Durabilité des services et productivité dans les services : des notions difficilement compatibles Céline Merlin-Brogniart1 1 CLERSE, Université de Lille 1 Les services sont au cœur de nos économies modernes. Ils sont les principaux contributeurs de l'emploi, du PIB et de la production d'innovation. La problématique de développement durable, quant à elle, est devenue progressivement un véritable projet de société. Cette communication cherche à montrer que les activités de service, grâce à la proximité de leurs caractéristiques avec certaines finalités du développement durable, stimuleraient une dynamique de passage vers une société durable. Ces activités jouent un rôle important dans le nécessaire renouvellement des pratiques économiques et sociales. Cette société de service, construite sur les bases d’une société industrielle, conserve cependant des caractéristiques productivistes, en particulier pour la mesure de la performance. Les mesures traditionnelles de productivité ne permettent pas de rendre compte des performances multidimensionnelles des services, ni de la durabilité des activités. L’utilisation d’un cadre d’évaluation de la performance multicritère mettrait en évidence la performance des services et la durabilité de ces activités, et serait en accord avec le projet de construction d’une société durable. Les services sont au cœur de nos économies modernes. Ils sont les principaux contributeurs de l'emploi, du PIB et de la production d'innovation. Ils participent, de manière plus générale, à la performance du système productif global. Ils forment en quelque sorte, la “nouvelle richesse des nations” (Djellal, Gallouj, 2007). Par ailleurs, plus de vingt ans après la parution du rapport « Brundtland », la problématique de développement durable s’est largement répandue, elle est devenue un véritable projet de société sur lequel un grand nombre d’acteurs travaille. L’objectif de cette communication est de s’interroger sur la capacité des activités de service à diriger la société vers un développement durable. Si les caractéristiques des services tendent à rapprocher ces activités de la notion de durabilité (Djellal, Gallouj, 2009), est-ce suffisant pour que la croissance tertiaire soit favorable au développement durable ? Les activités de service sont-elles capables de prendre en compte les besoins présents mais aussi les besoins futurs ? Existe-t-il parmi les activités de service, des services davantage susceptibles de stimuler une dynamique de passage vers un développement durable, tout en favorisant la création de valeur ? Réfléchir sur l’économie des services conduit à parcourir d’autres disciplines. La question du développement durable amène les acteurs à dé1 placer les expériences innovantes dans les services aux frontières de la sphère sociale, de la sphère économique et de la sphère politique (Landrieu, 2007). Dans la mesure où c’est l’usage qui crée la valeur d’un service, il conviendra de croiser l’univers de la production et celui des usages. Cette communication intègre une réflexion sur l’évolution des modes de consommation des acteurs, vers de nouvelles manières d’agir, et questionne les modes de production des activités. Cette réflexion nous conduira à réfléchir sur les typologies existantes traitant de la durabilité des services. La société de service s’est construite progressivement autour d’un modèle de société bâti sur une logique industrialiste. Elle a donc emprunté aux entreprises manufacturières les modes de mesures de la performance. Ces mesures se sont basées sur les techniques productivistes appliquées à cette période. Confrontés aux spécificités des services, de plus en plus d’auteurs mettent en avant la difficulté de ces techniques de mesure à rendre compte de la spécificité des services ? (Gadrey, 1989 ; Djellal, Gallouj, 2007). Par ailleurs, les besoins susceptibles d’être satisfaits par les services sont pluriels, ils intègrent par nature ou par prise de conscience, de multiples facettes (économiques, sociales et écologiques). Ces outils de mesure nous permettent-ils d’appréhender la durabilité sous toutes ces formes? Faut-il repenser le cadre analytique de la performance ? L’utilisation d’un cadre d’analytique multicritère permettrait par exemple de prendre en compte l’ensemble des dimensions du service durable. Notre communication ne prétend pas donner une réponse définitive à ces questions, mais cherche plutôt à présenter des pistes de réflexion à partir des travaux réalisés sur ce sujet. Ces pistes amèneront à des recherches futures. Afin d’étudier le lien entre les activités de services et la durabilité, nous proposons, une fois la notion de durabilité analysée, d’articuler les caractéristiques des activités de service avec la problématique de durabilité et d’étudier les typologies existantes sur la durabilité des services. Dans une deuxième partie, nous réfléchirons à la pertinence du type de performance des services qui est actuellement mesuré. Cette mesure de la performance est-elle en accord avec les projets de société existants ? 1. L’analogie entre les activités de service et la problématique du développement durable Avant d’étudier les analogies entre les services et la problématique du développement durable, revenons sur la notion de durabilité. Le terme « durable » est utilisé par opposition à « l’éphémère » qui caractérise encore aujourd’hui nos sociétés de consommation. Ce terme, associé à la notion de « développement durable », traduit de l’anglais sustainable development, peut prêter à confusion. Le terme durable met plutôt l’accent sur la cohérence entre les besoins et les ressources globales de la planète sur le long terme. Il insiste moins sur les changements de société rendus nécessaires pour la mise en œuvre d’un développement 2 durable. Le terme « soutenable » (sustainable), quant à lui, exprime davantage la capacité d’un phénomène à s’auto-entretenir afin d’assurer sa pérennité, plutôt qu’il ne traduit l’état de ce qui dure. Nous emploierons ici le terme « durable » comme un terme englobant la notion de durabilité et de soutenabilité. Le rapport « Bundtland » définit le développement à partir d’une vision intergénérationnelle. Le développement durable est perçu comme « un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs »1. L’horizon temporel est donc fortement étendu par rapport à l’horizon contemporain limité de la société de consommation, et même relativement à l’horizon des préoccupations politiques. La notion de développement durable a conduit à élargir la notion de capital au-delà du capital économique traditionnel. Le stock de capital comporte aussi le capital écologique (les ressources naturelles dont hériteront les générations futures) ainsi que le capital d’équité sociale (qui consiste en l’accès aux richesses, à la répartition de la richesse ou encore à l’équité intergénérationnelle). Afin de vérifier si la notion de « services durables » a un sens, nous cherchons tout d’abord à vérifier si la transposition de la définition du développement durable aux services est envisageable. Les services sont-ils capables de satisfaire les besoins des générations présentes sans empêcher les générations futures de répondre à leurs propres besoins? 1.1. Les dimensions de la durabilité et les services En suivant la définition de G. H. Brundtland, un service durable devrait répondre à trois séries de besoins ou d’objectifs de production. Ces objectifs peuvent être présentés sous la forme d’hypothèses qu’il conviendra par la suite de tester. Ces hypothèses sont les suivantes : • Un service serait économiquement durable s’il satisfait aux exigences de la production à la fois présentes et futures ; • Un service serait socialement durable s’il génère des interactions sociales et de l’équité sociale sur longue durée ; • Un service serait écologiquement durable s’il ne contribue pas (ou peu) à la dégradation de l’environnement Réfléchissons aux contextes dans lesquels les activités de service rencontrent ces trois types de durabilité. Nous remarquons que la durabilité a été abordée avant tout de manière curative ou défensive en réponse à l’apparition des externalités négatives engendrées par les activités humaines. Les actions mises en œuvre dans ce cadre relèvent de tentatives de réparation. Dans le cas des services, la durabilité peut aussi se concevoir en actions préventives. Ces dernières seront davantage présentes dans la recherche d’une durabilité sociale que d’une durabilité écologique. 1 «development that meets the needs of the present without compromising the ability of future generations to meet their own needs» ; WCED, Our Common Future, 1987, Oxford, O.U.P., p. 43 3 Le tableau 1 reprend les objectifs des services relevant d’actions préventives et d’actions défensives dans les trois dimensions de la durabilité (sociale, écologique et économique). Service et durabilité sociale La dimension sociale des services est liée au caractère interactif des services. Une activité de service peut être définie comme « « une « opération » visant une « transformation d’état » d’une réalité C, possédée, contrôlée ou utilisée par un agent B, réalisée par un prestataire A à la demande de B , mais n’aboutissant pas à la production d’un bien susceptible de circuler économiquement indépendamment du support C. » (Gadrey 2008, p 13). Pour réaliser cette opération, la plupart des services nécessitent une rencontre physique entre le prestataire de service (A) et son destinataire (B) afin de « rendre un service » ou de coproduire le service. Par conséquent, le client ne peut être ignoré. La principale valeur dégagée par les services est le lien social qu’il créé ou maintien grâce à cette dimension d’interactivité. C’est en quelque sorte la nature même des services qui a conduit ces activités à prendre en compte la question sociale. La dimension sociale participe de la qualité de service. De ce fait, la durabilité sociale constitue par nature un objectif des activités de service. Certains services participent à la création ou la préservation des liens sociaux par nature, comme les services de traitement de l’individu dans ses dimensions cognitives (ex : enseignement) physiologiques (ex : santé) ainsi que les services de proximité (qui participent notamment à la dimension esthétique de l’individu). D’autres services ont une finalité sociale et civique (les services publics marchands ou non marchands, les associations). Ils maintiennent de la cohésion sociale. D’autres services enfin, génèrent du progrès social car leurs règles de fonctionnement impliquent l’usage d’une démocratie (participative) qui est sensée dégager davantage de diversité (économie sociale et solidaire). La durabilité sociale étant une finalité pour de nombreux services, nous considérons qu’elle relève d’actions préventives en faveur du développement durable, même si à l’origine leur conception relève davantage d’une durabilité économique. Ces actions relèvent des services précédemment énoncés. Il est possible de considérer que la maîtrise des risques introduit dans les services d’alimentation ou de santé, participe de la dimension sociale dans la mesure où elle a un impact positif sur la santé de la population. D’autres actions sont menées en perspective de réparation (actions curatives). Ce sont les prestations de service délivrées afin de rétablir la cohésion sociale, de réduire le déficit de services en zone rurale, et de favoriser les mutualisations de services permettant de continuer à délivrer les services tout en réduisant les coûts. Ces actions peuvent se traduire en réorganisation des services publics, en ouverture de centres d’aide (aide à la création d’entreprise par exemple) ou dans de nouvelles solutions de délivrance du service (ex point PIMMS regroupant plusieurs services en réseau). 4 Un autre grand objectif de la durabilité sociale est la création d’emplois. De nombreux auteurs soulignent la forte capacité actuelle des services à créer des emplois2. Cette capacité a été expliquée dans un premier temps par la faiblesse des gains de productivité dans les services (Baumol, 1966). Cette explication n’est pas suffisante. D’une part, il semblerait que la mesure de la productivité dans les services ne reflète pas le potentiel de performance de ces activités, car cette mesure ne correspondrait pas à la nature des services (c’est ce que nous développerons dans la deuxième partie) ; d’autre part, ce constat de la croissance des emplois dans les services est à nuancer car toutes les catégories de service ne devraient pas continuer à obtenir une telle croissance si un modèle de croissance durable est progressivement mis en place (Gadrey, 2008). Selon cet auteur, les services les plus socialement durables (les services qui répondent à des besoins sociaux et des besoins de proximité) devraient continuer à créer des emplois. Il s’agit des services précédemment cités répondant à la durabilité sociale. En revanche, les services peu durables dans leur dimension écologique devraient voir leur nombre d’emplois diminuer. En effet, la recherche d’une croissance moins consommatrice en ressources naturelles et énergétiques, et moins « matérielle » créerait des emplois dans des secteurs actuellement peu créateurs d’emploi, comme l’agriculture (les produits verts étant plus exigeants en emploi) ; dans les métiers associés aux énergies renouvelables (comme le bâtiment ou les services énergétiques, etc.) et dans les services précédemment cités répondant à la durabilité sociale. Dans cet article de 2008, J. Gadrey propose une typologie des services « perdants » et « gagnants » en emploi. Cette typologie fine3 , peut être considérée comme une autre typologie incluant les services durables. Service et durabilité écologique La question de la durabilité écologique est apparue suite à la prise de conscience selon laquelle le rapport homme-nature s’est modifié. Avant, la nature donnait les moyens de produire mais on ne se souciait pas ou peu des problèmes d’irréversibilité. Aujourd’hui, les acteurs ont pris conscience des effets à long terme de leurs prises de décisions actuelles ainsi que de l’impact à la fois local et global de ces effets. La réflexion sur la durabilité écologique a commencé par être appliquée à l’agriculture et à l’industrie. L’économie écologique a d’ailleurs ignoré l’économie des services (à l’exception des transports) (Gadrey, 2008). Le développement durable conserve de ce fait une « connotation industrielle » (Djellal Gallouj, 2009). Les services sont pourtant aussi porteurs d’externalités négatives. Dans les services, l’apparition du développement durable a ainsi plutôt été un déclencheur des actions en faveur de l’environnement. Par conséquent, ces actions sont surtout curatives ou défensives. Cela se traduit dans les entreprises, par la mise en place d’indicateurs de développement durable souvent déjà standardisés (ex : consommation en CO2 du parc de véhicule de l’entreprise, réduction des ressources 2 En trente ans, les entreprises de services ont créé 3,5 millions d’emplois en France (solde net du pays = 2,8 millions d’emplois) (Djellal, Gallouj, 2007) 3 Tableau non repris ici 5 consommées par l’entreprise (ex : papier)) ou par l’achat et la vente de produits éthiques. Ces actions sont parfois menées dans le cadre de la loi4 . Pour les services reposant sur une infrastructure industrielle, ces mesures vont de la simple juxtaposition de mesures standards à une réflexion plus globale du processus de production (ex : cycle de vie du produit). Nous classons les services qui, par nature, ont pour fonction de réparer, et d’entretenir dans la catégorie d’action en vue de la durabilité écologique curative. Par ailleurs, l’environnement est aussi perçu comme une opportunité pour le développement de certaines activités de service comme le tourisme durable, le nettoyage écologique, le jardinage respectueux de l’environnement, la gestion des déchets. Ces nouveaux créneaux correspondent bien souvent à des niches pour des activités plus traditionnelles qui se basent dorénavant sur des technologies vertes. Ces opportunités s’expriment aussi à travers de nouveaux processus de prestations vertes (sur le principe de l’économie de la fonctionnalité), tels que l’autopartage, les services de location ou encore le nettoyage de « couches lavables ». Seules certaines prestations de services peuvent être considérées comme menant des actions préventives par nature favorable au développement durable (cf. tableau 1). C’est le cas des services en réseau ou des services de régulation et d’approvisionnement, qui sont opérateurs de liens entre les territoires. Ils participent à l’aménagement des territoires. D’autres prestataires de service se sont mis progressivement aux processus de maîtrise des risques écologiques, ou ont accentué ce processus. Cependant, il faut noter que la durabilité écologique ne peut se limiter à l’aménagement du territoire. Or, beaucoup de services, y compris les services en réseau, fonctionnent à partir de mode de production industriel. Par conséquent, la production et l’acheminement du service consomment beaucoup d’énergie et de ressources naturelles. Ces activités ne favorisent la durabilité écologique que par certains aspects de leurs prestations. Cette prise de conscience collective sur la durabilité écologique, même si elle n’est pas encore généralisée, conduit progressivement les services à réfléchir à un nouveau cadre d’évaluation du service incluant la question de l’écologie. Cela se traduit par les indicateurs de développement durable dont nous avons précédemment parlés. Les enjeux et les responsabilités étant collectifs, ils nécessitent un cadre collectif de définition et d’évaluation du service à rendre. Actuellement beaucoup d’entreprises (manufacturières ou de service) se contentent de ces indicateurs sans véritablement remettre en cause l’ensemble du processus de production du bien. Pour que cette démarche prenne de l’ampleur, il est nécessaire que la question écologique prenne une connotation positive (Zarifian, 2007). Cela pourra se faire en intégrant la durabilité écologique dans l’évaluation des performances (cf. Partie 2) La durabilité d’un service comporte aussi la dimension économique. Bien que ce type de durabilité paraisse évident, puisqu’une société cherche en principe à perdurer dans le temps, cette question de la durabilité est plus large que la 4 La loi française de 2001 sur les Nouvelles régulations économiques (loi NRE), mise en œuvre en 2002, oblige les entreprises cotées en bourse (donc certains services) à fournir des informations sur leur gouvernance et leurs impacts environnementaux dans leur rapport annuel. 6 seule pérennité de l’entreprise, elle dépasse les frontières de la production. Dans cette dimension de la durabilité, il est possible de repérer des actions préventives et curatives. Les actions préventives concernent l’ensemble des processus de production (ou prestation de service) mis en place afin de créer de la valeur. Mais des actions de réparation, actions curatives, y sont aussi représentées, comme par exemple les organismes mis en place afin d’aider les entreprises en difficultés ou d’accompagner les nouvelles entreprises (cf. tableau 1). Service/DD Ecologie Social Economie Actions (préventives) en faveur du développement durable (DD) Opérateur de liens entre le territoire (service en réseau) Maîtrise des risques (santé, alimentaire) - Nouvelle niche : tourisme durable, nettoyage écologique : ménage, repassage, vitrerie jardinage respectueux de l’environnement, gestion des déchets - Services traditionnels basés sur des technologies vertes - Services reposant sur processus verts (Economie de la fonctionnalité) (autopartage, services de couche lavable) Services de régulation et d’approvisionnement Création de lien social, coproduction, Interaction, co-construction participative dans certains services Service à la personne Maîtrise des risques (santé, alimentaire) Multiplication de l’Usage = Création de valeur Performance (output/outcome) Création de ressources marchandes et non marchandes Actions défensives /CURATIVE Diminuer la pollution, réparer les dégâts Diminuer les ressources consommées (surtout non ou peu renouvelables) Propre de beaucoup de services = réparer et entretenir Rétablissement de Cohésion sociale Réduction du déficit de services en zone rurale Mutualisation de la réparation Accompagnement des reconversions Pépinière d’entreprise Tableau 1: La durabilité appliquée aux services Source : auteur Pour être en accord avec la définition du rapport « Brundtland », il est nécessaire d’ajouter la perspective intergénérationnelle. Une activité de service serait économiquement durable si elle satisfait aux exigences productives à la fois présentes et futures. Cette notion de durabilité économique doit donc être prolongée, notamment en intégrant les caractéristiques des activités de service telles que le critère de relation de service, d’engagement durable, d’horizon temporel, d’incertitude, d’immatérialité du service de système de valeur et de territoire. 1.2. Les caractéristiques de service et la durabilité Nous avons vu précédemment que les finalités des services entrainent par nature des comportements favorables au développement durable. Nous allons maintenant affiner cette analyse en regardant quelles analogies il est possible d’effectuer entre les caractéristiques des services et la durabilité économique, sociale et écologique. Cette analyse nous permettra de réfléchir à la capacité de ces activités à faire évoluer la société vers un modèle durable. 7 1.2.1. Engagement durable/processus/horizon temporel Le service est un processus (Hill, 1977, Gadrey, 1996a). Il se construit voire se coproduit avec le client. Par conséquent, la relation de service et la réalisation des engagements sont au cœur de la création de la valeur socio-économique générée par les services. De la sorte, un service sera durable s’il propose un engagement durable auprès des clients (Zarifian, 2007). La mise en place de cet engagement durable est possible dès lors que le processus de production du service est conçu autour de la relation de service. Or, une partie des activités de service ont été conçues sur un mode d’organisation industrialiste, soit parce que ces activités proposent des gammes diversifiées de biens ou de services standard, à partir d’un processus flexible, soit parce qu’elles proposent de produire des biens ou des services en grande série, offerts à des clients ou usagers anonymes, tels que les bureaucraties « mécanistes » (Mintzberg, 1982). Ce second modèle d’organisation est qualifié de « fordiste » (Gadrey, 1996b). Dans ces modèles, le processus de production du service est généralement découpé en différentes étapes linéaires (ou différents temps (Zarifian, 2007)), comme la conception, la vente, l’installation du service, sa réparation, son évaluation et la production de nouvelles offres. La relative indépendance des actions de l’entreprise ralentit les temps de réaction face aux demandes des clients. Ces derniers sont attentifs au suivi qui sera effectué ainsi qu’à la réalisation des engagements. Cela peut générer des problèmes de durabilité (défection du client). Les activités de service fonctionnant sur cette logique industrielle ou fordiste auront des difficultés à présenter un engagement durable. Ces entreprises peuvent cependant modifier leur organisation et la recentrer sur l’accompagnement du client dans un engagement durable. Autrement dit, il s’agit de transformer le « ponctuel » et « l’achevé » en « engagement potentiel » et « relation continue » (Zarifian, 2007). Le fait que la prestation de service repose sur un processus a une autre conséquence, sur les résultats attendus du service. Cette conséquence est la suivante : les résultats du service auront des répercussions sur divers horizons temporels. Certains auteurs distinguent entre les résultats de court terme de la prestation de service (nommé output) et les résultats de long terme (ou outcome) (Gadrey,1996a ; Djellal, Gallouj, 2007b). L’output correspond au produit direct (ou immédiat) du service. Ce qu’on pourrait appeler (dans l’acception du terme utilisé pour les services de santé) l’obligation de moyen. L’outcome correspond au produit indirect (ou médiat), autrement dit, l’obligation de résultat. Par conséquent, une fois la prestation de service réalisée, ou la mise à disposition de capacités techniques et humaines terminée (Gadrey, 2008), le service reste « inachevé », au sens où les effets du service continueront au-delà de l’achat de la prestation elle-même. En effet, une partie de la prestation de service peut reposer sur la coproduction avec le client (recommandation du médecin, enseignement). L’usager du service pourra de plus, devenir plus compétent au fur et à mesure de l’utilisation du service (ex : services reposant sur des processus de location, comme l’utilisation d’internet) ; ou pourra assimiler la prestation au cours du temps (ex : enseignement). L’étendue de l’horizon temporel des services est un autre point de rapprochement avec les finalités du développement durable. Certes, les objectifs attendus du service et ceux du développement durable ne sont pas nécessairement convergents, mais ils peuvent le devenir, notamment lorsqu’on donne priorité aux résultats médiats du service. Par exemple, renforcer les prestations de soins en vue d’améliorer l’état de santé général d’une population est en accord avec les objectifs d’un développement durable (accès à tous au soin). De la même manière, l’outcome des prestations des 8 services publics, des prestations de santé, des prestations cognitives (ex : conseil, enseignement), des prestations sociales, ont un impact sur la société, en termes de durabilité sociale, d’autant plus qu’ils peuvent toucher un grand nombre de personnes. La qualité de ces prestations de service est donc très importante pour la société. On remarque cependant que les résultats de court terme (par exemple la consultation du médecin) peuvent aussi avoir un impact sur la société, surtout dans la mesure où la répétition de résultats immédiats peut donner lieu à des résultats médiats. Le caractère interactif des services a également une conséquence négative en termes, cette fois, de durabilité écologique. La rencontre physique entre le prestataire et le destinataire du service sur laquelle beaucoup de services reposent, génère forcément un coût supplémentaire d’émission de gaz à effet de serre à cause des transports induits par ce déplacement. Cette conséquence n’est actuellement pas prise en compte dans l’évaluation de la performance des services. Ces externalités sont liées aux facteurs matériels non pas de la production mais de la co-production (Gadrey, 2008) 1.2.2. L’incertitude, les résultats médiats des services et les contraintes de production La notion d’incertitude est aussi un point de rapprochement entre les activités de service et les caractéristiques du développement durable. Le service étant un processus « inachevé », l’incertitude porte sur les résultats de la prestation de service. Les résultats de ce service ne sont connus qu’a posteriori, et à un horizon temporel plus ou moins éloigné, notamment pour les prestations de connaissance (ex : enseignement, conseil). Si les objectifs recherchés par les prestataires sont les résultats médiats, alors l’incertitude est encore plus grande car l’obtention de tels résultats repose sur l’action de plusieurs acteurs, notamment le destinataire du service, le prestataire, et éventuellement d’autres intermédiaires (Etat, famille). L’incertitude liée à la notion de développement durable a bien entendu une tout autre envergure. Elle intègre l’incertitude sur l’étendue des techniques qui permettrait de contourner les limites que nous connaissons notamment sur certaines ressources. Nous ne connaissons pas non plus avec précisions les risques économiques, environnementaux ou sociaux résultant de nos comportements actuels, ni exactement la capacité de renouvellement des ressources. D’où le développement d’un principe de précaution. Ces incertitudes deviennent communes aux services et aux préoccupations de développement durable lorsque l’objectif de la prestation de service correspond à des objectifs de développement durable (par exemple, en matière de santé, de connaissance). Par ailleurs, l’inscription du principe de précaution dans le droit a en retour des conséquences sur les activités de services notamment en matière de santé et d’environnement5. Il s’agit de réduire cette incertitude en prenant des mesures en termes de traçabilité, de normes à appliquer, de vérification. 5 Convention multilatérales de 1985 de l’ONU ; en droit français : article 110-1 de la loi de février 1995 sur la protection de l’environnement 9 1.2.3. La relative immatérialité des services Le caractère immatériel des services est souvent invoqué pour qualifier ces activités. Cette caractéristique d’immatérialité des services était déjà présente chez A. Smith (1776). Elle implique pour certains services une difficulté de stockage et une difficulté de transport pour le produit final (Stanback, 1980). Cette relative immatérialité a des conséquences sur les externalités générées par les services. Dans la mesure où la matérialité des objets est un facteur de pollution, puisqu’elle génère une consommation de ressources, les services les moins assis sur une infrastructure « matérielle » devraient par nature être moins polluants. Cette affirmation doit être nuancée. En effet, l’activité de service doit non seulement être considérée du point de vue du produit final mais aussi du point de vue de son processus de production. Or, bien que le service paraisse fortement immatériel, le processus de production du service peut être extrêmement émetteur d’externalités négatives (en termes de consommation d’énergie et de ressources naturelles). Ce principe a conduit Djellal et Gallouj (2009) à réfléchir à la durabilité en fonction des supports du service. Ces auteurs présentent une typologie des services en fonction de leurs supports (cf. Tableau 2) et proposent deux résultats en termes de durabilité : • La durabilité écologique semblerait être inversement proportionnelle à la matérialité. Les services à forte dimension matérielle auraient tendance à exercer soit une pression directe par leur émission de pollution, soit une pression indirecte par la pression productiviste sur d’autres secteurs fournisseur. • A l’inverse, les services plus immatériels et relationnels contribueraient favorablement à la durabilité sociale. Les services plus matériels auraient tendance à générer soit des nuisances sociales (lié à leur caractère productiviste) soit des développements favorables liés à l’application du développement durable (ex: commerce équitable). Support ou fonction dominante du service Exemples Dimension de la durabilité affectée écologique Matière Individu -localisation spatiale Individu - état esthétique, de santé - connaissance Information codifiée Connaissances des organisations Transport de marchandises, eau, gaz, électricité, grand commerce, restauration, ramassage des ordures ménagères, nettoyage, assainissement Transport des personnes, tourisme Services de santé, services de soins aux personnes âgées, coiffeur Education Banque, assurance Conseils sous toutes leurs formes ++ Socioéconomique + ++ ++ ++ ++ ++ Tableau 2: Exemple de Typologie des services et du développement durable Source : Djellal, Gallouj. 2009, p. 55 10 Ainsi, selon ces auteurs, il est possible de distinguer différents types de service: Les services de traitement de la matière (transport de marchandise par exemple), qui provoqueraient davantage de nuisance écologique et affecteraient aussi dans une certaine mesure la durabilité sociale à cause des pressions productiviste associés à leur mode de prestation. Les services de traitement de l’individu ont deux composantes. Ils affecteraient dans leurs dimension spatiale la durabilité écologique (service de transport) mais amélioreraient en revanche la durabilité socio-économique (service de proximité, de santé d’éducation). Les services de traitement de l’information (services financiers) n’affecteraient que la dimension socio-économique soit de manière négative soit de manière positive en fonction de leur approche du traitement de leur client. Les services de traitement de la connaissance, enfin, auraient un impact important sur la durabilité socio-économique indirecte en se substituant à l’économie matérielle. Nous remarquons qu’au-delà du caractère matériel, c’est également la manière de produire le service, c’est-à-dire le caractère productiviste de certains services, qui a des conséquences sur la durabilité. Les services reposant sur ce type de processus de production pourraient être qualifiés d’ « a-écologique » voire de « a-social » (Gadrey, 2008). Les services de traitement de la matière et les services de traitement de l’information dans lesquels le caractère matériel est important, reposent bien souvent aussi sur une logique de production industrielle, alors que les services de traitement de l’individu et de traitement de la connaissance s’appuient le plus souvent sur une logique de production servicielle. Nous y reviendrons ultérieurement. Afin de tendre vers un modèle de développement plus écologiquement durable, certaines théories se concentrent sur des logiques servicielles par certains égards moins consommatrices en ressources. Ainsi, c’est aussi sur cette caractéristique de relative immatérialité des services que s’appuient les tenants de l’économie de la fonctionnalité. Cette notion désigne « la production et la vente de « solutions globales » dont l’aspect fonctionnel repose sur un usage intégré de biens d’équipements et de services associés » (Du Tertre, 2007, p. 241). Notre modèle de société, basé sur la production et la consommation de nombreux biens matériels, conduit à une forte exploitation des ressources. Au contraire, l’immatérialité des services limiterait l’exploitation des ressources. Ainsi, lorsque cela est possible, l’utilisation d’un service de location (d’un bien) plutôt que l’achat du bien rendant le même service participerait à la construction d’un monde durable. Cette théorie s’applique avant tout aux producteurs industriels, mais légitimise la société de services puisque ce modèle économique repose sur le principe selon lequel la création de valeur s’obtient par l’usage. Autrement dit, l’objectif de cette théorie est de rationaliser le nombre de biens en fonction de la consommation réelle des clients. La rentabilité du service augmente avec la durée d’utilisation de son support (le bien). Elle est liée au nombre d’unités fonctionnelles vendues (et non au nombre d’objets vendus) (Bourg, 2011). Du point de vue de la durabilité écologique, l’obtention d’économies d’échelle et les opérations de suivi et de maintenance réduisent les consommables (énergies, matière). En termes de durabilité écologique, il faut tout de même prendre en compte les facteurs matériels de la co-production (Gadrey, 2008), c’est pourquoi dans ce modèle économique, la proximité du prestataire de service 11 auprès des utilisateurs potentiels du service est aussi importante pour rendre ce modèle viable. Les sociétés industrielles qui se dirigent vers de telles prestations de service en B to B (comme la société Michelin Fleet solution) ou en B to C (comme les sociétés de car-sharing) bousculent le schéma industriel de production. Ils passent de la production d’une série d’objets destinés au marché, à la prestation de services. Cette théorie met l’accent sur une nécessaire transformation des modes de consommation. Du Tertre classe ainsi les modèles économiques en fonction de la durabilité de leur offre. Les modèles les moins durables sont ceux qui conserveraient une logique industrielle (la production propre, l’éco-conception, l’écologie industrielle ou encore l’économie circulaire. Les modèles les plus durables sont ceux qui comportent de nouvelles logiques de production, telles que le modèle de l’économie servicielle (de type B to B Michelin Fleet solution) ou encore l’économie de la fonctionnalité à proprement parler (le B to C) (Bourg, 2011, p.328). Les approches qui s’attachent à réduire les déchets liés à la matérialité des produits, comme les approches d’analyse du cycle de vie, demeurent basées sur une approche très industrialiste du parcours d’un produit. Ainsi, la plupart des services une fois produits ne peuvent pas être recyclés (Gadrey 2008). Selon cet auteur, il est possible de réutiliser les composantes matérielles de l’opération ou du processus du service mais c’est alors une autre conception qu’il faut avoir, celle de renouvellement du processus de production du service pour qu’ils soient économes en ressources et en énergie. 1.2.4. Durabilité – service et Système de valeur La description du produit fini des services, au-delà des spécifications techniques, ne sera pas perçue forcément de la même manière par les acteurs (Djellal, Gallouj, 2009). Ainsi, contrairement aux biens, une évaluation objective n’est pas possible. Comme nous l’avons vu précédemment, le résultat des services dépendra de la participation du destinataire. La relation de service elle-même pourra être différente en fonction du contexte. La description et l’évaluation du service seront donc subjectives, elles dépendront des critères de jugement des acteurs (Zarifian, 2007). Selon cet auteur, ce n’est pas tant l’usage du bien qui compte mais la confrontation entre l’attente du destinataire du service avant la prestation, et la prestation de service une fois réalisée. Plusieurs formulations de la performance sont aussi envisageables en fonction des objectifs que l’on cherche à privilégier (résultats médiats ou immédiats). Si le choix se porte sur les effets à long terme du service, il est nécessaire d’intégrer dans l’évaluation les facteurs externes qui agissent aussi sur la performance et ne sont pas nécessairement contrôlés par le prestataire du service. Par ailleurs, dans les services sociaux et les services publics, des principes de service public tels que les principes de continuité et d’égalité de traitement, le principe d’équité jouent un rôle non négligeable (Merlin, 2006 ; Djellal, Gallouj, 2009). Le service est ainsi une « construction sociale » contingente, et dont le degré de matérialité et l’interactivité influence la durabilité écologique et socio-économique du service. Cette subjectivité de l’évaluation des services aura des conséquences en termes de performance. Tout d’abord, mesurer uniquement la productivité d’un service ne rendra pas compte de la satisfaction du client. Un service peut être très économe en ressources et ne pas correspondre aux attentes du client. Ce dernier peut favoriser la qualité de service à la réduction de coût. Ensuite, chaque acteur aura une conception différente du type de performance à privilégier en fonction de sa position économique (prestataire, destinataire du service, etc). De plus, un même acteur peut avoir des critères de per12 formance variés voire contradictoires en fonction de l’identité qu’il choisit d’afficher (client, usager, salarié, administrés…). Parmi les critères d’évaluation des acteurs se retrouveront des critères d’évaluation identiques à ceux utilisés dans le cadre du développement durable (critère environnementaux, critères sociaux ou sociétaux et économiques). Le développement durable est également un construit social. Il s’enrichit au gré des acteurs et des continents considérés (Depret et al, 2009). Par cette correspondance de valeurs, les activités de service seraient aptes à stimuler une dynamique de passage vers un développement durable. Ce modèle, au-delà de la gestion des ressources rares et des risques écologiques, favorise la création de valeur (Landrieu 2007). 1.2.5. La question du local et de la territorialisation Si la proximité des services est un atout pour la durabilité socio-économique des territoires, la recherche de productivisme des entreprises de service a eu tendance, même si l’offre de services est locale, à s’aligner sur les logiques de marché et l’économie mondialisée. Cela aurait des conséquences non négligeables pour les entreprises qui se situent à des échelles différentes et qui se trouvent fragilisées par la confrontation des principes du productivisme et les bases de plus en plus relationnelles de la performance (Landrieu, 2007). En particulier, les activités de service, comme toute activité, sont susceptibles d’être délocalisées, comme l’ont été de nombreux centres d’appel. Ces délocalisations sont une « régression générale des droits collectifs » dans la mesure où ils mettent en compétition les systèmes socioéconomiques de tous les pays (Gadrey 2008). Mais les activités de service permettent avant tout de maintenir la cohésion sociale dans les villes et les communes, et de créer de l’emploi. La plupart des services ont en effet la spécificité d’impliquer la présence physique du prestataire et du destinataire du service pour être fournis, la localisation du service est donc très importante. Cette recherche de proximité, de coopérations territorialisées, de relocalisation, sont en accord avec l’objectif social (et éventuellement écologique, dans le cas où la localisation diminue les trajets des acteurs) du développement durable. Les activités de service sont un moyen de lutter contre la désertification des territoires, que ce soit les commerces de proximité ou les services d’aide aux personnes. Elles permettent d’aménager le territoire par l’intermédiaire des services publics territoriaux, des services en réseaux (Poste, SNCF), des services publics administratifs. Appuyés par les administrations territoriales, certains services favorisent la reconversion des territoires (services d’aide aux entreprises, pépinières d’entreprises). Si toutefois certaines zones ne sont pas rentables, d’autres alternatives telles que les nouvelles technologies, les mutualisations entre services publics et privés, permettent de proposer des solutions alternatives à la présence de la multiplicité des points de contact. Bien entendu, il existe une diversité de services territorialisés. Les services de proximité seraient moins émetteurs d’externalités écologiques que d’autres activités de service, comme les services en réseau, ou le grand commerce, qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre pour amener les objets à chaque point de contact. Tout comme le développement durable, l’économie des services a un ancrage local et des répercussions globales. Le tableau 3 synthétise les analogies entre les caractéristiques de service et leurs implications positive ou négative sur la durabilité. 13 Dans cette première partie, nous avons remarqué que les caractéristiques de service dans certaines de leurs dimensions ont des points communs avec celles du développement durable. Ainsi, la durabilité sociale des services et leur potentiel de création de valeur permettraient de donner une impulsion vers un développement durable. Certains auteurs tentent de généraliser les principes de l’économie servicielle à l’ensemble de la société. En revanche, la durabilité écologique, en particulier des services les plus productivistes, pose plus de difficultés. La relation des services avec le territoire est un point fort en termes socio-économiques, à condition que les déplacements induits par les services ne soient pas trop énergivores. SERVICE Processus à Horizon temporel multiple Résultat médiat/ immédiat Economie de la relation, de la réciprocité, interactivité du service, présence physique souvent nécessaire Engagement durable Présence des services publics et sociaux, d’une économie sociale et solidaire Incertitude sur le résultat du service Relative immatérialité des services Subjectivité de l’évaluation des services = nécessité de se diriger vers une évaluation multicritère Interaction/différentes identités du client Relation avec le territoire/ Proximité du service/ Rapprochement/ décloisonnement DURABILITE + :Durabilité sur Horizon de long terme Résultats médiats privilégiés Cohésion sociale ; Application de Démocratie participative, implication civique, gouvernance, Partenariat/mutualisation - : présence physique peut générer des déplacements coûteux en GES si les acteurs ne sont pas proches du point de contact + :Résultats médiats communs Principe de précaution retranscrit dans les textes de loi (amortisseur d’incertitude) + ou – : Durabilité écologique et sociale inversement proportionnelle à la matérialité + :Augmentation des modèles théoriques durables s’appuyant sur l’économie servicielle + :Conséquence sur la mesure de la performance. Nécessité d’une Evaluation multicritère Critères en correspondance avec ceux du DD (écologie, social, économie) + :Aménagement du territoire, proximité, diversité culturelle Tableau 3: Analogies service – durabilité Source : auteur Dans la deuxième partie, nous proposons de réfléchir aux mesures de la performance appliquées aux services. Nous avons vu que ces mesures posaient problème dans le cas des activités de services. Elles ne permettent d’ailleurs pas de rendre compte de la durabilité des activités. Modifier le mode de mesure de la performance constituerait un premier pas vers la reconnaissance des caractéristiques de services et permettrait de faire évoluer la société vers un modèle de développement plus durable. 2. L’évaluation de la performance dans les services : un outil de mesure durable ? Nous avons effectué dans notre première partie plusieurs constats: • Premier constat: Actuellement, l’économie des services repose sur les mêmes logiques productivistes, de performance et de rentabilité des capitaux que l’économie de biens (Landrieu, 2007 ; Gadrey, 2008). Ce modèle correspond à un 14 mode de production basé sur les gains de productivité obtenus par les économies d’échelle, par la division du travail, et par la substitution du capital au travail. • Deuxième constat: De plus en plus de travaux traitent des difficultés liées à la mesure de la productivité dans les services. Ces auteurs montrent que la productivité dans les services est mal mesurée, elle serait inadaptée à la nature des services (Gadrey, 1996, 2008, Djellal Gallouj C, 2007a, Djellal, Gallouj, 2008, 2009, Zarifian 2007). En particulier, la mesure de la performance des services pourra dépendre des systèmes de valeur mobilisés par les acteurs. Il est donc nécessaire de réfléchir à une autre méthode de mesure de la performance dans les services. Nous revenons dans les points suivants sur ces deux constats et leurs conséquences. 2.1. Des mesures traditionnelles de la productivité utiles mais inadaptées Depuis la conception de la valeur-travail développée par Adam Smith, retenant comme seul travail productif celui qui engendre des biens matériels, le concept de travail est demeuré la base de la mesure de la performance. Le concept de productivité comme mesure de la performance est encore largement dominant aujourd’hui, et relayé par un grand nombre d’institutions. Dans cette conception, le travail est devenu indépendant de ceux qui l’exercent. Il a été objectivé, codifié, et les opérations formant les étapes du travail ont été rationalisées. Il permet de mesurer la productivité du travail (vitesse associée à des suites d’opérations) qui est la performance recherchée. Ainsi, « La productivité est totalement assimilée à celle du travail. Elle est non seulement interne à la sphère de l’économique (donc des entreprises), mais détachée des compétences des salariés » (Zarifian, 2007, p. 31). C’est sur cette mesure du travail que l’industrie capitaliste a établi son organisation. Dans cette perspective, un niveau élevé de productivité est généralement associé à une gestion saine des ressources (Djellal, Gallouj, 2007a). Une fois la réduction du coût du travail par unité produite obtenue, l’entreprise pourra baisser le coût des marchandises. La productivité d’opérations prédéfinies analytiquement a également servi de base à la comptabilité analytique. Aujourd’hui encore, les organismes internationaux (OCDE, 1995, 2001) recensent les améliorations réalisées dans les méthodes traditionnelles de mesure de la productivité dans les services (méthodes indicielles, par enveloppement ou paramétriques) (Djellal, Gallouj, 2007a). Depuis la fin des années 70, un consensus existe sur l’inadéquation des outils industriels pour mesurer le secteur des services et donc pour évaluer leur productivité (Gadrey, 1996a, Hill 1977, Zarifian, 2007). L’utilisation des mesures de productivité telles qu’elles existent renforce l’idée que les services seraient à faible productivité, simplement car ces indicateurs ne sont pas en mesure de calculer la performance des services. Ces difficultés sont liées avant tout aux caractéristiques de service que l’on a précédemment évoquées. Nous résumons ci-dessous les travaux existants sur ce sujet en nous limitant à la mesure de la productivité traditionnelle (Gadrey, 1996a; Djellal, Gallouj, 2007a, b). Tout d’abord, le produit des services n’est pas facile à définir car les unités de services sont peu homogènes. Faut-il se pencher sur le résultat individuel, le résultat d’unités ou d’organisations intermédiaires ou le résultat de systèmes encore plus globaux? Faut-il retenir le produit direct du service (ou immédiat) [obligation de 15 moyen] ou le produit indirect (ou médiat) [obligation de résultat]? Est-ce que ce sont les actes immédiats qui sont importants (mesurés en heures de travail ou en actes) ou les résultats ultérieurs (mesurés en évolution des effets et influençables par des éléments extérieurs dont la capacité du client à utiliser la prestation) (Gadrey, 1996a)? Sans accord à ce sujet, le numérateur du ratio de productivité ne peut être calculé. Le dénominateur du ratio de productivité traditionnel pose aussi problème. Quelle unité de temps va être considérée. Si cette unité constitue le produit (par exemple, le temps de travail d’une prestation), l’output et l’input seront identiques. Le fait que le produit soit flou rend difficile l’identification des améliorations du produit. Sans mesure précise de ces innovations, la mesure de la productivité risque d’être faussée. Par ailleurs, certains services, comme les services publics n’ont pas de prix par nature (Djellal, Gallouj, 2007b). Le service est consommé collectivement, et les consommateurs peuvent ne pas consommer directement le service. Il est alors difficile d’évaluer le ratio de productivité dans ces conditions. Par ailleurs, toujours selon ces auteurs, les services publics, comme un certain nombre d’autres services, jouent un rôle important dans le développement d’autres activités. Ainsi la productivité de ces services aura un impact sur la performance des autres activités. D’autres mesures alternatives de la performance sont utilisées. La figure suivante suivante les synthétise (figure 1). Graphe 1: Les différentes formes de performance Source : Djellal F., Gallouj C., 2007a, p. 76 Les deux mesures de la performance basées sur les résultats immédiats sont la mesure de la productivité dont on vient de parler, ainsi que le mesure de l’efficience économique (ou efficience-coût), autrement dit, le résultat comparé au coût. L’amélioration de ce second ratio n’implique pas nécessairement un gain de productivité. Ces mesures de la productivité posent d’autres problèmes techniques d’application aux services que nous n’aborderons pas ici, tels que la décomposition de l’évolution d’une valeur produite, en évolution en volume et en prix. Nous renvoyons le lecteur aux travaux de F. Djellal et F. Gallouj (2008). Une autre manière de vérifier la validité du concept de productivité est d’analyser quelles activités de service (classées en fonction de la nature de leur support) s’adaptent davantage à la mesure de la productivité (Gadrey 1996a). Il apparait que les services les plus proches de la production matérielle classique (les services à forte dimension de traitement matériel de supports techniques, tels que les transports 16 de biens, les télécommunications, le commerce, la banque, et certains services destinés aux ménages comme la coiffure), sont les services pour lesquels la mesure de la productivité s’adapte le mieux. La raison essentielle est la possibilité de normalisation des actes, ainsi que la facilité d’identification et de reproduction de ces actes. Les services intellectuels s’appliquant aux savoirs productifs organisés (services immatériels comme le conseil, la banque à certains égards) ont plus de difficultés à appliquer les ratios de productivité. La cause principale est l’interaction ou la coproduction avec le client qui influence la productivité et empêche la standardisation. Par ailleurs, les besoins auxquels ces activités répondent sont particuliers. Les services s’appliquant aux savoirs des individus comme l’éducation, la santé, les loisirs rencontrent les mêmes difficultés de mesure notamment car les résultats obtenus ne sont pas séparables des personnes. Enfin, les services internes d’organisation et de gestion, comme les activités administratives, posent problème car le produit réalisé par ces services n’est pas normalisé. Il est incorporel et évolue avec les modes de gestion de l’entreprise. Les résultats cette typologie rejoignent en quelque sorte les résultats obtenus dans la typologie du tableau 2 en termes de durabilité. Ces deux typologies sont comparables car elles reposent sur la même base de découpage, c’est-à-dire la distinction établie entre les différents supports de service présentée dans la définition de J. Gadrey (1996a). Nous constatons que plus un service est proche de la production matérielle, plus la mesure de la productivité sera facile à réaliser mais dans la majeure partie des cas, moins ces activités de service seront écologiquement et socialement durables. En effet, le travail étant isolable de l’individu qui le produit, les risques de pression productiviste sur les salariés sont plus forts. D’autre part, ces services reposant sur des traitements de la matière, ils produisent des nuisances écologiques importantes. En effet, les services basés sur les opérations de traitement de la matière (et dans une certaine mesure, de traitement de l’information) ne satisfont pas, ou que de manière partielle, aux caractéristiques techniques des services (immatérialité, interactivité, immédiateté). Ces services « industrialisables » sont donc parfois plus proches du processus de production de biens que de la logique de l’économie des services (Djellal, Gallouj, 2007). Concernant la notion de durabilité, nous remarquons par ailleurs que les mesures traditionnelles de la performance ne se sont pas intéressées dans un premier temps aux destructions que les activités engendrent. Jusqu’à présent, la destruction et la réparation sont même considérées comme créatrice de valeur. De plus, c’est toujours le ratio unitaire (la consommation par objet fabriqué) qui sert de référence pour calculer les nuisances, or, il faudrait prendre en compte la quantité totale consommé en C02, autrement dit, il faudrait internaliser les déplacements induits par les clients et la main d’œuvre de l’entreprise (externalités négatives) dans la mesure de la production des activités de service (Gadrey, 2008). Les mesures de la performance peuvent aussi s’établir à partir des résultats médiats. Dans ce cas, deux formes de performance sont souvent mesurées : « l’efficacité », pour laquelle on calcule le ratio du résultat médiat (par exemple, l’amélioration de la durée de vie pour la santé) rapporté aux facteurs de production. Ce calcul mesure le résultat à moyen ou long terme de l’utilisation des inputs. 17 Il est aussi possible de mesurer « l’efficacité économique », autrement dit le ratio du résultat médiat sur les dépenses engagées, qui mesure la performance face aux dépenses engagées. Le problème de ces ratios est que le résultat obtenu est « biaisé » dans la mesure où d’autres facteurs externes (amélioration des techniques et des matériaux par exemple) et d’autres acteurs (ayant des comportements à risque) jouent un rôle important sur l’obtention du résultat médiat, et que ces résultats sont généralement multidimensionnels. De plus, ces résultats ne seront visibles qu’à long terme, ce qui incite les agents à privilégier les mesures de la performance immédiates. 2.2. Vers l’utilisation d’analyses multicritères La nécessité de développer une approche différente de la performance et l’insuffisance de la mesure de la productivité a conduit les institutions à compléter ce modèle par des analyses de la performance de la qualité et de la variété des produits. Cependant, ces mesures apparaissent bien souvent comme des modes de différenciation, plutôt que de la performance centrale de l’entreprise. Autrement, dit, le client arbitre entre les différents concurrents de manière ex post, sur les produits proposés (Zarifian, 2007). Pour véritablement faire un pas vers une nouvelle analyse de la performance, cette dernière doit pouvoir être reconnue et acceptée par l’ensemble des acteurs, et notamment par le client. Cette mesure de la performance ne doit pas tenir compte uniquement d’une mesure de l’efficience ou de la productivité perçue par le prestataire, mais il est nécessaire qu’elle tienne compte de la perception que d’autres acteurs ont de la prestation de service. Ainsi, on passerait « d’une problématique de la mesure à une problématique de l’évaluation. » (Zarifian 2007, p 35). Il faudra de ce fait, faire reposer la construction des indicateurs de performance sur des « conventions d’évaluation » (Djellal, Gallouj, 2007a). Il s’agit de s’appuyer sur une analyse multicritère de la performance qui puisse tenir compte de la durabilité des activités. 2.2.1. D’une mesure de la productivité à une problématique de l’évaluation Comme nous l’avons précisé dans la première partie, les évaluations de la performance peuvent porter sur l’engagement prédéfini entre le prestataire et le destinataire du service et la tenue ou non de cet engagement. La grille d’analyse utilisée devra ainsi tenir compte de l’interdépendance entre la perception du client de la réalisation des engagements et la perception du prestataire. Cette grille devra pouvoir retracer les systèmes de valeur contradictoires (ou non) des différents acteurs. Un même acteur peut aussi se référer à plusieurs systèmes de valeur simultanément. Nous proposons de nous appuyer sur les registres de justification mis en évidence par Boltanski et Thévenot (1987, 1991). Ce modèle des Economies de la Grandeur étudie les conventions et les formes de coordination qui précèdent l’action. Ce modèle analyse la raison pour laquelle les individus et les groupes d’individus utilisent différents principes de justification pour exprimer leurs divergences dans les modes de coordination, et justifier leurs actions. Ces auteurs ont identifié six « mondes purs » qui sont autant de logiques de justification de l’action et qui sont constitutifs du modèle des Economies de la Grandeur. Ces six mondes doivent se comprendre comme des formes idéales-typiques: le monde de l’inspiration, domestique, 18 de l’opinion, civique, marchand et industriel. Chacune de ces grandeurs peut être utilisée pour justifier une action particulière. Ce modèle a déjà été utilisé dans un certain nombre de travaux pour analyser la performance de différentes organisations de service (Adjerad 1996, Gadrey et al, 1996, Delfini 1997, Gadrey, 1996a), respectivement dans le cas de la CAF, La Poste, l’ANPE et de l’assurance. D’autres auteurs ont utilisé ce modèle dans le cadre d’une étude sur l’évaluation des modes de production et des compromis d’innovation (Boisard et Letablier (1987) ; Merlin-Brogniart (2007), respectivement dans l’industrie laitière et à La Poste. La grille d’analyse multicritère du produit et de la performance des services que nous présentons ici s’inspire de ces registres de justification. Elle croise les critères de justification de Boltanski et Thévenot (1991) aux résultats médiats et immédiats du service (tableau 4). A chaque registre (ou monde) de justification proposé par Boltanski et Thévenot correspond un type de performance. Il est possible de traduire ces types de performance en indicateurs quantitatifs quel que soit le registre de référence. Les indicateurs de performance peuvent être associés soit au produit immédiat (ou direct), soit au produit médiat (ou indirect). Les indicateurs qui seront utilisés pour remplir cette grille seront propres à l’activité de service considérée (même si certains indicateurs sont standard), et dépendront des acteurs qui évaluent le service (usager, prestataire de service, etc.). A titre d’illustration, nous avons ajouté dans le tableau 4 pour chaque registre de référence, un exemple d’indicateur de performance direct et indirect identifié dans les études déjà réalisées sur différents services. Dans ce tableau, le monde industriel et technique reflète les modes d’évaluation des produits relatifs aux volumes, aux trafics et aux opérations techniques ; le monde marchand et financier rend compte du produit en termes de valeur, d’opérations monétaires et financières. Il permettra de retracer la performance marchande et financière de l’entreprise; le monde relationnel ou domestique valorise les relations interpersonnelles et les liens de confiance consolidés au cours du temps. L’évaluation des produits dans cette perspective (la performance relationnelle) rendra compte de la qualité des relations entre agents et clients; le monde civique est celui des relations sociales appliquant les principes de l’égalité de traitement, de l’équité et de la justice. La performance correspondante sera la performance civique; le monde de l’inspiration indique la créativité. Les auteurs l’ont renommé dans le tableau 4 « monde de l’innovation ». La performance correspondante sera la performance en matière d’innovation; enfin, le monde de l’opinion reflète l’image de marque de l’entreprise. Il est qualifié ici de monde de la réputation. La performance associée est la performance de réputation. Ce type de grille d’analyse est particulièrement importante dans les services publics, sociaux ou les services en réseaux, dont la dimension sociale et civique est importante. Ces activités auront tendance à privilégier les indicateurs de performance médiats (ou indirects) de la prestation. Pour instaurer ce type de grille d’analyse de la performance, il faut concevoir le travail non pas comme une suite d’opérations rationalisées (rationalisation industrielle), mais comme une mise à disposition de compétences professionnelles (Zarifian, 2007). L’accent est alors mis sur la relation de service et non pas seulement sur le produit. La coproduction aura en effet des incidences sur la réussite du service et donc sur la performance générée. Il est possible d’introduire des indicateurs de per19 formance (en particulier médiats) qui tiennent compte des comportements de multiples acteurs et de l’impact des facteurs externes. Cette grille permet aussi d’inclure les mesures de la performance en termes de productivité ou la mesure du coût (c’est-àdire de l’efficience) (notamment le monde industriel et technique et le monde marchand et financier), mais ces mesures traditionnelles ne sont plus dominantes relativement à d’autres critères de la performance. Cependant, ces mesures restent nécessaires pour que le prestataire de service puisse évaluer l’utilisation des ressources. Produit direct (court terme) Monde industriel et technique nombre d’opération s x traités Monde marchand et financier Recettes obtenue selon tel type d’opération s Croissance du rendement des placements Monde relationnel ou domestique Monde civique Monde de l’innovation Monde de la réputation temps passé à entretenir les liens sociaux avec la clientèle Amélioration des indicateurs de satisfaction de la clientèle à l’égard de la relation de service traitement équitable des usagers Nombre de projets innovants introduits Nombre d’actions menées Proportion de contrats où l’entreprise accepte de prendre des risques supplémentaire pour motifs civiques péréquation des tarifs Amélioration effectués dans tel domaine Amélioration des indicateurs d’opinion % de formation du personnel encadrant à l’innovation et ses outils Instauration d’un modèle de management de l’innovation Retour sur investissement de la publicité Performances relatives au produit direct Productivité technique Réduction des délais et des erreurs Produit indirect (long terme) création et circulation monétaire Stabilité et sécurité financière Fidélisation de la clientèle) Performances relatives au produit indirect Volume de monnaie créée (ex : banque) performance technique de l’entreprise Indicateurs de rendements financiers à long terme de l’entreprise Production de comportement de fidélisation Réduction du turnover des clients Contribution à la cohésion sociale Clients obtenus par la publicité effectuée par les clients Tableau 4: Une grille multicritère d’analyse du produit et de la performance des services Source : Djellal, Gallouj, 2007a, p. 89, indicateurs ajoutés par l‘auteur Cette réflexion sur la mesure de la performance est effectuée ici sur les activités de service. Cette grille de mesure de la performance peut cependant tout à fait être appliquée aux secteurs secondaire et primaire. En effet, les différences entre les biens et les services s’estompent au cours du temps, de ce fait, certains biens possèdent des caractéristiques traditionnellement associés aux services. Les mesures de la productivité peuvent alors poser problème et les mesures de la performance en termes d’évaluation peuvent être d’un grand secours. Par ailleurs, de nombreux auteurs réfléchissent dans le cadre du développement durable à d’autres modèles écono20 miques à mettre en place (comme l’économie de la fonctionnalité). Dans ce cas, la problématique de l’évaluation deviendrait encore plus indispensable afin de mesurer la performance de l’ensemble des secteurs de l’économie. 2.2.2. Des mesures de la performance adaptées à la mesure de la durabilité des activités La grille d’analyse des performances présentée permet-elle de rendre compte des formes de la durabilité des services? Une première approche de cette grille d’analyse serait de proposer que les indicateurs présentés dans l’ensemble des registres de références soient ciblés afin de rendre compte des trois types de durabilité, en particulier pour la mesure de la performance médiate. De tels indicateurs sont déjà proposés dans les rapports de développement durable, ils peuvent être intégrés à ce type d’analyse. Ainsi les indicateurs de consommation de CO2 du parc de véhicule de l’entreprise, ou les indicateurs de réduction de la consommation de telle ou telle ressource naturelle, peuvent concerner la dimension industrielle et technique ; les indicateurs de parité homme-femme, du taux d’absentéisme, plus spécifiques à la durabilité sociale au sein de l’entreprise, pourraient se retrouver dans le monde relationnel et domestique ; l’indicateur du nombre de points de contact avec les clients pourrait être intégré, soit dans le monde relationnel et domestique, soit dans le monde civique. Il est aussi possible de distinguer les indicateurs en faveur de la durabilité qui relèvent d’actions préventives ou d’actions curatives. Cette première approche est tout à fait envisageable. Nous remarquons cependant que ce rapprochement est plus facile à effectuer pour les durabilités économique et sociale pour lesquels certains registres de référence paraissent plus naturellement « dédiés », que pour la durabilité écologique. Cette grille d’analyse tient compte de la durabilité économique des services en particulier dans les mondes industriel et technique, et marchand et financier, qui comportent les indicateurs traditionnellement utilisés dans toutes les activités (en particulier les mesures de productivité et d’efficience économique). Le monde de la réputation complète la mesure de la performance de l’engagement durable. Le monde relationnel et domestique est aussi une dimension importante de la durabilité économique puisqu’elle retranscrit la durabilité des engagements réalisés et met en évidence les performances en termes de relation de service. Le monde de l’innovation retranscrit les efforts effectués pour améliorer la prestation de service en général, et donc la durabilité économique en particulier. Notons que les innovations ne relèvent pas que de ce monde « pur » de la créativité. Il est tout à fait possible de dissocier les innovations en fonction de la finalité visée (et donc des mondes de référence correspondants). Par exemple, une amélioration de la vitesse des machines peut être davantage rattachée au monde industriel et technique ; une amélioration des méthodes de fidélisation, associée au monde relationnel et domestique (Merlin-Brogniart, 2010). Dans le cadre de la performance, et à ce stade de présentation, nous proposons de simplifier l’analyse de l’innovation en la limitant à ce registre de référence. En matière de développement durable, nous remarquons, par ailleurs, que la majorité des innovations dans les services retranscrites par la 21 littérature sont des innovations technologiques (ex : transports durables). Il s’agit dans ce cas d’innovations adoptées par les services. Or les services, par leurs caractères immatériel et relationnel, produisent d’autres formes d’innovations durables, non forcément technologiques. Ces innovations peuvent porter sur la durabilité écologique (autopartage, tourisme durable) et socio-économique (ex : microcrédits, innovations méthodologiques) (Djellal, Gallouj, 2009 ; Merlin-Brogniart, 2010). La durabilité sociale est, quant à elle, retranscrite essentiellement par le monde civique (représentant la cohésion sociale, l’égalité de traitement, la solidarité, la création du lien social). D‘autres indicateurs pourraient venir compléter les dimensions de la durabilité sociale en ajoutant des indices d’égalité intergénérationnelle, les efforts de maitrise des risques, les efforts en matière de démocratie participative par exemple. Le monde relationnel et domestique participe aussi de la durabilité sociale dans la mesure où il retranscrit des indicateurs de création de lien social. Le monde de l’innovation peut lui aussi porter sur de la créativité associée à la durabilité sociale. La durabilité écologique pose davantage de problème car il est difficile de la rattacher à une catégorie particulière. Le monde des volumes, autrement dit le monde industriel et technique, semble le mieux placé pour retranscrire la consommation de ressources et d’énergie, mais il ne rend pas compte de toutes les dimensions de la durabilité écologique. Ainsi, l’aménagement du territoire se retrouverait davantage dans le monde civique.Tous les registres peuvent potentiellement comporter des indicateurs de durabilité écologique. Dans une seconde approche, il est possible de se demander si, dans la mesure où aucun monde ne correspond vraiment à la sphère environnementale et surtout permet de l’englober, il n’existerait pas un principe de justification écologique indépendant des autres registres de référence existants. (Ce principe formerait une 7ème colonne du tableau 4). Existe-t-il un monde (ou une cité) écologique, auquel correspondent des critères spécifiques de performance écologique? Certains auteurs ont réfléchi à la pertinence de reconnaitre une cité, « écologique » (Godard, 1990; Lafaye et Thévenot, 1993, Latour, 1995). Ajouter une septième cité écologique pose plusieurs problèmes. D’une part, le propre d’une cité est de rester immuable dans le temps,ce serait davantage les compromis entre des cités déjà données qui évoluent, autrement dit les modes de socialisation (Liagouras, 2000). D’autre part, cette construction reviendrait à élargir le champ des droits au-delà de l’humain (Lafaye & Thévenot, 1993 ; Boidin & Zuindeau, 2006). Enfin, selon Godard (1994), la notion de développement durable ne pourrait constituer en elle-même un nouveau monde de référence dans la mesure où l’axiome de « commune humanité » et « d’égale puissance d’accès aux différents états » définissant les registres de justification de Boltanski et Thévenot, ne seraient pas respectés. Lafaye & Thévenot (1993) envisagent la possibilité d’aller progressivement vers cette cité écologique dans la mesure où les acteurs n’utilisent pas la justification écologique comme généralisation d’un intérêt particulier; à condition que l’argumentation écologique ne puisse se contenir dans les modes de justification existants plus stabilisés ; et enfin, qu’il soit possible de critiquer les autres principes de justification à partir de l’argumentation écologique. Il serait alors possible de développer le concept de « convention d’environnement » pour désigner les règles de décision collectives adoptées dans une situation d’incertitude radicale (ex: pollutions globales) (Godard, 1993). Ce monde permettrait ensuite de justifier des comportements économiques ou des politiques observées (Boidin & Zuindeau, 2006). Et enfin, il permettrait de retranscrire les performances en matière de durabilité écologique. 22 Cette réflexion en faveur d’un monde écologique ne permet actuellement pas de conclure à l’existence de ce septième monde. Elle permet cependant de souligner une dimension actuellement absente de la mesure de la performance, celle des « modalités d’engagements d’humains avec des non-humains » (Lafaye & Thévenot, 1993). Nous ne sommes qu’au début des réflexions sur de nouvelles grilles de mesure de la performance basées sur l’évaluation, et les enjeux sont importants. Cette réflexion sur la performance relève d’un projet de société dans la mesure où ce sont aussi les référentiels sur lesquels la compétition s’établie au niveau mondial qu’il faut modifier. Ces grilles supposent que l’on accepte que le comportement d’autres acteurs ainsi que certains facteurs externes viennent « perturber » certains résultats des entreprises (notamment médiats). De plus, l’évaluation étant subjective, cela signifie que les comparaisons d’indicateurs entre entreprises et la standardisation des indicateurs seront plus délicates. Actuellement, les tentatives d’introduction de systèmes d’évaluation sont souvent contraintes par la loi (par exemple, les rapports de développement durable pour certaines entreprises) et ces avancées restent marquées par les logiques industrielles (Gadrey 2008). Les changements de mesure de la performance se font par àcoups (par ajouts, à côté des indicateurs plus traditionnels) et sans penser à une refonte globale de l’analyse de la performance. Selon Zarifian (2007), l’économie servicielle possède des registres d’action et des rapports sociaux irréductibles à la seule logique capitaliste. Ainsi, cette évolution dans la mesure de la performance relève de la recherche d’un compromis entre l’économie servicielle et le capitalisme, autrement dit, d’un compromis entre la productivité des compétences et la rentabilité du capital. L’intégration explicite des trois dimensions du développement durable dans ces nouvelles grilles de mesure de la performance (évolution en partie générée par les spécificités des services) permettrait de diriger notre société vers un développement durable. 3. Conclusion Au cours de cette communication, nous avons montré que les activités de service, grâce à la proximité de leurs caractéristiques avec certaines finalités du développement durable, aideraient à stimuler une dynamique de passage vers un développement durable. Cette dynamique repose davantage sur la durabilité sociale des services et leur durabilité économique, que sur la durabilité écologique. Nous affirmons, à la suite de F. Djellal et F. Gallouj (2009), que la société de service participe à l’évolution du développement durable en rendant les activités mises en œuvre moins curatives, moins écologistes, moins technologistes et moins industrialistes. Les services sont d’abord créateurs de liens sociaux, grâce à l’interactivité des activités de service (durabilité sociale). Dans la mesure où la durabilité sociale relève de la spécificité des services, à savoir la relation de service, les actions favorisant la durabilité seront davantage préventives que curatives. 23 Les services ont ensuite un potentiel de création de valeur (durabilité économique) qui peut être en accord avec les objectifs du développement durable. Ce potentiel est lié au modèle économique des services qui s’appuie, d’une part, sur le principe selon lequel la création de valeur s’obtient par l’usage, et d’autre part, sur la recherche d’un « engagement durable » avec le client. Ces caractéristiques amènent certains auteurs à réfléchir à une extension du modèle serviciel à l’ensemble de l’économie (ex: l’économie de la fonctionnalité). Cette dynamique est renforcée par la capacité des services à développer des innovations durables (non forcément techniques). Le potentiel d’innovation des services est important et peut porter sur des méthodes et des concepts de production durables. La durabilité écologique des services est à améliorer car les services sont émetteurs d’externalités négatives. Ces externalités sont fortement dépendantes du degré de matérialité de notre société auquel les services n’échappent pas. Les services les plus concernés sont les services de traitement de la matière, et les services de traitement de l’information qui se sont construits sur le modèle productiviste de la société industrielle. L’évolution de ces entreprises vers un mode d’organisation davantage serviciel leur permettrait de se diriger vers un modèle plus durable. Par ailleurs, les déplacements induits par le caractère interactif des services devraient être internalisés dans la production des services pour la rendre écologiquement plus durable (Gadrey, 2008). Cette dynamique de passage vers un développement durable passe par la remise en cause des mesures actuelles de la performance. Les mesures de productivité ne suffisent pas pour rendre compte de la performance des services ainsi que de la durabilité des activités. Il est nécessaire de réfléchir à un modèle basé sur l’évaluation, tel que la grille d’analyse multidimensionnelle de la performance des services, croisant les critères de justification des acteurs aux résultats médiats et immédiats des services. Ce modèle permet d’élargir la mesure de la performance au-delà des mesures traditionnelles de productivité. Il inclut l’évaluation des services par les intervenants à la prestation de service, et permet de développer une approche de la performance de long terme prenant en compte les trois dimensions de la durabilité. En optant pour une telle démarche, il est possible que les indicateurs traditionnels de productivité diminuent car ils ne correspondraient plus au mode de calcul de la performance de la société. En revanche, la valeur ajoutée créée serait plus durable, si on tient compte, dans l’évaluation, des conséquences sociales et écologiques de toutes les activités. Dans la mesure où de plus en plus de biens comportent des caractéristiques de services, les progrès réalisés dans l’évaluation de la performance des activités de service pourront aisément s’appliquer aux autres secteurs d’activité. References Adjerad, S. (1997): Une analyse conventionaliste du système de protection sociale et de l’évaluation de ses performnaces: le cas des CAF, 5èmes journées de l’IFRESI, Lille, 20-21 mars. 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