L’intensification du traitement antihypertenseur exigera
également une surveillance étroite. « Plus de visites chez le
médecin seront nécessaires. Est-ce que les patients et les
cliniciens auront le temps ? Le besoin accru de vigilance
aura beaucoup de conséquences pour le système de santé »,
indique le président d’Hypertension Canada.
L’objectif reste néanmoins séduisant : diminuer de 25 % les
complications cardiovasculaires et de presque la moitié le
taux de mortalité chez les hypertendus à risque. « Mais est-ce
qu’appliquer le protocole SPRINT dans la collectivité va nous
donner les mêmes résultats et n’entraînera pas plus d’effets
indésirables ? » Le spécialiste se souvient encore de l’étude
RALES qui a révélé les importants bienfaits de la spirono-
lactone sur l’insuffisance cardiaque. Après sa publication, il
y a une quinzaine d’années, les cas d’hyperkaliémie se sont
multipliés. Le taux de potassium des patients n’avait pas été
surveillé assez étroitement. « On a peur que la même chose
survienne avec l’application des données de l’étude SPRINT. »
Un autre facteur est également important : la distorsion
possible que peut causer la mesure de la pression atérielle.
Dans l’étude, la pression était prise avec un appareil auto-
matique qui effectuait trois mesures sans la présence d’un
professionnel de la santé. « Si l’on regarde le patient, déjà sa
pression monte. Quand on prend la pression manuellement,
on obtient des résultats qui sont globalement de 5 mmHg
à 10 mmHg plus élevés », indique le Dr Schiffrin. Pour cette
raison, Hypertension Canada recommande la prise de la
pression en clinique avec un appareil automatique ainsi que
l’automesure à domicile pour le patient. « Il sera important
que les cliniciens suivent ces recommandations s’ils veulent
se baser sur l’étude. Sinon, ils risquent de surtraiter le patient
et de diminuer de façon excessive la pression artérielle. »
DISCUSSION AVEC LE PATIENT
Hypertension Canada étudie actuellement les résultats de
SPRINT. « Tous les avantages et les coûts biologiques, finan-
ciers et sociaux doivent être évalués avant d’en arriver à
des recommandations. Cela va prendre un peu de temps,
mentionne le Dr Schiffrin. En attendant, il y a des recom-
mandations que l’on peut appliquer. »
Pour commencer, tenter d’atteindre les cibles actuellement
recommandées. « Ce n’est déjà pas facile. » On peut ensuite
aborder la question d’une baisse plus marquée de la pression
artérielle avec le patient. « Il faudra voir ce qu’il préfère. Cela
doit toujours jouer un rôle dans les décisions thérapeutiques.
Il faut une entente entre le patient et le médecin après dis-
cussion. La préférence du patient, en toute connaissance de
cause, ainsi que la tolérance aux effets néfastes doivent jouer
un rôle important dans la décision », soutient le spécialiste.
La Dre Ducharme tient compte de ces aspects. Impression-
née par l’étude SPRINT, elle propose maintenant à certains
patients un traitement antihypertenseur plus vigoureux. Et
elle prend en considération les effets indésirables. « Il faut
bien surveiller les électrolytes et les symptômes. On doit
particulièrement personnaliser le traitement chez les per-
sonnes âgées. »
Le Dr Schiffrin ne réfrène pas les cliniciens qui veulent appli-
quer les conclusions de l’essai SPRINT. « Si c’est ce que les
médecins veulent faire, ils le peuvent. Nous, à Hyperten-
sion Canada, attendons le processus d’évaluation du PECH
(Programme d’éducation canadien sur l’hypertension,
consensus canadien sur les lignes directrices). Le groupe
travaille déjà à incorporer les résultats de l’étude SPRINT et
fera ses recommandations dans les semaines qui viennent.
La décision repose donc, pour le moment, sur la préférence
des patients après une discussion avec un médecin. » //
BIBLIOGRAPHIE
1. Wright JT Jr, Williamson JD, Whelton PK et coll pour le SPRINT Research Group.
A Randomized Trial of Intensive versus Standard Blood-Pressure Control. N Engl
J Med 2015 ; 373 (22) : 2103-16.
2. Schirin, EL, Calhoun D, Flack JM. SPRINT Proves that Lower Is Better For Non-
diabetic High-Risk Patients, but at a Price. Am J Hypertens 2016 ; 29 (1) : 2-4.
DOI : 10.1093/ajh/hpv190
3. Cushman WC, Evans GW, Byington RP et coll. Eects of intensive blood-pres-
sure control in type 2 diabetes mellitus. N Engl J Med 2010 ; 362 (17) : 1575-85.
ENCADRÉ 2 ET LES PATIENTS DIABÉTIQUES ?
Le cas des patients diabétiques donne des maux de tête aux ex perts.
D’un côté, l’étude SPRINT démontre qu’une pression systolique
in férieure à 120 mmHg est bénéfique chez les patients non diabéti-
ques, de l’autre, l’étude ACCORD, dont le protocole était semblable,
ne révèle aucun avantage chez les diabétiques3. Faudrait-il alors
viser une pression plus basse chez les personnes normoglycé-
miques que chez les diabétiques ? Illogique.
« On ne croit pas qu’il y ait une diérence pathobiologique dans
la maladie cardiovasculaire des patients diabétiques – sujets à
très haut risque – et les patients non diabétiques, dit le Dr Ernesto
Schirin, président d’Hypertension Canada. Comment gère-t-on
cette diérence ? Est-ce qu’on peut étendre les résultats de l’étude
SPRINT au moins partiellement aux patients diabétiques ? »
La Dre Anique Ducharme, cardiologue, est elle aussi perplexe.
« L’étude ACCORD était très similaire à celle de SPRINT. Les cher-
cheurs visaient dans les deux groupes de traitement une pression
systolique de 120 mmHg ou de 140 mmHg. Donc, comment inter-
préter les résultats de l’étude SPRINT et les mettre en relation avec
ceux de l’étude ACCORD ? C’est le défi intellectuel que j’ai actuelle-
ment. » Il y avait cependant des diérences entre les deux études,
souligne la spécialiste. Par exemple, les patients de plus de 80 ans
étaient exclus d’ACCORD. Certains des agents pharmacologiques
employés, comme les diurétiques, étaient diérents. « Il faudra
regarder les analyses secondaires de SPRINT pour concilier les
conclusions des deux études. »
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Le Médecin du Québec, volume 51, numéro 1, janvier 2016