une querelle avec les moines de Stroppiano, qui se sont
arrogés le droit de posséder et d’exploiter une carrière de pierres en falsifiant les propos
du Pape...ô ironie du sort !
Acte II
François va trouver le Pape à Rome
Deux miracles, Les Noces de Cana (déjà dans Mistero buffo) et la Multiplication
des pains, sont racontés ici de manière aussi burlesque que vivante, colorée de gouaille
populaire et marquée surtout au coin du bon sens : il est simplement question de
rassasier les convives du banquet et le peuple venu écouter le prêche de François.
Suit l’épisode des porcs, géniale pirouette du plus haut comique, où nous voyons
le Pape demander pardon et embrasser François, qui s’est vautré dans la fange des
porcs où Innocent III l’avait envoyé !
C’est lui qui va sauver l’Eglise que le Pape a vu se fissurer en rêve.
Très subtilement, François touche à l’essentiel et réduit le pouvoir papal à néant
en égratignant au passage la main-mise sur la charité :
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« ...Dès l’instant où des donations me passent entre les mains pour être
distribuées, je m’arroge un pouvoir, une puissance...
« Tu veux démontrer par là, (dit le Pape) que celui qui gère la charité est le
véritable patron. Que celui qui a pouvoir de décider à qui la distribuer est plus fort que
l’empereur ! ...Non, je ne dis pas...Laisse-moi parler, François...Tu as raison : de quel
droit puis-je me considérer comme le représentant de Dieu sur terre ?...Qu’est-ce que
j’ai à voir avec ce type qui n’a jamais détenu ni bien ni pouvoirs. Moi, j’ai du pouvoir, j’en
ai beaucoup (...) Je veux bien admettre que ta pensée est sainte et illuminée, mais il
faut que tu ailles tenir ces discours à ceux à qui il s’adresse...pas à moi qui ne peux pas
le comprendre. Ou plutôt, si...Je le comprends, mais je ne peux pas l’accepter ! Tu dois
tenir ces discours à des porcs ! »
Cet épisode se termine par la louange des oiseaux, véritable hymne à la liberté,
à la joie de vivre et à la beauté et à la fantaisie. Lumineuse intelligence aussi du
message christique.
« Parce que nous autres homme, si nous pouvions par enchantement nous
libérer de tout ce fatras et nous dépouiller de toutes ces passions tristes, nous serions si
légers… nous l’éviterions spontanément dans le ciel… il suffirait du souffle d’un enfant
pour nous faire voler. »
François se meurt
Vient d’abord le petit miracle de la fontaine de Bagno Rapo, séquestrée par le
comte de Gera, afin que plus personne ne puisse s’y baigner : il l’a fait recouvrir d’un
dôme de pierre.
Une tempête et un tremblement de terre éclatent après le passage de François
et l’éclair fait sauter le dôme. La fontaine est à nouveau accessible à tous.
Ensuite, dans le palais de l’Evêque Hugolin, protégé par des soldats, François vit
ses derniers moments en chantant avec ses frères, la gloire de Dieu.
Auparavant, dans la rédaction définitive de la Règle de son Ordre, il a inscrit la
recommandation de travailler pour «gagner » son aumône. Il ne suffit pas, en effet, de
chanter en laissant les pauvres donner sur le peu qu’ils possèdent...
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V – Les contextes historique, politique et religieux.
La papauté et la crise de l’Eglise au XIIIème siècle
Après 1122, qui voit la fin de la Querelle des Investitures par le Concordat de
Worms, nous assistons à plusieurs changements d’importance à tous les niveaux :
a)
Politique : Naissance des Etats modernes centralisés et forts.
En France, avec Philippe II Auguste, qui unifie le territoire, puis
Louis VIII et Louis IX, le futur Saint Louis, qui vont grandir la France, qui sera
une grande puissance avec l’avènement des Valois sous Philippe IV le Bel.
En Angleterre, Jean sans Terre devient Roi et tente l’unification.
b)
Religieux :
L’Eglise sort de la féodalité et structure sa hiérarchie et sa doctrine à travers les
4 Conciles successifs du Latran (1123-1139-1179 & 1215).
L’épopée des Croisades bat son plein (4e., 5e. & 6e. 1202 à 1229) et l’éclosion
des Ordres religieux mendiants, notamment, est très forte.
Le XIIIe. S. voit la construction des Cathédrales romanes et le développement
de la Scolastique.
c)
Historique : Essor des Villes et des communes, de la scolarité et des
grandes Universités (1200 /Paris 1217/ Toulouse)
Avènement de la bourgeoisie et du Commerce.
A cette évolution historique et politique, l’Eglise va donner plusieurs réponses,
mais connaître aussi de graves échecs face à l’impact de la laïcité grandissante :
1)
Fondation des ordres religieux, essor du mouvement canonial (Droit
canon) et l’acceptation de la diversité ecclésiale.
2)
Echec moral de la 4e Croisade contre les Musulmans (1202-4) parce que
déviée de ses buts spirituels.
3)
La lutte contre les hérésies internes se solde par des massacres
Vaudois (1209), des Albigeois (1215)et Cathares, sans compter les ravages de
l’Inquisition (qui atteindra son apogée en 1227).
Prisonnière de ses traditions, l’Eglise va se montrer incapable de contrecarrer
efficacement les défis de l’histoire : l’agression de l’argent, les nouvelles formes de
violence, l’aspiration contradictoire des chrétiens à jouir de plus d’aisance matérielle, de
puissance et de concupiscence.
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Elle va s’opposer à la création d’ordre religieux par des laïcs non hérétiques,
Béguines ou Bégard. Dans le monde, les juifs, les lépreux, les homosexuels sont
toujours exclus.
La Naissance des ordres mendiants : Les Franciscains et
les Dominicains
Dans ce contexte furieux, vont naître les ordres mendiants et avec eux une
expérience mystique qui va exercer une influence considérable dans le Siècle, et même
sauver l’Eglise pour une part.
Les Dominicains sont eux, initiateurs du développement de la mystique
spéculative :
St. Thomas d’Aquin (1125 -74) établit les règles de la vie mystique dans un
encadrement scolastique dans sa « Somme Théologique ». Cet ordre des Frères
prêcheurs sera reconnu en 1216. Le premier couvent avait été fondé par Saint
Dominique en 1206, à Prouilhe, près de Toulouse.
Les Franciscains prôneront une spiritualité plus affective et plus proche du
peuple. St. Bonaventure, Ste. Claire, Ste. Angèle de Foligno et Raymond Lulle seront
les grands propagateurs de l’ordre fondé par St. François.
Le vrai François d’Assise (1181/2- 1226)
Fils d’un riche marchand, il est tout naturellement préparé à prendre la
succession de son père. Jeune homme, il va passer son temps en divertissements
oisifs : le jeu, les femmes, les beuveries, les chansons et bavardages de tavernes.
Il sera vite le meneur de la jeunesse dorée d’Assise...
Grand admirateur de la poésie courtoise, il se fait chansonnier et jongleur. Mais,
c’est la Chevalerie, qui l’attire et donc, la guerre.
Sa première expérience est désastreuse : dans une bataille contre Pérouse, il
est fait prisonnier durant un an. Son père obtient son rachat et sa libération contre
rançon.
Malgré la maladie et une santé fragile, il rêve de gloire : il rejoint les armées
pontificales à Spolète où il ne se révèlera pas un glorieux militaire. Il sera appelé à
d’autres combats, à manier des armes plus spirituelles...
1205 : Rencontrant un lépreux, il l’embrasse, pleure et passe plusieurs jours à
jeûner, méditer et prier : c’est sa conversion.
Elle va cependant s’opérer sur plusieurs années, marquée par plusieurs dates
capitales :
1206 : Revenu à Assise, il se dépouille publiquement de ses vêtements et de
ses biens et veut « Nu, suivre le Christ nu ». Il va ensuite restaurer les chapelles de San
Damiano et de Porziuncola.
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Commence alors une vie de pauvreté et de simplicité, exemple frappant du
message évangélique, qui fascine encore aujourd’hui.
François va, en fait, transposer dans son idéal religieux, son héritage
chevaleresque : la Pauvreté, c’est sa Dame. Les saintes Vertus sont autant d’héroïnes
courtoises. Le Jongleur et le Troubadour seront porteurs de la joie, de l’humour et du
rire, d’une forme d’innocence aussi.
« L’innocence est la préservation d’une clarté enfantine à l’âge adulte...Tout
garde sa fraîcheur, sa pureté, sa nouveauté, sa couleur. De cette innocence jaillissent
l’étonnement et l’enchantement. Elle conduit à la spiritualité. » Dario Fo
1209 : Après lecture d’un passage de St. Mathieu, il visionne la mission de
prédication de ses frères, 12 compagnons au début.
1210 : La première règle est établie et approuvée oralement par le Pape
Innocent III.
1212 Prise d’habit de Ste. Claire (1194-1253) qui fondera les Clarisses (Tiers
ordre).
1215 : Il participe au Concile du Latran et y rencontre St. Dominique.
De 1212 à 1219, l’ordre va connaître une extension rapide. François commence
alors ses voyages ; il va parcourir bien des pays et participera à la 5e croisade où il
tentera de convertir le Sultan (1220).
Dépassé par le développement de ses fondations (et miné par une santé
précaire), il en laisse le gouvernement à Elie de Cortone et se retire dans la
contemplation. L’ordre sera placé sous la protection du Cardinal Ugolino à la curie
romaine.
Il reçoit les stigmates à l’Alverne en 1224.
François établira la règle de son ordre en élaborant trois versions (1210, 1221 et
1223), la dernière ayant été approuvée par le Pape Honorius III (Regula bullata).
Il nous laissera bien sûr des Cantiques (Cantique de frère Soleil/ Cantique des
créatures), des Louanges (Louanges de Dieu/ Louange de la Joie) et des Laudes
(Laudes séraphiques). Retenons enfin quelques épîtres et son Testament.
Notons au passage, que ces textes sont les premiers de la littérature italienne.
Il sera canonisé en 1228 par Grégoire IX. En 1230, son corps est transféré à la
cathédrale patriarcale d’Assise.
17
V - BIBLIOGRAPHIE
I. HISTOIRE
GOBRI, Ivan
St. François d’Assise et l’esprit franciscain
Paris, Le Seuil, 1981, « Maîtres Spirituels » 10
GRAEF, Hilda
Histoire de la mystique
Paris, Le Seuil, 1972, « Livre de Vie » 112
LADOUES, Françoise
Brève histoire de l’église catholique
Paris, Desclée De Brouwer, 1988
LE GOFF, Jacques
Saint François d’Assise
Paris, Gallimard, 1999
MATHIEU-ROSAY,
Jean Dictionnaire du Christianisme
Alleur, Marabout, 1990 MU Histoire 493
MATIVA, Adrien S.J. Vita nuova I Du Poverello à Pirandello
La Littérature italienne, Gembloux, Duculot,
TIMMERMANS,
Félix La Harpe de St. François
Paris, Le Seuil, 1961 « Livre de Vie » 4
2000 ans de PapautéParis, Gallimard, 2002 « Découvertes »
II. ŒUVRES THEATRALES DE DARIO FO
En italien :
Elles sont éditées en plusieurs tomes par Einaudi à Milan depuis 1970 sous l’intitulé :
« Commedie ».
N.B. la production de Dario Fo compte environ 70 pièces.
+
Dario Fo parlà di Dario Fo, Lerici 1977
Manuale minimo dell’attore, Einaudi 1987
18
En français :
Sous les auspices de B. DORT, la collection « Dramaturgie » a publié en 1997 :
Mort accidentelle d’un Anarchiste
Faut pas payer !
Mystère Bouffe
Histoire du tigre et autres histoires
Récits de femmes et autres histoires
A paraître :
Premières farces
Klaxons, trompettes…et pétarades
+
Dario Fo
III.
Le Gai savoir de l’acteur, Gallimard, 1987
OUVRAGES SUR LE THEATRE DE Dario FO
LEONARDINI, Jean-Pierre
Dario Fo, Franca Rame et autres histoires
Jongleurs des exploités 1974
DORT, Bernard
Dario Fo, un acteur épique, in « Travail théâtral » 1974
JOLY, Jacques
Le théâtre militant de Dario Fo, in « Travail théâtral » 1974
19
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