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L’Encéphale, 2006 ;
32 :
1138-40, cahier 4
Dépression, stress et maladies coronaires dans le grand âge
J.-P. EMERIAU
(1)
, M. NEIGE, F. LAMOULIATTE
(1) Professeur, CHU Hôpital X. Arnozan, 33604 Pessac.
Retranscription par I. Fabre.
INTRODUCTION
Les liens entre dépression, stress et maladie coronaire
n’ont pas fait l’objet de beaucoup d’études. Pourtant, les
cliniciens ont observé que l’évolution de ces deux affec-
tions était étroitement liée. Lorsque l’on annonce à un
patient qu’il présente une maladie coronaire évolutive ou
un infarctus du myocarde, son image de soi est profon-
dément altérée avec une notion de risque vital et d’incer-
titude sur l’avenir qui vont provoquer une anxiété et dans
un certain nombre de cas une dépression. Mais la relation
inverse existe aussi entre dépression et infarctus du
myocarde : la stimulation des différents systèmes d’adap-
tation au stress au cours d’une dépression provoque une
accélération du processus athérogène qui touche particu-
lièrement les coronaires. Ces liens réels entre les deux
affections font que la dépression est un facteur de risque
cardiovasculaire à part entière au même titre qu’une
hypertension artérielle, une hypercholestérolémie, un dia-
bète ou un tabagisme important.
PHYSIOPATHOLOGIE
Une atteinte coronaire aiguë ou une dépression sont
des stress qui provoquent une stimulation de mécanismes
physiologiques d’adaptation parmi lesquels se situent les
systèmes sympathique et sérotoninergique. Ces deux
systèmes sont étroitement liés aux deux affections. La sti-
mulation du système sympathique provoque une accélé-
ration de la fréquence cardiaque et une augmentation de
la tension artérielle voire des poussées hypertensives qui
sont les deux principaux facteurs d’augmentation de la
consommation d’oxygène par le myocarde. En cas de
maladie coronaire sévère, la consommation d’oxygène du
myocarde dépasse une limite au-delà de laquelle l’isché-
mie myocardique peut se compliquer d’une nécrose.
D’autre part, la stimulation sympathique provoque une
activation de la coagulation qui va jouer un rôle délétère
en cas de lésion athéromateuse des coronaires. De la
même manière, l’activation du système sérotoninergique
provoque une activation de l’agrégation plaquettaire qui
augmente le risque thrombogène au niveau des plaques
d’athérome des coronaires.
MORBIDITÉ CARDIOVASCULAIRE ET DÉPRESSION
Affection coronaire et dépression
Dans un groupe de 200 patients ayant une sténose
coronaire de plus de 50 %, au moment du diagnostic de
maladie coronaire, 17 % présentaient une dépression
sévère et 17 % une dépression mineure. Un an plus tard,
50 % des dépressions sévères persistaient et 42 % des
formes mineures s’étaient aggravées (5). Dans cette
même étude, les femmes coronariennes étaient plus fré-
quemment déprimées que les hommes. Les résultats de
plusieurs autres études permettent d’affirmer que la mala-
die coronaire favorise le développement d’une dépression
sévère.
Infarctus du myocarde et dépression
De manière générale, la prévalence des dépressions
sévères est de l’ordre de 20 %, chez les personnes qui
ont développé un infarctus du myocarde. Cette prévalence
est deux fois plus importante que celle qui est observée
au cours d’une consultation de médecine générale et trois
à quatre fois plus que dans la population générale (3).
Dépression et infarctus du myocarde
À l’inverse, l’incidence de l’infarctus du myocarde est
une fois et demie plus grande chez les déprimés que chez
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1138-40, cahier 4 Dépression, stress et maladies coronaires dans le grand âge
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les non déprimés (1). En médecine générale, les hommes
déprimés ont un risque multiplié par trois de développer
un infarctus par rapport aux non déprimés. Les femmes
déprimées sont un peu moins sujettes à développer un
infarctus du myocarde (6).
Dans une cohorte de Baltimore composée de plus de
1 500 personnes indemnes de maladie cardiaque mais qui
avaient présenté au moins un épisode dépressif, un suivi
prospectif pendant 13 ans a permis de comparer le risque
d’infarctus du myocarde de ce groupe par rapport à un
groupe témoin sans antécédent de dépression. En cas
d’épisodes dépressifs a minima, le risque relatif d’infarctus
est multiplié par deux et en cas d’épisodes dépressifs
sévères, le risque relatif d’infarctus est multiplié par 4,5
(7). Ces résultats confirment l’importance de la relation
existant entre dépression et risque d’infarctus. Dans
l’étude
Myocardial Infarction and Depression-Intervention
trial
qui a rassemblé 2 177 infarctus du myocarde dont
l’âge moyen était de 63 ans, les facteurs de risque de
dépression sont un âge jeune, une hypercholestérolémie
et une fraction d’éjection basse (indice de fonction du ven-
tricule gauche qui est une donnée échocardiographique).
Les inhibiteurs calciques, largement utilisés comme
antiangineux et antihypertenseurs, auraient une action
dépressiogène. Cette observation reste cependant relati-
vement isolée.
Mortalité cardiovasculaire et dépression
Chez des patients coronariens de plus de 65 ans, le
pourcentage de décès à quatre mois est significativement
augmenté chez les déprimés. 18 mois après un infarctus
du myocarde, le risque de mortalité cardio-vasculaire est
augmenté de 3 à 6 fois chez les déprimés par rapport à
ceux qui ne le sont pas (4). Les facteurs de mauvais pro-
nostic à 1 an sont un âge avancé, un niveau socioprofes-
sionnel modeste et un score élevé de dépression en post-
infarctus (2). En post-infarctus, l’un des facteurs de risque
de mort subite correspond aux troubles du rythme ventri-
culaire. À ce titre, les déprimés ont un risque de mortalité
significativement plus élevé que les non déprimés. Déve-
lopper un infarctus du myocarde, garder une hyperexci-
tabilité ventriculaire et être déprimé constitue un ensemble
à risque, nécessitant une prise en charge spécifique (4).
Observance thérapeutique et dépression
Antécédents d’infarctus et diabète sont des facteurs de
risque cardiovasculaire connus. Mais, de manière surpre-
nante, les déprimés prennent moins bien leurs traitements
que les non déprimés Cette observation concerne plus
particulièrement les bêtabloquants qui sont un traitement
de fond de la maladie coronaire et du post-infarctus en pré-
venant les troubles graves du rythme ventriculaire et les
statines qui correspondent à une prévention secondaire
de la maladie coronaire en post-infarctus. Ce défaut de
compliance vis-à-vis de ces traitements de la part des
déprimés est un des éléments qui expliquent la surmor-
talité des déprimés après un infarctus du myocarde.
Sexe et pathologie cardiovasculaire
Est-ce que les sexes sont égaux ? Pour ce qui est des
cardiopathies ischémiques, les déprimés ont le même ris-
que que les non déprimés quel que soit le sexe. Mais en
terme de décès, la mortalité est moins élevée chez les
femmes.
Dépression et tabac
Dépression et tabac, de même que tabac et infarctus
du myocarde, sont fréquemment associés pour des rai-
sons opposées : les premiers fument parce qu’ils sont
déprimés alors que, en matière d’infarctus du myocarde,
le tabac est un facteur déclenchant. Après un infarctus,
les déprimés ont 50 % de chances en moins d’arrêter de
fumer ce qui correspond encore à un facteur explicatif de
la surmortalité des déprimés du fait de la persistance d’un
facteur de risque cardiovasculaire.
CONCLUSION
Une humeur dépressive a fortiori si elle est associée à
une hypertension artérielle, un diabète, une hypercholes-
térolémie et/ou un tabagisme correspond à un authentique
facteur de risque de maladie cardio-vasculaire et plus par-
ticulièrement de maladie coronaire. La dépression doit
désormais être prise en compte, au même titre que les
autres facteurs de risque ce qui n’est pas le cas actuelle-
ment.
Question
Quelle est l’influence des antidépresseurs tricycliques
sur le volume du ventricule gauche ? Peuvent-ils aggraver
les troubles cardiaques ?
Réponse
Ces traitements ont potentiellement une action délétère
sur des troubles de conduction et du rythme ventriculaire.
Chez les personnes âgées, nous utilisons essentiellement
les inhibiteurs de recapture de la sérotonine (IRSS) et de
moins en moins les tricycliques. En matière de traitement
de la dépression, les tricycliques correspondent-ils à un
traitement dont les résultats sont supérieurs à ceux des
IRS ? Je ne sais pas répondre à cette question. Mais en
matière d’effets indésirables chez les personnes âgées,
les IRS ont peu d’effets indésirables, mis à part les hypo-
natrémies que nous connaissons bien, ce qui n’est pas le
cas des tricycliques.
J.-P. Emeriau
et al.
L’Encéphale, 2006 ;
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1138-40, cahier 4
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Question
Qu’en est-il de l’utilisation des bêtabloquants chez la
personne âgée ? Sont-ils un facteur potentiellement
déclenchant de dépression ou de résistance au traitement
antidépresseur ?
Réponse
Les personnes âgées sous bêtabloquants sont souvent
gênées par le ralentissement de la fréquence cardiaque
et la baisse de la tension artérielle qui sont associées à
ces traitements. Ces effets indésirables représentent
autant d’obstacles pour une bonne compliance à ce trai-
tement. Mais les bêtabloquants peuvent entraîner aussi
des cauchemars (qui peuvent provoquer des états confu-
sionnels nocturnes) et favoriser des traits dépressifs qui
dans le contexte ne sont pas souhaitables. Malgré tous
ces éléments, les bêtabloquants sont un traitement de
fond incontournable de la maladie coronaire qui intervient
sur la prévention des morts subites par troubles du rythme
ventriculaire et aussi sur le risque d’évolution vers une
insuffisance cardiaque. Mais nous ne savons rien sur la
séquence infarctus du myocarde - bêtabloquants et risque
d’aggravation secondaire au traitement d’un état dépressif
secondaire ou préexistant. Pour répondre à cette ques-
tion, il faudrait mettre en place une nouvelle étude d’inter-
vention chez des personnes âgées !
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7. PRATT LA
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Depression, psychotropic medication, and risk of
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low-up. Circulation 1996 ; 94 : 3123-9.
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