Introduction I – Le passage de la langue source à la langue cible II – La nécessaire adaptation III – L'importance de la maîtrise du fond. La langue correspond à la représentation qu'une société se fait de son monde. Participe de l'identité « intemporelle » d'une société, d'où dimension de transcendance ; MAIS témoigne d'une représentation subjective du monde (une certaine vision de ce monde), d'où dimension de « contingence » ; Le mot, ici comme ailleurs, aujourd'hui comme jadis, fait EXISTER le signifié ; si le signifiant n'existe pas dans une langue donnée, son signifié n'existe pas non plus. Le droit constitue l'ensemble des normes qu'une société déterminée se donne à un instant. La norme traduit l'échelle des valeurs d'une société, donc la propension de cette société à se représenter son monde. La langue juridique se caractérise donc par un particularisme intrinsèque. La langue constitue l'une des modalités par lesquelles une société se représente son monde, et le droit est l'expression technique de l'échelle des valeurs de ce monde-là. Le traducteur-interprète en matière judiciaire est confronté à un défi. Il s'agit de faire passer la représentation des valeurs d'un monde A vers la représentation des valeurs d'un monde B. D'où deux difficultés Le passage de la langue source à la langue cible L'adaptation du propos en raison des spécificités des deux mondes en présence A ) Les difficultés habituelles, inhérentes à toute traduction 1°) La question de la transformation du discours 2°) Le difficile arbitrage entre traduction littérale et adaptation B) Les difficultés propres à la traduction judiciaire 1°) La traduction d'audience 2°) La traduction des pièces écrites La transformation du discours du fait de la traduction a) La transformation par le système grammatical : Les aspects verbaux (perfectif/imperfectif) ; Les voies (active / moyenne / passive) ; Les tournures impersonnelles ; Etc. La transformation du discours du fait de la traduction b) Lorsque la grammaire dicte des effets de style. Ex. : le modal anglais « shall » dans un texte juridique (contrat ou loi). Valeur de « pseudo-futur » en anglais, mais sera traduit par un présent en français Valeur d'obligation, d'où recours à une tournure comme « devoir » Le cas échéant, passage de l'actif au passif (« the Purchaser shall pay the fee... » peut être utilement rendu par « l'Acquéreur EST TENU du paiement... » Le difficile arbitrage entre « la fidèle hideuse » et « la belle infidèle ». Trois difficultés majeures se posent : les métaphores, les comparaisons, les images. D'où trois questions... Le difficile arbitrage entre « la fidèle hideuse » et « la belle infidèle ». Question 1 La comparaison / métaphore / image de la langue source peut-elle faire sens en langue cible si on la prend littéralement ? NON : Passer à la question 3 OUI : Passer à la question 2 Le difficile arbitrage entre « la fidèle hideuse » et « la belle infidèle ». Question 2 Le sens est-il altéré par une traduction littérale ? Ex. : « we're all in the same bed » qui n'a aucune dimension grivoise en anglais NON : Traduire littéralement OUI : Essayer de trouver un équivalent approchant (voir Question 3) Le difficile arbitrage entre « la fidèle hideuse » et « la belle infidèle ». Question 3 Existe-t-il seulement quelque chose d'approchant (sur le signifiant plus que sur le signifié) en langue cible ? OUI : utiliser l'approchant de la langue cible NON : supprimer toute image et traduire uniquement le signifiant ET l'indiquer par une « note du traducteur » Les difficultés tenant à l'interprétariat d'audience (au sens large) et à la transcription d'écoutes. Nécessité de traduire VITE Nécessité de TOUT traduire Traduction au mot à mot (spécificité par rapport à l'interprétariat de conférence) Nécessité de restituer les hésitations, les lapsus, les ruptures de construction. Les difficultés tenant à l'interprétariat d'audience (au sens large) et à la transcription d'écoutes. Au plan technique : Traduction en continu Traduction sans chuchotage Exercice difficile qui se caractérise par l'importance de la dimension LITTERALE. Ne pas essayer de « faire joli ». Importance des accents & dialectes locaux : les signaler systématiquement. Les difficultés tenant à la traduction écrite des pièces Par définition, ici, il n'est plus question de transcrire les hésitations ; en revanche : Si des particularismes locaux apparaissent, il faut le signaler (ex. : anglais britannique vs anglais américain ; portugais du Portugal vs portugais du Brésil, etc.) Quid des images et métaphores ? Les difficultés tenant à la traduction écrite des pièces Le plus souvent, les images & métaphores ne présentent guère d'intérêt, et leur rendu doit donc se faire : En utilisant l'équivalent « langue-cible » le plus proche ; En l'absence d'équivalent, la sous-traduction est possible. Les difficultés tenant à la traduction écrite des pièces Deux exceptions (de taille) : 1èrement : La métaphore ou le signifiant imagé va être soumis à expertise psychologique ou psychiatrique : Traduire au mot à mot, en tâchant d'être le plus explicite possible, et donner, s'il existe, l'équivalent langue-cible en note du traducteur. Les difficultés tenant à la traduction écrite des pièces 2èmement : L'image ou la métaphore correspond à un « code » (cf en matière de stupéfiants) : Traduire au mot-à-mot, et mettre l'équivalent langue-cible en note ; Expliciter (en note) qu'il semble bien s'agir d'un code. Nous avons donc vu que : La traduction / l'interprétariat judiciaire présente toutes les difficultés habituelles à la traduction / interprétariat ; S'y ajoutent des difficultés liées aux impératifs du monde judiciaire... Sans oublier les différences institutionnelles ! A ) Divergences & Convergences de représentation en matière juridique 1°) Les cas de convergence 2°) Les cas de divergence B) Les échappatoires possibles 1°) Des mémos et des notes 2°) Des annexes distinctes. Les cas de convergence Il existe de nombreux cas dans lesquels la loi du pays A est strictement la même que celle du pays B. Tel est le cas en présence : De conventions internationales portant loi uniforme (ex. : convention de Genève sur la lettre de change) De traités internationaux (le traité sur la non prolifération des armes nucléaires) De textes européens, qu'il s'agisse de droit matériel (traités) ou dérivé (directives, règlement). La règle à suivre, en présence de tels textes, est extrêmement simple : On recopie purement et simplement la version officielle du texte dans la langue cible. En cas de difficulté pour trouver le texte : taper son nom complet dans la langue source, suivi de l'instance (EUROPA, ONU), dans un moteur de recherche (google, yahoo). On obtient le site officiel, et les traductions ad hoc. Cette règle ne souffre aucune exception, dès lors qu'existe une « traduction officielle ». Même lorsque la traduction officielle comporte des erreurs de terminologie. Directive MIFID : le mot « counterpart » (co-contractant) est traduit par « contrepartie » : ne pas intervenir. Il convient toutefois de ne laisser place à aucune ambiguïté : utilisation des guillemets et police adéquate (italiques) pour toutes les citations du texte. De même, l'indication de la source officielle sera utilement mentionnée en annexe. Les cas de divergence sont malheureusement plus fréquents. On les retrouve tant en matière processuelle (ex. : petition for certiorari) qu'en matière fondamentale (ex. : on ne traduit pas « trust » par fidéijussion...). Différence majeure entre le droit & les sciences dures : un théorème en anglais renvoie au même théorème en chinois... Il ne peut être question ici de traduire au mot-à-mot, à peine de provoquer des catastrophes : Memorandum of Understanding : simple invitation à entrer en pourparlers, on se trouve dans la phase précontractuelle Letter of intent : Accord de principe (lie les parties sur son objet)... et non pas « lettre d'intention » ! Il faut donc rendre, à chaque fois, l'équivalent langue-cible, en prenant en compte deux grand facteurs : Il ne doit jamais y avoir de risque de confusion Si un mécanisme du pays A ressemble vaguement à un mécanisme du pays B, on ne doit pas le traduire directement, sinon le juge du Pays B appliquera directement ce régime juridique. La décision doit être explicite et le magistrat doit pouvoir en être informé Ex. 1 : Le trust. On ne peut pas le traduire par fidéijussion, car le régime juridique n'est pas le même ; On ne peut pas non plus le traduire par fondation (le trust n'a pas la personnalité juridique). Ici, les risques de confusion sont trop grands : on garde donc le terme de « trust ». Ex. 2 : La GmbH C'est une société de droit allemand, à responsabilité limitée, non admise à la cotation sur un marché boursier, destinée historiquement aux petites entreprises. Elle est à l'origine de la SARL et pourra être traduite par « SARL », quitte à mettre une note du traducteur ; de même, elle pourra être traduite par « Ltd » (Private Limited) en anglais. C'est le risque de confusion qui doit conduire à décider de recourir ou non à l'équivalent en langue cible. Et, de toutes façons, la décision sera utilement expliquée dans les annexes Les mémos et les notes... Des moyens d'expliciter, plus longuement que dans une simple note de bas de page, des aspects importants : Difficultés liées à des ambiguïtés ; Différences d'institutions (ex. : le Trust) ; Le cas échéant, les incohérences (ex. : dans les dates). Règles à respecter : Ce sont des auxiliaires utiles, mais ce ne sont QUE des auxiliaires : Ils apparaissent distinctement du corps de la traduction : dans des fichiers distincts, par exemple ; Les arguments développés par le traducteur doivent être parfaitement explicites ; Documents monolingues, dans la langue du destinataire (une traduction en français, toutefois, n'est jamais inutile) ; Ils ne sont pas soumis au visa aux fins d'authentification ; Ils ne sont pas facturés par le traducteur (il agit de sa propre initiative). Quelle différence entre un mémo et une note ? Plus l'explication à fournir est longue, plus il est judicieux de la mettre en mémo, sous forme d'un fichier distinct. Si l'explication est très courte (mention manuscrite, en français dans le texte, etc.), on peut le mettre en note de bas de page. Si l'explication comporte des annexes (ex. : photocopies de pages d'enclyclopédies, ou autre), faire un mémo et joindre les annexes. Encore faut-il, pour rédiger ces mémos & notes, que le traducteur connaisse le sens technique des mots, donc qu'il connaisse le fond de la matière. On passe alors de la traductionadaptation à la traductionexplication. Il est fondamental qu'un bon traducteur expert connaisse le sens des termes techniques qu'il trouve dans un texte. Différence entre la traduction (notamment spécialisée), qui demande du temps, et l'interprétariat, souvent généraliste et qui intervient dans l'instant. A) Le traducteur, homme universel ? 1°) Expansion des connaissances ; 2°) Connaissance du signifiant vs connaissance du signifié. B) La formation continue 1°) L'interdisciplinarité. 2°) Aspects pratiques de la formation continue. L'expansion continue des connaissances constitue une réalité d'évidence. La somme des connaissances mondiales double tous les quatre ans. Ce qui suppose que le traducteur mette continuellement à jour sa base de connaissances lexicales. TM (Translation Memory) : bases de données des termes techniques que l'on se constitue d'une traduction à l'autre via des logiciels de traduction. Danger : absence de correction d'erreurs, d'où Et, même en mettant correctement à jour les TM, cela ne permet pas en tant que tel au traducteur de connaître le fond de la matière. Un diplôme de traduction médicale ne certifie pas que le traducteur est médecin, et c'est la même chose pour le droit, pour les sciences de l'ingénieur, etc. Le traducteur, en matière spécialisée, doit donc se montrer modeste et prudent Ne JAMAIS hésiter à demander au technicien C'est dire que la maîtrise du signifiant n'entraîne pas maîtrise du signifié. Le traducteur doit prendre un soin extrême à l'apprentissage de la signification des termes techniques, y compris dans sa langue maternelle et même s'il croit les connaître déjà : Confusions fréquentes : jugement/arrêt ; loi/arrêté/arrêt, acquittement/relaxe/non-lieu, etc. De ce point de vue, le développement de bi-formations : langues/droit ; langues/éco ; langues/biologie, au moins jusqu'au MASTER Pareil apprentissage peut se faire dans le cadre de la formation continue. Il n'est pas réservé à la formation initiale. Cette formation continue doit se faire dans deux directions : La formation en traductologie. La formation dans les autres disciplines. Elle doit se faire sous forme de stages courts, avec des professionnels qualifiés et volontaires. La formation continue en traductologie. Nécessité de toujours se remettre en question. Nécessité de mutualiser les connaissances. Aide à la traduction en apprenant à utiliser les nouveaux outils du traducteur : Dictionnaires spécialisés, notamment en ligne. Outils de TAO, pas toujours faciles à utiliser (le logiciel TRADOS ne s'utilise pas de la même façon que WORDFAST, META-TEXIS, HEARTSOME, etc) La formation continue dans les autres domaines. Il ne s'agit pas de transformer le traducteur en médecin, architecte, avocat, ingénieur, etc. Il s'agit de lui donner les bases dans un certain nombre de domaines qui sont ceux avec lesquels il est en contact de manière régulière. Dans les deux cas, cette formation doit être dispensée par des professionnels. Par des spécialistes de tel ou tel logiciel de traduction, par exemple. Celui qui utilise TRADOS ne sait pas forcément utiliser HEARTSOME, et inversement. Là encore, il convient de se garder de tout orgueil déplacé, d'apprendre à utiliser sans cesse de nouveaux outils, et d'acquérir de nouvelles connaissances. Quant à la formation dans d'autres disciplines, le recours à des professionnels est évident. C'est à un juriste d'expliquer les bases du droit, à un médecin d'expliquer le B-A BA de la terminologie médicale. Moyen aussi d'acquérir des références pour des bases terminologiques (ex. : Vocabulaire juridique, G. Cornu). Ne pas laisser passer les occasions de se former. Ces formations doivent être courtes Il ne s'agit plus de retourner à l'Université, et de reprendre un cursus complet. Des stages de quelques jours (10 jours répartis sur l'année, par exemple) sont préférables, car stagiaires et intervenants sont des professionnels, et ont donc des contraintes. Les nouvelles technologies ouvrent des perspectives illimitées Cours mis en vidéo, accessibles par ftp Accessibilité partout dans le monde, via les Il semble judicieux d'envisager, pour les traducteurs, un système analogue aux certificats de spécialité qui existent dans le Barreau. Au bout de quelques années, possibilité de passer un examen interne, corrigé d'une part par des traducteurs chevronnés (pour la langue) et d'autre part par des professionnels de la discipline (pour la précision de la terminologie). Ce certificat serait admis par les principales instances de la traduction, et par la Les difficultés rencontrées par les experts traducteurs sont multiples. Elles tiennent tant à la langue qu'aux aspects institutionnels et juridiques. La formation continue semble désormais indispensable. Son siège naturel est à rechercher au sein des Compagnies d'Experts.