Comment interpréter les résultats de l`étude SPRINT pour

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ÉDITORIAL
Comment interpréter les résultats
de l’étude SPRINT pour la pratique
clinique ?
How to incorporate the SPRINT trial results
into clinical practice?
“
L
e traitement de l’hypertension artérielle permet de réduire les risques
­d’accident vasculaire cérébral (AVC), d’infarctus du myocarde, de décès
­cardiovasculaire, ­d’insuffisance cardiaque et d’insuffisance rénale chronique.
Mais tant la ­définition des niveaux d’hypertension artérielle à partir desquels il faut
instaurer un traitement médical que les cibles du traitement médical sont toujours
débattus. Il y a ­nécessairement un côté arbitraire dans les recommandations qui fixent
des seuils ­d’intervention, comme dans celles qui fixent des cibles de traitement, puisque
nous savons que, pour une grandeur biologique comme la pression artérielle, le risque
Pr Philippe
Gabriel Steg
Rédacteur en chef ; service de
cardiologie, hôpital Bichat, Paris.
cardiovasculaire varie continûment avec la pression artérielle suivant une relation
curvilinéaire exponentielle. Néanmoins, traditionnellement, une cible de 140/90 mmHg
était visée dans la population générale, et une cible de 130/80 mmHg chez les
­diabétiques. ­Récemment, après les résultats apparemment négatifs de l’essai randomisé
ACCORD sur le traitement de l’hypertension artérielle systolique chez le diabétique
(essai dans lequel les événements cardiovasculaires n’étaient pas significativement plus
rares avec un traitement intensif qu’avec un traitement plus prudent), les objectifs
tensionnels chez le diabétique avaient été relevés.
Ces données vont probablement être réexaminées devant des résultats récents,
tout d’abord ceux d’une méta-analyse des essais randomisés qui ont comparé un
­traitement intensif de l’hypertension artérielle à un traitement moins intensif,
incluant 19 essais et près de 45 000 patients. Celle-ci montre qu’une réduction
relativement modeste de la pression artérielle (en moyenne 7 mmHg de ­pression
systolique : 133 contre 140 mmHg) était associée à une réduction des ­é vénements
­cardiovasculaires graves de 14 %, des infarctus du myocarde de 13 %, des AVC
de 22 %, de l’albuminurie de 10 % et de la progression de la rétinopathie de 19 %,
sans réduction claire de la mortalité totale ou cardiovasculaire, de l’insuffisance
cardiaque ni du risque d’insuffisance rénale chronique (1). Puis, quelques jours
plus tard, les résultats de l’étude SPRINT ont été présentés et publiés. C’est un
essai de l­’Institut national de la santé américain, qui a randomisé un peu plus de
9 300 patients hypertendus, adultes, à haut risque cardiovasculaire, mais en excluant
les patients atteints de diabète ou présentant des antécédents d’AVC. Un tirage au
sort a attribué à chaque patient l’une des 2 stratégies thérapeutiques : la première
visait une p
­ ression artérielle systolique inférieure à 120 mmHg ; l’autre, une valeur
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­inférieure à 140 mmHg. Après un peu plus de 3 ans de suivi, la différence de pression
artérielle entre les 2 groupes était un peu plus faible que prévu : en moyenne, 121 mmHg
dans le groupe traitement intensif et 134 mmHg dans le groupe moins intensif, au prix
d’une a­ ugmentation de traitement d’environ 1 médicament (en moyenne 2,8 ­médicaments
contre 1,8). Ces différences ont été associées à une réduction franche du critère de
jugement primaire, qui combinait l’infarctus du myocarde, les syndromes coronaires
aigus, l’AVC, l’insuffisance cardiaque et les décès de cause cardiovasculaire. Ce critère
de jugement a été positif chez 5,2 % des patients du groupe intensif, contre 6,8 % des
patients du groupe moins intensif (p < 0,001). Il y avait également une réduction du
risque d’insuffisance cardiaque (1,3 contre 2,1 %) et, surtout, une réduction de la ­mortalité
toutes causes (3,3 contre 4,5 % ; p = 0,003). Ces bénéfices étaient obtenus au prix d’un
surcroît d’effets indésirables dans le groupe traitement intensif : plus ­d’insuffisance rénale
aiguë (4,3 contre 2,5 %) et d’hypotension artérielle (2,4 contre 1,4 %), mais sans différence
concernant l’incidence des chutes traumatiques (2).
Comment interpréter ces résultats ?
1/ Ils fournissent des arguments extrêmement solides en faveur d’un traitement plus
intensif de l’hypertension artérielle chez les patients à haut risque cardiovasculaire.
En effet, non seulement la réduction des critères primaires est atteinte, mais la réduction
de la mortalité toutes causes est claire, indubitable et fait plus que contrebalancer les
effets indésirables observés sur le rein ou sur l’hypotension orthostatique. Il serait difficile
de justifier l’instauration d'un traitement moins intensif chez les hypertendus, dès lors
qu’il est associé à une mortalité plus élevée.
2/ Les résultats pourraient paraître discordants avec ceux de l’étude ACCORD
chez le diabétique, qui avait montré une réduction non significative de son critère
de ­jugement primaire, mais l’analyse poolée des 2 études présentée dans l’éditorial
­accompagnant l’article SPRINT dans le New England Journal of Medicine (3) montre
bien que les ­résultats des 2 essais sont en réalité assez concordants, ACCORD étant
­substantiellement plus petit, avec une moindre puissance statistique que SPRINT, et
­s’intéressant à une population légèrement différente, les diabétiques, chez qui atteindre
les objectifs ­tensionnels est plus difficile. En outre, l’hypertension du patient diabétique a
probablement une physiopathologie légèrement différente de celle de la ­population g­ énérale.
3/ Ces résultats ne s’appliquent pas à tous les hypertendus, loin de là. La ­population
de l’essai SPRINT est très particulière. Il s’agit de sujets adultes ­présentant une
des ­caractéristiques suivantes : antécédents de maladie cardiovasculaire avérée
ou ­infraclinique, insuffisance rénale chronique, âge supérieur à 75 ans, risque
­cardiovasculaire estimé à plus de 15 % à 10 ans sur l’échelle de Framingham. Un point
important est que l’échelle de Framingham est peu utilisée en Europe, car elle est mal
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calibrée pour les populations européennes, dont l’épidémiologie est différente. Il serait
probablement beaucoup plus pertinent en Europe de calculer un risque cardiovasculaire
à l’aide des échelles Score, mais elles ne mesurent pas les mêmes événements que le score
de Framingham. Il sera i­ mportant pour le praticien de savoir comment identifier les bons
candidats en termes de risque, en utilisant les calculateurs de risque adaptés à la France et
à l’Europe.
Un élément qui n’a pas encore été présenté concerne la qualité de vie des patients
dans les 2 bras de l’étude. Il sera important de l’évaluer précisément. On peut s’attendre
à ce que le groupe recevant un traitement plus intensif ait, du fait des effets indésirables,
une moins bonne qualité de vie, mais cela reste à établir, car il faut prendre en compte
les événements cardiovasculaires et non cardiovasculaires évités par le traitement. Il est
possible qu’on se retrouve dans une ­situation (qui n’est pas exceptionnelle en médecine)
où un traitement plus intensif est associé à une amélioration de la survie, mais à une
dégradation de la qualité de vie. Il est donc important de discuter dans le détail avec le
patient des bénéfices, des risques et des effets indésirables du traitement de l’hypertension
artérielle : c’est une condition ­indispensable pour une bonne adhésion à un traitement
chronique comme celui de ­l’hypertension ­artérielle. L’avis du patient, dont les préférences
peuvent différer de celles du praticien, doit être pris en compte.
Enfin, pour mettre en perspective les résultats de SPRINT, il est utile de comparer le
nombre de patients à traiter pour éviter 1 événement cardiovasculaire (63), le nombre de
patients à traiter pour éviter 1 décès toutes causes (83), et le nombre de patients à traiter
pour induire 1 insuffisance rénale aiguë (55). Ces chiffres nous rappellent que les ­bénéfices
éventuels du traitement ont un prix, qui n’est pas uniquement celui des ­traitements
L’auteur déclare avoir des
liens d’intérêts avec Sanofi et
Servier (bourses de recherche) ;
Amarin, AstraZeneca, Bayer,
Boehringer-Ingelheim, BristolMyers-Squibb, CSL-Behring,
Daiichi-Sankyo, ­GlaxoSmithKline,
Janssen, Lilly, Novartis, Pfizer,
Regeneron, Roche, Sanofi,
Servier, The Medicines Company
(honoraires) ; Aterovax
­(co-inventeur).
­antihypertenseurs (dont la plupart ont désormais des génériques et sont relativement peu
coûteux), mais qui est aussi celui des effets indésirables. Si SPRINT et la méta-­analyse
des essais randomisés antérieurs déplacent le curseur du traitement de ­l’hypertension
”
­artérielle vers un traitement plus intensif, il ne peut s’agir d’une règle univoque et
simpliste. L’application pratique de ces résultats doit être adaptée à chaque malade en
fonction de ses préférences, de sa tolérance et de sa présentation clinique, qui sont
propres à chaque individu.
Références bibliographiques
1. Xie X, Atkins E, Lv J et al. Effects of intensive blood pressure lowering on cardiovascular and renal outcomes: updated systematic review and meta-analysis. Lancet 2015 Nov 7 [Epub ahead of print].
2. SPRINT Research Group, Wright JT Jr, Williamson JD, Whelton PK et al. A randomized trial of intensive versus standard
blood-pressure control. N Engl J Med 2015;373(22):2103-16.
3. Perkovic V, Rodgers A. Redefining blood-pressure targets — SPRINT starts the marathon. N Engl J Med 2015;373(22):2175-8.
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