Dossier Participant concentrations projet 17060820080926165915

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Les Entretiens du Palais Royal
Les Entretiens du Palais-Royal :
Quels contrôles pour les concentrations d’entreprises ?
Bilans, actualités et perspectives
20 juin 2008, à l’Ecole Nationale d’Administration
2 avenue de l’Observatoire, 75006 PARIS
DOSSIER DOCUMENTAIRE
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• Programme de la journée
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I- LE DEUXIEME ENTRETIEN DU PALAIS-ROYAL EN DROIT PUBLIC ECONOMIQUE
POUR L’ANNEE 2008
: « QUELS CONTROLES POUR LES CONCENTRATIONS ? »
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1. Genèse du cycle des « Entretiens du Palais-Royal » : trois thèmes en 2008
2. Présentation de l’Entretien « Quels contrôles pour les concentrations ? »
II- LE CADRE JURIDIQUE
: EVOLUTIONS, MISE EN ŒUVRE, INDICATEURS
1. Les repères historiques
2. La législation européenne sur le contrôle des concentrations entre entreprises
3. Les lignes directrices de la direction générale de la concurrence de la consommation
et de la répression des fraudes (DGCCRF) - extraits du résumé
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4. Les statistiques
5. La bibliographie générale
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III- LES DEBATS
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: ACTEURS, ENJEUX ET PERSPECTIVES
• L’ouverture de l’Entretien par Jean-Marc Sauvé et Neelie Kroes
1. TABLE RONDE N° 1 : Quelle utilité et quelle efficacité économique du contrôle des concentrations ?
Présentation générale et présentation des intervenants
Textes principaux et jurisprudences récentes
Extraits d’ouvrage et d’article de doctrine
Bibliographie sommaire
2. TABLE RONDE N° 2 : Qui fait quoi ? Des compétences institutionnelles en évolution
Présentation générale et présentation des intervenants
Textes principaux et jurisprudences récentes
Article de doctrine et Rapport (Extraits)
Bibliographie sommaire
3. TABLE RONDE N° 3 : Quelles techniques de contrôle et de prévention pour les concentrations ?
Présentation générale et présentation des intervenants
Textes principaux et jurisprudences récentes
Extraits d’ouvrage et d’article de doctrine ; Compte-rendu de colloque et Rapport (Extraits)
Bibliographie sommaire
4. TABLE RONDE N° 4 : Quel rôle pour le juge des concentrations ?
Présentation générale et présentation des intervenants
Textes principaux et jurisprudences récentes
Articles de doctrine et lignes directrices (Extraits)
Bibliographie sommaire
• La conclusion de l’Entretien par Laurence Idot
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Ce dossier a été établi sous la responsabilité de la section du rapport et des études, avec le concours de la cellule de droit
communautaire et du centre de documentation du Conseil d’Etat.
Les intervenants et présidents des tables rondes ainsi que la Revue Lamy de la Concurrence ont également contribué à
l’élaboration du présent dossier.
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Les Entretiens du Palais Royal
PROGRAMME
9h00 - Séance d’ouverture
M. Jean-Marc SAUVÉ, vice-président du Conseil d’Etat
Mme Neelie KROES, commissaire européenne chargée de la concurrence
9h30 – Quelle utilité et quelle efficacité économique du contrôle des concentrations ?:
Présidence : Mme Anne PERROT, vice-présidente du Conseil de la concurrence
Intervenants :
M. Antonio CAPOBIANCO, expert en droit de la concurrence auprès de l’OCDE
M. Jorge PADILLA, économiste, directeur de projet chez LECG
M. Didier THEOPHILE, avocat à la Cour (Darrois et associés)
11h15 – Qui fait quoi ? Des compétences institutionnelles en évolution
Présidence : Mme Marie-Dominique HAGELSTEEN, présidente de la section des travaux publics du Conseil d’État
Intervenants :
M. Jean-Paul CHARIÉ, député du Loiret, rapporteur du projet de loi de modernisation de l’économie à l’Assemblée nationale
Mme Nadia CALVINO, directrice générale adjointe de la direction générale COMP de la Commission européenne chargée des
concentrations et des activités anti-trust
M. Francis AMAND, chef du service régulation et sécurité de la DGCCRF
M. Josef DREXL, directeur au Max Planck Institut de Munich
13h - DEJEUNER SUR PLACE . . . . . . . . . (traiteur « La table de Cana », association d’insertion professionnelle)
14h00- Quelles techniques de contrôle et de prévention pour les concentrations ?
Présidence : M. Bruno LASSERRE, président du Conseil de la concurrence
Intervenants :
Mme Catherine PRIETO, professeur à l’université d’Aix-Marseille
M. Pierre SIMON, président de la CCIP
M. Antoine WINCKLER, avocat à la Cour (Cleary Gottlieb)
M. Pascal WILHELM, avocat à la Cour (Wilhelm&Associés)
M. Jacques VISTEL, conseiller d’État honoraire
15h45 - Quel rôle pour le juge des concentrations ?
Présidence : M. Emmanuel PIWNICA, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation
Intervenants :
M. Hubert LEGAL, ancien juge au TPICE
M. Emmanuel GLASER, conseiller d’État
M. Robert SAINT-ESTEBEN, avocat à la Cour (Bredin-Prat)
M. Jean-Patrice de LA LAURENCIE, avocat à la Cour (White&Case LLP)
17h15 - Séance de clôture
Mme Laurence IDOT, professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris II), Collège européen de Paris
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LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
I- Le deuxième Entretien du Palais-Royal en droit public économique
pour l’année 2008 : « Quels contrôles pour les concentrations ? »
1- Genèse du cycle des « Entretiens du Palais-Royal » : trois thèmes en 2008
Un cycle de rencontres sur le droit public économique a été lancé en 2007 sous le nom d’« Entretiens du Palais-Royal », aux fins de
renforcer le dialogue entre le Conseil d’Etat et les principaux acteurs concernés par ce thème au sein des institutions, des
entreprises, ou parmi les praticiens nationaux ou européens du droit public comme privé.
L’importance du droit public économique et le rôle des juridictions administratives échappent le plus souvent aux non-spécialistes.
Pourtant, des pans entiers de l’activité économique sont régis par le droit public, notamment le contrôle des aides d’Etat et celui des
concentrations économiques, les partenariats public-privé et les délégations de service public, la passation des contrats et des
marchés publics, les services en réseau, l’activité bancaire et les assurances, ou encore la tarification de nombreux biens et services
dans les secteurs les plus divers.
Le Conseil d'Etat est acteur à part entière des évolutions de l’économie nationale, comme en témoigne l’avis de la section des
finances du 21 décembre 2000 qui a préfiguré la réforme de la loi organique relative aux lois de finances. Au titre de sa fonction
consultative, les avis qu’il rend contribuent à faire évoluer le cadre juridique de la concurrence, le statut des entreprises publiques, le
code des marchés publics, le droit fiscal et financier… Juge de droit commun du droit communautaire dans la plupart de ces
matières, le juge administratif n’est pas et ne saurait être un juge coupé des réalités ou des débats économiques.
Les trois Entretiens conduits en 2008 ont pour thématiques les aides d’Etat, le contrôle des concentrations économiques et les
partenariats public-privé.
Ces Entretiens s’adressent en particulier aux acteurs du droit public économique (administrations, cabinets d’avocats, fiscalistes,
magistrats, directions juridiques d’entreprises, universitaires...) et ont non seulement vocation à assurer la lisibilité de ce droit, mais
également à permettre à ces acteurs de faire valoir les améliorations ou les clarifications qu’il serait souhaitable de lui apporter.
Le dernier Entretien, qui s’est tenu à l’ENA le 20 mars 2008, a porté sur « les aides d’Etat ». A partir des délicates questions
soulevées par la détermination du champ d’application, les frontières et la portée de la notion d’aide, il a fourni l’occasion d’aborder
les enjeux relatifs à la convergence des jurisprudences française et communautaire et aux conséquences à en tirer pour les
entreprises. Ses actes sont disponibles en ligne sur le site de la revue Concurrences (www.concurrences.com) et sur le site du
Conseil d’Etat (www.conseil-etat.fr).
2- Présentation générale de l’Entretien « Quels contrôles pour les concentrations ? »
L’Entretien portant sur le contrôle des concentrations sera l’occasion de faire le point sur la modernisation de ce contrôle : les
concepts, les outils et les procédures s’enrichissent ou se renouvellent sous l’impulsion des autorités de concurrence, des juges
comme des entreprises et de leurs conseils, qui dialoguent au sein d’une communauté mondialisée.
Le contexte dans lequel s’inscrit ce colloque est celui d’une imbrication forte entre droit communautaire et droits nationaux de la
concurrence, alors que se multiplient les concentrations et les soupçons d’abus de position dominante, à l’échelle continentale et
mondiale ; il est également celui d’une réforme annoncée de l’organisation du contrôle français des concentrations (rapport Attali et
loi de modernisation de l’économie), actuellement en débat au Parlement.
L’entretien abordera tous les aspects principaux de la thématique « concentrations » : la place de la politique de contrôle des
concentrations dans la politique de la concurrence ; l’utilité et l’efficacité du contrôle des concentrations, la place du recours aux
engagements et le suivi de leur respect à la lueur de l’approche économique ; l’étendue du contrôle exercé par la Commission
européenne, le juge communautaire, le ministre de l’économie et des finances, le Conseil de la concurrence, les régulateurs
sectoriels et le juge national sur le respect des textes communautaires et nationaux en vigueur.
Le colloque entend s’ouvrir notamment à quatre séries de questions : sur l’efficacité économique du contrôle des concentrations
au sein de l’Union européenne ; sur les modalités d’organisation de ce contrôle ; sur l’analyse du partage des compétences entre
autorités nationales et communautaires, principalement suite à la mise en oeuvre du règlement communautaire 139/2004, et sur la
cohérence entre droit national et droit communautaire des concentrations ; sur le rôle du juge.
Cet entretien sera l’occasion pour le Conseil d’Etat de mettre en lumière son rôle, trop peu connu, de juge du contentieux lié au
contrôle des concentrations, domaine dans lequel il a rendu récemment plusieurs arrêts importants concernant tant la procédure que
le fond du droit.
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LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
II. Le cadre juridique : évolutions, mise en œuvre et indicateurs
1- Repères historiques
Les Etats-Unis
15 octobre 1914 Clayton Act, interdisant les concentrations quand elles restreignent substantiellement la concurrence
ères
1968 1
« Merger Guidelines », précisant la façon dont les autorités anti-trust interprètent les lois. Elles ont été
actualisées en 1982, 1984, 1992 et 1997
30 septembre Hart-Scott Rodino (HSR) Act, généralisant pour la première fois le contrôle préventif des opérations les plus
1976 importantes
L’Union européenne
9 décembre 1
1971
ère
interdiction d’une concentration par la Commission européenne (Continental Can)
21 décembre 1er règlement communautaire sur le contrôle des concentrations (4064/89)
1989
6 Juin, 22 et 25 Arrêts du Tribunal de première instance annulant des décisions d’interdiction de fusion de la Commission
octobre 2002
20 janvier 2004
Nouveau règlement communautaire relatif au contrôle des concentrations (139/2004)
27 juin 2007 1
ère
interdiction d’une concentration (Ryanair/Aer Lingus) sous l’empire du nouveau règlement
La France
19 juillet 1977 1ère loi traitant du contrôle des concentrations
er
1 décembre Ordonnance n° 86-1243 relative à la liberté des pr ix et de la concurrence. Son titre V réforme le contrôle
1986 français des concentrations et institue un Conseil de la concurrence remplaçant la Commission de la
concurrence
15 mai 2001 Loi n° 2001-420 dite loi NRE (nouvelles régulations économiques), harmonisant le contrôle français des
concentrations avec le droit communautaire
2008 Loi de modernisation de l’économie prévoyant une autorité unique de concurrence, dont les modalités de
fonctionnement seront déterminées par ordonnance
2- La législation européenne sur le contrôle des concentrations entre entreprises
La fiche synthétique SCADPlus du site www.europa.eu fournit une introduction claire aux nouvelles règles communautaires
applicables en matière de contrôle des concentrations.
Contexte
Bien que les résultats obtenus par l'application du
règlement n° 4064/89 puissent généralement être con sidérés
comme positifs, l'expérience acquise depuis douze ans
d'application de ce règlement, ainsi que le débat suscité par la
publication du livre vert de 2001, démontrent que le système
peut être amélioré.
Effectivement, le fort degré de concentration industrielle du
système économique actuel a rendu plus complexe l'analyse
économique de la Commission. Un assouplissement du système
de contrôle des concentrations est cependant devenu
nécessaire. Le règlement sur les concentrations adopté en 1989
était axé sur le principe du « guichet unique », permettant à la
Commission un contrôle exclusif sur toute fusion transfrontalière
importante. De son côté le nouveau règlement, tout en évitant
que la même concentration soit notifiée à plusieurs autorités de
concurrence dans l'Union européenne (UE), reprend le
« principe de subsidiarité », selon lequel est compétente
l'autorité juridictionnelle la mieux placée pour examiner une
concentration donnée.
La réforme du règlement n° 4064/89 porte sur les él éments
novateurs suivants :
la clarification du critère de fond pour l'analyse des
concentrations ;
la rationalisation des délais de notification introduisant la
possibilité de notifier une opération avant que celle-ci ne fasse
l'objet d'un accord contraignant entre les parties ainsi que la
suppression de l'obligation de notifier dans la semaine durant
laquelle cet accord contraignant a été conclu ;
la simplification du système de renvoi de la commission aux
autorités nationales ou inversement ;
l'assouplissement du calendrier des enquêtes avec la
possibilité de prolonger de trois semaines le délai accordé aux
parties pour soumettre leurs solutions, et avec l'accord des
parties, une extension de quatre semaines pourra être
accordée pour permettre à la Commission un examen
approfondi ;
le renforcement des pouvoirs d'enquête de la Commission
pour qu'elle puisse recueillir plus facilement les renseignements
dont elle a besoin pour infliger des amendes plus élevées aux
compagnies qui lui font obstruction.
En ce qui concerne le critère de fond pour l'analyse des
concentrations, le présent règlement considère que le critère de
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LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
la « position dominante », qui est le critère de fond utilisé
jusqu'à présent, et celui de la « diminution substantielle de la
concurrence », utilisé par d'autres systèmes juridictionnels, ont
produit des résultats largement convergents. Le règlement de
1989 se fondait sur la notion de « position dominante », selon
laquelle une ou plusieurs entreprises sont réputées détenir une
telle position dominante si elles possèdent le pouvoir
économique d'influencer les paramètres de la concurrence, en
particulier les prix, la production, la qualité de la production, la
distribution, l'innovation, et de restreindre sensiblement la
concurrence. Ce critère considère comme crucial de savoir s'il
subsiste une concurrence suffisante après la concentration
pour que les consommateurs disposent d'un choix suffisant.
Selon l'interprétation qu'en ont donnée la Commission et les
juridictions européennes au fil des années, cette notion
recouvre également les situations de duopole (voir les
décisions de la Cour dans les affaires Kali et Salz/MdK et
Gencor/Lonrho), ainsi que les situations de « position
dominante collective » ou oligopoles (Airtours/First Choice). Le
présent règlement intègre cette interprétation et le critère
englobe maintenant tous les effets anticoncurrentiels sur les
marchés oligopolistiques où l'entreprise issue de la
concentration ne serait pas dominante au sens strict du terme.
Le champ d'application du présent règlement est élargi aux
situations de duopole et d'oligopole pouvant donner lieu à des
problèmes de concurrence (voir Lignes directrices sur
l'appréciation des « concentrations horizontales », ou
concentrations entre concurrents).
Champ d'application
Le règlement s'applique à toutes les « concentrations » de
« dimension communautaire ». Une « concentration » est
réputée réalisée lorsqu'un changement durable du contrôle
résulte :
de la fusion de deux ou plusieurs entreprises ou parties
d'entreprises antérieurement indépendantes ;
de l'acquisition directe ou indirecte, par une ou plusieurs
personnes (détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins)
ou par plusieurs entreprises qui acquièrent le contrôle d'une ou
de plusieurs autres entreprises.
Les opérations de concentration multiples, subordonnées l'une
à l'autre ou étroitement liées, sont considérées constituer une
seule concentration.
Une concentration acquiert une « dimension communautaire » :
lorsque le chiffre d'affaires total réalisé sur le plan mondial
par l'ensemble des entreprises concernées représente un
montant supérieur à 5 milliards d'euros ;
lorsque le chiffre d'affaires total réalisé individuellement dans
l'UE par au moins deux des entreprises concernées représente
un montant supérieur à 250 millions d'euros, à moins que
chacune des entreprises concernées réalise plus des deux tiers
de son chiffre d'affaires total dans l'UE à l'intérieur d'un seul et
même État membre.
Si les seuils précités ne sont pas atteints, il s'agit néanmoins
d'une concentration de dimension communautaire, si :
le chiffre d'affaires total réalisé sur le plan mondial par
l'ensemble des entreprises concernées représente un montant
supérieur à 2,5 milliards d'euros ;
dans chacun d'au moins trois États membres, le chiffre
d'affaires total réalisé par toutes les entreprises concernées est
supérieur à 100 millions d'euros ;
dans chacun d'au moins trois États membres, le chiffre
d'affaires total réalisé individuellement par au moins deux
entreprises concernées est supérieur à 25 millions d'euros ;
le chiffre d'affaires total réalisé individuellement dans l'UE par
au moins deux des entreprises concernées représente un
montant supérieur à 100 millions d'euros, à moins que chacune
des entreprises concernées réalise plus de deux tiers de son
chiffre d'affaires total dans l'UE à l' intérieur d'un seul et même
État membre.
Bien que le plus pratique, le chiffre d'affaires n'est pas le seul
critère pour identifier les concentrations de dimension
européenne. Un autre critère, appelé critère du « type 3+ »,
prévoit une compétence communautaire exclusive de la
Commission lorsque tous les États membres ou au moins trois
d'entre eux formulent une demande de renvoi à la Commission.
Dans une Union européenne élargie à 27 États membres, le
renforcement du principe du guichet unique, tel que celui mis
en place par le présent règlement à travers la nouvelle
procédure de pré-notification, présente l'avantage non
négligeable de simplifier la procédure et réduire les cas de
notifications multiples.
Il existe également d'autres critères que celui du chiffre
d'affaires et celui du « type 3+ » : ils accompagnent maintenant
le nouveau critère de renvoi aux autorités compétentes des
États membres. Un État membre peut maintenant informer la
Commission du fait qu'une concentration, bien que de
« dimension communautaire », affecte ou menace d'affecter de
manière significative la concurrence effective dans un marché
spécifique à l'intérieur d'un État membre (pour plus
d'information sur la procédure du renvoi, voir infra). Ce système
de renvoi aux autorités nationales de la concurrence n'entend
pas affaiblir le principe du « guichet unique », mais vise à
permettre un examen de la concentration au niveau le mieux
placé pour en apprécier les effets potentiels.
L'objectif de cet examen est de vérifier la compatibilité d'une
concentration de dimension européenne avec le marché
commun, c'est-à-dire savoir si la concentration crée ou renforce
une position dominante entravant de manière significative une
concurrence effective sur le marché.
Procédure de notification : les entreprises et les personnes
concernées
Suivant la règle générale, les concentrations de dimension
communautaire doivent être notifiées à la Commission avant
leur réalisation et après la conclusion de l'accord, l'offre
publique d'achat ou d'échange ou l'acquisition d'une
participation de contrôle. Toutefois, le présent règlement,
cherchant à rationaliser les délais de la notification des projets
de concentrations à la Commission, permet la notification avant
la conclusion d'un accord contraignant et supprime l'obligation
de notifier les opérations dans un délai d'une semaine suivant
la conclusion de l'accord. Ceci permet non seulement
d'assouplir le système mais également de faciliter la
coordination des enquêtes en matière de concentrations avec
les autres systèmes juridictionnels.
Dans ce but de coordination avec les autorités nationales
compétentes, le présent règlement introduit la possibilité pour
les personnes ou les entreprises concernées d'informer la
Commission, au moyen d'un mémoire motivé, avant la
présentation de la notification. Cette procédure, dite de prénotification, donne la possibilité aux parties de démontrer à la
Commission
que
la
concentration
proposée,
bien
qu'aboutissant
à
une
concentration
de
dimension
transfrontalière, affecte la concurrence sur le marché d'un État
membre. Si, dans un délai de quinze jours ouvrables suivant la
réception du mémoire, l'État membre visé dans le mémoire
motivé n'exprime pas son désaccord sur la demande de renvoi
de l'affaire, la Commission a vingt-cinq jours ouvrables à
compter de la réception du mémoire motivé pour renvoyer tout
ou partie de l'affaire aux autorités compétentes de cet État
membre en vue de l'application du droit national de la
concurrence de cet État.
La même procédure s'applique lorsqu'une personne ou une
entreprise désire attirer l'attention de la Commission sur les
effets transfrontaliers qu'une concentration, qui n'a pas de
dimension communautaire, pourrait avoir au niveau européen.
Dans ce cas, la demande est réputée acceptée, si, dans le
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LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
délai de quinze jours ouvrables suivant la réception du mémoire
motivé, la Commission ne l'a pas expressément rejetée. Si
aucun des États membres concernés n'a exprimé son
désaccord, la concentration est réputée avoir une dimension
communautaire. Ceci permet aux parties concernées de
bénéficier du guichet unique et d'effectuer la notification
exclusivement à la Commission, plutôt qu'à au moins trois États
membres. En outre, mais c'était déjà le cas avec le précédent
règlement, un État membre peut renvoyer à la Commission
l'examen d'une concentration si elle affecte la concurrence
d'une manière significative sur au moins un marché national.
Ce mémoire motivé, transmis par la Commission dans les plus
brefs délais à tous les États membres, permettra de mener
l'enquête au niveau le mieux placé. En considération de la
relative complexité de la procédure, la Commission s'engage à
en faire rapport au Conseil avant le 1er juillet 2009.
Engagement de la procédure : la Commission
Suite à la réception de la notification, la Commission dispose de
plusieurs moyens d’engager la procédure, de mener des
enquêtes et d’imposer des sanctions. Tout d'abord, on
constate, par voie de décision, si :
la concentration notifiée relève du présent règlement ;
la concentration est compatible avec le marché commun ;
la concentration soulève des doutes sérieux quant à sa
compatibilité.
Une concentration de dimension communautaire ne peut en
principe être réalisée ni avant d'être notifiée, ni pendant un délai
de trois semaines suivant sa notification. Si, par contre, une
concentration a déjà été réalisée et est déclarée incompatible
avec le marché commun, la Commission peut ordonner aux
entreprises concernées de défaire la concentration ou d'adopter
toute autre mesure appropriée afin de rétablir la situation
antérieure à la réalisation de la concentration.
La Commission peut également imposer des mesures
provisoires lorsqu'elle constate qu'une concentration notifiée,
bien que relevant du présent règlement, ne soulève pas des
doutes sérieux de compatibilité avec le marché commun ou
lorsqu'une simple modification suffirait à rendre la concentration
compatible avec le marché commun. Par contre, lorsqu'une
concentration soulève des doutes sérieux quant à sa
compatibilité avec le marché, la Commission peut demander
aux personnes ou aux entreprises concernées de fournir des
renseignements supplémentaires et, le cas échéant, effectuer
des inspections approfondies sur place. La Commission pourra
cependant demander d'apporter les modifications nécessaires
pour rendre ladite concentration compatible avec le marché
commun.
La Commission peut, par simple demande ou par voie de
décision, demander aux parties concernées de fournir des
renseignements
supplémentaires,
sachant
que
toute
information recueillie est couverte par le secret professionnel.
La Commission peut également décider d'effectuer des
inspections. Sur production d'un mandat écrit, les agents et
autres personnes mandatés par la Commission peuvent :
accéder à tous les locaux, terrains et moyens de transport ;
contrôler et prendre copie des livres et d'autres documents en
rapport avec l'activité ;
apposer des scellés sur tous les locaux, les livres ou les
documents en rapport avec l'activité ;
demander à tout représentant de l'entreprise des explications
sur les faits et les documents en rapport avec l'activité.
Lorsqu'une entreprise s'oppose à une inspection, les agents
mandatés peuvent s'adresser aux autorités de l'État membre
concerné pour recevoir l'assistance adéquate, au besoin même
de l'usage de la force publique. À l'occasion des inspections,
les agents mandatés agissent dans le respect de la législation
nationale.
Dans le présent règlement, la Commission assouplit également
le calendrier des enquêtes en matière de concentrations par
l'ajout de trois semaines supplémentaires au délai suivant la
présentation d'une mesure corrective (ce qui fait un total de
quatre-vingt dix jours ouvrables), ce qui laisse plus de temps
pour bien examiner les mesures correctives et consulter les
États membres. Afin de permettre un examen approfondi, le
règlement prévoit en outre une prorogation du délai d'un
maximum de quatre à trois semaines selon que la demande est
faite par les parties notifiantes (ou la Commission avec l'accord
des parties notifiantes) ou lorsque les entreprises proposent
ème
des mesures correctives après le 54
jour ouvrable suivant
l'ouverture de l'examen approfondi.
Pour assurer le respect du présent règlement, la Commission a
le pouvoir d'infliger les sanctions suivantes :
amendes : la Commission peut infliger des amendes jusqu'à
concurrence de 1 % du chiffre d'affaires total réalisé par
l'entreprise lorsque de façon délibérée ou par négligence, une
entreprise fournit un renseignement inexact, dénaturé,
incomplet, ou au-delà du délai prescrit. La Commission peut
également infliger des amendes lorsque les scellés apposés
lors d'une inspection ont été brisés. La Commission a la
possibilité d'infliger des amendes jusqu'à concurrence de 10 %
du chiffre d'affaires total réalisé par l'entreprise lorsque de
façon délibérée ou par négligence, une entreprise omet de
notifier une concentration, avant sa réalisation, réalise une
concentration en violation des dispositions du présent
règlement ou contrevient à une décision de la Commission;
astreintes : la Commission peut infliger des astreintes jusqu'à
concurrence de 5 % du chiffre d'affaires total journalier moyen
de l'entreprise par jour ouvrable de retard par rapport à la date
fixée par la Commission dans sa décision de renseignement,
d'inspection ou autre.
Un comité consultatif composé de représentants des autorités
des États membres est consulté préalablement par la
Commission à toute décision de compatibilité, d'incompatibilité
ou de fixation d'amendes ou astreintes. La Cour de justice peut
supprimer, réduire ou majorer l'amende ou l'astreinte infligée.
Procédure de renvoi : la Commission et les autorités
compétentes des États membres
Pour faire en sorte que ce soit l'autorité la mieux placée pour
examiner une concentration donnée, qui soit compétente, la
simplification de la procédure de renvoi aux autorités
compétentes des États membres a été établie.
L'identification des cas de concentrations ayant un effet
transfrontalier a été assurée jusqu'ici par l'application du critère
des chiffres d'affaires et du critère « type 3+ » (c'est à dire,
compétence communautaire exclusive lorsque tous les États
membres ou au moins trois d'entre eux formulent une demande
de renvoi). Ces deux critères, permettant de déterminer assez
rapidement si une concentration donnée relève de la
compétence des États membres ou de la Commission, se sont
révélés être insuffisants. Le présent règlement introduit
cependant un nouveau critère de renvoi aux autorités
compétentes des États membres.
Suivant cette approche, un État membre peut, dans un délai de
quinze jours ouvrables à compter de la réception de la copie de
notification, de sa propre initiative ou sur invitation de la
Commission, déclarer qu'une concentration affecte de manière
significative la concurrence effective dans un marché à
l'intérieur de cet État. Le marché du produit ou service en cause
doit présenter toutes les caractéristiques d'un marché distinct
sans pour autant constituer une partie substantielle du marché
commun. La Commission dispose d'un délai de soixante-cinq
jours ouvrables à compter de la notification de la concentration
pour décider de traiter elle-même le cas conformément au
présent règlement ou renvoyer tout ou une partie de celui-ci
aux autorités compétentes de l'État membre concerné (faute de
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LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
décision, le cas est réputé avoir été renvoyé à l'État membre
concerné).
Inversement, il est possible qu'un État membre demande à la
Commission d'examiner toute une concentration qui, bien que
dépourvue de dimension communautaire, entrave le commerce
entre États membres et menace d'affecter la concurrence de
manière significative sur le territoire du ou des États membres
qui formulent cette demande. La Commission informe à son
tour les autorités compétentes des États membres et les
entreprises concernées et donne un délai de quinze jours
ouvrables, afin que tout autre État membre puisse se joindre à
la demande initiale. Si pour finir, dans un délai de dix jours
ouvrables, la Commission n'a pas pris de décision de renvoi ou
de refus de renvoi, elle est réputée avoir adopté une décision
conforme à la demande.
En règle générale, la Commission mène les procédures visées
par le présent règlement en liaison étroite et constante avec les
autorités compétentes de la concurrence des États membres.
Elle s'engage par exemple à transmettre dans un délai de trois
jours ouvrables aux autorités compétentes des États membres
copie des notifications ainsi que, dans les meilleurs délais, les
pièces les plus importantes qui lui sont adressées. Dans un
souci d'efficacité ultérieure, le règlement envisage la possibilité
que les autorités compétentes et la Commission s'organisent
dans un « réseau » informel afin d'améliorer l'efficacité du
processus.
Le présent règlement, applicable à partir du 1er mai 2004,
abroge les règlements (CEE) n° 4064/89 et (CE) n° 1310 /97.
3- Les lignes directrices de la DGCCRF, version du 30 avril 2007, extraits du résumé pp. v-xxi
1. LE CHAMP D’APPLICATION DU CONTROLE
1.1. La notion de concentration
Depuis la modification du Code de commerce par la loi sur les
nouvelles régulations économiques, la définition des opérations
de fusion/acquisition qui constituent des concentrations et les
modalités de calcul des seuils de chiffre d’affaires déterminant
l’obligation de notification de ces concentrations au ministre de
l’économie sont identiques à celles qui sont définies par le
règlement sur le contrôle communautaire des concentrations.
Cette homogénéité est destinée à éviter les risques de conflit de
compétence. La pratique des autorités nationales peut donc
également être éclairée par les différentes communications
interprétatives de la Commission européenne, adoptées dans le
cadre de son propre contrôle des concentrations, notamment
celles relatives à la notion de concentration, à la notion
d’entreprise concernée, au calcul du chiffre d’affaires et aux
mesures correctives. (…)
Comme le précise l’article L. 430-1 III, le contrôle résulte de
l’ensemble des moyens de droit et de fait qui permettent à une
personne ou à une entreprise, seule ou conjointement,
d’exercer une « influence déterminante » sur l’activité d’une
autre entreprise. La pratique décisionnelle a amplement détaillé
cette notion d’influence déterminante, au-delà des cas
d’acquisitions de la totalité ou de la majorité du capital ou, plus
essentiellement, des droits de vote. La qualification de
l’influence déterminante résulte d’un faisceau d’indices
convergents, dont les plus fréquents sont les droits de veto, les
minorités de blocage ou les pactes d’actionnaires portant sur les
décisions essentielles qui déterminent le comportement
concurrentiel de la cible ; la possibilité de nommer des
dirigeants au sein de la cible ; la dispersion des autres
actionnaires, qui confère à une participation même minoritaire
un poids relativement plus significatif dans les délibérations ;
l’existence de liens significatifs tels que des liens commerciaux
déterminant une part majeure du chiffre d’affaires de la cible, ou
le fait d’intervenir de manière significative en tant que prêteur à
l’entreprise. Les éléments du faisceau d’indice mentionnés cidessus ne constituent qu’une liste illustrative et non exhaustive.
Les éléments du faisceau d’indice devront être appréciés en
fonction des circonstances particulières de chaque opération ; il
ne s’agit en aucun cas d’établir un classement ou un « score » à
partir de ces critères pour qualifier le contrôle. En cas de doute,
les parties sont invitées à se rapprocher des services
compétents de la DGCCRF.
La création d’une entreprise commune contrôlée conjointement
par plusieurs entreprises peut également constituer une
concentration, dès lors que, aux termes de l’article L. 430-1 II du
Code de commerce, il s’agit « d'une entreprise commune
accomplissant de manière durable toutes les fonctions d'une
entité économique autonome ». Le critère qui permet de
qualifier la création d’une entreprise commune de concentration
est le fait que celle-ci soit « de plein exercice» : il s’agit de
vérifier que l’entreprise opère sur un marché en y accomplissant
les fonctions normalement exercées par les autres entreprises
présentes sur ce marché, ce qui suppose qu’elle dispose des
moyens humains, financiers et des actifs nécessaires pour
exercer son activité de manière durable, tout en étant sous le
contrôle conjoint de ses sociétés-mères. En revanche, la
constitution d’une entreprise commune qui ne reprend qu’une
seule fonction spécifique parmi les activités de ses fondatrices,
sans avoir accès au marché, ne constitue pas une
concentration (création d’une entreprise commune de R&D par
exemple).
1.2. Les seuils d’exercice du contrôle et le calcul des
chiffres d’affaires
Lorsqu’une opération peut être qualifiée de concentration, il
convient d’établir si celle-ci est soumise à notification
obligatoire, c’est-à-dire si elle remplit les trois conditions
cumulatives précisées à l’article L. 430-2 du code de commerce:
le chiffre d’affaires total mondial hors taxes de l’ensemble des
entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales
concernées est supérieur à 150 millions d’euros ;
le chiffre d’affaires total hors taxes réalisé individuellement en
France par deux au moins des entreprises ou groupes de
personnes physiques ou morales concernées est supérieur à 50
millions d’euros ;
l’opération n’entre pas dans le champ d’application du
contrôle communautaire des concentrations, tel que défini à
l’article 1 paragraphes 2 et 3 du règlement n°139/2 004 CE, qui
a remplacé le règlement n°4064/89 CE depuis le 1er a vril 2004.
Une opération est de dimension communautaire si les
entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires
mondial supérieur à 5 milliards d’euros et si deux d’entre elles
réalisent chacune un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions
d’euros dans la Communauté, à condition toutefois qu’elles ne
réalisent pas chacune plus des deux tiers de leur chiffre
d’affaires communautaire dans un seul et même État membre.
Le dépassement de ces seuils est évalué en prenant en compte
le chiffre d’affaires des « entreprises concernées », au sens de
l’article 2 du décret du 30 avril 2002. Celles-ci sont, d’une part,
la ou les entreprises exerçant un contrôle sur la cible à l’issue
de l’opération de concentration et, d’autre part, la cible ellemême (tout ou partie d’une société ou éléments d’actifs
incorporels) ; dans le cas où l’une des sociétés-mères détenait,
avant l’opération, le contrôle (exclusif ou conjoint) de la cible et
qu’elle détient à l’issue de l’opération un contrôle
1 Les seuils de contrôle en outre mer présentent des
particularités détaillées au chapitre 1.2.2.1. des Lignes
directrices.
7
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
2 Une opération peut également être de dimension
communautaire si les entreprises concernées réalisent
ensemble un chiffre d’affaires supérieur à 2,5 milliards d’euros
dans le monde et supérieur à 100 millions d’euros dans au
moins trois États membres, si deux d’entre elles réalisent
individuellement un chiffre d’affaires supérieur à 25 millions
d’euros dans au moins trois des mêmes États membres et si
deux d’entre elles réalisent individuellement un chiffre d’affaires
supérieur à 100 millions d’euros dans la Communauté. Là
encore, ces seuils ne s’appliquent pas si chacune des
entreprises concernées réalise plus des deux tiers de son
chiffre d’affaires communautaire dans un seul et même État
membre.
1.3. Les mécanismes de renvoi entre la Commission
européenne et les États membres
L’adoption de seuils définis en chiffres d’affaires, tant au niveau
communautaire qu’au niveau national, vise à simplifier la mise
en oeuvre de l’obligation de notifier les opérations de
concentrations préalablement à leur réalisation. Cependant, ce
système conduit parfois à ce que des opérations ne soient pas
notifiées auprès de l’autorité qui serait la mieux placée pour
examiner leur impact. Dans le souci d’alléger les coûts de
procédures des entreprises notifiantes et d’assurer une
répartition optimale des compétences entre les États membres
et la Commission européenne, conformément au respect du
principe de subsidiarité, le règlement n° 139/2004 CE a donc
augmenté les possibilités de renvoyer l’examen de certaines
opérations de concentration entre autorités, à la demande des
parties notifiantes et non plus seulement des États membres.
La Commission européenne a précisé sa méthodologie
d’appréciation des renvois dans sa communication sur le renvoi
3
des opérations de concentration . Les États membres ont
également adopté, dans le cadre de l’association des autorités
européennes de concurrence (ECA), les principes directeurs
auxquels ils se conforment pour apprécier les demandes de
4
renvoi transmises par la Commission européenne .
• Les renvois à la demande des entreprises
Avant de déposer le ou les dossiers de notification requis, les
parties notifiantes peuvent alerter la Commission européenne,
qui joue le rôle de coordinateur entre les États membres, et
demander le renvoi de leur dossier dans deux cas :
lorsqu’une
opération
de
dimension
communautaire
«risque d’affecter de manière significative la concurrence sur un
marché à l’intérieur d’un État membre qui présente toutes les
caractéristiques d’un marché distinct », les parties peuvent
demander qu’elle soit examinée en tout ou partie par cet Etat
membre, qui applique alors sa législation nationale de contrôle
des concentrations (article 4.4) ;
lorsqu’une opération qui n’est pas de dimension
communautaire doit être notifiée dans au moins trois États
membres, les parties notifiantes peuvent demander qu’elle soit
examinée par la Commission, qui joue alors le rôle de guichet
unique et applique la procédure communautaire de contrôle des
concentrations (article 4.5).
Pour motiver leur demande, les parties notifiantes adressent un
mémoire sommaire (« Formulaire RS ») à la Commission qui, si
les conditions de demande de renvoi sont réunies, l’adresse aux
États membres. Le ou les États membres concernés par la
3
Communication de la Commission sur le renvoi des affaires en
matière de concentrations, JOUE C56/2 du 5 mars 2005 - cf.
http://europa.eu.int/eurlex/lex/LexUriServ/site/fr/oj/2005/c_056/c_056
20
050305fr00020023.pdf
4
Principes de mise en oeuvre des articles 4(5) et 22 du règlement
CE sur les concentrations par les Autorités nationales de
concurrence, au sein de l’association des Autorités de concurrence
européennes
(ECA)
cf.
http://alize.finances.gouv.fr/concentration/eca_ppes.pdf
demande disposent d’un délai de trois semaines pour indiquer
leur accord ou leur refus du renvoi demandé, l’absence de
réponse valant acceptation tacite de leur part.
• Les renvois à l’initiative des États membres
Après qu’une concentration a été notifiée, les États membres
disposent également de la possibilité de demander, selon les
cas, le rapatriement d’une opération de dimension
communautaire pour application du droit national, ou, à
l’inverse, la remontée de l’examen d’une opération, qui n’est
pas de dimension communautaire, vers la Commission
européenne.
Le ministre peut ainsi demander à la Commission que lui soit
renvoyé l’examen d’une opération de concentration, en totalité
ou pour la partie qui a un impact en France, dans deux cas
(article 9) :
si la concentration « menace d'affecter de manière
significative la concurrence dans un marché à l'intérieur de cet
État membre qui présente toutes les caractéristiques d'un
marché distinct » : le ministre chargé de l’économie doit donc,
sur la base d’une analyse prima facie, établir qu’il existe une
menace d’affectation significative de la concurrence en France.
La Commission examine alors cette demande et peut décider
soit de renvoyer l’examen de cette opération, soit de continuer
de l’examiner elle-même.
si la concentration « affecte la concurrence dans un marché à
l'intérieur de cet État membre qui présente toutes les
caractéristiques d'un marché distinct et qui ne constitue pas une
partie substantielle du marché commun » : la dimension « non
substantielle », en général infranationale, des marchés sur
lesquels l’opération a une incidence, est alors le critère
déterminant de la motivation de la demande de renvoi. Si la
Commission constate qu’un tel marché est affecté, l’opération
est renvoyée à l’autorité nationale qui en a fait la demande.
A l’inverse, le ministre peut demander, seul ou conjointement
avec d’autres autorités de contrôle des États membres, le
renvoi à la Commission européenne d’une opération de
concentration n’atteignant pas les seuils communautaires, dès
lors que cette opération « affecte le commerce entre États
membres et menace d'affecter de manière significative la
concurrence sur le territoire du ou des États membres qui
formulent cette demande » (article 22). Là encore, l’Etat
membre doit démontrer, sur la base d’une analyse prima facie,
qu’il existe une présomption d’atteinte significative à la
concurrence. La Commission examine cette demande et peut
accepter ou refuser l’examen du cas. Il convient de souligner
que cette possibilité existe indépendamment des seuils de
contrôle nationaux, l’article 22 étant applicable à toutes les
opérations qui ne sont pas de dimension communautaire.
2. LA PROCÉDURE
2.1 Sanctions prises en vertu de l’article L. 430-8
Le Code de commerce a prévu des sanctions en cas de nonrespect par les entreprises de leurs obligations relatives au
contrôle des concentrations : obligation de notifier, de respecter
le caractère suspensif de la procédure de contrôle, de fournir à
l’Administration des informations exactes et exemptes
d’omissions. Pour chacun de ces cas, l’article L. 430-8 du Code
de commerce prévoit la possibilité d’une sanction (retrait de la
décision accordée par le ministre, et/ou sanction pécuniaire).
Par deux fois à ce jour, le ministre a fait usage de ces
dispositions, la sanction pécuniaire ayant pris en compte les
circonstances de l’espèce.
2.2. La phase de prénotification (facultative)
Cette phase informelle et confidentielle, qui ne constitue pas un
élément de la procédure proprement dite, est à la discrétion des
parties, les services du ministre accueillant favorablement toute
demande de discussion préalable au dépôt formel de la
notification.
8
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
L’expérience montre en effet que ces premières discussions,
sans préjuger des questions qui pourront émerger au cours de
l’instruction et de la conclusion qui pourra être tirée de celle-ci,
sont utiles, même dans les cas qui ne posent apparemment
aucun problème de concurrence.
Ces discussions peuvent porter notamment sur la compétence
du ministre sur l’opération (qualification de concentration, seuils
de chiffres d’affaires) et d’autres questions de procédure.
Elles servent également à définir l’étendue des informations à
fournir dans le cadre du dossier de notification, compte tenu des
spécificités de chaque opération. Dans le cas de notifications
dans plusieurs États membres, la question de l’articulation des
procédures nationales peut également être évoquée, dans le
cadre des procédures de coopération de l’ECA. Plus
généralement, cette période permet de préparer la phase
d’instruction en identifiant aussi tôt que possible les points-clés
du fonctionnement des marchés et les éventuels problèmes de
concurrence. Elle facilite l’instruction du cas par la DGCCRF et
permet aux parties notifiantes de mieux évaluer le « risque »
attaché à la procédure – par exemple en cas d’opération
boursière, d’évaluer s’il est opportun de stipuler dans leur offre
une clause de caducité en cas de saisine du Conseil de la
concurrence.
Ces premiers contacts sont peu formalisés. Ils sont déclenchés
par la communication, par les parties notifiantes, d’un premier
document de présentation, ou de leur projet de dossier de
notification ; les parties peuvent également y joindre des
documents internes (tels que présentation au conseil
d’administration, plan d’affaires, études internes sur l’opération).
Les parties doivent prévoir un délai minimal pour l’analyse et la
réponse des services de la DGCCRF ; en particulier, aucune
réunion n’est organisée moins de deux jours après la
communication de documents de présentation par les parties
(ou moins de cinq jours après la communication d’un projet de
dossier de notification).
2.3. La première phase
• Fait générateur et effet de la notification
Aux termes de l’article L. 430-4 du Code de commerce, une
opération de concentration soumise à notification obligatoire ne
peut être réalisée si elle n’a pas été autorisée par le ministre.
Cette autorisation intervient au terme d’un délai de cinq
semaines suivant le dépôt d’un dossier complet de notification,
le cas échéant prolongé d’environ quatre mois en cas de saisine
du Conseil de la concurrence.
La loi nº 2004-1343 du 9 décembre 2004 a introduit, comme
dans le règlement n°139/2004 Conseil d'Etat et, en d roit
français, dans le régime issu de l’ordonnance du 1er décembre
1986, la possibilité de notifier des « projets suffisamment
aboutis » de concentration, de façon à avancer le point de
départ de la procédure dans le calendrier des opérations.
L’appréciation du caractère suffisamment abouti d’un projet est
faite au cas par cas. Toutefois, de façon générale, il sera
possible d’admettre un projet si les entreprises notifiantes
assurent l’autorité de contrôle de leur intention de conclure un
engagement irrévocable et apportent la preuve que ce projet est
déjà suffisamment concret, en produisant par exemple un
accord de principe ou tout document prouvant leur intention et
arrêtant les grandes lignes de l’opération. Les parties veilleront
également à prendre en compte le fait que le dépôt de la
notification fait l’objet d’un communiqué sur le site Internet de la
DGCCRF.
Le caractère suspensif du contrôle fait l’objet d’une exception en
matière d’opérations sur titres cotés, afin de limiter les
interférences avec le calendrier boursier : les titres peuvent être
échangés, la suspension ne s’appliquant qu’à l’exercice des
droits de vote qui y sont attachés.
D’autre part, une procédure de dérogation est prévue à l’article
L. 430-4 du Code de commerce, en cas de nécessité dûment
motivée par les parties dans leur demande, examinée au cas
par cas.
Cette condition est considérée comme remplie dans le cas
d’opérations de reprises prononcées dans le cadre de plans
judiciaires de redressement ou de liquidation. C’est également
le cas pour les opérations de fonds d’investissement réalisant
des acquisitions dans un secteur où ils ne détenaient aucune
participation.
• Déroulement de la première phase d’examen
Le délai initial de cinq semaines prévu à l’article L. 430-5 du
Code de commerce débute à compter de la réception des
derniers éléments permettant de considérer le dossier de
notification complet. Deux étapes sont particulièrement
importantes pour les parties : l’examen de la complétude du
dossier, et la communication de la première analyse de la
DGCCRF, prenant notamment en compte le résultat de la
consultation des opérateurs sur les marchés concernés.
- Le contenu du dossier de notification est fixé par l’annexe I du
décret du 30 avril 2002. Il comprend une présentation de
l’opération, des parties notifiantes, des marchés concernés et
éventuellement affectés par l’opération, et une déclaration des
parties certifiant l’exactitude et l’exhaustivité des données
fournies. L’article L. 430-8 du Code de commerce sanctionne
l’inexactitude ou la carence d’informations.
Il est également demandé aux parties notifiantes de rédiger un
résumé non confidentiel de l'opération, de façon à permettre
une meilleure information des tiers sur le site Internet de la
DGCCRF. Afin de pouvoir procéder de façon efficace à des
tests de marché, il est par ailleurs demandé aux parties
notifiantes de fournir, le cas échéant, les adresses courriel des
concurrents, clients et fournisseurs.
Il convient de souligner que lorsque l’opération n’affecte aucun
marché, au sens du point 4 de l’annexe I du décret, le contenu
du dossier est proche de la « notification en forme simplifiée »
existant au plan communautaire. En revanche, dans le cas d’un
marché affecté, les informations à fournir sont plus détaillées.
Elles concernent notamment le fonctionnement des marchés en
cause.
Si des éléments cités à l’annexe I du décret sont manquants, la
DGCCRF indique aux parties notifiantes quels compléments
sont nécessaires. Ce n’est qu’à la date de réception des
derniers éléments permettant de considérer le dossier comme
complet que commence le délai de procédure.
- Les services de la DGCCRF sont chargés de l’instruction du
dossier. Au-delà de l’analyse des éléments en sa possession, la
DGCCRF se réserve également la possibilité d’interroger des
tiers à l’opération (concurrents, clients, fournisseurs, syndicats
professionnels, etc…) sur le fonctionnement des marchés, par
la voie de questionnaires ou éventuellement de réunions.
Cette enquête permet d’identifier d’éventuelles questions qui
n’auraient pas été évoquées par les parties notifiantes,
notamment sur la définition et/ou le fonctionnement des
marchés ; elle permet également de conforter l’analyse de
l’impact concurrentiel de l’opération.
Lorsque l’opération ne suscite clairement aucun doute, elle fait
l’objet d’une décision d’autorisation, éventuellement sous forme
simplifiée, lorsque l’opération conduit à une position minime des
opérateurs sur des marchés dont la définition ne suscite pas de
question particulière.
En revanche, lorsque l’instruction a révélé des risques d’atteinte
à la concurrence, une réunion est organisée avec les parties
entre deux et quatre semaines après le dépôt du dossier – cette
communication étant d’autant plus précoce que des discussions
seront intervenues préalablement à la notification, et que les
tiers interrogés auront pu faire part de leurs observations
rapidement. Les réponses au test de marché ne sont pas
communicables autrement que sous forme de synthèse, afin de
préserver la confidentialité des informations ainsi recueillies.
9
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
• La négociation d’engagements en fin de première
phase : extension des délais d’examen
Si l’enquête initiale conduit à identifier un risque d’atteinte à la
concurrence, l’article L. 430-5 permet aux parties de s’engager
à prendre des mesures visant à y remédier (par exemple,
l’engagement de revendre une partie de l’activité acquise).
Lorsque ces engagements sont déposés plus de deux
semaines après la réception du dossier complet, le délai
d’examen est prolongé de trois semaines après leur dépôt, afin
que leur capacité à remédier aux risques d’atteinte à la
concurrence, leur efficacité et leur caractère réalisable puissent
être correctement évalués, notamment, le cas échéant, par une
consultation d’opérateurs tiers. Il importe ainsi que les parties,
lorsqu’elles souhaitent entamer ce type de discussions, fassent
rapidement des propositions de mesures précises, claires et
suffisantes pour remédier aux risques d’atteinte à la
concurrence qui leur ont été exposés au cours de l’instruction.
2.4. La seconde phase
Aux termes de l’article L. 430-5 III, s’il estime que l’opération est
de nature à porter atteinte à la concurrence et que, le cas
échéant, les engagements proposés par les parties notifiantes
ne suffisent pas à y remédier, le ministre saisit le Conseil de la
concurrence. Celui-ci dispose de trois mois pour communiquer
au ministre son avis sur l’opération ; le ministre dispose ensuite
d’un délai de quatre semaines (éventuellement étendu jusqu’à
sept semaines au total, en cas de propositions d’engagements)
pour rendre sa décision sur l’opération.
• L’examen de l’opération par le Conseil de la concurrence
Avant l’expiration du délai de première phase, le ministre
adresse une lettre au président du Conseil de la concurrence lui
demandant un avis sur l’opération en cause et lui transmet les
5
informations recueillies au cours de la première phase . La
procédure devant le Conseil garantit un examen contradictoire
de l’opération, comprenant :
- la désignation de rapporteurs chargés d’instruire le dossier et
la communication aux parties notifiantes et au commissaire du
gouvernement, représentant du ministre, de leur rapport, sur
lequel ils peuvent faire valoir des observations,
- l’organisation par le Conseil de la concurrence d’une séance
lui permettant d’entendre l’analyse des rapporteurs et du
rapporteur général, celle du commissaire du gouvernement qui
représente le ministre, le cas échéant les observations des tiers
sur l’opération (en présence ou non des parties notifiantes) et
enfin le point de vue des parties.
En règle générale, les rapporteurs disposent d’environ un mois
et demi pour rendre leur rapport.
Les parties et le commissaire du gouvernement produisent leurs
observations écrites sous trois semaines, et une audience est
organisée par le Conseil de la concurrence environ huit à dix
jours plus tard.
L’avis du Conseil de la concurrence est communiqué au
ministre, qui en adresse copie aux parties notifiantes, au plus
tard trois mois après la date de la saisine.
• La préparation de la décision ministérielle
Sur la base des informations réunies au cours de l’ensemble de
l’instruction et de l’avis consultatif du Conseil de la concurrence,
le ministre informe dans un délai très bref les parties notifiantes
de son analyse de l’opération et des éventuels remèdes qu’il
juge nécessaires.
5
Au moment du test de marché, les services de la DGCCRF
informent les tiers intéressés qu’une éventuelle saisine du Conseil de
la concurrence induira la transmission au Conseil de l’ensemble du
dossier d’instruction, y compris les réponses aux questionnaires. Il
leur est également précisé que, dans l’hypothèse où ils ne
souhaiteraient pas voir transmises certaines des informations
(couvertes par le secret des affaires) contenues dans leur réponse au
Conseil de la concurrence, ils sont invités à le spécifier.
Si aucun engagement n’est déposé par les parties, cette phase
de finalisation de la décision dure quatre semaines à partir de la
date de communication de l’avis du Conseil de la concurrence.
Si des engagements sont proposés par les parties, cette
période est prolongée de trois semaines après la date de leur
dépôt, dans la limite maximale de sept semaines. Ces éventuels
engagements peuvent ainsi faire l’objet d’un examen
complémentaire, comme en fin de première phase.
Si le ministre estime que les mesures proposées par les parties
sont insuffisantes pour écarter tout risque d’atteinte à la
concurrence, il prépare, en liaison avec le ministre chargé du
secteur concerné, un arrêté interministériel d’autorisation
assortie d’injonctions de prendre toute mesure propre à assurer
une concurrence suffisante ou d’observer des prescriptions de
nature à apporter au progrès économique et social une
contribution suffisante pour compenser les atteintes à la
concurrence ; en cas d’impossibilité de définir des remèdes
appropriés, le ministre prépare un projet d’arrêté interministériel
interdisant l’opération. Le projet d’arrêté interministériel est
communiqué au préalable aux parties intéressées dans un délai
suffisant pour que celles-ci puissent faire valoir leurs
observations, dont les ministres évaluent la portée avant de
rendre une décision définitive.
2.5. La publicité des décisions
En ce qui concerne les procédures en cours, le Code de
commerce prévoit la publication systématique d’une brève
6
information sur les principales étapes de la procédure : dépôt
du dossier de notification (indiquant sommairement les parties
et le secteur concerné, et assorti d’une invitation aux tiers à
soumettre leurs éventuelles observations dans un délai
déterminé, de deux à trois semaines), sens de la décision prise
en fin de première phase, sens de la décision prise en fin
d’éventuelle seconde phase.
- La publication des décisions rendues par le ministre, ainsi que
des avis du Conseil de la concurrence, est désormais
systématique, après un délai permettant l’occultation des
informations couvertes par le secret des affaires. Cette
publication intervient dans l’édition électronique du Bulletin
officiel de la concurrence, de la consommation et de la
répression des fraudes. (« BOCCRF électronique ») .
2.6. Les voies de recours
Le Conseil d’État est compétent en premier et dernier ressort
pour connaître des recours dirigés contre les décisions du
ministre, en application de l’article R. 311-1 (9°) du Code de
justice administrative. Le délai de recours est, pour les parties
intéressées, de deux mois à compter de la date où la décision
leur est notifiée ; pour les tiers ayant intérêt à agir, ce délai
expire deux mois après la publication de la décision en cause
au Bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et de
la répression des fraudes.
3. L’ANALYSE CONCURRENTIELLE
(…) [Celle-ci] permet un examen pragmatique des effets
économiques d’une concentration sur le fonctionnement des
marchés en cause. La première étape consiste à identifier quels
produits ou services sont substituables à ceux qui composent
l’offre des parties à la fusion, et dans quel espace géographique
cette offre est homogène. Cette première démarche qui conduit
à définir les marchés pertinents pour l’analyse, permet de poser
un cadre pour l’analyse concurrentielle, dans lequel il sera
possible d’identifier les opérateurs actuels susceptibles d’animer
la concurrence sur ces marchés, leur poids respectif avant et
après l’opération, le degré de concentration du marché, et les
caractéristiques de l’offre et de la demande. Dans un second
temps, il s’agira d’analyser dans quelle mesure l’interaction
6
Cette publication intervient sur le site de la DGCCRF :
www.concentrations.minefi.gouv.fr, rubrique « opérations soumises
au contrôle national des concentrations ».
10
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
entre les différentes parties prenantes, y compris celles qui ne
sont pas actives sur les marchés pertinents mais y constituent
des concurrents potentiels, est capable de rééquilibrer le
renforcement du poids des parties.
3.1. La définition des marchés pertinents
La pratique décisionnelle permet de dresser une méthodologie
de définition des marchés, en identifiant les éléments
déterminants pour établir quels produits ou services
appartiennent au même marché, et dans quel espace
géographique ils sont disponibles à des conditions homogènes.
Cette méthodologie s’articule autour des éléments suivants :
un marché pertinent de produits comprend tous les produits
ou services que le consommateur considère comme
interchangeables ou substituables en raison de leurs
caractéristiques, de leur prix et de l’usage auquel ils sont
destinés.
des produits, sans être substituables au sens de la phrase
précédente, peuvent être regardés comme relevant d’un même
marché dès lors qu’ils requièrent la même technologie pour leur
fabrication et qu’ils font partie d’une gamme de produits de
nature à caractériser ce marché (substituabilité du côté de
l’offre).
un marché pertinent géographique est un territoire sur lequel
sont offerts et demandés des biens et des services, sur lequel
les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et
qui peut être distingué des zones géographiques voisines,
parce que, en particulier, les conditions de concurrence y
diffèrent de manière appréciable.
Les degrés de substituabilité des produits entre eux et le
caractère homogène des conditions d’offre, s’apprécient sur la
base d’un faisceau d’informations qualitatives et de données
quantitatives, et à partir de méthodes quantitatives lorsque les
données disponibles permettent leur formalisation. Le
raisonnement, comme le rappelle la Commission européenne
dans sa communication relative au marché en cause, cherche à
déterminer vers quels produits de substitution facilement
accessibles (et dans quel espace) se reporteraient les clients
des parties en cas d’augmentation réduite mais significative et
durable (de l’ordre de 5 à 10 %) des prix relatifs des produits
qu’ils acquièrent auprès des parties. « Si la substitution suffit, en
raison du recul des ventes qui en découleraient, à ôter tout
intérêt à une augmentation de prix, les produits de substitution
et les territoires supplémentaires sont intégrés dans le marché
pertinent, jusqu’à ce que l’ensemble de produit et la zone
géographique retenus soient tels qu’il devienne rentable de
procéder à des hausses légères mais permanentes des prix
relatifs ».
Il arrivera que les données disponibles ne permettent pas de
modéliser ce raisonnement, mais en tout état de cause celui-ci
sert de fil directeur à l’analyse.
Les indices mentionnés ci-dessus constituent une indication de
la méthodologie d’analyse et de définition des marchés
pertinents, chaque analyse étant bien entendu adaptée aux
circonstances de l’espèce.
Sur le fondement des différents éléments permettant de
délimiter le marché pertinent, dans sa dimension produit et sa
dimension géographique, il est possible d’identifier les
opérateurs actifs sur le marché et concurrents des parties à la
fusion (ainsi, le cas échéant, que des opérateurs qui ne sont
pas actifs sur le marché en lui-même, mais qui sont
susceptibles d’exercer une concurrence potentielle sur celui-ci,
si les barrières à l’entrée y sont faibles) ainsi que leur poids
respectif, au travers du calcul des parts de marché. L’impact de
la concentration examinée peut également être évalué au
travers de l’estimation de la part de marché de la nouvelle
entité, et du calcul de l’évolution de l’indice de concentration du
marché (indice de Hirschman-Herfindhal).
3.2. L’analyse concurrentielle
(…) Les opérations de concentration sont ainsi appréciées au
regard d’un test « d’atteinte à la concurrence ». Si celui-ci est
négatif, il peut être rééquilibré par des éléments de progrès
économique et social, pour autant que ceux-ci répondent à
certaines exigences précisées par la jurisprudence du Conseil
d’État (cf. infra paragraphe 4).
La caractérisation d’une atteinte à la concurrence repose sur un
faisceau d’indices convergents.
Si la première étape réside dans l’identification des
caractéristiques de l’entité fusionnée et du type d’effets de
l’opération sur le ou les marchés concernés, l’analyse est
dynamique et prend ensuite en compte l’existence de barrières
à l’entrée de nature à limiter la pression concurrentielle exercée
par des entrants potentiels, ou au contraire le caractère ouvert
du marché ; ainsi que les éléments internes au marché qui sont
de nature à équilibrer son fonctionnement (capacité de réponse
des concurrents en cas de renforcement de l’une des firmes
actives sur le marché ; puissance de la demande).
3.2.1. Typologie des atteintes à la concurrence
• L’analyse des effets horizontaux
Les effets non coordonnés
Les effets non coordonnés, ou effets « unilatéraux », englobent
l’ensemble des pertes de bien-être résultant d’une
concentration, consécutives aux mouvements de prix et de
quantités de la part des firmes agissant indépendamment de la
concurrence.
Une concentration entraîne une réduction de la concurrence, à
commencer par l’élimination de la concurrence entre les parties
à l’opération. Il est donc possible qu’à la suite de la
concentration, la nouvelle entité puisse juger profitable de
relever une partie ou l’ensemble de ses prix (ou de réduire le
volume ou la qualité de sa production) alors qu’avant la fusion,
un tel comportement aurait conduit à une réduction trop
importante des ventes au profit d’autres opérateurs. Il est
également possible que la réaction des autres opérateurs actifs
sur le marché, sans qu’elle soit coordonnée avec celle de la
nouvelle entité, conduise à déplacer l’équilibre qui s’établit alors
à un niveau de prix plus élevé ; le prix d’équilibre dépend en
effet de la configuration du marché, et notamment de son degré
de concentration. Tel sera notamment le cas si le relèvement
des prix de l’entité fusionnée accroît la demande pour les
produits offerts par les autres producteurs, qui pourront alors
augmenter leurs propres prix de façon profitable.
Le cas extrême des effets non coordonnés résultant d’une
concentration est celui où celle-ci conduit à la création ou au
renforcement d’une position dominante, la nouvelle entité étant
alors en mesure de fixer ses prix indépendamment de toute
pression concurrentielle résultant de la réaction des opérateurs
(concurrents actuels ou potentiels, clients et/ou fournisseurs). Il
conviendra de prendre en compte dans l’analyse la réaction des
autres entreprises participant au marché, ou, autrement dit, si le
relèvement des prix relatifs (ou la restriction des quantités
offertes) des entités parties à la fusion peut être profitable et s’il
est profitable pour les autres entreprises participantes au
marché de s’aligner, même partiellement, sur cette
augmentation, sans pour autant que les conditions d’une
coordination soient présentes.
Pour caractériser une atteinte à la concurrence résultant d’effets
unilatéraux, le cas échéant par création ou renforcement d’une
position dominante, les autorités de concurrence s’appuient sur
l’identification d’un ensemble de facteurs, ou « faisceau
d’indices », dont aucun n’est en général suffisant à lui seul mais
dont l’accumulation emporte la conviction. Ces facteurs sont,
notamment :
la part de marché des parties à la concentration, ainsi que
leur écart avec les positions de leurs concurrents, ces
estimations fournissant une première approche de leur éventuel
pouvoir de marché et du degré de concentration du marché ;
11
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
les caractéristiques des entités parties à la concentration, et
notamment leur rôle dans l’animation de la concurrence avant la
concentration ;
la proximité des offres des parties à la concentration, du point
de vue de la demande, et la possibilité pour les clients de
reporter leur demande sur une offre alternative ;
les possibilités pour les autres offreurs, actuels ou potentiels,
de répondre au report éventuel de la demande par une
modification ou un accroissement de leur offre ;
l’existence, ou non, d’une frange concurrentielle active sur le
marché susceptible de se développer après la concentration ;
l’éventuelle capacité de l’entité issue de la fusion à freiner
l’expansion de ses concurrents.
Les effets coordonnés : la collusion tacite
La structure de certains marchés peut être telle que les
opérateurs estiment possible, économiquement rationnel et
donc préférable d’adopter durablement une même ligne d’action
sur le marché, sans qu’il soit nécessaire de procéder à la
conclusion d’un accord explicite. Une concentration peut
contribuer à créer ou renforcer les incitations à ce type
d’équilibre de collusion tacite et augmenter la probabilité que les
entreprises soient en mesure de coordonner leur comportement
et d’augmenter leurs prix (ou de réduire les quantités produites,
ou la qualité de la production). Elle produit alors des effets
coordonnés.
Les autorités de concurrence, aussi bien françaises
qu’européennes, recherchent si la structure du marché présente
des caractéristiques favorables à l’émergence d’équilibres de
collusion tacite. Ensuite, il s’agit de déterminer si l’ensemble des
entreprises considérées sera en mesure de s'abstraire du
comportement de ses concurrents, actuels ou potentiels, et de
7
la puissance éventuelle de la demande. L’arrêt Airtours
identifie trois caractéristiques principales susceptibles de
conduire à l’émergence ou au renforcement d’effets coordonnés
à la suite d’une opération de concentration :
la connaissance par chaque membre de l’oligopole du
comportement des autres membres par un degré de
transparence du marché suffisant ;
une pérennisation de la coordination par une incitation à ne
pas s’écarter de la ligne de conduite commune compte tenu des
menaces de futures représailles ;
et enfin une absence de remise en cause efficace de la
coordination par des concurrents actuels et potentiels et par les
consommateurs.
La disparition d’un concurrent potentiel
Une concentration, bien que n’entraînant pas de
chevauchement sur un marché, peut avoir pour conséquence la
disparition d’un concurrent potentiel sur ce marché. Une
entreprise concernée pourrait notamment être considérée
comme un concurrent potentiel sur un marché donné si elle
possède, ou peut acquérir dans un laps de temps raisonnable,
les moyens nécessaires (techniques et commerciaux) pour
pénétrer assez rapidement le marché avec une envergure
suffisante. Cette probabilité est d’autant plus forte lorsque les
parties concernées sont présentes
sur des marchés
géographiques ou sur des marchés de produits distincts mais
proches. Dès lors que l’une des entreprises concernées serait
déjà significativement présente sur le marché concerné, il
convient d’examiner si l’opération ne conduit pas à la disparition
d’un concurrent potentiel, ce qui serait susceptible de porter
atteinte à la concurrence.
Une telle analyse suppose toutefois d’identifier si l’opérateur
peut réellement être qualifié de concurrent potentiel. D’autre
part, il est également nécessaire de considérer si une
concurrence potentielle restante permet d’écarter ce risque
7
d’atteinte à la concurrence. Ce raisonnement fera entrer en jeu
la caractérisation du degré de barrières s’opposant, le cas
échéant, à l’entrée d’autres opérateurs sur le marché.
La création ou le renforcement d’une puissance d’achat plaçant
les fournisseurs en situation de dépendance économique
L’augmentation de la puissance d’achat d’un opérateur à la
suite d’une concentration peut avoir un effet favorable pour les
consommateurs. Cependant, il importe également de vérifier
qu’à l’amont, la constitution de cette puissance d’achat ne place
pas les fournisseurs en situation de dépendance économique,
en fonction de la définition d’un « seuil de menace » lié à la part
que représente ce débouché dans l’ensemble des ventes des
fournisseurs. Cet éventuel effet est évalué au regard de ses
conséquences sur le fonctionnement du marché.
Analyse des effets congloméraux
Au delà des effets directs de nature horizontale ou verticale,
une concentration peut produire des effets susceptibles de
porter atteinte à la concurrence, comme l’effet de gamme ou
l’effet de portefeuille. En règle générale les effets congloméraux
peuvent être positifs, puisque les opérations permettent aux
entreprises de réaliser des synergies, ce qui peut profiter aux
consommateurs. Cependant les conséquences peuvent
également devenir négatives dans le cas où une entreprise
pourrait par ce biais évincer ses concurrents, constituant ainsi
une atteinte à la concurrence.
Les effets de gamme reposent sur l’addition de différents
produits (ou types de produits) dans une même offre, les effets
de portefeuille reposant sur l’addition de plusieurs marques.
Ces effets peuvent reposer notamment sur la structure des
coûts de production ou sur les conditions commerciales
appliquées, et concerner des produits appartenant à divers
marchés pertinents.
Pour qu’il y ait un risque d’atteinte à la concurrence par mise en
oeuvre d’un effet de gamme ou de portefeuille, il est nécessaire
que la détention d’une gamme de produits ou de plusieurs
marques puisse constituer un avantage décisif. Ainsi, il faut :
que l’entreprise ait une forte position sur au moins un des
marchés (a fortiori en cas de position dominante), à partir
duquel elle pourra faire jouer un effet de levier,
que les concurrents ne soient pas en mesure de proposer
une gamme aussi complète de produits, ou ne disposent pas du
même éventail de marques,
et que la détention d’une gamme de produits ou de plusieurs
marques soit un argument de vente déterminant pour les
clients.
Analyse des effets verticaux
Une concentration peut emporter des effets verticaux lorsqu’elle
réunit dans une même
entreprise des activités situées à des stades différents d’un
même produit ou d’un même service (par exemple l’achat, par
un fabricant, d’un réseau de distribution de son produit). En
règle générale, ces opérations conduisent à des gains
d’efficacité, en permettant notamment la suppression d’un
niveau de marge.
L’intégration verticale peut cependant poser des problèmes si
elle prive les concurrents de leurs matières premières ou de
leurs inputs ou si elle les rend dépendants, pour leur
approvisionnement, des parties à la concentration. Inversement,
la même dépendance peut se produire pour la
commercialisation ou la distribution. Enfin, si les parts de
marché, en amont ou en aval, des parties à l’opération sont
élevées, il peut même se produire des phénomènes de
fermeture de marché (« forclusion ») : notamment, si l’une des
parties est un intervenant majeur sur un marché intermédiaire,
la concentration peut, en modifiant ses incitations, l’amener à se
retirer de ce marché et à favoriser des transactions internes, ce
qui peut faire disparaître le marché lui-même.
TPICE, 6 juin 2002, Airtours / Commission.
12
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
Risque de coordination des comportements des sociétés mères
(création d’une entreprise commune)
Parmi les risques d’atteinte à la concurrence, il en est un qu’il
convient d’analyser spécifiquement lorsque la concentration
consiste en la création d’une entreprise commune de plein
exercice : celui de la coordination des comportements
concurrentiels des sociétés-mères.
8
Le ministre a été amené dans une affaire récente à préciser
ses conditions d’examen.
L’appréhension de ce risque varie selon que l’entreprise
commune et ses sociétés-mères sont simultanément actives ou
non sur un même marché ou sur des marchés voisins.
3.2.2. La prise en compte des effets compensateurs de la
puissance de marché
Afin d’apprécier si le renforcement du poids d’une entreprise
résultant d’une concentration est de nature à lui permettre
d’acquérir un pouvoir de marché, il convient d’analyser le degré
de pression concurrentielle existant à l’intérieur du ou des
marchés considérés ainsi que son caractère ouvert ou fermé à
l’entrée d’autres opérateurs.
Le poids de l’entité issue de la concentration doit être mis en
regard avec les facteurs structurants du fonctionnement du
marché, c’est-à-dire la pression concurrentielle exercée par les
concurrents des parties ainsi que leurs clients et/ou leurs
fournisseurs selon les cas :
l’analyse de la pression concurrentielle exercée par les
concurrents prend en compte leur poids et leur écart avec
l’entité fusionnée, la qualité de leur offre (l’étendue de leur
gamme de produits ou de leur portefeuille de marques), leur
capacité à réorienter leur offre actuelle pour concurrencer
directement les produits offerts par les parties (par l’existence
de capacités excédentaires de production ou l’analyse des
investissements nécessaires) et leur incitation à exercer une
pression concurrentielle active sur les parties.
l’analyse de la demande est également une composante
essentielle. La capacité de négociation des clients des parties,
leur capacité à changer de fournisseurs et leur puissance
d’achat peuvent, en effet, être de nature à exercer une
discipline empêchant l’acquisition d’un pouvoir de marché. Tel
pourra être le cas lorsque la demande est elle-même
concentrée.
3.2.3. Les barrières à l’entrée sur les marchés
L’analyse des barrières à l’entrée est une étape essentielle de
l’analyse concurrentielle, puisqu’elle permet de relativiser le
poids des opérateurs qui y sont actifs au regard de la possibilité
que de nouveaux offreurs puissent y entrer. De façon générale,
plus les barrières à l’entrée sont élevées (ou relevées par la
concentration elle-même), plus la probabilité est importante
qu’une concentration aboutisse à une atteinte à la concurrence.
En revanche, dès lors qu’il existe des concurrents potentiels
crédibles dont l’entrée n’est pas limitée par d’éventuelles
barrières, le maintien d’une concurrence effective peut être
garanti. En ce sens, les barrières à l’entrée (qui peuvent être
réglementaires, techniques, liées à la notoriété des marques…)
peuvent ne pas gêner touts les entrants potentiels de la même
façon ou avec la même intensité. Elles doivent également être
appréciées au regard des espérances de profit du marché.
3.2.4. Analyse des marchés double-faces
Pour les besoins de l’analyse concurrentielle, il peut arriver
(même si ces cas sont rares) qu’il soit nécessaire de tenir
compte du caractère « double-faces » des marchés. Ces
marchés se singularisent par l’interdépendance des demandes
8
C 2006-45 Caisse Nationale des Caisses d’Épargne/ Banque
Fédérale des Banques Populaires/ Natlxis décision du 10 août 2006,
publication au BOCCRF électronique n°7 bis du 15 se ptembre 2006.
9
Conseil d’État, 9 avril 1999, société The Coca Cola Company et 6
octobre 2000, société Pernod Ricard.
sur plusieurs marchés, liés par des « externalités croisées ». Le
ministre a eu l’occasion d’examiner des opérations de
concentration sur de tels marchés, notamment dans le secteur
des médias ainsi que dans celui des moyens de paiement. Il
s’agissait à chaque fois d’une analyse spécifique au cas
d’espèce.
Elle ne peut en soi être généralisée, et analysait
l’interdépendance des marchés en cause dans ces cas.
3.2.5. L’exception de l’entreprise défaillante
Le principe de « l’exception de l’entreprise défaillante » permet
aux autorités de concurrence françaises de ne pas considérer
une concentration comme la cause d’une atteinte à la
concurrence dès lors que la cible était de toute façon sur le
point de disparaître.
Cette démarche a été validée en droit français par la décision
du Conseil d’État du 6 février 2004 relative à l’affaire Seb/
Moulinex : « (…) s’agissant de la reprise, par un concurrent,
d'une société en difficulté, [le ministre] doit autoriser l'opération
sans l'assortir de prescriptions lorsqu'il apparaît au terme de ce
bilan que les effets de cette opération sur la concurrence ne
seraient pas plus défavorables que ceux qui résulteraient de la
disparition de l'entreprise en difficulté (…). » Sur ce fondement,
le Conseil d’État a énoncé trois conditions cumulatives
permettant d’appliquer l’exception de l’entreprise défaillante :
l’entreprise acquise disparaîtrait rapidement si elle n’était pas
reprise ;
il n’y pas d’alternative d’achat moins dommageable pour la
concurrence, portant sur la totalité ou une partie substantielle de
l’entreprise acquise ;
la disparition de l’entreprise acquise ne serait pas moins
dommageable pour les consommateurs que la reprise projetée.
3.3. La prise en compte des gains d’efficacité et de la
contribution au progrès économique et social
(…) Il convient tout d’abord de souligner que l’activité des
autorités françaises de concurrence en matière de contrôle des
concentrations est essentiellement centrée sur le bilan
concurrentiel des opérations soumises à leur examen au regard
du surplus du consommateur. En effet, la plupart du temps, soit
le bilan concurrentiel est positif, soit les risques pour la
concurrence peuvent être levés par des engagements ou
conditions, soit l’atteinte à la concurrence est telle qu’elle ne
peut guère être compensée.
Cependant, il incombe aux parties qui le souhaitent de
développer leurs arguments sur les gains d’efficacité résultant
de l’opération qui seraient susceptibles de contrebalancer les
effets potentiellement négatifs de l’opération sur la concurrence.
S’il apparaît que l’opération porte atteinte à la concurrence et
dans le cadre d’une saisine du Conseil de la concurrence, elles
peuvent également invoquer des arguments liés aux éléments
de progrès économique et social résultant de cette opération et
susceptibles de compenser le bilan concurrentiel négatif.
La pratique décisionnelle et les deux décisions du Conseil d’État
9
rendues dans les affaires Coca Cola/ Orangina permettent
ainsi de dégager les critères suivants :
les éléments de gains d’efficacité ou de progrès économique
et social doivent être quantifiables et vérifiables ;
ces éléments doivent être spécifiques à la concentration et ne
pourraient être atteints par d’autres moyens ;
une part des gains doit être transférée à la collectivité dans
son ensemble, et notamment aux consommateurs, ce qui exclut
les avantages qui ne bénéficieront qu’aux seules entreprises
parties à la fusion.
Les conditions de prise en compte d’un bilan social favorable,
au stade de la décision rendue par le ministre après avis du
Conseil de la concurrence, répondent aux mêmes critères.
Compte tenu des difficultés à évaluer précisément ces gains et
leur effet suffisant pour contrebalancer les coûts résultant d’une
atteinte à la concurrence, le bilan social peut constituer un
13
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
élément additionnel venant compléter une réponse de nature
concurrentielle, et le ministre accueille favorablement toute
demande des entreprises notifiantes de considérer les
arguments qu’elles souhaitent faire valoir sur ce point. Compte
tenu de la complexité de ce type d’analyse, il est important que
les parties abordent ces questions aussi tôt que possible dans
la procédure, ne serait-ce que pour identifier les informations
qui devraient être complétées pour permettre une analyse
complète.
3.4. Les remèdes aux atteintes à la concurrence
Afin de résoudre les problèmes de concurrence dégagés lors de
la première ou la seconde phase de l’analyse par le ministre
chargé de l’économie, les parties ont la possibilité de déposer
des engagements, au titre des articles L. 430-5 et L. 430-7 du
Code de commerce. En outre, en fin de seconde phase
d’examen et après l’avis du Conseil de la concurrence, le
ministre de l’économie et le ministre chargé du secteur
concerné peuvent adopter, par arrêté, des injonctions dont
l’objet est d’assurer une concurrence suffisante sur les marchés
concernés, ou des prescriptions, qui doivent être de nature à
apporter au progrès économique et social une contribution
suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence.
L’objectif des engagements et des injonctions est de réduire le
pouvoir de marché des parties à la concentration et de rétablir
les conditions d’une concurrence suffisante, dans l’hypothèse
où le bilan concurrentiel de l’opération serait négatif et ne
pourrait pas être compensé par une contribution suffisante au
progrès économique et social.
Les remèdes doivent être proportionnés aux risques posés par
l’opération et limités à ce qui est strictement nécessaire pour
maintenir ou rétablir une concurrence suffisante. Ils peuvent
être de nature structurelle (cession d’actifs corporels ou
incorporels) et/ou, le cas échéant, comportementale (garantie
d’accès à un réseau ou à des brevets ou licences, limites aux
circulations d’information).
Les autorités de concurrence assurent un suivi étroit de la mise
en oeuvre des remèdes, qui conditionnent la validité de
l’autorisation. En cas de cessions, l’identité du repreneur est
soumise à l’agrément du ministre, qui vérifie son indépendance
à l’égard des parties, la viabilité de son projet économique et
commercial, et l’absence de création de nouvelles atteintes à la
concurrence résultant de son projet de reprise. Dans le cadre
de remèdes comportementaux, la désignation d’un mandataire
chargé de surveiller la mise en oeuvre et d’en rendre compte au
ministre est fréquente.
En application des dispositions du IV de l’article L. 430-8 du
Code de commerce, le ministre chargé de l’économie, s’il
estime que les parties n’ont pas exécuté les remèdes dans les
délais fixés, peut saisir pour avis le Conseil de la concurrence
sur la mise en oeuvre des remèdes. Si le Conseil constate que
ceux-ci n’ont pas été pleinement exécutés, le ministre peut
retirer la décision ayant autorisé la réalisation de l’opération ou
enjoindre sous astreinte les entreprises d’exécuter dans un
délai défini les injonctions, prescriptions ou engagements. En
outre, le ministre peut infliger à ces entreprises une sanction
pécuniaire.
3.5. L’interdiction des opérations de concentrations
Lorsqu’il n’est pas possible de définir des remèdes susceptibles
de rétablir une concurrence effective sur les marchés affectés,
le ministre de l’économie et, le cas échéant, le ministre en
charge du secteur économique concerné, interdisent l’opération.
Si l’opération, par exemple en raison d’une dérogation au
caractère suspensif de la notification, a déjà été réalisée, ils
enjoignent le retour à la situation de droit antérieur, ou imposent
une revente des actifs en cause
.
4- Statistiques
Tableau statistique DG COMP actualisé sur l’application du règlement 139/2004 entre le 21 septembre 1990 et le 31 mai
2008
14
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
5. Bibliographie générale
G. AMATO, C. EHLERMANN, A. KOMNINOS (coedit.), EC Competition Law : a critical assessment, Hart Publishing, 2007,
836 p.
D. BRAULT, Politique et pratique du droit de la concurrence en France, L.G.D.J, 2004, 775 p.
F. BRUNET, I. GIRGENSON (2002) : Le nouveau régime de contrôle des concentrations : Les ambivalences d’une
« révolution antitrust » à la française, JCP, Éd. Entreprises, 1638 p.
C. COOK, C. KERSE, EEC Merger Control, Londres, Sweet & Maxwell, 2005, 631 p.
J-M. COT, J-P DE LA LAURENCIE, Le contrôle français des concentrations, LGDJ, 2003, 577 p.
A. et G. DECOCQ, Droit de la concurrence interne et communautaire, LGDJ, 2004, 608 p.
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H. KAZZI, Le contrôle des pratiques anticoncurrentielles et des concentrations entre entreprises dans une économie
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M. MALAURIE-VIGNAL, Droit de la concurrence interne et communautaire, Sirey, 2008, 349 p.
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A. MOURRE (dir.), Le nouveau droit communautaire de la concurrence : les droits de la défense face aux pouvoirs de la
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A. PUTTEMANS (coord.), Aspects récents du droit de la concurrence, Bruylant, 2005, 214 p.
F. SOUTY, Le droit de la concurrence de l’Union européenne, Montchrestien, 2003, 160 p.
L. VOGEL, Droit français de la concurrence, LawLex, 2006, 858 p.
A. WINCKLER, F. BRUNET, La pratique communautaire du contrôle des concentrations : analyses juridique, économique et
comparative : Europe, Etats-Unis, Japon, 1998, De Boeck Université, 649 p.
Ententes, abus de position dominante, concentrations économiques : droit communautaire, droit français, Éd. Francis
Lefebvre, 2004, 635 p.
« Le contrat, mode d’action publique et de production de normes », Rapport public 2008 du Conseil d’Etat, 397 p.
15
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
16
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
III.
Les débats : acteurs, enjeux et perspectives
L’ouverture du colloque
par Jean-Marc SAUVÉ
et Neelie KROES
Jean-Marc SAUVÉ
Jean-Marc Sauvé
Vice-président du Conseil d’Etat
Diplômé de l’Institut d’études politiques (IEP) et ancien élève de l’ENA, Jean-Marc Sauvé entre
comme auditeur au Conseil d’Etat en 1977. Il est conseiller technique dans les cabinets de Maurice
Faure et de Robert Badinter, ministres de la justice, de 1981 à 1983. Il occupe les postes de directeur
de l’administration générale et de l’équipement au ministère de la justice de 1983 à 1988, puis de
directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’intérieur de 1988 à 1994,
date à laquelle il devient préfet de l’Aisne.
Nommé maître des requêtes au Conseil d’Etat en 1983, il devient conseiller d’Etat et secrétaire
général du Gouvernement en 1995.
Depuis le 3 octobre 2006, il est le vice-président du Conseil d’Etat.
Neelie Kroes
Commissaire européenne chargée de la concurrence
Neelie Kroes est une femme politique et chef d’entreprise néerlandaise. Elue à la chambre basse du
Parlement hollandais en 1971, elle y a assumé les fonctions de porte-parole sur les questions
d’éducation. Députée jusqu’en 1977, elle est ensuite nommée ministre déléguée aux transports et à
la gestion de l’eau au sein du premier cabinet Van Agt, plus spécialement chargée des services
postaux, de téléphonie ainsi que des transports. Elle a brièvement retrouvé sa place au Parlement en
1981, quand son parti VVD était dans l’opposition. Elle redevint ministre des transports dès 1982, au
sein des premier et deuxième cabinets Lubbers, responsable notamment de la privatisation des
services postaux et téléphoniques, ainsi que de l’évaluation du Betuwerailway.
Par la suite, Mme Kroes a fait partie de la chambre de commerce de Rotterdam, et a intégré le
conseil d’administration de Ballast Nedam (compagnie de transports maritimes), ABP-PGGM (fonds
de pension), NIB (banque d’affaire), McDonald’s Hollande, Nedlloyd, et Nederlandse Spoorwegen (la
compagnie ferroviaire néerlandaise privatisée).
Elle est devenue en 1991 présidente de l’Université Nyenrode (école de commerce privée), avant
d’être nommée Commissaire européenne en 2004.
17
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
18
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
PRÉSENTATION DES TABLES RONDES
1/ TABLE RONDE N° 1 :
Quelle utilité et quelle efficacité
économique du contrôle des
concentrations ?
1/ Introduction du thème de la table ronde
L’objet de la table ronde, qui ouvre le colloque, est de faire le point sur l’utilité, les objectifs et les résultats économiques du
contrôle des concentrations, ceci afin d’éclairer le débat juridique qui suivra.
La table ronde aura pour objet de débattre notamment sur :
La politique de contrôle de concentration, politique de concurrence ou politique industrielle ?
En tant que politique de concurrence, quel outil d’évaluation de concurrence privilégier : test d’intensité concurrentielle ou
test de dominance ? Quelles conséquences en résultent sur les remèdes et le suivi ?
Quels sont les outils et les données disponibles pour mesurer les bénéfices et les inconvénients des concentrations ?
2/ Présentation des intervenants
Présidence :
Anne PERROT
Vice-présidente du Conseil de la concurrence
Anne Perrot est vice-présidente du Conseil de la concurrence depuis octobre 2004 et Présidente
de l’Association of Competition Economics. Elle a été membre de l’Economic Advisory Group for
Competition Policy placé auprès du chef économiste de la DG Concurrence à la Commission
européenne de 2002 à 2005.
Elle était jusque là professeur à l’Université de Paris I - Panthéon-Sorbonne et à l’ENSAE.
Docteur en mathématiques et en économie, elle a successivement été assistante puis maître de
conférence à l’Université de Paris I - Panthéon-Sorbonne. Après le concours d’agrégation (1988)
elle a été professeur à l’université du Maine. Nommée professeur à Paris I en 1991, elle a dirigé de
1997 à 2004 le Laboratoire d’Economie Industrielle du CREST, centre de recherche associé au
CNRS et à l’INSEE.
De 1992 à 1995 elle a été conseiller scientifique à l’Observatoire économique et statistique des
transports, en 1995-1996 membre de la Commission d’experts dite « groupe Champsaur » sur la
libéralisation des télécommunications, et de 2000 à 2002 membre du groupe d’économistes
conseil de la Commission de Régulation de l’Energie.
Ses domaines de recherche incluent l’économie industrielle, l’économie de la régulation, et
l’économie des réseaux et des services publics. Elle a publié dans des revues françaises et
internationales et a été l’éditeur de l’ouvrage collectif Réglementation et Concurrence (Economica,
1995)
Sa thèse a reçu les prix de l’Association Française de Sciences Economiques et de la Chancellerie
des Universités.
Intervenants :
Antonio CAPOBIANCO
Expert en droit de la concurrence auprès de l’OCDE
ème
Diplômé en droit de l’université LUISS-Guido Carli de Rome, et détenteur de diplômes de 3
cycle de la New York university School of Law (LLM en droit commercial et droit de la concurrence)
et de l’Institut d’Etudes Européennes de l’Université libre de Bruxelles (licence spéciale en droit
européen), Antonio Capobianco est expert en politique de la concurrence à la division concurrence
de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Il y est responsable du
groupe de travail n° 3 du comité concurrence sur la coopération internationale et l’application du
droit de la concurrence. Avant d’intégrer l’OCDE, il était conseiller au département concurrence de
WilmerHale LLP à Bruxelles. Il a également passé deux ans au sein de l’autorité italienne de
concurrence.
En tant que conseil privé, M. Capobianco a été impliqué dans nombre de concentrations
d’envergure, par exemple celles associant AOL et Time Warner, Tetra Laval et Sidel, Oracle et
PeopleSoft, Linde et BOC. Il a également défendu beaucoup d’entreprises aux prises avec des
autorités de concurrence, européennes ou autres.
Il est l’auteur de plusieurs articles sur des questions de concurrence, publiés dans des revues
juridique de niveau international spécialisées en droit de la concurrence, notamment la Common
Market Law Review, la European Law Review et la European Intellectual Property Review.
19
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
Jorge PADILLA
Economiste, directeur de projet chez LECG
Jorge Padilla est directeur du département « politique de concurrence communautaire » chez
LECG. Docteur en économie de l’Université d’Oxford, il enseigne au Centre for Economic Policy
Research à Londres et au Centro de Estudios Monetarios y Financieros. De plus, il est ou a été
membre du comité éditorial des revues Competition Policy International, the Review of Economic
Studies, the Spanish Economic Review and Investigaciones Económicas.
Jorge Padilla conseille régulièrement des entreprises sur des questions de concurrence et de
propriété intellectuelle, et a témoigné en tant qu’expert devant de nombreuses autorités de
concurrence nationale (notamment française, allemande, anglaise, italienne ou espagnole) comme
devant la Commission européenne. Il a également soumis ses conclusions écrites au Tribunal de
première instance des Communautés européennes et au Competition Appeals Tribunal anglais,
notamment sur des questions liées aux concentrations.
Jorge Padilla a écrit de nombreux articles sur la politique de concurrence dans des revues comme
European Competition Law Review, the European Economic Review, Competition Law and
Economics ou World Competition.
Didier THEOPHILE
Avocat à la Cour (Darrois et associés)
Didier Théophile est associé au sein du cabinet Darrois Villey Maillot Brochier. Il a fondé et dirige
l’équipe Concurrence et Antitrust du cabinet.
Sa pratique couvre tous les aspects du droit de la concurrence aux niveaux européen et national,
contrôle des concentrations, pratiques anticoncurrentielles et aides d’Etat.
Didier Théophile possède une vaste expérience dans le domaine des transactions transfrontalières
antitrust. Il intervient régulièrement dans des concentrations complexes qui nécessitent la
négociation d’engagements avec les autorités en charge du contrôle. Il est particulièrement
reconnu pour sa compétence dans les secteurs régulés, tels que les media et télécom, l’industrie
bancaire et les services postaux.
1-3/ Documentation : textes, jurisprudence et doctrine
Communications et décisions de la Commission européenne
Communications Sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO C 372 du 9
décembre 1997)
Code euro-américain de bonnes pratiques en matière de concentrations, 30 octobre 2002
Lignes directrices sur l’appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement 139/2004, JO
2004 C 31/5
Communication juridictionnelle consolidée en vertu du règlement n°139/2004 du Conseil relatif au cont rôle
des opérations de concentration entre entreprises, juillet 2007
Lignes directrices sur les concentrations non horizontales (verticales et conglomérales), 28 novembre 2007
Décisions IBM France/CGI, 19 mai 1993 [IV/M.336]
Newspaper Publishing, 14 mars 1994 [IV/M.423]
Sun Alliance/Royal Insurance, 18 juin 1996 [IV/M.759]
GE/Honeywell, 3 juillet 2001 [IV/M.2220]
Ryanair/Aer Lingus, 27 juin 2007 [aff. COMP/M.4439]
Législation française
Article L. 430-1 Modifié par Loi n°2001-420 du 15 mai 2001 - art. 86 JORF 16 mai 2001
du Code de I. - Une opération de concentration est réalisée :
commerce
1° Lorsque deux ou plusieurs entreprises antérieure ment indépendantes fusionnent ;
2° Lorsqu'une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins ou lorsqu'une ou
plusieurs entreprises acquièrent, directement ou indirectement, que ce soit par prise de participation au capital ou
achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l'ensemble ou de parties d'une ou plusieurs
autres entreprises.
II. - La création d'une entreprise commune accomplissant de manière durable toutes les fonctions d'une entité
économique autonome constitue une concentration au sens du présent article.
III. - Aux fins de l'application du présent titre, le contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens qui
confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d'exercer
une influence déterminante sur l'activité d'une entreprise, et notamment :
20
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
- des droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d'une entreprise ;
- des droits ou des contrats qui confèrent une influence déterminante sur la composition, les délibérations ou les
décisions des organes d'une entreprise.
Article L. 430-2 Modifié par Ordonnance n°2004-274 du 25 mars 2004 - art. 25 JORF 27 mars 2004
du Code de Est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du présent titre toute opération de concentration,
commerce au sens de l'article L. 430-1, lorsque sont réunies les trois conditions suivantes :
-extraits
- le chiffre d'affaires total mondial hors taxes de l'ensemble des entreprises ou groupes des personnes physiques
ou morales parties à la concentration est supérieur à 150 millions d'euros ;
- le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé en France par deux au moins des entreprises ou groupes des
personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 50 millions d'euros ;
- l'opération n'entre pas dans le champ d'application du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil du 21 déc embre
1989 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises.
Toutefois, une opération de concentration entrant dans le champ du règlement précité qui a fait l'objet d'un renvoi
total ou partiel à l'autorité nationale est soumise, dans la limite de ce renvoi, aux dispositions du présent titre. (…)
Article L. 430-8
du Code de
commerce
extraits
Créé par Loi n°2001-420 du 15 mai 2001 - art. 92 () JORF 16 mai 2001
I. - Si une opération de concentration a été réalisée sans être notifiée, le ministre chargé de l'économie peut
infliger aux personnes auxquelles incombait la charge de la notification une sanction pécuniaire dont le montant
maximum s'élève, pour les personnes morales, à 5 % de leur chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France lors
du dernier exercice clos, augmenté, le cas échéant, de celui qu'a réalisé en France durant la même période la
partie acquise, et, pour les personnes physiques, à 1,5 million d'euros. (…)
Jurisprudence du Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes ; avis du
Conseil de la concurrence ; jurisprudence du Conseil d’Etat
Jurisprudence du TPICE
Honeywell International et
General Electric c/
Commission
14 décembre 2005,
aff. T-209/01 et T-210/01
Confirmation critique de l’interdiction de la Commission, en contradiction avec l’autorisation
pourtant accordée par les autorités américaines (Cf p. 23)
Par sa décision du 3 juillet 2001, la Commission européenne avait déclaré incompatible avec le
marché commun l'acquisition de la totalité du capital de Honeywell par General Electric (GE). Dans
sa décision, elle avait relevé la création ou le renforcement des positions dominantes de GE selon
trois logiques : le chevauchement horizontal des activités des deux opérateurs sur trois marchés
(marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille, marché des réacteurs pour avions
d'affaires et marché des petites turbines à gaz marines) ; des effets verticaux sur le marché des
réacteurs pour avions commerciaux de grande capacité ; des effets de conglomérat notamment sur
les marchés des produits avioniques et non avioniques.
Les deux parties à l'opération ont attaqué la décision d'interdiction devant le TPICE qui, plus de
quatre ans après l'introduction des recours, n'a validé qu'en partie le raisonnement de la Commission
dans la décision attaquée. Même s'il a rejeté les arguments des parties sur l'analyse des effets
horizontaux de l'opération, il a relevé l'existence d'erreurs manifestes d'appréciation concernant tant
les effets verticaux de la transaction que les effets de conglomérat.
Malgré les erreurs manifestes d'appréciation commises par la Commission au regard des effets
verticaux et congloméraux de la concentration, le Tribunal n'a pas annulé la décision de la
Commission, au motif que ses constatations relatives aux effets horizontaux suffisaient à elles seules
à interdire l'opération.
Avis du Conseil de la concurrence
Prise de contrôle conjoint
de la Société Delaroche
par la Société l’Est
Républicain et la Banque
Fédérative du Crédit
Mutuel
2 août 2007
Av. n° 07-A-09
Sur la notion de contrôle conjoint
Une première décision du ministre de l’Economie et des finances en date du 17 mai 2006 avait
autorisé la prise de contrôle de L’Est Républicain par la société EBRA. Cette décision a été annulée
par le Conseil d’État statuant au contentieux le 31 janvier 2007, où celui-ci a considéré que la société
EBRA faisait l’objet d’un contrôle conjoint de L’Est Républicain et de la BFCM. Conformément à
l’article 10 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d’application du livre IV du
Code de commerce, la BFCM et L’Est Républicain ont donc renotifié au ministre la prise de contrôle
conjoint d’EBRA.
Le Conseil s'est prononcé dans cet avis sur les affirmations du groupe Hersant Media, selon
lesquelles l’opération n’était qu’une première étape de l’intégration des activités médias du groupe
Est Républicain et de la BFCM. Il a constaté que si les éléments au dossier faisaient état de futurs
projets de rapprochement, ceux ci n’étaient pas concrétisés et a conclu, comme le Conseil d’Etat, à
l’existence d’un contrôle conjoint de l’Est Républicain et de la BFCM sur EBRA et donc sur la société
Delaroche, société cible gérant un pôle presse en Bourgogne et Rhône-Alpes (Le Progrès, le
Dauphiné Libéré, …) et cédé par la Socpresse.
21
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
Rapprochement des
activités de la CCIP et de
la Société Unibail Holding
SA
26 septembre 2007
Av. n° 07-A-10
Définition du marché pertinent
L’organisation de congrès ou foires et salons nécessite la mise en œuvre de deux principaux types
de prestations qu’il faut potentiellement distinguer : en amont, la gestion des sites, et en aval,
l’organisation des manifestions proprement dite. Au total, le Conseil a considéré que les principaux
marchés suivants étaient pertinents pour l’analyse des effets concurrentiels de l’opération : le marché
de la gestion de sites susceptibles d’accueillir des congrès, de dimension au moins nationale ; le
marché de la gestion de sites susceptibles d’accueillir des foires et salons grand public, de dimension
essentiellement locale ou nationale ; le marché de la gestion de sites susceptibles d’accueillir des
salons professionnels, de dimension essentiellement nationale ; le marché de l’organisation de
congrès de dimension au moins nationale
Analyse des effets
Effets horizontaux
Sur le marché de la gestion de sites susceptibles d’accueillir des congrès, de dimension au moins
nationale, le Conseil a constaté que, si l’opération conférait à la nouvelle entité une position de
leader, l’offre des concurrents restait suffisamment large et diversifiée, au niveau national pour les
« petits et moyens congrès » et aussi du fait de l’offre de centres de congrès étrangers pour les
« grands congrès ». En revanche, sur les marchés de la gestion de sites susceptibles d’accueillir des
foires et salons grand public et de la gestion de sites susceptibles d’accueillir des salons
professionnels, l’opération conduisait à la création d’un quasi-monopole. De plus, l’opération conférait
une position de leader aux parties sur le marché de l’organisation de foires et salons professionnels
et grand public. Toutefois, sur un marché structuré autour d’acteurs adossés à de grands groupes
spécialisés, sur lequel la pression concurrentielle de nouveaux entrants est un vecteur de
dynamisation, il n’apparaissait pas que l’opération puisse présenter de risques substantiels pour la
concurrence.
Effets verticaux
En conférant aux parties un monopole sur le marché de la gestion de sites en région parisienne
(amont) et une situation de leader sur le marché de l’organisation de foires et salons (aval),
l’opération était de nature à leur permettre de se servir de leur position en amont pour conforter leur
position en aval. L’analyse du Conseil a montré que les risques de discrimination par le gestionnaire
de sites entre les différents organisateurs de foires et salons, parmi lesquels ses filiales, étaient
sérieux et crédibles de même que les risques de monopolisation du marché des prestations annexes
à la gestion des sites (parking, nettoyage, restauration, etc…)
Jurisprudence du Conseil d’Etat
Société Royal Philips
Electronic et autres,
et Société de Longhi SPA
et Société de Longhi
France, Sect. 6 février 2004
et 13 février 2006,
req. n° 249267 et 278796
Validation conditionnelle du principe de l’ « exception de l’entreprise défaillante » pour
autoriser une concentration (Cf p. 13) et validation du principe d’une analyse dynamique des
marchés en cause (Cf p. 75)
Le Conseil d'État a rejeté le recours en annulation introduit par les sociétés De Longhi SPA et De
Longhi France contre la décision du ministre de l'Économie du 16 août 2004 autorisant la reprise
partielle de la société Moulinex par la société SEB.
Une précédente décision d'autorisation du ministre de l'Économie avait été annulée le 6 février 2004
par le Conseil d'État. Après avoir recueilli une deuxième fois l'avis du Conseil de la concurrence, le
ministre rendait sa nouvelle décision le 16 août suivant.
Les sociétés De Longhi invoquaient en premier lieu la méconnaissance de l'autorité de la chose jugée
par l'arrêt du Conseil d'État du 6 février 2004. Le Conseil d'État avait alors reproché au ministre
d'avoir autorisé l'opération au titre de l'exception de l'entreprise défaillante sans avoir établi l'absence
d'alternative de reprise présentant des effets anticoncurrentiels moindres.
Le Conseil d'État a rejeté cet argument en soulignant que les motifs soutenant sa première décision
n'avaient pas jugé que l'opération était susceptible de porter atteinte à la concurrence. Le Conseil
d'État a ajouté que la nécessité de prendre en compte l'évolution des circonstances de fait depuis la
précédente décision du ministre justifiait en toute hypothèse qu'une analyse nouvelle soit réalisée.
Société The Coca-Cola Arrêt prenant en compte des gains d’efficacité et de la contribution au progrès économique et
Company et Société social
Pernod Ricard, (Cf pp. 13-14)
Sect. 9 avril 1999 et 6 octobre
2000
req. n° 201853 et 216645
22
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
Extraits d’ouvrage et d’article de doctrine
Habib KAZZI, Le contrôle des pratiques anticoncurrentielles et des concentrations entre entreprises dans une
économie mondialisée : contribution à l'étude de l'application internationale du droit économique, presses
universitaires d'Aix-Marseille, 2007, pp. 222-238.
SECTION 2 - LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
I L’objet du contrôle
&1. La notion de concentration
299. Même si la notion de concentration peut donner lieu a des
définitions variables, il existe un large consensus sur le fait
qu’une opération doit permettre d’acquérir le contrôle d’une
entreprise. Une exception notable est en vigueur aux USA
puisque le HSR Act peut s’appliquer en présence d’une
transaction égale ou supérieure à 200 millions d’euros sans
808
nécessiter de changements de contrôle (…)
307. Portée du contrôle. (…)
Aux Etats-Unis, les autorités fédérales détiennent un pouvoir de
contrôle permanent et général sur toutes les opérations de
concentration projetées dont l’effet est, conformément, à l’article
7 du Clayton Act, de « restreindre, de façon substantielle la
concurrence ou de tendre à créer un monopole ». Ceci
contraste fortement avec le droit communautaire où le système
832
du guichet unique vise à exclure, sauf dérogations , toute
compétence de la Commission en présence d’opérations ne
dépassant pas les seuils fixés par le Règlement n°1 39/2004.
(…) De telles spécificités sont pris en compte, en particulier
834
835
dans les droits communautaire
et américain
de la concurrence.
Dans le même temps, ces paramètres doivent être nuancés car,
d’une part, l’essentiel du contrôle effectué dans les deux
systèmes juridiques concerne les opérations soumises à
notification. Et d’autre part les exemptions légales prévues sont
suffisamment mineures et transparentes pour ne pas perturber,
outre mesure, les opérateurs concernés.
B. Les critères d’appréciation
308. Une analyse des principaux régimes en la matière de
contrôle des concentrations montre que Ies divergences
d’approches existent, tant dans la détermination du bilan
concurrentiel (& 1) que dans la prise en considération des
avantages économiques de l’opération envisagée (&2).
&1. Le bilan concurrentiel
309. S’agissant tout d’abord du bilan concurrentiel, deux grands
critères dominent : l’un fondé sur la notion de position
808
Art 7A (a) du HSR Act
Pour les exceptions à la compétence exclusive de la Commission,
voir les dispositions prévues aux articles 9 et 21(4) du Règlement
(CE) n° 139/2004. A contrario, en vertu de l’articl e 22 du même
Règlement un ou plusieurs Etats membres peuvent demander à la
Commission d’examiner toute concentration qui n’est pas de
dimension communautaire mais qui menace d’affecter le commerce
intra-communautaire. Sur les réformes récentes des articles 9 et 22 :
IDOT (L.), « Le nouveau Règlement CE sur les concentrations »,
Europe, mars 2004, pp. 3-7, spéc. P. 4.
834
A titre d’exemple, en vertu de l’article 3(5) du Règlement (CE) n°
139/2004, une opération de concentration n’est pas réalisée lors de
prises de contrôle par des sociétés de participation financière, à
condition de ne pas exercer le droit de vote qui déterminerait le
comportement concurrentiel des entreprises concernées ; lors de
l’acquisition du contrôle par une personne mandatée par l’autorité
publique dans le cadre d’une procédure collective ; ou lors
d’opérations des participations temporaires réalisées par des
établissements de crédits ou des sociétés d’assurance.
835
L’article 7A (c) du Clayton Act contient de multiples exemptions,
parfois sans équivalent en droit communautaire. Parmi celles-ci, on
relèvera notamment l’acquisition de bien immobiliers ou d’autres
biens dans le cours normal des affaires (…)
dominante (dominance test), l’autre sur l’atteinte à la
concurrence (competition test). (…)
Si le premier test fait l’objet d’une application essentiellement
européenne (le droit communautaire avant la réforme opérée
par le Règlement (CE) n°139/2004, certains Etats memb res de
836
l’Union européenne , Suisse, etc) le second test demeure
majoritaire au niveau international (Etats Unis, Canada,
Australie, Royaume-Uni, Irlande, France, Japon, NouvelleZélande, Afrique du sud, etc.). Parmi les juridictions ayant
adopté le competition test, une distinction s’opère entre celles
qui se contentent d’une atteinte à la concurrence comme c’est le
837
cas notamment de la France , et la majorité d’entre elles qui
prohibent uniquement les atteintes significatives à la
concurrence (substantial lessening of competition, appelé aussi
test « SLC »).
838
C’est le cas notamment aux Etats-Unis
et, depuis peu, en
839
droit communautaire .
310. Les questions relatives à la pertinence du critère
d’appréciation. En matière de contrôle de concentrations, furent
relancées suite aux débats déclenchés par les divergences de
traitement entre les autorités américaines et européennes de
concurrence dans les mêmes affaires Boeing/McDonnell de
1997 et GE/Honeywell de 2001. Divers arguments majeurs
plaideraient en faveur du competition test :
- le test SLC balaye large : il permet à l’autorité de concurrence
de se saisir des effets anticoncurrentiels non liés au concept de
dominance. (…)
- le test SLC apparaît comme plus proche de l’analyse
économique menée en matière de contrôle des concentrations
et moins rigide sur le plan juridique que le critère de la position
dominante. (…)
- la généralisation au niveau international de ce critère, et cela
parmi même les pays membres de l’UE, serait loin d’accentuer
les disparités entre les pays. (…)
311. Dans le même temps, la mise en oeuvre de ces critères
d’analyse concurrentiels laisse apparaître un certain consensus.
Les autorités américaines et communautaires classent les effets
anticoncurrentiels éventuels des concentrations en deux
842
843
catégories : les effets unilatéraux et les effets coordonnés .
Les premières représentent la capacité unilatérale de la société
acquérante d’agir de façon anticoncurrentielle. Les secondes
analysent la capacité potentielle d’une concentration à instaurer
ou renforcer la collusion anticoncurrentielle. (…)
832
836
C’est le cas notamment en Allemagne (art. 24 de la GWB).
Art. L. 430-6 du Code de commerce. Soulignons que cet article
prévoit depuis 2001, et ceci est une particularité française, que
l’atteinte à la concurrence peut résulter de la création ou du
renforcement d’une « puissance d’achat ».
838
Art. 7 du Clayton Act.
839
Selon l’article 2 (3) du Règlement (CE) n° 139/200 4, « [...] les
concentrations qui entraveraient de manière significative une
concurrence dans le marché commun ou une partie substantielle de
celui-ci, notamment du fait de la création ou du renforcement d’une
position dominante, doivent être déclarées incompatibles avec le
marché commun ».
842
Sur le processus de convergence dans ce domaine à l’échelle
internationale : OCDE, Substantive criteria used for the assessment
of mergers, op. cit., spéc. pp. 335 et s. Voir également, infra n° 826 et
s.
843
Art 2 (1) des Horizontal Merger Guidelines et article 22 (b) des
lignes directrices sur l’appréciation des concentrations horizontales
précitées.
837
23
Les Entretiens du Palais Royal
313.
Approche
américaine.
Contrairement
au
droit
communautaire, le droit américain accorde une place
secondaire au critère des parts de marché dans l’analyse des
effets unilatéraux potentiels d’une opération de concentration.
L’analyse est moins structurelle. Elle accorde une place
privilégiée à la différenciation des produits présents sur le
849
marché et à la capacité des concurrents de répondre à une
augmentation des prix ou une réduction de la production suite à
850
la concentration .
314. Divergences d’objectifs. En réalité, les divergences de
traitement que l’on peut rencontrer au niveau international
résultent moins de différences dans l’analyse concurrentielle
d’une même opération que des divergences dans les objectifs
assignés au contrôle des concentrations.
En 1997, l’affaire Boeing /McDonnell Douglas dans le domaine
de l’aéronautique avait déjà montré la position restrictive de la
Commission européenne qui a posé de multiples conditions à
cette fusion. En 2001, alors que Bruxelles subissait les critiques
de nombreuses entreprises après une série d’interdictions sur
des fusions concernant des entreprises européennes, l’affaire
General Electric/Honeywell a porté la tension à son paroxysme.
(…) Le système américain serait voué à la protection des
consommateurs et le système européen davantage destiné à la
protection des concurrents. Cette confrontation a entériné l’idée
d’un contrôle communautaire plus sévère et moins rigoureux du
point de vue économique qu’aux Etats-Unis. Ce constat doit, en
réalité, être nuancé. (…)
316. (…) En d’autres termes, l’approche plus structuraliste de la
Commission obéit au principe selon lequel l’innovation et la
réduction des prix passent davantage par un renforcement de la
concurrence que par la promotion de firmes de grande taille. A
l’inverse, l’appréciation de l’importance de l’effet de
compensation de la perte d’efficience allocative par les gains
d’efficience productive et dynamique est au contraire privilégiée
par les autorités, notamment américaines, dont la confiance
dans la robustesse de la rivalité concurrentielle s’avère plus
grande. (…)
317. Divergence doctrinale. La divergence d’approche entre les
autorités américaines et européennes ne fait finalement que
refléter la distinction entre les deux grandes conceptions de la
politique de concurrence qui s’inscrivent dans des traditions
855
économiques bien distinctes . Une première vision, qualifiée
parfois de « structuraliste », s’appuie sur les enseignements de
l’analyse néoclassique de la concurrence le pouvoir de marché
dépend étroitement de la structure de marché et du
comportement des firmes. (…) Dans cette perspective, il revient
à la politique de concurrence de protéger les consommateurs en
limitant la concentration industrielle par une action préventive et
en surveillant le comportement des firmes dominantes au
moyen d’une politique répressive.
Une seconde approche, qualifiée parfois d’« école de Chicago»,
remet en cause la causalité entre concentration et pouvoir de
marché : les structures de marché ne déterminent pas
856
mécaniquement les performances des firmes . Plus encore, la
concentration industrielle exprime la supériorité intrinsèque et
temporaire de certaines firmes et résulte donc du processus de
concurrence lui-même. A ce titre, elle ne devrait pas être tenue
en suspicion. Cette vision milite en faveur d’un assouplissement
des règles antitrust, voire d’une remise en cause de leur
849
Il y a moins de risques qu’une opération de concentration n’entrave
de manière significative la concurrence effective s’il existe un degré
de substituabilité élevé entre les produits des parties à la
concentration (sect. 2.2.1.1 des Horizontal Merger Guidelines) ou
entre les produits de ces derniers et ceux de producteurs rivaux (sect.
2.2.1 des Horizontal Merger Guidelines).
850
Sect. 2.22 des Horizontal Merger Guidelines.
855
BIENAYME (A.), Principes de concurrence, Economica, 1998, 470
pages, spéc. pp. 8 et s.
856
Ibid., spec. pp. 12 et s.
légitimité, le marché étant suffisamment robuste par lui-même
pour opérer une sélection efficace et remettre en cause, le cas
échéant, les positions acquises. (…) Apparentant le processus
concurrentiel à un mécanisme de sélection naturelle, cette école
introduira l’idée que la concentration économique devait non
seulement être associée à l’idée d’efficience, mais également
être examinée avec d’autant plus de tolérance que le marché
« pertinent » pour examiner la concurrence n’est plus
nécessairement le marché national voire régional, mais
désormais le marché mondial. (…)
&2. Les gains d’efficience (…)
319. L’analyse en droit comparé montre que la négation pure et
simple des gains d’efficience dans l’analyse des concentrations
860
est exceptionnelle . La véritable distinction semble s’opérer
entre les systèmes juridiques qui appliquent le principe d’
« efficiency defence » et ceux qui soutiennent au contraire l’idée
d’ « efficiency offence ». En effet, un certain nombre de
systèmes de contrôle, notamment ceux qui ont opté pour le
critère de la dominance, accordent un rôle limité aux progrès
économiques.(…)
La prise en compte des gains d’efficience est ainsi perçue
comme une efficiency offence dans la mesure où une
concentration doit être interdite lorsqu’elle est de nature à
permettre aux entreprises parties à l’opération de procéder à
une innovation ou d’améliorer la rapport qualité/prix de leurs
prestations de manière décisive par rapport à celles de leurs
862
concurrents .
A contrario, en vertu du principe d’efficiency defence, les
autorités de contrôle examinent si les effets anticoncurrentiels
d’une opération de concentration peuvent être contrebalancés
par des avantages économiques, à condition que ceux-ci
bénéficient in fine aux consommateurs, par exemple par des
baisses de prix. Concrètement, lorsque les avantages
économiques supposés de l’opération sont admis, leur
intégration peut intervenir dans le cadre du bilan concurrentiel,
sous la forme de la théorie des efficiences, comme en droit
864
américain ou communautaire , ou faire l’objet d’un bilan
865
séparé, le bilan dit économique, comme en droit français . (…)
323. Conclusion.
Les développements antérieurs ont démontré que la situation
en matière de prise en compte des gains d’efficience n’est
pas satisfaisante. Les opérateurs économiques rencontrent
plusieurs difficultés. La quasi-totalité des législations sur la
concurrence qui prévoient la prise en compte des gains
d’efficience doivent, sous peine d’exclure toute possibilité
d’en invoquer le bénéfice, définir avec plus de précision et de
transparence des questions fondamentales telles que les
bénéficiaires des gains d’efficacité, les mesures réalistes de
quantification de ces gains, ainsi que l’auteur et l’intensité de
879
la charge probatoire . Les autorités de contrôle doivent
également préciser à quel stade les gains d’efficacité seront
880
pris en compte (à court, moyen ou long terme) . D’autres
860
OCDE, Merger remedies, in Roundtable on competition policy, 23.
dec. 2004, DAFFE/COMP (2004)21, 292 pages, spec. pp. 47 et s.
879
WACHSMANN (A.), « Gains d’efficacité et bilan économique:
nouvel eldorado ? », op. cit. spéc. p. 28 ; LECROART (O.), « Le point
de vue des entreprises », op. cit. spéc. p. 33. L’auteur souligne que
les règles de procédure « sont plus ou moins claires et cohérentes et
représentent des contraintes plus ou moins grandes et se traduisent
par des coûts plus ou moins importants, les difficultés qu’elles posent
sont maîtrisables et prévisibles pour une entreprise de première
importance. En revanche, sur la question de l’appréciation de fond
des concentrations, un flou relatif existe ».
880
L’exemple du droit communautaire illustre bien cette situation. Les lignes
directrices sur l’appréciation des concentrations horizontales précitées (pt 83)
se contentent de préciser que « […] de manière générale, plus les gains
d’efficacité projetés seront éloignés dans le temps, moins la Commission
pourra leur accorder de poids. Cela signifie que, pour être considérés comme
un facteur de contrepoids, les gains d’efficacité doivent intervenir en temps
utile » (souligné par nous).
24
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
questions se posent par ailleurs s’agissant d’appréhender les
gains d’efficacité qui sont au départ favorables aux
consommateurs mais qui contribueraient à détériorer la
concurrence au bout d’un certain temps. Il s’agissait en
l’occurrence d’un débat central dans l’affaire General
Electric/Honeywell.
862
Des situations d’efficiency offence ne se limitent pas aux pays
accordant une place secondaire aux gains d’efficience. Pour des
exemples d’efficiency offence en droit français : WACHSMANN (A.), «
Gains d’efficacité et bilan économique : nouvel eldorado ? », in Les
évolutions récentes de l’analyse des concentrations : effets unilatéraux
et gains d’efficacité, DGCCRF, Atelier de la concurrence du 15 oct
2003, Rev. conc. cons., n° 137, janv-fév-mars 2004, pp. 15-29.
863
Aux Etats-Unis, l’argument de l’efficience économique demeure
assez controversé. Les autorités fédérales ainsi que les tribunaux le
prennent davantage eu compte dans l’analyse des entreprises
communes visant à une intégration que lorsqu’il s’agit de fusions. Pour
ces dernières, les autorités de concurrence sont plus disposées que les
tribunaux à faire droit à ce type d’arguments : WINCKLER (A.),
BRUNET (F.), COHEN-TANUGI (L.), ENCAOUA (D.), SIRAGUSA (M.),
La pratique communautaire du contrôle des concentrations […], op. cit.,
spéc. pp. 217 et s.
863
Aux Etats-Unis, l’argument de l’efficience économique demeure
assez controversé. Les autorités fédérales ainsi que les tribunaux le
prennent davantage eu compte dans l’analyse des entreprises
communes visant à une intégration que lorsqu’il s’agit de fusions. Pour
ces dernières, les autorités de concurrence sont plus disposées que les
tribunaux à faire droit à ce type d’arguments : WINCKLER (A.),
BRUNET (F.), COHEN-TANUGI (L.), ENCAOUA (D.), SIRAGUSA (M.),
La pratique communautaire du contrôle des concentrations […], op. cit.,
spéc. pp. 217 et s.
864
En droit communautaire, la théorie des efficacités est introduite dans
un considérant n° 29 du Règlement n° 139/2004 et dans les lignes
directrices sur l’appréciation des concentrations entre entreprises (pts
76-88) qui lui consacrent quelques développements, curieusement plus
brefs que dans le projet de communication sur l’article 81-3 CE. A cet
égard, L. IDOT souligne que l’efficiency defence est liée au bilan
concurrentiel et Ia Commission « […] se montre très réservée comme
l’illustre le passage des Best Practices, insistant sur le fait que c’est l’un
des intérêts de la prénotification de présenter immédiatement les gains
d’efficacité supposés (Best Practices on the conduct of EC merger
control proceedings, pt. 18)... », in « Le nouveau Règlement CE sur les
concentrations », op. cit., spéc. p. 7.
865
Il s’agit de déterminer si la concentration projetée entraîne une
réduction de la concurrence. Ce bilan concurrentiel peut être
interprété comme un test de SLC, c’est-à-dire par la capacité des
entreprises à élever leurs prix au-dessus des coûts marginaux. Si
aucune réduction de concurrence n’est constatée, la concentration
n’est pas rejetée. Si, au contraire, une telle réduction est mise en
évidence, un bilan économique est réalisé et les gains en efficience
sont examinés parmi d’autres critères, Ainsi, le droit français des
concentrations reconnaît explicitement les gains d’efficacité aussi
bien sous le régime valable jusqu’en 2001, qu’en application de la loi
NRE du 15 mai 2001. L’article L. 430-6 du Code de commerce prévoit
que le Conseil de Ia concurrence « […] qui apprécie si l’opération
apporte au progrès économique une contribution suffisante pour
compenser les atteintes à la concurrence », en tenant compte de […]
la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence
internationale ». Dans un deuxième temps, après l’avis du Conseil,
c’est le ministre de l’Economie qui prend le relais par le biais de
l’article L. 430-7 qui lui permet, si nécessaire, d’imposer des
engagements aux parties « […] de nature à apporter au progrès
économique et social une contribution suffisante pour compenser les
atteintes à la concurrence » (voir les points 414 et s. des lignes
directrices relatives au contrôle des concentrations de 2005).
879
WACHSMANN (A.), « Gains d’efficacité et bilan économique :
nouvel eldorado ? », op. cit. spéc. p. 28 ; LECROART (O.), « Le point
de vue des entreprises », op. cit. spéc. p. 33. L’auteur souligne que
les règles de procédure « sont plus ou moins claires et cohérentes et
représentent des contraintes plus ou moins grandes et se traduisent
par des coûts plus ou moins importants, les difficultés qu’elles posent
sont maîtrisables et prévisibles pour une entreprise de première
importance. En revanche, sur la question de l’appréciation de fond
des concentrations, un flou relatif existe ».
880
L’exemple du droit communautaire illustre bien cette situation. Les
lignes directrices sur l’appréciation des concentrations horizontales
précitées (pt 83) se contentent de préciser que « […] de manière
générale, plus les gains d’efficacité projetés seront éloignés dans le
temps, moins la Commission pourra leur accorder de poids. Cela
signifie que, pour être considérés comme un facteur de contrepoids,
les gains d’efficacité doivent intervenir en temps utile » (souligné
par nous).
D. SPECTOR, A. CHAPSAL, « La décision Ryanair/Aer Lingus : un nouveau standard de qualité », Revue Lamy
de la Concurrence (RLC), 2007/14, n° 959, p. 12
Dans cette affaire, l’acquéreur (Ryanair) et la cible (Aer
Lingus) avaient tous deux soumis plusieurs expertises
économétriques aux conclusions opposées, visant à estimer
dans quelle mesure, avant la concentration, la rivalité entre
ces deux compagnies aériennes constituait un moteur
important de la concurrence. Dans une impressionnante
annexe d’une centaine de pages, la Commission discute de
manière très détaillée les différents rapports soumis par les
parties, présente ses propres analyses économétriques et
répond longuement aux critiques adressées par Ryanair à
chacune d’elles. La Commission a conduit ses analyses
avec une grande rigueur, n’omettant ni la nécessaire
discussion des hypothèses, ni les tests de robustesse des
résultats (on pense notamment au traitement de
l’hétéroscédasticité, de la corrélation sérielle des résidus et
des observations extrêmes).
Elle a évalué les soumissions des parties dans le même
esprit, et leur a donné accès à une « dataroom » qui leur a
permis, inversement, d’évaluer, reproduire et critiquer ses
propres analyses. En outre, la Commission a fait un effort de
pédagogie. La décision énonce des critères généraux relatifs
à ce que l’on pourrait appeler des « meilleures pratiques »
économétriques. Elle discute notamment les critères en
fonction desquels il convient d’inclure ou non telle ou telle
variable explicative dans une régression, les tests de
robustesse nécessaires, les biais pouvant affecter différentes
analyses et les manières de les traiter. Ces développements
n’apportent bien sûr rien de nouveau par rapport aux travaux
scientifiques existants, mais ils ont le mérite de clarifier la
manière dont la Commission appréhende les expertises
économétriques qui lui sont soumises. On ne peut donc que
saluer l’évolution par rapport à des décisions passées dans
lesquelles la Commission se contentait de rejeter les
analyses économiques des parties au moyen d’objections
imprécises et peu étayées (cf., par exemple, la décision
Areva/Urenco).
Le cœur des analyses économétriques présentées est
l’appréciation de la pression concurrentielle exercée par
chacune des parties à la concentration sur l’autre. Pour cela,
deux types d’exercices sont envisageables en théorie : les
analyses en coupe (en anglais, « cross-section »), et les
analyses de panel. Au-delà des divergences techniques, le
principal point de désaccord entre Ryanair est la
Commission porte sur les mérites relatifs de ces deux
méthodes. Les économistes de Ryanair ont présenté une
analyse en coupe. Il s’agit de comparer le niveau des prix
pratiqués par l’une des parties à la concentration sur
différentes routes, pour déterminer s’il est influencé de
manière significative par la présence ou l’absence de l’autre
partie. Ryanair a conclu qu’en moyenne, toutes choses
égales par ailleurs, ses propres prix n’étaient pas
significativement plus bas sur les routes où Aer Lingus était
également présent.
25
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
Elle en a déduit que la pression concurrentielle exercée par
Aer Lingus n’était pas un moteur important de la
concurrence, et que sa disparition du fait de la concentration
notifiée n’aurait en conséquence pas d’impact sensible sur
les prix. La principale critique adressée par la Commission à
l’égard cette analyse porte sur l’hétérogénéité des routes
considérées et l’impossibilité d’effectuer une analyse
« toutes choses égales par ailleurs ». En effet, les
caractéristiques de l’offre et de la demande sont susceptibles
de connaître de fortes variations d’une route à l’autre. Si l’on
ne tient pas compte de ces variations, on peut être amené à
interpréter le résultat obtenu de manière erronée : c’est le
problème économétrique des variables omises. Ainsi, le fait
que les prix de Ryanair ne soient pas inférieurs sur les
routes sur lesquelles Aer Lingus est présent ne signifie pas
nécessairement qu’Aer Lingus n’exerce pas de pression
concurrentielle sur ces routes. Car on ne peut pas exclure a
priori que ces routes possèdent par ailleurs des
caractéristiques
spécifiques
qui
les
conduiraient
normalement à être plus chères que les autres. Si tel était le
cas, l’observation de prix voisins dans ces deux groupes de
routes témoignerait au contraire de l’existence d’une
pression concurrentielle significative, annulant la différence
de prix que l’on aurait normalement dû observer. Pour
résoudre ce problème et effectuer une analyse « toutes
choses égales par ailleurs », les économètres introduisent
dans les régressions des « variables de contrôle » qui
rendent compte des différentes caractéristiques susceptibles
de varier d’une route à l’autre et d’avoir un effet sur les prix.
Les économistes de Ryanair ont donc introduit une variable
relative à la distance entre les deux aéroports desservis sur
chaque route, qui constitue un déterminant évident des
coûts. Mais la Commission souligne que d’autres
déterminants importants du niveau des prix, probablement
inquantifiables pour certains, sont absents des régressions
présentées par Ryanair. Par exemple, on peut penser que la
disponibilité à payer est supérieure sur les routes sur
lesquelles les voyages d’affaires représentent une part
importante du trafic aérien total. Faute d’intégrer dans
l’analyse économétrique une variable de contrôle relative à
ce paramètre (et à plusieurs autres), il est difficile
d’interpréter les résultats d’une régression en coupe.
La Commission préconise en conséquence une analyse de
panel avec effets fixes. Il s’agit d’estimer l’impact de la
présence d’une partie à la concentration sur les prix
pratiqués par l’autre à partir d’une comparaison dans le
temps et non dans l’espace, c’est-à-dire en examinant
comment les prix pratiqués par Aer Lingus sur chaque route
ont été affectés par l’entrée ou la sortie de Ryanair. Cette
démarche présente l’avantage de ne pas nécessiter de
comparaisons périlleuses entre des routes hétérogènes
selon de nombreuses dimensions. Elle repose sur
l’hypothèse apparemment plus raisonnable selon laquelle
chaque route présente des caractéristiques idiosyncratiques
mais constantes au cours du temps (d’où l’expression
« effets fixes »). Ainsi que l’explique Miguel de la Mano,
certaines de ces régressions de panel avec effets fixes ont
conduit la Commission à identifier un fort impact de la
présence de Ryanair sur les prix pratiqués par Aer Lingus.
À la lecture de la décision, il apparaît toutefois que la
méthode suivie par la Commission soulève plusieurs
questions délicates. Tout d’abord, les résultats présentés
montrent qu’Aer Lingus a radicalement modifié sa politique
commerciale en septembre 2004 : toutes choses égales par
ailleurs, ses prix ont baissé d’un tiers après cette date. Or le
modèle estimé par la Commission pose comme hypothèse
que l’interaction concurrentielle entre les parties à la
concentration (mesurée par l’impact de la présence ou de
l’absence de Ryanair sur les prix pratiqués par Aer Lingus) a
obéi à une loi statistique inchangée au cours de la période
considérée, de 2002 à 2006. Cette hypothèse paraît difficile
à justifier si Aer Lingus après septembre 2004 est une
compagnie aérienne très différente d’Aer Lingus avant 2004.
À la suite d’un bouleversement tel que celui intervenu en
septembre 2004, on pourrait s’attendre à ce que le
mécanisme global de formation des prix change
profondément. Il aurait donc fallu en toute logique tester une
régression limitée à la période postérieure à septembre
2004. Or, la décision ne mentionne pas une telle vérification.
Celle-ci aurait peut-être été difficile à mettre en oeuvre à
cause de la brièveté de la période comprise entre septembre
2004 et fin 2006, qui n’aurait pas permis de retenir un
nombre d’observations suffisant pour une analyse
économétrique de qualité. Quoi qu’il en soit, ce problème,
qui aurait dû être traité avec plus de soin, jette un doute sur
la pertinence des résultats. À tout le moins, il conduit à
atténuer le propos de la Commission sur la supériorité
incontestable des analyses de panel par rapport aux
analyses en coupe, car aucune n’est exempte
d’inconvénients dans le cas d’espèce.
Un autre problème plus fondamental porte sur l’interprétation
économique des analyses de panel pour estimer la pression
concurrentielle sur un marché d’une manière générale.
Par construction, les analyses de panel ne mesurent pas
l’impact de la présence de Ryanair sur les prix pratiqués par
Aer Lingus, mais l’impact de son entrée récente sur une
route ou de sa sortie. Or, il est tout à fait plausible que la
réaction d’Aer Lingus à l’entrée de Ryanair sur une route soit
plus forte que sa réaction à la présence stable de Ryanair à
long terme, car Aer Lingus pourrait avoir intérêt à exercer
une concurrence agressive immédiatement après l’entrée de
Ryanair afin d’influencer les perceptions de son concurrent
et l’inciter à limiter les capacités et les fréquences offertes,
voire à ne plus desservir cette route. Le même argument
s’applique avec encore plus de force dans le cas des routes
abandonnées par Ryanair. Les résultats présentés par la
Commission indiquent qu’en moyenne, Aer Lingus
augmentait ses prix lorsque Ryanair cessait de desservir une
route. Mais cela pourrait au moins en théorie s’interpréter
comme le symptôme d’une stratégie d’éviction menée sur
certaines routes, au moyen de prix inférieurs au niveau
qu’auraient atteint des prix concurrentiels de long terme,
suivis d’une augmentation de prix après la sortie de Ryanair.
De telles stratégies (pas nécessairement abusives au sens
de
l’article
82
puisqu’il
peut
s’agir
de
« above-cost predation » : cf. Aaron Edlin, Stopping AboveCost Predatory Pricing, Yale Law Journal, vol. 111 (4), 941991, 2002) seraient d’autant moins à exclure que la décision
les mentionne dans sa description des barrières à l’entrée.
Or, si l’évolution des prix pratiqués par Aer Lingus sur les
routes sujettes à l’entrée ou à la sortie de Ryanair
s’expliquait par ce type de considérations stratégiques, il
serait difficile d’interpréter les résultats des analyses de
panel comme le fait la Commission et d’extrapoler l’impact à
long terme de la concentration sur l’ensemble des routes (y
compris celles caractérisées par une présence stable des
deux parties) à partir du seul examen des fluctuations de prix
à court terme sur les routes marquées par une présence
intermittente de Ryanair. Sans se prononcer sur la solidité de
cette objection en l’espèce, on peut regretter qu’elle ne soit
pas discutée dans la décision. Si elle s’avérait fondée, la
supériorité des analyses de panel sur les analyses en coupe
serait moins nette que ne l’affirme la Commission.
Pour finir, l’ampleur des analyses économétriques réalisées
par les parties et la Commission pose la question du poids
relatif des différents éléments de preuve. Un biais cognitif
bien connu, le « focalisme », identifié notamment dans les
travaux de Daniel Kahneman et Amos Tversky, consiste à
former une opinion globale en accordant un poids excessif
aux éléments de preuve les plus saillants. C’est
probablement le cas des analyses économétriques, toujours
lourdes, complexes, et âprement discutées. Mais l’analyse
26
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
économétrique du degré de pression concurrentielle exercée
par chacune des parties à une concentration sur l’autre
partie n’est pertinente pour apprécier l’impact d’une
concentration que sous certaines hypothèses. Sa valeur
prédictive dépend en particulier des barrières à l’entrée, dont
l’appréciation est souvent moins quantitative et moins
saillante – en tout cas, toujours plus brève – que les
analyses économétriques. À la lumière du nouveau standard
de qualité établi par la Commission pour les analyses
économétriques, le défi pour les années à venir consiste à
trouver un équilibre satisfaisant entre ces dernières et
les autres éléments de preuve.
Bibliographie sommaire
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27
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
28
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
2/ TABLE RONDE N° 2 :
Qui fait quoi ? Des compétences
institutionnelles en évolution
2-1/ Introduction du thème de la table ronde
L’objet de la table ronde est de faire le point sur l’articulation institutionnelle des compétences entre la Commission européenne
et les Etats membres d’une part, en France (ministre ; Conseil de la concurrence et autorités sectorielles ; juge) et dans l’Union
(Commission ; TPI ; CJCE ) d’autre part.
Elle aura pour objet de débattre principalement sur :
La pertinence de la règle de seuil dans le partage des compétences entre l’Union et les Etats membres
Les obligations pour les administrations nationales
L’articulation entre droit de la concurrence et droits sectoriels (banques, presse…)
L’état d’avancement du projet français de réforme du Conseil de la concurrence pour le transformer en haute autorité de la
concurrence
La table ronde mettra l’accent sur l’organisation administrative et les difficultés procédurales, les questions relatives au rôle du
juge étant réservées à la table ronde n° 4. Elle éc lairera le débat en faisant notamment appel à une expérience étrangère, celle
de l’Allemagne.
2- 2/ Présentation des intervenants
Présidence :
Marie-Dominique
HAGELSTEEN
Intervenants :
Nadia CALVINO
Présidente de la section des travaux publics du Conseil d’État
Diplômée de Sciences Po et ancienne élève de l’ENA, Marie-Dominique Hagelsteen a été
notamment commissaire du gouvernement et présidente adjointe de la section du contentieux au
Conseil d'Etat de 2004 à 2007.
Directrice des services juridiques du groupe Elf-Aquitaine de 1981 à 1986, elle est présidente du
Conseil de la concurrence de 1998 à 2004.
Elle est actuellement présidente de la section des travaux publics au Conseil d'Etat.
Directrice générale adjointe de la direction générale COMP de la Commission
européenne chargée des concentrations et des activités anti-trust
Nadia Calviño est actuellement Directrice Générale Adjointe chargée des Concentrations et de
l'antitrust au sein de la Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne, où
elle travaille depuis septembre 2006.
Licenciée en droit et en économie, avant sa nomination à la Commission européenne, elle a
travaillé en tant que « Técnico Comercial y Economista del Estado » au sein du Ministère de
l'Economie et des Finances en Espagne, où elle a occupé différents postes dans les domaines de
la politique économique et commerciale y de la concurrence. Elle a notamment été Directrice
Générale Adjointe pour les Affaires juridiques et les Relations institutionnelles, Directrice Générale
Adjointe chargée des Concentrations et finalement, Directrice Générale de la Concurrence, poste
qu'elle a occupé de mai 2004 jusqu'à son départ pour Bruxelles.
Francis AMAND
Chef du service régulation et sécurité de la DGCCRF
Né en août 1957, titulaire d’un diplôme d’études supérieures spécialisées de mathématiques
appliquées aux sciences sociales, ancien élève de l’Ecole nationale de la statistique et de
l’administration économique (ENSAE), administrateur hors classe de l’INSEE, Francis Amand a
rejoint en 1985 le département des entreprises à la direction générale de l’INSEE, avant d’être
affecté à la direction générale de la concurrence, de la répression des fraudes au ministère de
l’Economie, des Finances et de l’Industrie. Chargé des tarifs publics des transports et des
communications (1992-1993), il fut chef du bureau « commerce et loyers » (1993-1998) puis chef
du bureau « commerce et artisanat » (1998-2001) à cette direction générale. Sous-directeur de la
santé, de l’industrie et du commerce (2001-2002) puis sous-directeur des services et des réseaux
à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes
(2002-2006), Francis Amand a occupé le poste de sous-directeur de la politique de la concurrence
à cette même direction générale, de mars 2006 jusqu’à sa nomination à la tête du service de la
régulation.
Il est commissaire du Gouvernement auprès du Conseil de la Concurrence depuis décembre
2004. Il a publié plusieurs articles d’économie, notamment sur le contrôle des concentrations.
29
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
Josef DREXL
Directeur au Max Planck Institut de Munich
Depuis 2002, le professeur Drexl est directeur à l’Institut Max-Planck pour la propriété
intellectuelle, le droit de la concurrence et le droit fiscal à Munich. Après des études à Munich,
Genève et à l’Université de la Californie (Berkeley), il a commencé sa carrière professionnelle
comme professeur de droit privé et de droit communautaire à l’Université de Würzburg en 1997.
Entre 2000 à 2006, il a été professeur à la faculté de droit de Munich. Il a aussi enseigné comme
professeur invité à Oxford, à la LUISS Guido Carli (Rome) et à la New York University. Le
professeur Drexl est surtout spécialisé en droit de la concurrence, propriété intellectuelle, droit de
la consommation, droit communautaire et droit de l’OMC. Il est président fondateur de l’Academic
Society for Competition Law (ASCOLA) et vice-président de l’Association Internationale de Droit
Economique (AIDE).
Jean-Paul CHARIE
Député du Loiret, rapporteur du projet de loi de modernisation de l’économie à
l’Assemblée nationale
Diplômé en études supérieures de commerce à la Chambre Commerciale et d’Industrie de Paris
en 1973, Jean-Paul Charié est spécialiste de l’économie de marché, du droit de la concurrence,
des PME et du commerce et de l’artisanat.
Député du Loiret depuis 1981, il est notamment membre fondateur de la commission d’examen
des pratiques commerciales et coordinateur politique des députés UMP de la Commission Affaires
Economique de l’Assemblée nationale.
Jean-Paul Charié a été nommé en 2008 rapporteur de la Loi de Modernisation de l’Economie à
l’Assemblée nationale.
2-3/ Documentation : textes, jurisprudence et doctrine
Traités, droit communautaire dérivé et communications de la Commission européenne
Article 253 du Les règlements, les directives et les décisions adoptés conjointement par le Parlement européen et le Conseil
Traité instituant la ainsi que lesdits actes adoptés par le Conseil ou la Commission sont motivés et visent les propositions ou avis
Communauté obligatoirement recueillis en exécution du présent traité.
Européenne
Règlements communautaires
Règlement 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des opérations de concentration
entre entreprises, JO 2004 L24/1
Règlement n° 802/2004 de la Commission du 7 avril 2 004 relatif à la mise en œuvre du règlement
139/2004 relatif au contrôle des concentrations, JO 2004 L133/1
Décisions de la Commission européenne
Communications de la Commission
européenne Continental Can, 9 décembre 1971 [IV/26811]
Aerospatiale/Alenia/De Havilland, 2 octobre 1991 [IV/M.053]
RyanAir/AerLingus, 27 juin 2007 [COMP/M.4439]
Livre vert sur la révision du Règlement (CEE) nº 4064/89 du Conseil du 11 décembre 2001 [(COM(2001)
745 final]
Sur le renvoi des affaires en matière de concentrations économiques, JO 2005 C 56/2
30
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
Législation française générale ; législation spécialisée ; charte
Législation française générale
Loi n° 77-806 du 19 juillet 1977 relative au contrô le de la concentration économique et à la répression des ententes illicites et
des abus de position dominante (JO du 20 juillet 1977)
er
Ordonnance n° 86-1243 du 1 décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence (JO du 9 décembre 1986)
Loi n° 2001-420 relative aux nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 (JO du 16 mai 2001) ; Décret d’application n°
2002-689 du 30 avril 2002 (JO du 3 mai 2002) ;
Ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004 portant simp lification du droit et des formalités pour les entreprises (JO du 27 mars
2004)
Articles du Code de commerce
Article L. 430-3
du Code de
commerce
- extraits
Modifié par Loi n°2004-1343 du 9 décembre 2004 - ar t. 83 (V) JORF 10 décembre 2004
L'opération de concentration doit être notifiée au ministre chargé de l'économie avant sa réalisation. La
notification peut intervenir dès lors que la ou les parties concernées sont en mesure de présenter un projet
suffisamment abouti pour permettre l'instruction du dossier et notamment lorsqu'elles ont conclu un accord de
principe, signé une lettre d'intention ou dès l'annonce d'une offre publique. Le renvoi au ministre chargé de
l'économie de tout ou partie d'un cas de concentration notifié à la Commission européenne vaut notification au
sens du présent article. (…)
Article L. 430-4 Modifié par Loi n°2001-420 du 15 mai 2001 - art. 89 JORF 16 mai 2001
du Code de La réalisation effective d'une opération de concentration ne peut intervenir qu'après l'accord du ministre chargé
commerce de l'économie et, le cas échéant, du ministre chargé du secteur économique concerné.
- extraits
En cas de nécessité particulière dûment motivée, les parties qui ont procédé à la notification peuvent demander
au ministre chargé de l'économie une dérogation leur permettant de procéder à la réalisation effective de tout ou
partie de la concentration sans attendre la décision mentionnée au premier alinéa et sans préjudice de celle-ci.
Article L. 430-6
du Code de
commerce
- extraits
Modifié par Loi n°2005-882 du 2 août 2005 - art. 50 JORF 3 août 2005
Si une opération de concentration a fait l'objet, en application du III de l'article L. 430-5, d'une saisine du Conseil
de la concurrence, celui-ci examine si elle est de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par
création ou renforcement d'une position dominante ou par création ou renforcement d'une puissance d'achat qui
place les fournisseurs en situation de dépendance économique. Il apprécie si l'opération apporte au progrès
économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. Le conseil tient compte
de la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale et de la création ou du
maintien de l'emploi. (…)
les parties qui ont procédé à la notification et le commissaire du Gouvernement doivent produire leurs
observations en réponse à la communication du rapport dans un délai de trois semaines.
Avant de statuer, le conseil peut entendre des tiers en l'absence des parties qui ont procédé à la notification. Les
comités d'entreprise des entreprises parties à l'opération de concentration sont entendus à leur demande par le
conseil dans les mêmes conditions.
Le conseil remet son avis au ministre chargé de l'économie dans un délai de trois mois.
Le ministre chargé de l'économie transmet sans délai cet avis aux parties qui ont procédé à la notification
Article L. 430-7 Modifié par Loi n°2001-420 du 15 mai 2001 - art. 92 () JORF 16 mai 2001
du Code de I. - Lorsque le Conseil de la concurrence a été saisi, l'opération de concentration fait l'objet d'une décision dans
commerce un délai de quatre semaines à compter de la remise de l'avis du conseil au ministre chargé de l'économie.
- extraits
Législation française spécialisée
Loi « bancaire » n° 84-46 du 24 janvier 1984 (artic le 89) et loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécur ité financière replaçant le
secteur dans le droit commun
Loi sur la liberté de communication du 30 septembre 1986 (articles 38 et 39) puis loi n° 2000-719 du 1 er août 2000 et loi NRE
modifiant l’article 41-4 pour intégrer le secteur au droit commun
Loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du r égime juridique de la presse et loi n° 86-1210 du 2 7 novembre 1986
complétant la loi n° 86-897
Chartes
Charte de coopération et d’objectifs entre le Conseil de la concurrence et le Ministre de l’économie, 28 janvier 2005
31
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
Jurisprudence de la Cour de Justice européenne ; jurisprudence du Conseil d’Etat
Jurisprudence de la CJCE et du TPICE
Portugal c.
Commission
CJCE 22 juin 2004
C-42/01
Schneider Electric SA
c. Commission
TPICE 11 juillet 2007
T-351/03
La Cour de justice confirme le pouvoir de la Commission d'apprécier les « autres intérêts publics »
lors des opérations de concentration
la Cour de justice a rejeté le recours en annulation intenté par l’Etat portugais à l'encontre de la décision
de la Commission européenne qui considérait que « Les autorités portugaises ne pouvaient pas intervenir
et interdire une concentration de dimension communautaire sans communiquer à la Commission tout
autre intérêt public qu'elles souhaitaient protéger, aux termes de l'article 21, paragraphe 3 du règlement
sur les concentrations, avant d'adopter les mesures faisant l'objet de la présente décision ».
la Cour de justice a considéré que, pour assurer un contrôle efficace des intérêts publics autres que ceux
expressément prévus à l'article 21 § 3, du Règlement sur les concentrations, il convient de
« reconnaître [à la Commission] le pouvoir de se prononcer par voie de décision sur la compatibilité de
ces intérêts avec les principes généraux et les autres dispositions du droit communautaires, que lesdits
intérêts lui aient été communiqués ou non ». La Cour en a ainsi conclu que la Commission n'avait, en
l'espèce, pas empiété sur les compétences de la Cour ou des juridictions nationales et n'avait dès lors
pas violé l'article 21 § 1 du Règlement sur les concentrations.
Dans cet arrêt, la Cour de justice a également reconnu la possibilité pour la Commission, en l'absence de
communication des informations requises, de ne motiver sa décision que de manière sommaire, du
moment que celle-ci permettait de comprendre les constatations sur lesquelles elle fondait son
raisonnement
Le Tribunal de première instance a condamné la Commission européenne à réparer le préjudice
subi par la société Schneider après l'interdiction illégale de la fusion avec la société Legrand
Au mois de février 2001, Schneider Electric et Legrand avaient notifié à la Commission leur projet de
fusion consistant en l’acquisition de 98,7 % des titres de Legrand par Schneider. Postérieurement à la
réalisation de la fusion, la Commission l'avait déclarée incompatible avec le marché commun et avait
ordonné à Schneider de se séparer de Legrand dans un délai de neuf mois.
Par deux arrêts rendus le 22 octobre 2002, le Tribunal avait annulé tant la décision d’incompatibilité que la
décision de séparation. En suite de ces décisions, la Commission a décidé de reprendre la procédure de
contrôle de la fusion, mais l’a clôturée le 13 décembre 2002 après la décision de Schneider de vendre
Legrand à la société Wendel-KKR.
Estimant avoir subi un dommage du fait de plusieurs illégalités ayant entaché la procédure de contrôle de
la compatibilité de l’opération de concentration avec le marché commun, Schneider a introduit un recours
en indemnité à l’encontre de la Commission devant le Tribunal.
Le Tribunal a constaté que la Commission n’avait pas articulé de manière suffisamment claire et précise
dans sa communication des griefs l’objection à la compatibilité de la concentration tiré de l’adossement,
sur certains marchés sectoriels français, de la position dominante de Schneider à la position
prépondérante de Legrand, de telle sorte que Schneider avait été privée de la possibilité de contester le
bien-fondé de ce grief au cours de la procédure administrative et de présenter des mesures correctives
appropriées. Concernant le degré du préjudice allégué et le lien de causalité, le Tribunal a toutefois
estimé que Schneider avait « elle-même concouru à la réalisation de son propre dommage en assumant
le risque réel d’une déclaration d’incompatibilité a posteriori » dans la mesure où elle avait conclu
l’opération de concentration avant même que la Commission ne se prononce.
Dans ces circonstances, le Tribunal a principalement condamné la Commission à réparer seulement deux
tiers du préjudice subi par Schneider en raison de la réduction du prix de cession de Legrand à WendelKKR.
La Commission européenne a annoncé le 6 août 2007 qu’elle entendait former un pourvoi à l’encontre de
cet arrêt.
Jurisprudence du Conseil d’Etat
Fédération des employés et cadres
(CGT-FO) et autres,
16 mai 2003
req. n° 255482
Sté France Antilles
31 janvier 2007
req. n° 294896
Arrêt qui clarifie le régime propre aux concentrations bancaires, en organisant la
combinaison texte général/texte spécial
Les lois particulières relatives à la presse ne font pas obstacle à l’application de
la compétence du ministre et à l’applicabilité de l’article L. 430 du code de
commerce
32
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
Extraits d’Article de doctrine ; extraits de Rapport
F. ZIVY, « Quel schéma institutionnel pour la régulation de la concurrence ? Un portrait de la famille
européenne », Concurrences, 2007/4, p. 50
Abstract
Cela fait plus de vingt ans que l’ordonnance de 1986 a libéré
l’économie et créé une autorité indépendante de régulation de la
concurrence, sans remédier à l’enchevêtrement des rôles avec
les services du ministère de l’Économie. La réflexion visant à
rendre ce système plus moderne, simple, lisible et efficace peut
tirer profit de ce que font nos voisins européens. La
modernisation du droit européen de la concurrence s’est en effet
accompagnée d’une mise en réseau des autorités nationales de
concurrence, qui constitue un puissant facteur d’émulation et de
convergence. L’Espagne, qui s’était inspirée de la France en
1989, vient de se réformer en profondeur pour se rapprocher du
modèle européen. Comme la quasi-totalité des États membres,
elle confie désormais la régulation de la concurrence à une
autorité unique, indépendante et spécialisée, qui rassemble
toutes les compétences dans le respect des principes du procès
équitable et dispose d’une panoplie complète d’instruments
permettant d’assurer le respect de l’ordre public économique...
tout en permettant comme quelques autres pays d’Europe, aux
décideurs publics de faire ouvertement prévaloir d’autres
considérations d’intérêt général lorsqu’une concentration
stratégique le justifie. Le Luxembourg s’apprête à faire de
même, ce qui portera à vingt-cinq le nombre d’Etats membres
ayant opté pour un modèle unifié.(…)
I. La France : vingt ans de régulation indépendante de
la concurrence (…)
3. Les limites de la réforme : Un schéma institutionnel qui
pourrait être encore plus performant
19. Des limites au système dualiste élaboré en 1986 peuvent
néanmoins être perçues. Elles tiennent sans doute autant à la
façon dont il a été conçu qu’à la manière dont il est aujourd’hui
mis en oeuvre. La régulation des pratiques anticoncurrentielles
s’est à peu près stabilisée. Les conséquences les plus gênantes
de l’enchevêtrement des rôles entre l’autorité indépendante et
les services du ministre ont été atténuées grâce à la signature
d’une charte de coopération et d’objectifs, le 28 janvier 2005.
20. Mais ce texte ne peut sans doute pas résoudre à lui seul
toutes les difficultés constatées, en particulier celles qui résultent
de la dissociation opérée par la loi elle-même entre les activités
d’enquête, menées par les services dit ministre, et les activités
d’instruction, confiées au Conseil. Cette division de la procédure
d’investigation des pratiques anticoncurrentielles, qui n’a pas
d’équivalent en Europe, à part au Luxembourg, et qui peut
surprendre tant les opérations consistant à collecter les preuves
sur le terrain et à les analyser en vue de proposer une décision
sont complémentaires, engendre des lenteurs et des
complications. Le mécanisme imaginé en 2001 pour limiter ces
problèmes, en permettant aux enquêteurs de travailler main
17
dans la main avec les rapporteurs du Conseil , est resté lettre
morte, le décret nécessaire à son application n’ayant pas été
pris à ce jour.
21. Pour sa part, le contrôle des concentrations n’a que
progressivement trouvé ses marques. Ce n’est qu’en 2001 que
le droit matériel s’est aligné sur celui en vigueur au niveau
18
communautaire depuis 1989 , repris dans l’intervalle par la
plupart des pays européens. (…)
II Les pays du G 7 : Systèmes administratifs d’une
part, et judiciaires d’autre part
28. La réflexion entamée à ce propos s’est récemment enrichie
d’un exercice de droit comparé conduisant à évoquer la
« répartition des pouvoirs entre autorités de concurrence [dans
33
les] pays du G7 » (…)
30. On y réfléchit d’abord à l’intérêt de « concentr[er] en une
seule autorité de concurrence, indépendante de l’exécutif;
l’essentiel des pouvoirs de mise en oeuvre du droit national de la
34
concurrence » . On y considère ensuite qu’une telle option est
opposée à la « dynamique institutionnelle américaine repos[ant]
sur une segmentation considérable voire un émiettement des
35
pouvoirs en matière de concurrence » . On y estime en outre,
en les passant en revue, que la plupart des autres pays du G 7
— Allemagne, Canada, Japon, Royaume-Uni — ont retenu un
système dans lequel la régulation de la concurrence relève
« sans ambiguïté » du pouvoir exécutif, qui s’y est réservé un
36
rôle « particulièrement affirmé » . On y conclut enfin que tous
ces pays se caractérisent par « une dispersion complexe des
pouvoirs » entre les autorités chargées de veiller à la régulation
de la concurrence. (…)
35. Or, l’analyse montre que les systèmes de régulation de la
concurrence retenus par les pays du G 7 sont tous marqués par
un double souci d’efficacité et de lisibilité. D’abord, ils confient
toute la responsabilité de réguler la concurrence à une autorité
administrative (Allemagne, États-Unis, Italie, Japon, RoyaumeUni) ou à un juge (États-Unis), qui peut interagir avec des
services ministériels mais se prononce ensuite en toute
indépendance. Ensuite, certains d’entre eux permettent au
pouvoir exécutif de faire prévaloir d’autres considérations
d’intérêt public que la concurrence dans les cas de
concentrations stratégiques (Allemagne, Italie, Royaume-Uni),
mais celui-ci le fait en assumant pleinement ces considérations,
qui sont légitimes et qu’il est donc naturel d’expliquer clairement
aux opérateurs économiques.
36. Il n’y a par conséquent pas, en ce qui concerne ces pays,
émiettement ou dispersion des activités, mais répartition claire
des rôles entre l’expert indépendant, dont c’est le métier de
réguler la concurrence, et le pouvoir exécutif, dont le mandat lui
permet de faire prévaloir d’autres impératifs d’intérêt général
lorsque cela se justifie.
37. Le fait d’estimer que l’Allemagne possède « trois « autorités
37
» de concurrence » peut donc susciter l’étonnement. Seul le
BundesKartellamt, autorité administrative indépendante dotée
de l’entier pouvoir d’investigation et de décision, se voit en effet
conférer par la loi la mission d’assurer la régulation fédérale de
la concurrence en faisant le bilan concurrentiel des
comportements et des structures qu’il est conduit à examiner. Le
rôle du ministre de l’Économie n’est pas d’intervenir en ce
domaine mais, compte tenu de la légitimité politique qui est la
sienne, de faire prévaloir, en toute transparence, les
conséquences positives de certaines
opérations de
concentrations stratégiques sur la politique industrielle ou la
33
17
Art. L. 450-6 C. com.
Règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil du 21 déc. 1 989,
abrogé et remplacé par le règlement (CE) n° 139/200 4 du Conseil
du 20 janv. 2004.
18
F Souty, Répartition des pouvoirs entre autorités de concurrence
: approche comparée des pays du G7, Concurrences, n ° 2-2007,
p. 201
34
Art. cité, point 4.
35
Art. cité, point 9.
36
Art. cité, point 8 pour « les pays développés », points 19 et 23
pour le Canada et points 25 et 26 pour le Japon.
37
Art. cité, points 27 à 29.
33
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
38
sécurité énergétique . En pareil cas, la Monopolkommission a
pour vocation de permettre au ministre de disposer d’un second
regard concurrentiel avant de se décider. Encore cet organe
consultatif, dont la réputation d’indépendance et d’excellence
n’est plus à démontrer, n’est-il pas à ranger parmi les autorités
de concurrence puisqu’il n’exerce aucune de leurs fonctions
39
caractéristiques d’investigation et de décision .
38. De même, faire valoir que le système britannique est
organisé de manière à ce que « le processus décisionnel soit le
plus déconcentré voire décentralisé possible mais aussi réparti
40
entre plusieurs personnalités décisionnaires »
peut
surprendre.
39. Le système de contrôle des concentrations en vigueur outremanche est en définitive assez cohérent. C’est en premier lieu
l’autorité de concurrence britannique, I’ Office of Fair Trading,
qui vérifie en toute indépendance que les opérations de
concentration, qui lui sont facultativement notifiées par les
parties ou qui sont portées à sa connaissance par des tiers,
peuvent être autorisées en l’état ou ne posent pas de problèmes
de concurrence tels qu’ils ne puissent pas être résolus par le
biais d’engagements négociés avec les parties. À défaut, le
dossier est transmis à une autre autorité administrative,
spécialisée mais également indépendante, la Competition
Commission. A l’issue de son examen, celle-ci est habilitée à
imposer des remèdes aux entreprises ou, s’il le faut, à interdire
l’opération. Le secrétaire d’État, lui, ne peut réformer ces
décisions que pour des raisons d’intérêt général tenant à la
41
sécurité nationale ou publique . (…)
42. Prenons le cas des États-Unis. Il est intéressant de savoir
que deux autorités de concurrence, l’une indépendante et l’autre
44
rattachée à un ministère, s’y préoccupent des concentrations
— de façon d’ailleurs peut-être plus simple et efficace qu’en
France puisqu’elles se répartissent les opérations en fonction
45
des secteurs concernés et de leur expérience passée —, au
lieu de s’impliquer dans les mêmes affaires. Mais pour bien faire
comprendre le système, il faut immédiatement ajouter que ces
autorités ne disposent ni l’une ni l’autre du pouvoir d’interdire un
projet de concentration ou d’imposer des remèdes conditionnant
sa réalisation.
43. Le modèle américain, qui confie ce rôle central au juge, se
distingue donc fondamentalement, par cet élément comme sous
bien d’autres aspects, des systèmes en vigueur en Europe, qui
confient en premier lieu la régulation de la concurrence à une
autorité administrative, dont la décision peut ensuite être déférée
au juge. C’est donc, dans un cas, l’administration qui décide, et
dans l’autre le juge qui tranche directement.
44. Une observation analogue vaudrait pour le Canada et le
Japon, compte tenu des particularités qui les caractérisent. Par
contraste, il paraît intéressant, eu égard à sa cohérence, de
tourner le regard vers l’Europe.
III L’Europe : Modernisation et mise en réseau des
autorités nationales de concurrence (…)
1. La modernisation de l’Europe de la concurrence
47. Quarante ans après en avoir défini les contours, le Conseil
de l’Union européenne a décidé d’opérer une modernisation
radicale de l’organisation institutionnelle mise en place pour
veiller au respect des règles de concurrence énoncées par le
traité de Rome.
38
Motif retenu lorsque le ministre a fait application du § 42 de la loi
allemande relative aux restrictions de concurrence (GWB) dans l’affaire
EON/Ruhrgas.
39
§ 42 et 44 du GWB.
40
Art. cité, point 39.
41
Sections 42, 54 et 58 de la loi sur les entreprises de 2002.
44
Art. cité, point 12.
45
Art. cité, point 15. Cela n’empêche toutefois pas les Américains de
réfléchir aux moyens d’optimiser leur système institutionnel (V. Antitrust
Modernization Commission, Rapport et recommandations, avril 2007).
47
48. Le socle de cette réforme est le règlement n° 1/2O 03 , qui
met en place un Réseau européen de concurrence (« REC »)
réunissant la Commission européenne et les autorités nationales
de concurrence (« ANC »), c’est-à-dire les organes auxquels
chacun des vingt-sept États membres de l’Union européenne a
confié la mission d’assurer la régulation de la concurrence sur
son territoire. Ces autorités sont plus nombreuses que les États
membres, car la France et le Luxembourg en comptent chacun
deux, à la différence des vingt-cinq autres États membres, qui
48
s’en tiennent au choix d’une seule .
La grande famille des autorités européennes de
concurrence (…)
54. Cette force d’entraînement du REC ne se limite pas à
l’activité des autorités qu’il réunit, elle se fait aussi sentir au plan
institutionnel. Les quelques États membres qui s’inspiraient, il y
a quelques années encore, du modèle dualiste l’ont ainsi
abandonné, à de rares exceptions près.
55
55. C’est, après le Portugal en 2003 , ce qu’a récemment fait
l’Espagne en adoptant, quinze ans après sa première loi sur la
56
concurrence , qui s’était notamment inspirée de l’ordonnance
57
française de 1986, une réforme
destinée à abandonner cette
voie pour moderniser l’ensemble de son système de régulation
58
de la Concurrence . La pierre de touche en est la fusion entre
égaux de ses deux agences de concurrence, désormais réunies
au sein d’une même institution indépendante.
Voyons plus précisément ce qu’il en est.
IV. Les autorités nationales de concurrence des 27
États membres : Un air de famille prononcé
1. Des autorités unifiées, indépendantes et spécialisées
dans la régulation de la concurrence sur les marchés
1.1. Unité (…)
62. Très rares sont donc les États membres qui continuent, pour
des raisons historiques, à distinguer les cas dans lesquels la
concentration peut être déclarée compatible en l’état ou au prix
d’engagements négociés entre l’autorité administrative
indépendante de droit commun et les parties au terme d’un
examen sommaire (« phase 1 »), et ceux dans lesquels il faut
l’interdire ou assortir l’autorisation de remèdes imposés aux
parties à l’issue d’un examen approfondi (« phase 2 ») confié au
61
juge ou à une autre autorité administrative spécialisée dans
les concentrations complexes, comme au Royaume-Uni où
l’Office of Fair Trading avait initialement été conçu davantage
comme une autorité de protection des consommateurs. Certains
de ces États ont au demeurant entamé une mutation qui devrait,
à terme, les rapprocher du modèle administratif qui prévaut en
62
Europe .
47
Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 déc. 200 2 relatif à la mise
en œuvre des règles de concurrence prévues aux art. 81 et 82 du traité
CE.
48
Quelques États membres ont chargé certaines autorités de régulation
sectorielle (rail, eau, etc.) d’appliquer le droit de la concurrence au
secteur dont elles ont la charge, mais cela n’affecte ni le statut ni la
compétence de leur autorité indépendante de concurrence.
55
Loi n° 18-2003 du 11 juin 2003 relative au cadre j uridique de la
concurrence, et décret-loi n° 10-2003 du 18 janv. 2 003 créant une
Autorité de concurrence en remplacement du Cons. conc, et de la
Direction générale de la concurrence et du commerce.
56
Loi n° 16/1989 du 17 juill. 1989 de défense de la concurrence.
57
Loi n° 15/2007 du 3 juill. 2007 de défense de la c oncurrence.
58
V. notamment C. Pascual Pons, About the merger of the Spanish
competition authorities, Concurrences n° 1-2007, p. 24.
61
C’est notamment le cas en Finlande (art. 11 d de la loi n° 480/1992) ou
eu Suède (art 34 a et 36 de la loi sur la concurrence).
62
C’est en particulier le cas de l’Autriche, qui s’est dotée en 2005 d’une
Agence fédérale de la concurrence ayant le statut d’autorité
administrative indépendante et le pouvoir d’autoriser les opérations de
concentration en phase 1 (art. 7-10 et 9-1 de la loi autrichienne sur les
cartels de 2005).
34
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
63. Plus rares encore sont les États membres qui n’ont pas
abandonné le système dans lequel l’autorité administrative
indépendante coexiste avec un service ministériel. En dehors de
Ia France, seul le Luxembourg continue, pour quelque temps
encore, à appliquer ce schéma, selon des modalités qui le
distinguent du reste du système français sous deux aspects
essentiels.
64. La loi luxembourgeoise prévoit en particulier que l’inspection
de la concurrence, chargée des enquêtes visant à réunir les
preuves d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles et de
l’instruction contradictoire des cas, agit en pleine indépendance
et que ses agents, nominés par arrêté pour une durée de sept
63
ans, sont liés par le secret de l’instruction . Le Conseil de la
concurrence dispose quant à lui de l’entier pouvoir de décision
64
.
65.Le
dualisme
luxembourgeois,
qui
garantit
ainsi
l’indépendance des enquêtes, est également soucieux de
lisibilité et d’efficacité à l’étranger. La loi prévoit en effet que
c’est le Conseil de la concurrence qui représente le Luxembourg
65
au sein des instances européennes de concurrence .
66. Encore faut-il ajouter que le Conseil de gouvernement du
Grand-duché vient tout juste de déposer un projet de loi
prévoyant la fusion des deux structures actuelles au sein d’une
nouvelle autorité indépendante de concurrence mise en place
66
autour du Conseil de la concurrence . (…)
1.2. Indépendance
68. En deuxième lieu, la quasi-totalité des autorités
administratives de concurrence d’Europe sont indépendantes du
pouvoir politique. La loi le spécifie expressément dans la plupart
69
70
et la pratique le confirme dans tous les autres .
des cas
Seule Malte, qui possède une autorité de concurrence unique, la
rattache à son ministère de l’Économie. (…)
2. Des autorités rassemblant toutes les compétences dans
le respect des principes du procès équitable, et munies
d’une panoplie complète d’outils (…)
2.1. Impartialité (…)
75. Dans bon nombre d’autorités, la garantie d’une décision
impartiale est encore renforcée par le biais du principe de
séparation des fonctions d’investigation et de décision.
Schématiquement, des services d’investigation collectent les
preuves sur le terrain et les analysent en vue de proposer une
75
décision, prise en toute indépendance par un organe collégial .
63
Art. 8 de la loi du 17 mai 2004 relative à la concurrence.
Art. 6, 9 à 12 et 18 de la loi du 17 mai 2004.
65
Art. 6, 27 et 28 de la loi du 17 mai 2004.
66
Communiqué de presse du Conseil de gouvernement du 4 oct. 2007,
http://www.gouvernernent.lu.
69
V. notamment Allemagne (§ 51 du GWB), Belgique (l’Autorité belge de
concurrence comprenant trois organes dont le premier, le Conseil de la
concurrence, est une juridiction administrative, le deuxième, l’Auditorat,
un service d’instruction autonome au sein du Conseil et le troisième, le
Service de la concurrence, un département d’enquête ne pouvant
recevoir de directives, dans le cadre du traitement des cas, que de la part
de l’Auditorat : art. 11 et 29 de la loi du 15 sept. 2006), Bulgarie (art. 3 de
la loi sur la protection de la concurrence), Chypre (section VIII de la loi n°
207), Danemark (art. 15 de la loi n° 785), Espagne (art. 19 de la loi n°
15/2007), Estonie (art. 1 du règlement du 17 janv. 2006 portant statut de
l’Institut estonien de la concurrence), Grèce (art. 8 de la loi n° 703/1977
sur le contrôle des monopoles et des oligopoles et sur la protection de la
libre concurrence), lrlande (section XXIX de la loi de 2002), Italie (art. 10
de la loi n° 287), Luxembourg (art. 6 de la loi du 17 mai 2004), Portugal
(art. 4 du décret-loi du 18 janv. 2003), Roumanie (art. 17 de la loi n°
21/1996) et Slovénie (art. 14 de la loi sur la prévention des restrictions de
concurrence).
70
L’Autorité de concurrence chargée du pouvoir d’investigation au
Danemark, par exemple, est administrativement rattachée à
l’administration centrale, mais ne peut en aucun cas recevoir d’instruction
ministérielle concernant les affaires dont elle a à connaître.
75
Le cas du BundesKartellamt, dans lequel les deux fonctions sont
réunies au sein d’une même unité, sans que sa réputation d’impartialité
64
C’est ainsi, par exemple, que sont structurés le Conseil de la
concurrence danois, qui comporte en son sein une Autorité
autonome chargée de l’investigation des affaires de
76
concentrations ou des pratiques anticoncurrentielles , et la
Comision Nacional de la Competencia espagnole, qui distingue
clairement sa direction des investigations d’une part et son
77
collège d’autre part . L’Autorité belge de concurrence prévoit
elle aussi un ensemble analogue de garanties, tout en
78
coordonnant les différents organes qui la composent , de
79
même que l’Autorité de concurrence hongroise et le Conseil
80
de la concurrence lituanien . (…)
3. Un pouvoir exécutif habilité à se pencher sur les
concentrations stratégiques
87. À la différence du ministre français de l’Économie, les
membres du gouvernement des autres pays de l’Union
européenne habilités à se pencher sur le sort de certaines
opérations de concentration stratégiques ne sont pas qualifiés
d’autorité de concurrence.
88. Au contraire, ils le font ès qualités, c’est-à-dire en tant que
représentants de l’intérêt général. En outre, leur intervention est
expliquée de manière assumée et transparente. (…)
94. On le voit, les raisons susceptibles d’être invoquées
débordent largement celles qui, sous le nom de « bilan
économique et social », permettent aujourd’hui au ministre
99
chargé de l’Économie ou au Conseil français d’autoriser des
concentrations dont le strict « bilan concurrentiel » serait négatif.
Leur variété est si grande qu’on peut presque parler de « bilan
global ».
Conclusion
95. Le portrait de famille qui précède montre que, dans la plupart
des pays d’Europe, les gouvernements s’accordent à penser
que la régulation de la concurrence est entre de bonnes mains
lorsqu’elle est confiée à une autorité administrative
indépendante spécialisée, qui réunit en son sein tous les talents
et tous les moyens nécessaires à l’exercice de sa mission, dans
le respect du principe d’impartialité. Une fois la réforme
luxembourgeoise achevée, seule la France, qui conserve deux
autorités de concurrence distinctes, et Malte, qui n’en a qu’une,
mais qui n’est pas indépendante, feront, si l’on ose dire, bande à
part.
96. Compte tenu des enjeux que les fusions peuvent parfois
comporter, notamment pour l’emploi ou la structuration de l’outil
industriel, ces gouvernements sont toutefois nombreux à estimer
que le bilan concurrentiel effectué par l’autorité indépendante de
concurrence doit pouvoir être mis en balance avec d’autres
préoccupations d’intérêt général. Ce droit de regard du
gouvernement étant légitime, il est bien naturel que les pays
d’Europe qui choisissent d’en faire usage l’assument clairement.
97. Faut-il tirer profit de ces enseignements européens en
parachevant la réforme du système français de régulation de la
concurrence entamée en 1986, comme le propose la
Commission pour la libération de la croissance française ? Il est
en tout cas utile de savoir ce qui se fait ailleurs.
n’en soit remise en cause, s’explique historiquement par l’entier contrôle
juridictionnel dont ses décisions ont toujours fait l’objet.
76
Art. 12 b, 12 c, 14 et 18 de la loi n° 785.
77
Art. 20, 34 et 35 de la loi n° 15/2007.
78
Art. 11, 44, 45, 48, 52, 55, 56 et 57 de la loi du 15 sept. 2006.
79
Art. 47 ss. et 67 ss. de la loi de 2006.
80
Art. 30 et 36 de la loi de 2006,
99
Art. L. 430-6, premier alinéa, et L. 430-7-III, premier alinéa, du C. com
35
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
F. Brunet, « Le contrôle des concentrations à l’heure de la réforme institutionnelle ? » Complément C au rapport 2006 du
Conseil d’Analyse Economique, p. 233 (Extraits)
Avec la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 (ci-après la loi
« NRE »), le contrôle français des concentrations a connu une
réforme majeure. Toutefois, dès l’entrée en vigueur de cette loi
le
18
mai
2002,
on
pouvait
craindre
certains
dysfonctionnements. En effet, le législateur avait introduit des
dispositions très innovantes calquées sur le système
communautaire (seuils de chiffre d’affaires, notification
obligatoire, effet suspensif), tout en maintenant un système
institutionnel bicéphale fort ancien de pouvoirs partagés entre
le ministère de l’Économie et le Conseil de la concurrence
(Brunet et Girgenson, 2002).
Près de trois ans après la mise en place du nouveau régime de
contrôle des concentrations, il semble que la réforme introduite
par la loi NRE a profondément déséquilibré la structure
institutionnelle de contrôle. En effet, le poids pris par le
ministère de l’Économie est aujourd’hui tel que l’on peut
sérieusement s’interroger sur l’intérêt que représente encore
aujourd’hui la procédure de consultation du Conseil de la
concurrence. Cette question se pose avec d’autant plus
d’acuité que le système actuel constitue une sorte «
d’exception française ». En effet, les pays qui avaient une
architecture institutionnelle comparable, comme le Portugal ou
l’Espagne, ont récemment opté pour une structure
institutionnelle monocéphale ou sont en voie de le faire. Quant
aux rares pays qui ont choisi une structure institutionnelle de
contrôle duale, tels les États-Unis ou le Royaume-Uni, ils ont
prévu un partage de compétences beaucoup plus rationnel et
efficace que celui prévu par la loi française. Au vu de
l’ensemble de ces éléments, une refonte du système
institutionnel de contrôle paraît désormais inéluctable.
1. Le déséquilibre dans la structure institutionnelle
de contrôle des concentrations
1.1. La réforme incomplète du contrôle des concentrations
D’inspiration communautaire, la loi NRE a profondément
modifié le contrôle français des concentrations. Elle a toutefois
laissé inchangée l’architecture institutionnelle du contrôle.
1.1.1 Les dispositions nouvelles introduites par la loi NRE
Outre des modifications sensibles quant au champ
d’application du contrôle des concentrations, la loi a introduit
une innovation majeure en prévoyant une procédure
obligatoire à caractère suspensif. La loi NRE a abandonné
l’ancienne définition de la notion de concentration et a aligné
cette définition sur le droit communautaire. (…)
Par ailleurs, la loi NRE a modifié les seuils à partir desquels
une concentration est soumise au contrôle des autorités de
concurrence. La réglementation antérieure prévoyait deux
seuils de contrôle alternatifs, l’un en part de marché, l’autre en
chiffre d’affaires. Ainsi, le contrôle français des concentrations
était applicable soit lorsque les parties à la concentration
détenaient une part de marché combinée supérieure à 25 %,
soit lorsque les parties avaient réalisé un chiffre d’affaires total
supérieur à 1 milliard d’euros, à condition que deux au moins
des parties à la concentration aient réalisé un chiffre d’affaires
individuel d’au moins 300 000 euros. En pratique, le seuil en
chiffre d’affaires était d’une utilité réduite dans la mesure où les
opérations qui l’atteignaient dépassaient fréquemment les
seuils communautaires de contrôle et étaient par conséquent
soumises au contrôle exclusif de la Commission européenne.
Par ailleurs, le seuil en part de marché était problématique
dans la mesure où il supposait au préalable la définition,
souvent difficile, du marché pertinent. La loi NRE a donc
profondément simplifié les seuils de contrôle en prévoyant
deux seuils de contrôle cumulatifs en chiffre d’affaires. (…)
Une autre nouveauté remarquable introduite par la loi NRE est
la mise en place d’une procédure obligatoire à caractère
suspensif. Sous l’empire de l’ancienne réglementation, la
notification des opérations de concentrations était facultative.
Les entreprises parties à une concentration dépassant les
seuils français de contrôle étaient donc libres de ne pas la
notifier. Toutefois, le ministre de l’Économie pouvait déclencher
d’office la procédure de contrôle lorsqu’il estimait qu’une
concentration, qui ne lui avait pas été notifiée, était de nature à
porter atteinte à la concurrence.
Rompant avec ce système, la loi NRE a mis en place une
obligation de notification comparable à celle qui existe dans les
principaux systèmes de contrôle des concentrations (ÉtatsUnis, Union européenne, Allemagne, Italie, mais non au
Royaume-Uni). Désormais, conformément à l’article L. 430-3
du Code de commerce, les entreprises parties à une opération
de concentration qui dépasse les seuils français de contrôle,
se trouvent dans l’obligation juridique de la notifier au ministre
de l’Économie.
Le corollaire de cette procédure obligatoire est le caractère
suspensif de la notification. En vertu de l’article L. 430-4 du
Code de commerce, la réalisation effective d’une opération de
concentration ne peut intervenir qu’après l’accord du ministre
de l’Économie. Cet effet suspensif protège les entreprises des
effets d’une éventuelle décision d’interdiction de l’opération de
concentration. En effet, « une réalisation anticipée pourrait être
difficile à dénouer si l’opération venait à être interdite »
(Besson, 2000).
L’effet suspensif de la notification connaît toutefois deux
exceptions. D’une part, « en cas de nécessité particulière
dûment motivée », les parties qui ont procédé à la notification
peuvent demander au ministre de l’Économie une dérogation
permettant de procéder à la réalisation effective de tout ou
partie de la concentration sans attendre la décision
d’autorisation. D’autre part, lorsqu’une concentration est
réalisée par achat ou échange de titres sur un marché
réglementé, l’absence de décision du ministre de l’Économie
ne fait pas obstacle au transfert des titres mais seulement à
l’exercice des droits qui y sont attachés.
L’article L. 430-8 du Code de commerce prévoit des sanctions
pécuniaires pour défaut de notification ou violation de l’effet
suspensif. Le ministre de l’Économie peut infliger aux parties
une sanction pécuniaire allant jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires
pour les personnes morales et 1,5 million d’euros pour les
personnes physiques.
Ces innovations importantes en matière de contrôle des
concentrations n’ont toutefois pas été accompagnées d’une
refonte du système institutionnel qui pourtant s’imposait.
1.1.2 Le maintien d’une structure institutionnelle duale
La structure institutionnelle bicéphale en matière de contrôle
des concentrations est fort ancienne.
Dès la loi n° 77-806 du 19 juillet 1977 qui instaur ait, pour la
première fois en droit français, un contrôle des concentrations,
il était prévu que deux autorités distinctes seraient en charge
du contrôle des concentrations : le ministre de l’Économie, qui
disposait déjà du pouvoir de décision, et la Commission de la
concurrence, qui avait une fonction consultative.
Toutefois, ce n’est qu’avec l’entrée en vigueur de l’ordonnance
n° 1986- 1243 du 1er décembre 1983 (ci-après « l’or donnance
de 1986 ») que le contrôle des concentrations a véritablement
5
été mis en oeuvre en pratique . La dualité institutionnelle n’a
pas été remise en cause par cette ordonnance qui confiait le
5
En neuf ans d’existence, la Commission de la concurrence n’a en
effet rendu que huit avis en matière de concentrations.
36
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
pouvoir de décision au ministre de l’Économie et un rôle
consultatif au Conseil de la concurrence, une institution
nouvelle créée pour reprendre une grande partie des
prérogatives de la Commission de la concurrence.
Si la loi NRE a rompu, à de nombreux égards, avec le système
antérieur de contrôle des concentrations, elle a laissé intacte
cette dualité institutionnelle trentenaire. Ainsi, la procédure
française de contrôle des concentrations demeure articulée sur
ces deux acteurs, dont les fonctions sont tout à la fois
concurrentes et complémentaires.
Selon l’article L. 430-5 du Code de commerce, le ministre de
l’Économie dispose d’un premier délai de cinq semaines à
compter de la notification pour examiner une opération de
concentration et rendre une décision. (…)
Lorsqu’il est saisi pour avis, le Conseil de la concurrence
examine, tout comme le ministre de l’Économie, si l’opération
est de nature à porter atteinte à la concurrence. Ce critère
d’appréciation, qui est purement concurrentiel, confère une
grande marge d’appréciation aux autorités de concurrence
dans la mesure où il englobe et dépasse le critère de création
ou de renforcement d’une position dominante. Toutefois,
l’analyse du Conseil de la concurrence semble pouvoir aller
plus loin que celle du ministre puisque, en vertu de l’article
L. 430-6, seul le Conseil de la concurrence peut apprécier « si
l’opération apporte au progrès économique une contribution
suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence ».
Le Conseil de la concurrence statue sur la base du rapport
rédigé par le rapporteur en charge de l’affaire ainsi que des
observations produites en réponse par les parties et par le
Commissaire du gouvernement. Avant de remettre son avis au
ministre de l’Économie (dans un délai de trois mois à compter
de la saisine), le Conseil peut entendre des tiers en l’absence
des parties à la notification. Le ministre rend alors une décision
dans un délai de quatre semaines à compter de la remise de
l’avis, auxquelles peuvent être ajoutées jusqu’à trois semaines
en cas de présentation d’engagements par les parties. (…)
Il résulte donc d’une lecture combinée des articles L. 430-5 II,
L. 430-6 et L. 430-7 II du Code de commerce que la possibilité
pour le ministre d’assortir sa décision de conditions relatives au
progrès économique et social ne semble ouverte qu’après
consultation du Conseil de la concurrence. A contrario, les
engagements dont sont assorties les décisions de « phase I »
sont plus limités dans la mesure où le texte prévoit seulement
qu’ils puissent remédier « aux effets anticoncurrentiels de
9
l’opération » .
Ce bref rappel du partage de compétences entre le ministre de
l’Économie et le Conseil de la concurrence révèle clairement le
rôle qui, dans l’esprit du législateur, a été initialement dévolu à
chacune des institutions. L’examen des concentrations ne
posant manifestement aucun problème de concurrence devrait
relever de la compétence naturelle du ministre en « phase I »
alors que le Conseil de la concurrence ne devrait examiner que
des dossiers présentant des difficultés particulières, tenant
notamment à la qualification de l’opération, à la définition des
marchés affectés ou à l’analyse des effets de l’opération sur la
concurrence ou sur le progrès économique et social. La
fonction du Conseil, telle qu’elle a été initialement conçue par
les créateurs du système, était donc celle d’un expert juridique
et économique.
Toutefois, ce schéma institutionnel de partage des tâches ne
semble plus être celui mis en oeuvre en pratique. En effet, le
ministre ne se limite plus à un examen sommaire de l’opération
en « phase I » et les dossiers difficiles ne sont pas
systématiquement transmis pour avis au Conseil de la
concurrence.
9
Article L. 430-5 du Code de commerce
1.2. La moindre importance du Conseil de la concurrence
La pratique récente en matière de contrôle des concentrations
semble révéler une baisse de l’importance du Conseil de la
concurrence. En effet, le nombre de saisines du Conseil
diminue et certaines affaires complexes qui, a priori, auraient
dû lui être transmises ont été autorisées en « phase I ».
1.2.1. La diminution du nombre de saisines du Conseil de
la concurrence
La pratique du contrôle des concentrations telle qu’elle est
issue de la loi NRE diffère radicalement de la pratique qui a
suivi l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 1986.
Comme l’on pouvait s’y attendre, l’obligation de notification
introduite par la loi NRE a provoqué une augmentation brutale
du nombre de notifications. Avant 2002, le nombre d’affaires
notifiées au ministre de l’Économie était d’environ 25 par an.
Ce nombre a été multiplié par 10 en 2003 avant de retomber à
environ 150 notifications par an en 2004 grâce à l’élévation du
second seuil de contrôle des concentrations.
À l’inverse, le nombre de décisions de « phase II » semble
sensiblement décroître, passant de cinq décisions par an en
moyenne avant 2002 à trois décisions en 2003 et deux
décisions en 2004. Cette évolution est surprenante au regard
de la forte augmentation du nombre de notifications. En effet,
même si l’on soutient qu’un grand nombre des opérations
notifiées ne pose en réalité que peu de problèmes de
concurrence, il semble que le nombre de décisions de « phase
II » aurait dû mécaniquement augmenter ou, à tout le moins,
ne pas diminuer.
En revanche, le nombre de décisions de « phase I » autorisant
les concentrations sous réserve d’engagements a
sensiblement augmenté depuis l’entrée en vigueur de la loi
NRE. Avant 2002, on dénombrait en moyenne trois décisions
de « phase I » avec engagements par an. En revanche, six
décisions de ce type ont été prises en 2003 et huit en 2004.
Cette montée en puissance des décisions de « phase I » avec
engagements est également perceptible si l’on compare le
contenu de ces décisions avec celui des décisions de « phase
II ».
1.2.2. L’examen d’affaires complexes par le ministre de
l’Économie
Une comparaison des décisions récentes en matière de
concentrations révèle que les différences entre le contenu des
décisions de « phase I » et celui des décisions de « phase II »
s’amenuisent. En effet, les affaires complexes nécessitant une
analyse approfondie ou des engagements détaillés ne
semblent plus requérir nécessairement une consultation du
Conseil de la concurrence. Désormais, ce sont souvent les
services du ministre de l’Économie qui assument le rôle
d’expert juridique et économique.
Deux décisions récentes mettent en évidence la tendance
selon laquelle ce sont les services du ministre qui, dans de
nombreux cas, se chargent d’étudier les affaires complexes et
de négocier des éventuels engagements avec les parties.
Dans l’affaire Lesieur/Puget, le ministre de l’Économie a
autorisé l’acquisition par la société Lesieur des marques d’huile
d’olive Puget détenues par Unilever Bestfoods France.
L’opération concernait essentiellement le marché de la vente
d’huile d’olive destinée aux particuliers commercialisée par le
canal de la grande distribution, sur lequel Puget et Lesieur sont
respectivement les premier et deuxième opérateurs du
marché. Après avoir analysé les effets horizontaux de
l’opération et déduit l’absence de renforcement d’une position
dominante, le ministre s’est concentré sur l’étude des effets
unilatéraux induits par la création d’un opérateur dominant sur
le segment des marques de fabricants. À cet égard, le ministre
a relevé que l’acquisition de Puget permettrait à Lesieur de
détenir toute la gamme des marques de fabricant d’huiles
d’olive proposées par les grandes et moyennes surfaces,
notamment les deux marques d’huile d’olive classique les plus
37
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
connues. Cette position de force pourrait permettre à Lesieur
de faire abstraction de la pression concurrentielle des autres
opérateurs et d’augmenter ses prix. En cas de hausse de prix,
les consommateurs sensibles aux marques continueraient à
acheter des huiles Lesieur et Puget tandis que les
consommateurs sensibles aux prix reporteraient leur
consommation vers les marques de distributeur. Ainsi, une
hausse de prix pourrait bénéficier à la fois à la nouvelle entité
et à la grande distribution, entraînant la constitution d’une rente
partagée.
Par conséquent, la concentration n’a pu être autorisée par le
ministre que grâce à deux séries d’engagements. Dans un
premier temps, les parties se sont engagées à céder deux
marques d’huile d’olive ainsi qu’à résilier le contrat prévoyant la
distribution par Lesieur de la marque Carapelli. Dans un
second temps, afin de remédier aux effets de gamme et de
portefeuille, les parties se sont engagées, pour une durée de
trois ans, à ne pas proposer aux enseignes de la grande
distribution de remises de gamme ou d’assortiment portant sur
le référencement simultané de plusieurs références d’huile
d’olive et d’huile de graine.
Les effets unilatéraux de l’opération de concentration ont
12
également été étudiés dans l’affaire Leroy Merlin/OBI , qui
concernait l’acquisition de trente magasins en propre et sept
magasins franchisés dans le secteur de la vente au détail
d’articles de bricolage et d’amélioration de l’habitat. Le ministre
a en effet considéré que sur quatre marchés locaux (Istres,
Compiègne, La Rochelle et Strasbourg), l’entreprise fusionnée
pourrait augmenter unilatéralement ses prix grâce au report
des clients vers un autre de ses établissements présent sur le
même marché. L’opération n’a donc pu être autorisée par le
ministre que grâce à deux séries d’engagements. D’une part,
les parties se sont engagées à céder certains de leurs
magasins. D’autre part, elles ont souscrit des engagements
comportementaux en vertu desquels elles se sont engagées,
pendant trois ans, à ne pas procéder à la création, à
l’extension ou au transfert de surfaces de vente destinées à la
vente au détail d’article de bricolage sur certains marchés
locaux.
À l’inverse, les décisions de « phase II » intervenues depuis la
réforme ne concernent pas toujours des affaires aussi
complexes ou importantes que les précédentes. Ainsi, si l’on
excepte deux décisions intervenues dans des cas de
13
redressement judiciaire , le Conseil de la concurrence a eu à
examiner quatre affaires dont deux seulement ont fait l’objet
d’une décision rendue publique.
La première affaire était relativement importante dans la
mesure où il s’agissait d’une acquisition dans le secteur de la
presse gratuite qui aboutissait à la création d’un monopole sur
dix marchés locaux et qui portait atteinte à la concurrence sur
15
trente autres marchés locaux . L’opération n’a donc été
autorisée que grâce aux engagements souscrits par les
parties.
Les parties se sont engagées à céder les éléments composant
le fonds de commerce d’un titre et à octroyer des licences de
marques à l’acquéreur pour une durée de sept ans. Elles se
sont également engagées à ne pas proposer pendant cinq ans
d’offres couplées entre la presse gratuite et la presse régionale
ainsi qu’à renoncer à la clause d’exclusivité consentie par La
Poste concernant la distribution des journaux gratuits. Ni la
complexité de l’affaire ni les engagements ne semblent
12
Lettre du ministre de l’Économie du 10 février 2003, BOCCRF du
30 septembre 2003, p. 587.
13
Lettre du ministre de l’Économie du 20 janvier 2003, affaire Alliance
Santé Distribution/Ouest Répartition Pharmaceutique, BOCCRF du 11
août 2003, p. 495. Lettre du ministre de l’Économie du 16 août 2004,
Affaire Seb/Moulinex, BOCCRF du 21 janvier 2005, p. 25.
15
Lettre du ministre de l’Économie du 29 avril 2003, affaire France
Antilles/Comareg, BOCCRF du 5 décembre 2003, p. 860.
différencier cette décision des décisions de « phase I » citées
précédemment.
Quant à la seconde décision de « phase II », elle est
intervenue dans le cas d’une concentration qui aboutissait
certes à une réduction du nombre d’opérateurs sur le marché
national du traitement des chèques, mais qui concernait une
entreprise dont l’importance économique était relativement
16
faible . Par ailleurs, il convient de souligner que le Conseil de
la concurrence était arrivé à la conclusion que l’opération
n’était pas de nature à porter atteinte à la concurrence tandis
que le ministre de l’Économie a exigé que les entreprises
souscrivent un certain nombre d’engagements.
Force est donc de constater, au vu des décisions précitées,
que l’examen des opérations complexes n’est plus
systématiquement réservé au Conseil de la concurrence. Cette
moindre importance du Conseil n’est pas le fruit d’une politique
délibérée des services du ministre de l’Économie. Elle est le
résultat de l’inadéquation entre la structure institutionnelle de
contrôle et les nécessités de la vie des affaires. Afin de
redonner au système sa cohérence et son efficacité, il semble
nécessaire de réformer l’architecture institutionnelle du
système français de contrôle des concentrations.
2. La nécessité d’une réforme institutionnelle
La structure institutionnelle bicéphale de contrôle des
concentrations souffre d’un certain nombre de handicaps qui la
mettent en porte à faux par rapport aux nécessités de la vie
économique. Contraintes par le rythme de la vie des affaires et
le besoin de sécuriser rapidement des situations stables, les
entreprises ont intérêt à éviter un passage en « phase II »,
chaque fois que cela est possible. À cette fin, elles ont su tirer
parti de dispositions légales ou de certaines pratiques
administratives pour limiter la durée des procédures. La mise
en place d’une autorité unique chargée du contrôle des
concentrations, comme dans de nombreux autres pays,
pourrait à cet égard être extrêmement bénéfique.
2.1. L’inadaptation de la structure institutionnelle aux
besoins économiques
2.1.1. Les handicaps du Conseil de la concurrence
La procédure devant le Conseil de la concurrence souffre d’un
manque de flexibilité. Le Conseil ne dispose que de trois mois
pour examiner l’opération et donner son avis. Le rapporteur du
Conseil de la concurrence chargé d’examiner le dossier doit
communiquer son rapport aux parties au moins trois semaines
avant la séance du Conseil. Ainsi, la durée réelle dont dispose
le rapporteur pour effectuer son enquête est au maximum de
deux mois alors que les fonctionnaires de la DGCCRF, si l’on
tient compte de la phase de prénotification, peuvent disposer
en pratique de trois à quatre mois.
Ce peu de temps laissé au rapporteur du Conseil de la
concurrence pour procéder à l’examen d’une opération est
particulièrement problématique au vu de la complexité
croissante des dossiers en matière de contrôle des
concentrations. Désormais, les autorités de contrôle des
concentrations
doivent se livrer à des
analyses
économétriques poussées, approfondies et détaillées. De
surcroît, sous l’influence de la pratique communautaire, les
autorités examinent tous les marchés locaux ou régionaux
concernés par l’opération, même si la taille de certains d’entre
eux est relativement insignifiante. La fixité des délais qui
enserrent la consultation du Conseil de la concurrence le
désavantage donc pour l’examen des dossiers complexes
(sur lesquels il est cependant supposé intervenir en tant
qu’expert !).
16
Lettre du ministre de l’Économie du 10 septembre 2003, affaire
Experian Holding France/Atos Investissement, BOCCRF du 12 mars
2004, p. 147. Le chiffre d’affaires de la cible était d’environ 60 millions
d’euros.
38
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
Par ailleurs, il convient de souligner qu’à l’issue de la « phase
II », la décision est prise par le ministre de l’Économie qui n’est
pas obligé de suivre l’avis du Conseil de la concurrence. Les
entreprises ont donc tout intérêt à négocier les engagements
avec les services du ministre dès la « phase I », ce qui leur
permet de gagner du temps et d’éviter l’impact médiatique plus
prononcé que confère à un dossier une décision de
« phase II ».
Comparée à la consultation du Conseil de la concurrence, la
« phase I », rendue plus flexible par la pratique et certaines
dispositions légales, est particulièrement attractive pour les
entreprises qui privilégient avant tout la rapidité et l’efficacité.
2.2.2. La souplesse de la « phase I »
Tant la pratique de la prénotification que la possibilité expresse
pour le ministre de négocier des engagements avec les parties
en « phase I » contribuent à accroître la flexibilité du contrôle
des concentrations, répondant ainsi aux attentes des
entreprises.
Sous l’influence de la pratique communautaire, il est devenu
fréquent qu’avant la « phase I », les parties nouent des
contacts informels avec l’Administration afin de discuter de
l’opération de concentration envisagée. Cette phase de
prénotification permet notamment de déterminer quelles
informations doivent être fournies afin que le dossier soit
complet et présente un intérêt « pour défricher la question
parfois complexe de la délimitation des marchés
17
concernés » . Cette phase de dialogue permet également de
commencer à négocier des engagements s’il existe un risque
d’atteinte à la concurrence. La durée de la phase de
prénotification est variable. Dans des cas d’une difficulté
18
exceptionnelle, elle peut durer plusieurs mois . Ainsi, la
pratique de la prénotification introduit une grande souplesse
dans le délai de « phase I » et permet aux enquêteurs de la
DGCCRF de bénéficier pour l’examen des affaires les plus
difficiles d’autant sinon de plus de temps que les rapporteurs
du Conseil de la concurrence.
Par ailleurs, il convient de souligner que la possibilité pour le
ministre de négocier des engagements avec les parties en
« phase I » n’est expressément prévue par les textes que
depuis la loi NRE.
Auparavant, l’article 40 de l’ordonnance de 1986 prévoyait que
les parties pouvaient assortir elles-mêmes leur notification
d’engagements. Toutefois, il n’était pas explicitement prévu
que les parties pouvaient compléter leur notification par des
engagements négociés avec les services du ministre
postérieurement à la notification dès la « phase I ». Certes, la
négociation d’engagements en
« phase I » avait lieu en
pratique et a donné lieu à plusieurs décisions. Toutefois, le
fondement juridique de ces décisions était douteux. Ceci
explique sans doute en partie le nombre relativement limité de
décisions de « phase I » avec engagements antérieures à la loi
NRE.
En tout état de cause, il convient de souligner que les
décisions de « phase I » avec engagements antérieures à
2002 mettent généralement en place des engagements
beaucoup moins détaillés et sophistiqués que les décisions
actuelles. Ainsi, les engagements présentés étaient souvent
des engagements structurels (cessions de magasins ou de
participations), parfois associés à des engagements
comportementaux relativement simples tels l’engagement de
19
sous-traiter certaines activités à des tiers ou de modifier
20
certains des contrats d’approvisionnement existants . Par
ailleurs, contrairement à la pratique actuelle, le texte intégral
des engagements n’était généralement pas rendu public.
La loi ayant officialisé la pratique décisionnelle antérieure, le
ministre et les parties peuvent désormais négocier des
engagements en « phase I » même dans les affaires
présentant une difficulté particulière, et ce en toute sécurité
juridique. Ceci permet aux parties de trouver rapidement des
solutions aux problèmes de concurrence en n’ayant qu’un seul
interlocuteur.
La préférence des entreprises pour la « phase I » ne peut que
nous conduire à nous interroger sur la pertinence du système
actuel de contrôle des concentrations et la nécessité de mettre
en place une unique autorité de contrôle des concentrations
comme dans de nombreux pays.
(…)
La dualité institutionnelle du système français de contrôle des
concentrations est donc bien une exception française dont le
maintien paraît de plus en plus incertain. Il est difficile
d’apprécier si la suppression de cette dualité résultera de la
pratique régulatrice elle-même (la consultation du Conseil
tombant de facto en déshérence) ou d’une réforme législative.
Il est également délicat d’anticiper au profit de quelle institution
l’abolition de la dualité se fera. Il n’empêche que cette abolition
paraît inéluctable et que les débats qui l’entoureront seront très
animé
17
Projet de lignes directrices relatives à l’analyse des concentrations
et aux procédures de contrôle, disponible sur le site Internet de la
DGCCRF, point 62.
18
Par exemple, le projet d’acquisition conjointe de Télé Monté Carlo
par le groupe AB et TF1 a été mentionné pour la première fois dans
Les Echos le 9 juin 2004. La notification de la concentration a eu lieu
le 2 septembre 2004 et le ministre a autorisé l’opération sous réserve
d’engagements le 27 octobre 2004 (cf. Lettre du ministre de
l’Économie du 27 octobre 2004, BOCCRF du 21 janvier 2005, p. 43).
(…)
19
Voir par exemple la Lettre du ministre de l’Économie du 4 février
2000, BOCCRF du 22 juin 2000, p. 327.
Voir par exemple la Lettre du ministre de l’Économie du 2 octobre
2000, BOCCRF du 30 décembre 2000, p. 809. Lettre du ministre de
l’Économie du 13 décembre 1999, BOCCRF du 31 janvier 2000, p.
10.
20
39
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
Proposition du rapport de la Commission pour la libération de la croissance française
décembre 2007, p. 140
Proposition n° 187 : Attribuer à la seule Autorité de la qu’ailleurs. Le bilan économique des opérations est en outre
concurrence le contrôle concurrentiel des opérations de délaissé, les deux institutions privilégiant le bilan concurrentiel.
concentration.
Par ailleurs, la confusion des rôles entretient la suspicion :
Le contrôle des concentrations impose aujourd’hui deux bilans l’analyse du ministre s’expose en effet à la critique de dissimuler
successifs : un bilan concurrentiel, puis un bilan économique et des considérations extérieures à la concurrence derrière un
social. Le ministre est seul chargé de les effectuer dans les cas raisonnement concurrentiel, comme l’a souligné l’OCDE. Cela
simples, tandis que le Conseil de la concurrence lui fournit son nuit considérablement à la crédibilité des décisions de
concentration et rejaillit sur l’influence des autorités de
expertise dans les cas plus compliqués.
La pratique actuelle ne reflète cependant plus le partage des concurrence françaises, tant auprès de nos partenaires
rôles prévu par les textes, le nombre d’affaires faisant l’objet d’un européens que vis-à-vis de la Commission européenne.
examen approfondi ayant considérablement chuté depuis 15 ans Il faut donc confier l’appréciation de l’intégralité du bilan
(12 en 1993, 2 en 2007). Ce chiffre est deux à quatre fois concurrentiel à l’Autorité de concurrence indépendante à laquelle
inférieur à celui constaté dans les États membres de l’UE dont la seront également notifiées les opérations de concentration. Sur le
population, le niveau de richesse, le tissu entrepreneurial et le modèle allemand et espagnol, le ministre chargé de l’Économie,
marché sont comparables à la France (Allemagne, Espagne, responsable du bilan économique et social, aura la faculté de
Italie, Royaume-Uni). Cette situation ne permet pas aux acteurs passer outre la décision de cette autorité en invoquant de
du contrôle des concentrations d’être aussi performants manière motivée et transparente d’autres raisons d’intérêt général
pouvant prévaloir sur la seule logique concurrentielle.
Bibliographie sommaire
F. AMAND, « Révision 2007 des lignes directrices de la DGCCRF relatives au contrôle des concentrations », Concurrences,
2007/2
J-F. BELLIS, « Le régime des concentrations » pp. 53-74, in A. PUTTEMANS (coord.), Aspects récents du droit de la
concurrence, Bruylant, 2005, 214 p.
F. BRUNET, I. GIRGENSON, « La double réforme du contrôle communautaire des concentrations », Revue trimestrielle de
droit européen, janvier-mars 2004/ 1, p. 1
G. CERUTTI, « Bilan et perspectives du contrôle français des concentrations », Concurrences, 2006, n° 3, p. 50
J-M. COT « Le traitement spécifique des intérêts légitimes et essentiels des Etats membres en droit communautaire de la
concurrence », Concurrence et consommation, décembre 2007, n° 156, p. 57
M. COUSIN, « Regards sur le contrôle des concentrations dans les secteurs régulés en 2006 », in J-B BLAISE, « Actualité
2006 en droit de la concurrence », Les Petites Affiches, 29 novembre 2007, n° 239, p. 3
J-P. DE LA LAURENCIE, « Un acquis fondamental mais perfectible », entretien in Bulletin de l’ILEC, décembre 2006, n° 377,
p. 3
M. DREHER, « Deutsche Ministererlaubnis in der Zusammenschlusskontrolle und europäisches Kartellrecht » , Wirtschaft und
Wettbewerb, 2002, p. 930.
D. ENCAOUA, R. GUESNERIE, , Politiques de la concurrence, Rapport du Conseil d’Analyse Economique, La Documentation
française, 2006, 304 p.
C. ENGEL, « Meinungsvielfalt durch Ministererlaubnis », Zeitschrift für Wettbewerbsrecht, 2003, p. 448
E. GLASER, « Contrôle des concentrations dans le domaine de la presse : cumul des contrôles », Dt. Adm, mai 2007, n° 5
M-D. HAGELSTEEN, « Vers la convergence ? », Concurrences, n°1-2007, p. 16 ; « Quelles mutations juridiques et
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économiques pour le contrôle des concentrations », in Guy CANIVET, L. IDOT, Vingtième anniversaire de l’ordonnance du 1
décembre 1986 : évolutions et perspectives, LexisNexis Litec, 2006, p. 143 ; « L’organisation française de la concurrence : un
modèle qui pourrait être revu », Revue Lamy de la Concurrence (RLC), 2005/1, n° 101, p. 144
L. IDOT, « Loi NRE/Concurrence : La deuxième partie de la loi NRE ou la réforme du droit français de la concurrence », JCP.
Ed. G, 2001.I.343. ; « La réforme du droit français des concentrations », J.C.P. éditions E, Cahiers de Droit des Entreprises,
2001, n° 4 ; « Le nouveau règlement CE sur les conc entrations », Europe, mars 2004 ; « Les concentrations dans le secteur
des médias : business as usual ? », Revue internationale de droit économique, 2005, n° 1, pp. 5-25
P. KIRCH, C. LIO SOON SHUN, « Mise en oeuvre de l’article 22 du Règlement CE concentrations : le point de vue français
est-il contraire à la pratique communautaire ? », Concurrences, 2007/4, p. 45
A. PAPPALARDO, « Le nouveau règlement sur le contrôle des concentrations : de nouvelles règles pour les entreprises dans
une Europe élargie ou une étape supplémentaire dans la recherche d’un régime stable », Revue du droit de l’Union
européenne, 2004, n° 2, p. 155
J. TEMPLE LANG, « Schneider/Legrand : quelle portée pour la responsabilité de la Commission ? », 2007/13, n° 888, p. 9
E. TUCNY, « Le contrôle des concentrations dans le secteur bancaire », Revue du droit public et de la science politique en
France et à l’étranger, m ai-juin 2005, tome 121, n°3, p. 665
F. SOUTY, La politique de la concurrence en Allemagne fédérale, PUF, 2007, 127 p.
F. ZIVY, « Quel schéma institutionnel pour la régulation de la concurrence ? Un portrait de la famille européenne »,
Concurrences, 2007/4, p. 50
40
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
3/ TABLE RONDE N° 3 :
Quelles techniques de contrôle et de
prévention pour les concentrations ?
3-1/ Introduction thématique et présentation des intervenants
L’objet de la table ronde est d’évaluer la pertinence des différentes techniques et modalités de contrôle et de prévention des
effets des concentrations, en analysant à la fois contrôle ex ante (effet sur les structures) et ex post (modification des
comportements).
La table ronde aura pour objet de débattre notamment sur :
La convergence entre remèdes comportementaux et structurels pour prévenir les effets potentiellement néfastes des
concentrations.
L’essor de nouvelles procédures de contrôle (remèdes ; engagements ; surveillance des comportements…) comme celle du
mandataire.
3-2/ Présentation des intervenants
Présidence :
Bruno LASSERRE
(Hamilton/REA)
Intervenants :
Catherine PRIETO
Président du Conseil de la concurrence
Bruno Lasserre est un ancien élève de l’Ecole nationale d’administration (ENA), à l’issue de
laquelle il est entré au Conseil d’Etat, en 1978. Il détient aujourd’hui le grade de conseiller d’Etat.
Après huit années passées au Conseil d’Etat, il a rejoint en 1986 le ministère des postes et
télécommunications, au sein duquel il a exercé les fonctions de directeur de la réglementation
générale, entre 1989 et 1993, puis de directeur général des postes et télécommunications, entre
1993 et 1997.
Au cours des huit années pendant lesquelles il a ainsi dirigé l’autorité chargée de la régulation des
télécommunications, il a été le principal architecte de la réforme d’ensemble du secteur, qui s’est
traduite par son ouverture complète à la concurrence, par la mise en place d’une autorité de
régulation indépendante et par la privatisation de l’opérateur historique. A l’issue de cette réforme,
il a été chargé par le ministre des affaires étrangères et par le ministre de l’industrie de conduire
une mission internationale destinée à la présenter et à l’expliquer aux gouvernements et aux
autorités de nombreux pays étrangers.
Revenu au Conseil d’Etat en 1998, il a présidé pendant trois ans la 1ère sous-section du
contentieux, avant d’occuper, de 2002 à 2004, les fonctions de président-adjoint de la section du
contentieux.
Parallèlement à ces fonctions, il a été membre du Conseil de la concurrence, de 1998 à 2004,
avant d’en devenir le président le 28 juillet 2004.
Professeur à l’université d’Aix-Marseille
Titulaire du CAPA (1989) et agrégée des Facultés de droit (concours de droit privé 1995),
Catherine Prieto a enseigné à l’Université de Toulon et du Var, puis à l’Université Paul Cézanne
Aix-Marseille où elle a exercé les fonctions de vice-doyen de la Faculté de droit (1999-2002) et de
vice-présidente de l’Université (2002-2005).
Elle enseigne le droit de la concurrence et est auteur de nombreux articles et de chroniques dans
ce domaine (revue Concurrences, Revue des contrats, Journal du droit international- Clunet).
Depuis 2008, elle co-dirige la Revue trimestrielle de droit européen.
41
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
Pierre SIMON
Président de la CCIP
Pierre Simon est diplômé de l’Institut d’Etude Politique de Lyon et docteur en droit. Après une
première expérience de Commissaire de la marine nationale (1959-1966), il intègre la Société
Lyonnaise de Banque en tant que Fondé de pouvoir, il en deviendra Directeur Général Délégué. Il
entre ensuite en tant que Secrétaire Général à la Banque Paribas avant d’être nommé
Administrateur Directeur Général, puis Président du Crédit du Nord (groupe Paribas). Il en est
Président d’honneur. En 1997, il est Directeur Général de l’Association des Etablissements de
Crédit et des Entreprises d’Investissement.
Européen convaincu, il a joué un rôle majeur dans le passage à l’Euro. Il a également été nommé
en 2002, membre du Conseil Economique et Social Européen.
Membre de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris depuis 1994, il en a été élu Président
en décembre 2004, il préside également la Chambre Régionale du Commerce et d’Industrie
« Paris Ile de France ». Il a été élu Président d’Eurochambres le 28 septembre 2005 à Stavanger
en Norvège et réélu à Paris le 24 octobre 2007.
Antoine WINCKLER
Avocat à la Cour (Cleary Gottlieb)
Antoine Winckler a obtenu ses diplômes juridiques des universités de Paris et Nice,
respectivement en 1979 et 1984. Il est ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure (promotion
1976) et de l’Ecole Nationale d’Administration (promotion 1983). Il est agrégé de philosophie.
Monsieur Winckler est membre du Barreau de Paris et plaide régulièrement devant la Cour de
Justice Européenne, le Tribunal de première instance de la Communauté ou la Cour d’Appel de
Paris. Sa pratique contentieuse est centrée sur les cas de droit communautaire et Français de la
concurrence (concentrations, cartels et abus de position dominante) et d’aides d’état. Il intervient
également régulièrement devant le Conseil de la concurrence français.
Antoine Winckler a commencé sa carrière à Bruxelles au sein du cabinet de Cleary, Gottlieb,
Steen & Hamilton en 1985 et est devenu associé en 1992. Il conseille de nombreux clients publics
et privés (par exemple, dans le cadre des affaires Nestlé/Perrier, Schneider, Elf/TotalFina,
Microsoft c. Commission, Arcelor-Mittal ou Danone).
Membre de l’International Bar Association, de l’Association des Juristes Européens, de l’AFEC et
du European Competition Lawyers Forum, Antoine Winckler est l’auteur de nombreux articles sur
le droit de la concurrence et le droit constitutionnel européen. Il est responsable de la rubrique
« concentrations » de la Revue Lamy de la Concurrence.
Pascal WILHELM
Avocat à la Cour (Wilhelm&Associés)
Pascal Wilhelm exerce son activité principalement en droit des médias, en droit de la concurrence
et de la distribution.
Après plusieurs expériences dans des cabinets d’avocats français, il a créé le cabinet WILHELM &
Associés.
Chargé de cours en droit de la communication à l’Université de Paris Dauphine, il a publié de
nombreux articles sur le droit des concentrations.
Jacques VISTEL
Conseiller d’État honoraire
Après HEC et l’ENA, Jacques Vistel entre au Conseil d’Etat en 1964, où se déroule l’essentiel de
sa carrière, à la section du Contentieux, et plus brièvement à la section de l’Intérieur, avec des
incursions dans le domaine de la culture et de la communication. Sur ce dernier point, il devient en
1985-1986, chef du service juridique et technique de l’information, prédécesseur de l’actuelle
Direction des médias, lorsqu’a été décidée la création de télévisions privées. Ultérieurement,
nommé médiateur du cinéma, autorité administrative indépendante chargée de régler les litiges
entre distributeurs et exploitants, l’essentiel des affaires mettant en cause les éventuels abus de
position dominante des grands réseaux d’exploitation cinématographique. Directeur du cabinet du
ministre de la culture et de la communication de 2000 à 2002, M. Vistel quitte le Conseil d’Etat en
2004. Il est depuis 2007 agréé par le ministre de l’économie en qualité de mandataire du groupe
« Canal + », chargé du respect par ce groupe des engagements souscrits lors du rachat de la
société TPS.
42
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
3-3/ Documentation : textes, jurisprudence et doctrine
Communications de la Commission européenne
Communications
sur les mesures correctives recevables, JO 2001 68/03
relative aux restrictions directement liées et nécessaires à la réalisation des opérations de concentration, JO
2005 C 56/24
relative aux règles d’accès aux dossiers de la commission relevant des articles 81-82 CE, 53, 54, 57 EEE et
du règlement 139/2004 du Conseil, JO 2005 C 325
Projet de communication révisée sur les mesures correctives applicables selon le règlement n° 139/2004 sur
le contrôle des concentrations entre entreprises, 24 avril 2007, IP/07/544
Législation française : articles du Code de commerce
Article L. 430-5
du Code de
commerce
(extraits)
Article L. 430-9
du Code de
commerce
(extraits)
Modifié par Loi n°2001-420 du 15 mai 2001 - art. 90 () JORF 16 mai 2001(…)
II. - Les parties à l'opération peuvent s'engager à prendre des mesures visant notamment à remédier, le cas
échéant, aux effets anticoncurrentiels de l'opération soit à l'occasion de la notification de cette opération, soit à
tout moment avant l'expiration du délai de cinq semaines à compter de la date de réception de la notification
complète, tant que la décision prévue au I n'est pas intervenue.
Si les engagements sont reçus par le ministre plus de deux semaines après la notification complète de
l'opération, le délai mentionné au I expire trois semaines après la date de réception desdits engagements par le
ministre chargé de l'économie.
Créé par Loi n°2001-420 du 15 mai 2001 - art. 91 JO RF 16 mai 2001
Le Conseil de la concurrence peut, en cas d'exploitation abusive d'une position dominante ou d'un état de
dépendance économique, demander au ministre chargé de l'économie d'enjoindre, conjointement avec le
ministre dont relève le secteur, par arrêté motivé, à l'entreprise ou au groupe d'entreprises en cause de modifier,
de compléter ou de résilier, dans un délai déterminé, tous accords et tous actes par lesquels s'est réalisée la
concentration de la puissance économique qui a permis les abus même si ces actes ont fait l'objet de la
procédure prévue au présent titre.
Exemple de mandat
Mission du Le ministre chargé de l'économie a agréé M. Jacques Vistel en tant que mandataire indépendant
mandataire de chargé de veiller à la bonne mise en oeuvre des 59 engagements ayant conditionné l'autorisation de
l’affaire Canal+/TPS l'acquisition de TPS par le groupe Canal Plus.
Par décision du 30 août 2006, le Ministre chargé de l'économie a autorisé le rapprochement des platesDécision du ministre formes satellite CanalSat et TPS (décision C2006-2, Canal +/TPS). Cette autorisation a été donnée après
du 30 août 2006 dépôt par les entreprises concernées par l'opération de 59 engagements répondant aux risques d'atteinte à
BOCCRF n°7 bis du la concurrence que la fusion soulevait sur de nombreux marchés.
15 septembre 2006 Le suivi du dispositif des engagements est, aux termes même de ces derniers, confié à un mandataire
indépendant.
Le contrat de mandat entre le groupe Canal Plus et le mandataire, apprécié par la DGCCRF lors de
l’instruction de la demande d’agrément de M. Vistel, précise l'articulation du suivi des engagements, le rôle,
les obligations et les pouvoirs du mandataire.
Aux termes de ce mandat, M. Jacques Vistel a pour mission de :
(i) s’assurer de la bonne mise en oeuvre par le groupe Canal Plus des engagements annexés à la décision
d’autorisation du 30 août 2006, et en particulier, comme détaillé plus avant, des engagements relatifs à la
reprise de chaînes, à la mise à disposition de chaînes, à l’accès aux droits et à la publicité ;
(ii) faire rapport au Ministère chargé de l’économie de l’état de réalisation des engagements, dans les
conditions détaillées plus avant ;
(iii) s’efforcer, dans la mesure du possible, de procéder au règlement du ou des litige(s) en cas de
désaccord persistant entre le groupe Canal Plus et un ou des éditeur(s) de Chaînes Indépendantes,
conformément à l’engagement n°40, dans les conditio ns détaillées plus avant.
Le mandataire saisira la DGCCRF de tout litige ou toute difficulté lié à l’interprétation des engagements, ou
pour toute question relative à la conduite de sa mission. (…)
L’accès des tiers au mandataire. A tout moment, le Mandataire pourra se rapprocher des tiers en rapport
avec l’exécution des engagements. Les tiers intéressés et leurs représentants (syndicats) pourront par
ailleurs se rapprocher de lui pour l’informer et lui communiquer tout document qu’ils jugent utile à sa
mission. Les tiers pourront également informer directement le Mandataire de tout litige en rapport avec
l’exécution des engagements.
43
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
Jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes ; décisions du ministre
de l’Economie ; avis du Conseil de la concurrence ; jurisprudence du Conseil d’Etat
Jurisprudence de la CJCE
Commission c/ Espagne L'Espagne a enfreint les règles du droit communautaire en ne supprimant pas les conditions
CJCE, 6 mars 2008, pour l'acquisition d'Endesa par E.On.
aff. C-196/07 En février 2006, E.On, entreprise allemande spécialisée dans le secteur de l'énergie, a présenté une
offre publique d'achat de la société espagnole Endesa. La concentration ayant une dimension
communautaire, la Commission l'a autorisée sans condition, en avril. Puis, la Commission nationale de
l'énergie espagnole a adopté en juillet une décision subordonnant l'autorisation du projet de
concentration au respect de 19 conditions. En septembre, la Commission a adopté une décision
disposant que l'Espagne avait enfreint le Règlement sur les concentrations en soumettant l'acquisition
d'Endesa à des conditions incompatibles avec le droit communautaire. Elle a demandé à l'Espagne de
supprimer « sans délai » ces conditions. Considérant que l'Espagne ne s'était pas conformée à sa
décision, la Commission a introduit un recours en manquement devant la Cour de justice. La CJCE
constate qu'en n'ayant pas supprimé certaines conditions posées par la CNE qui avaient été déclarées
incompatibles avec le droit communautaire, l'Espagne a manqué aux obligations lui incombant en vertu
de ce droit. En outre, la Cour ajoute que l'Espagne n'a pas démontré qu'elle se trouvait dans
l'impossibilité d'exécuter les décisions de la Commission. Ainsi, le fait que l'offre publique d'achat de
l'entreprise allemande n'ait pas produit d'effets ne constitue pas une impossibilité absolue d'exécution,
et ne prive ni d'objet ni d'intérêt le recours en manquement.
Décisions du ministre
Carrefour
21 août 2007
BOCCRF n° 7 du 14
septembre 2007
CCIP/Unibail
13 novembre 2007
BOCCRF n°9 bis du 6
décembre 2007
Première sanction pécuniaire infligée à une entreprise pour non-respect d’engagements
souscrits
Autorisation du rapprochement des activités de la CCIP de Paris et de la société Unibail, sous
réserve des engagements proposés par les parties, tels que discutés devant le Conseil
Avis du Conseil de la Concurrence
Acquisition des sociétés
TPS et CanalSatellite par
Vivendi Universal et
Groupe Canal Plus
13 juillet 2006
Av. n° 06-A-13
L’effet horizontal potentiel le plus visible de cette fusion était le renforcement de la position dominante
du groupe Canal Plus sur les marchés aval de la télévision payante. En amont, l’opération renforçait la
puissance d’achat de la nouvelle entité sur les marchés de l’acquisition de droits sportifs, mais les
détenteurs de droits du football conservent cependant un contre-pouvoir qui limite sensiblement la
puissance de la nouvelle entité.
S’agissant des effets verticaux, le Conseil a identifié le risque de refus d’accès aux chaînes de
télévision distribuées par la nouvelle entité qui pourrait être opposé aux concurrents sur les marchés
aval de la télévision payante, principalement aux fournisseurs d’accès à internet désireux de proposer
des offres de télévision sur ADSL, les câblo-opérateurs bénéficiant quant à eux d’un droit
d’accès aux chaînes.
Le Conseil a estimé que la concentration allait regrouper au sein de la nouvelle entité trois marques
majeures du secteur de l’audiovisuel : Canal Plus, CanalSat, et TPS, que la détention de ce portefeuille
de marques pourrait constituer ou renforcer les barrières à l’entrée sur les marchés intermédiaires et
renforcerait le pouvoir de négociation de la nouvelle entité vis-à-vis des éditeurs et distributeurs
indépendants.
Le Conseil a estimé que les gains d’efficacité mis en avant par les parties ne compensaient pas les
atteintes à la concurrence dénoncées.
Trois grandes catégories de remèdes ont alors été préconisés :
Les remèdes destinés à permettre l’accès des concurrents aux contenus (comme ne pas pratiquer
d’offres couplant achats de droits pour la PPV, la VoD et la télévision payante ni acquérir d’exclusivité
sur ces droits)
Les remèdes destinés à permettre l’accès aux chaînes (comme mettre à disposition sur le marché
de gros plusieurs chaînes, dont TPS Star, TPS CinéStar, TPS Cinéculte)
Les engagements destinés à permettre le maintien d’une offre attractive pour les
consommateurs (comme reprendre une proportion minimale de chaînes indépendantes
conventionnées par le CSA en langue française sur le satellite, par rapport à l’ensemble des chaînes
conventionnées par le CSA en langue française et distribuées par la nouvelle entité)
44
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
Rapprochement des
activités de la CCIP et de
la Société Unibail
Holding SA
26 septembre 2007
Av. n° 07-A-10
Les parties à cette concentration mettaient en avant les extensions de surface que l’opération leur
permettrait de financer et leurs répercussions sur l’activité et l’emploi. Elles faisaient également valoir
que l’opération était indispensable pour faire face à la concurrence internationale.
Le Conseil a estimé que les progrès économiques liés à l’opération, notamment l’extension du site de
Paris Nord Villepinte (PNV), étaient bien établis au plan qualitatif même s'ils restaient difficiles à chiffrer.
Il a, de plus, constaté l’impossibilité pour la CCIP de réaliser seule les investissements d’extension de
PNV. Il a toutefois estimé que ces gains étaient insuffisants pour compenser à eux seuls les problèmes
de concurrence soulevés par l’opération et a estimé que des engagements de nature structurelle
étaient nécessaires et que, d’une façon générale, ces engagements devaient permettre d’atteindre les
objectifs suivants :
Laisser se créer un opérateur parisien susceptible de financer des augmentations de capacités, de
réaliser les gains d’efficacité liés à l’intégration verticale et à la gestion coordonnée des sites, et capable
de concurrencer plus efficacement les sites étrangers ;
Réguler efficacement les prix du monopole amont de la gestion des sites ;
Encadrer le développement de la nouvelle entité sur les marchés aval de l’organisation et des
prestations annexes afin d’éviter que sur ces marchés la concurrence ne soit faussée par le pouvoir de
marché détenu en amont.
Le Conseil a estimé que les engagements proposés par les parties s’inscrivaient dans ce schéma,
2
notamment celui portant sur l’extension du site de Paris-Villepinte de 135 000 m . Les parties ont
également proposé des engagements de nature comportementale visant à encadrer les hausses de
prix et à éviter les pratiques discriminatoires.
Jurisprudence du Conseil d’Etat
Société Interbrew France et Un arrêté ministériel est illégal si les tiers ne sont pas informés du projet de décision et de
Société The Coca-Cola l’avis du Conseil de la concurrence
Company
Sect. 9 avril 1999
req n° 191654 et 201853
Société Cora et Société Le juge de l’excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur l’existence d’une concentration.
Casino-Guichard- Par ailleurs, la décision de saisir le Conseil de la concurrence sur le fondement de l'article 11 de
Perrachon, l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'est pas détachable de la procédure suivie devant cette
Sect. 31 mai 2000 autorité. La juridiction administrative n'est donc pas compétente pour connaître de conclusions
req. n° 213161 dirigées contre une décision du ministre de l'économie demandant au Conseil de la concurrence
d'examiner si la création d'une filiale commune entre dans le champ des articles 7 et 8 de
l'ordonnance.
Société Fiducial Audit et Le Conseil d’Etat procède à une analyse des effets concurrentiels, en définissant les marchés
Société Fiducial Expertise puis en appréciant les risques de création ou d'aggravation d'une position dominante
30 juin 2006 collective entre les principaux opérateurs.
req. n° 283479 Il précise les éléments à prendre en considération et vérifie la solidité des éléments de preuve (effets
unilatéraux de l'opération de concentration et capacité des concurrents actuels ou potentiels de
l'oligopole à remettre en cause les résultats attendus d'une collusion tacite).
45
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
Extraits d’ouvrage et d’Article de doctrine ; Compte-rendu de colloque ; Rapport
Habib KAZZI, Le contrôle des pratiques anticoncurrentielles et des concentrations entre entreprises dans
une économie mondialisée : contribution à l'étude de l'application internationale du droit économique,
Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2007, pp. 238-252
II. L’exercice du contrôle
324. Structure du contrôle. La nature des organes chargés
d’exercer le contrôle des concentrations varie sensiblement
selon les systèmes juridiques. Dans de nombreux systèmes de
contrôle, l’examen relève de la compétence exclusive des
autorités administratives indépendantes en charge de la
concurrence, même si certains pays prévoient, par ailleurs, une
intervention exceptionnelle d’une autorité ministérielle pour
881
remettre en cause la décision adoptée . Dans un nombre
restreint de pays, le pouvoir décisionnel est confié à une
autorité publique. Il s’agit généralement du ministre en charge
de l’Economie qui peut, sous certaines conditions, requérir
l’avis de l’autorité de la concurrence. On sait, par exemple, que
la France a toujours opté pour un contrôle de nature politique
mais que sa position dans l’Union européenne est désormais
882
isolée . D’autres législations prévoient l’intervention d’un autre
organe politique. C’est le cas en particulier en Espagne où le
883
Conseil des ministres défient un rôle prépondérant . Enfin,
dans certains pays, dont les Etats-Unis, si les notifications et
l’instruction sont du ressort des autorités fédérales antitrust, le
884
pouvoir décisionnel relève des instances judiciaires .
881 En Allemagne, le BkartA est chargé de l’appréciation de
l’opération au plan fédéral du seul point de vue de la concurrence.
Dans le même temps, le ministre de l’Economie dispose d’un droit
d’autorisation d’une opération interdite par le BkartA (art. 24(3) de la
GWB). Celui-ci apprécie si une réduction de la concurrence peut
néanmoins être autorisée au nom d’impératifs d’intérêts publics
supérieurs, notamment au regard de considérations d’emploi ou de
compétitivité internationale. Dans cette hypothèse, le ministre doit
toutefois requérir l’avis d’une autorité consultative indépendante, la
Commission des monopoles (Monopolkommission). Sur ce
mécanisme : SOUTY (P.), La politique de la concurrence en
Allemagne fédérale. op. cit., spéc. pp. 94 et s.
882 La loi dite NRE du 15 mai 2001 n’a pas modifié le caractère
politique du contrôle en France. Le contrôle des concentrations relève
toujours du ministre de l’Economie qui peut éventuellement consulter
pour avis le Conseil de la concurrence. La DGCCRF est chargée de
la mise en oeuvre de ce contrôle. Pour un rappel sur ce point : IDOT
(L.), « La réforme du contrôle français des concentrations», JCP éd. E
supp. Cah. dr. entr. 4/2004, pp. 1 et s.
883 En effet, le pouvoir de décision appartient au Conseil des
ministres, qui consulte pour avis le Tribunal pour la défense de la
concurrence dans les cas de phase 2. La Cour suprême espagnole a
toutefois limité substantiellement le pouvoir de décision du Conseil
des ministres par deux arrêts en date du 1er et 2 avril 2002. La Cour
suprême a en effet jugé que le Conseil devait fournir une justification
motivée pour s’écarter de l’avis délivré par le Tribunal. En outre, les
décisions du Conseil des ministres qui interdisent ou soumettent les
concentrations à des conditions doivent être proportionnées à
l’objectif de protection de la concurrence effective et ne sont justifiées
par rapport à cet objectif que dans la mesure où il ne peut être mis en
oeuvre par d’autres moyens moins contraignants. Sur l’évolution du
droit espagnol : JALABERT-DOURY (N.), « Politiques de concurrence
», RDAI, n°8, 2002, pp. 923 et s., spéc. p. 930.
884 Les autorités américaines ne sont titulaires que d’un pouvoir de
recommandations basé sur le bilan de l’instruction menée. Avant
toute mise en oeuvre de ce pouvoir, les agents fédéraux donnent la
possibilité aux parties de présenter leurs arguments. Cette phase
obligatoire vise à rappeler aux parties les problèmes de concurrence
soulevés par l’opération, mais ne concerne pas les suites judiciaires
car la décision finale demeure dans les mains de l’AAG. Un
mémorandum est alors élaboré, en étroite collaboration avec les
économistes, et envoyé au DAAG compétent qui bénéficie d’un délai
325. Parallèlement à la nature de l’organe chargé du contrôle,
une autre distinction s ‘impose entre un contrôle ex post ou un
contrôle ex ante. Il est vrai que le second tend à se généraliser
en prônant généralement une notification obligatoire pour les
entreprises concernées. Tel est le cas notamment en Europe
où le modèle communautaire entraîne finalement dans son
sillage les contrôles nationaux qui reposaient sur une
885
notification facultative . Schématiquement, l’organisation du
contrôle des concentrations s’opère selon deux grands
886
modèles d’importance inégale . Dans de rares juridictions, la
notification des concentrations demeure volontaire et, en
principe, sans effet suspensif (volontary pre or post merger
887
filing) . Celle-ci s’effectue avant, voire même après la
réalisation de l’opération. Le second modèle se base sur le
système de la notification obligatoire. Il s’agit alors de distinguer
les pays, très rares en pratique, où l’obligation de notifier aux
autorités de contrôle s’effectue postérieurement à la réalisation
888
de l’opération (mandatory post-merger notification) . La très
grande majorité des systèmes de contrôle nationaux ou
régionaux ont opté pour le système de la notification préalable
obligatoire accompagnée d’une suspension automatique de
l’opération jusqu’à la clôture de l’enquête (mandatory pre889
merger notification) . En cas de violations des dispositions
légales, des sanctions sont généralement prévues à l’encontre
des entreprises contrevenantes allant de la simple amende à la
remise en cause de l’opération et au démantèlement de la
nouvelle entité. (…)
d’examen d’une semaine. En cas d’accord avec les parties, celui-ci
comportera le bilan du consent decree, l’impact concurrentiel de
l’opération, un communiqué de presse et une notice à publier au
registre fédéral. Par contre, si un règlement reste incertain, les agents
mentionneront une brève description de l’opération visée, les
difficultés et les probabilités de succès en cas de conflit ultérieur,
l’efficacité des charges probatoires existantes, les différentes options
possibles de règlement du conflit, ainsi qu’une ébauche de plainte et
d’une demande en référé possible. Malgré l’existence de modèles
types, les règles et les pratiques locales doivent être respectées à
travers notamment une coopération étroite avec les US Attorneys.
885 C’est le cas notamment du droit français qui a été modifié en ce
sens par la loi NRE du 15 mai 2001. A contrario, au Royaume-Uni, le
système de notification facultative sans effet suspensif fut maintenu
par l’Entreprise Act de 2002 : McCARTHY (N.), « Le projet d’un
nouveau régime des concentrations au Royaume-Uni », RDAI, n°5,
2002, pp. 603-611, spéc. p. 606. Aux Etats-Unis, il a fallu attendre
1976 et l’adoption du Hart-Scott Rodino Act pour qu’un contrôlé
préventif soit généralisé pour les opérations les plus importantes.
886 ICN, Mergers Working Group Notification and Procedures
Subgroup, « Report on the costs and Burdens of Multijuridictional
Merger Review », Nov. 2004, 26 pages, (disponible sur le site suivant
:
http://www.internationalcompetition
network.organisation).
Soulignons que les deux types modèles ne sont pas exclusifs l’un de
l’autre. Dans certaines législations nationales, comme en Afrique du
Sud, un traitement différencié s’opère selon la dimension de
l’opération en cause.
887 C’est le cas, entre autres, en Australie, au Pakistan ou encore au
Royaume-Uni : ICN, « Report on the costs and burdens of
multijuridictional Merger Review », op. cit., spéc. pp. 5 et s.
888 Ibid. C’est le cas notamment au Brésil, et dans une certaine
mesure en Russie pour des opérations en deçà d’un certain seuil fixé
par la loi sur la concurrence.
889 Ibid. c’est le cas notamment aux Etats-Unis, au Canada, en
France, en Allemagne, au Mexique, dans l’Union européenne, au
Zambie ou encore en Russie et en Afrique du Sud.
46
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
A. Les deux temps de la procédure (…)
&1. Les délais de contrôle
328. Phase I. La généralisation des contrôles préalables
consacre un système reposant sur deux phases successives.
La première phase est en général comparable et varie entre un
mois et deux mois : de 25 à 35 jours ouvrables en droit
890
communautaire, de 15 à 30 jours en droit américain , cinq à
six semaines en droit français. (…)
329. Phase II. Lorsque l’opération soulève des problèmes de
concurrence et nécessite un examen approfondi, la deuxième
phase s’ouvre. Dans ce cas, les différences sont beaucoup plus
importantes. L’exemple des systèmes américains et
communautaires est à cet égard topique. La deuxième phase
communautaire est enfermée dans un délai de 90 à 105 jours
ouvrables si les parties proposent des engagements, alors que
dans le système américain, le deuxième délai de 30 jours ne
commence à courir qu’à compter du moment où les parties ont
répondu à la demande de renseignements complémentaires
(second request), ce qui peut prendre de longs mois. Plus
généralement, la durée totale de l’examen d’une concentration
est environ de 7 mois avec une durée moyenne de l’ordre de 5
mois. Les études récentes ont montré que la durée de l’examen
de la transaction est liée au nombre d’autorités de contrôle
compétentes, sachant qu’une concentration transnationale fait
893
l’objet, en moyenne, de six notifications . (…)
&2. Les coûts de transaction
331. Contenu des notifications. Engagées dans une
opération de concentration de portée transnationale, les
entreprises sont confrontées à d’autres difficultés liées au
contenu des informations à fournir aux autorités de contrôle,
auquel s’ajoute le problème linguistique. Les études
comparatives récentes réalisées en la matière sont
895
éloquentes . Les autorités américaines et communautaires
prévoient l’usage obligatoire de formulaires spécifiques afin de
simplifier, de sécuriser et d’accélérer l’examen des notifications.
En cas de difficultés ou d’impossibilité de s’y conformer, il
incombe aux parties d’en préciser les motifs pour obtenir
d’éventuelles dérogations. En substance, on relèvera que le
formulaire CO en droit communautaire est extrêmement lourd
et que les entreprises tentent de négocier avec la Commission
dans les opérations complexes un allégement de celui-ci. A
l’inverse, le formulaire HSR est dans un premier temps plus
léger. Cela étant, si l’on passe en seconde phase, la tendance
se renverse. Les demandes de renseignements que peut faire
la Commission sont finalement plus limitées que les
innombrables informations requises par les autorités
américaines. (…)
333. Coûts externes. Dans ce contexte, la difficulté majeure
des entreprises consiste à s’adapter à l’absence de
concomitance des exigences des autorités de contrôle, mais
surtout à la lourdeur des informations exigées : des semaines
voire des mois, peuvent être nécessaires pour répondre à
celles-ci, et cela même lorsque les parties ont anticipé une telle
éventualité. Mais, si de manière générale, les informations
exigées par les autorités de contrôle sont finalement assez
proches, la solution américaine triomphe par son pragmatisme
et son modernisme en exigeant un questionnaire plus rigoureux
uniquement en cas de problèmes réels au regard des règles de
910
concurrence .
334. La situation des entreprises est encore plus délicate dans
certains systèmes juridiques, dont les Etats-Unis et le Canada,
où la notification est rendue plus complexe puisque tant
l’acquéreur que la cible sont tenus, sauf dérogations, de
déposer un formulaire de notification. Celui-ci peut s’accompagner par le paiement de taxes d’enregistrement d’un montant
911
fixe
ou, plus généralement, proportionnel à la valeur de
912
l’opération .
A l’opposé, les droits français et communautaire refusent l’idée
de paiement de frais de notification. (…)
335. Les études récentes montrent que les coûts externes
(external costs) représentent environ 85 % des frais supportés
par les parties à des méga-fusions au titre notamment des
honoraires d’avocats, des frais de notification et de traduction
ainsi que diverses dépenses liées à la notification. Le coût
global varie sensiblement avec l’ouverture ou non d’une
seconde phase d’examen. (…)
336. Coûts internes. Parallèlement, les entreprises supportent
des coûts internes (internai costs) non négligeables. Cela se
traduit par des ressources directement allouées à la mise en
place de juristes internes et de cadres pendant plusieurs mois
et chargés essentiellement d’organiser et de faciliter le travail
des autorités de contrôle. Ces coûts internes sont
généralement difficiles à évaluer, mais on estime leur montant
916
à environ 15 % du coût global de l’opération . (…)
340. Conclusion. Les développements antérieurs montrent
que les difficultés rencontrées par les entreprises durant les
procédures de contrôle engagées par plusieurs autorités de la
concurrence sont essentiellement de trois ordres : le manque
de coordination entre les autorités de contrôle, la durée
excessive de l’examen et des coûts externes et internes
910 Pour limiter ce type d’inconvénients, la Commission a mis en
place un formulaire simplifié, sans équivalent eu droit américain, en
présence de notifications de concentrations ayant un impact
concurrentiel mineur (annexe II du Règlement (CE) n° 802/2004 de la
Commission du 7 avril 2004). Plus précisément, celui-ci peut être
utilisé si l’une des trois conditions suivantes est remplie : 1) En
présence d’une entreprise commune qui n’exerce ou ne prévoit
d’exercer aucune activité autre que négligeable sur le territoire de
l’EEE. n’en est ainsi lorsque : le chiffre d’affaires de l’entreprise
commune et/ou celui des activités cédées est inférieur à 100 millions
d’euros sur le territoire de l’EEE et la valeur totale des actifs cédés à
l’entreprise commune est inférieur à 100 millions d’euros sur le
territoire de I’EEE ; 2) aucune des parties à la concentration n’exerce
d’activités commerciales sur le même marché de produit et
géographique (pas de chevauchement horizontal) ou sur un marché
qui se situe en amont ou en aval d’un marché sur lequel opère une
autre partie à la concentration (pas de relation verticale) 3) les parties
exercent des activités commerciales sur le même marché (relations
horizontales) pour autant que leurs parts de marché cumulées
n’atteignent pas 15 % ou bien une ou plusieurs parties à la
concentration exercent des activités commerciales sur un marché de
produits qui se situe en amont ou en aval d’un marché de produits sur
lequel opère une autre partie à la concentration (relations verticales),
pour autant qu’aucune de leur part individuelle ou cumulée sur un de
ces marchés ne soit égale ou supérieure à 25 %.
911 Au Canada, les frais de notification furent récemment doublés
pour atteindre désormais 50 000 dollars canadiens : JALABERTDOURY (N.), « Politiques de concurrence », RDAI. n°5, 2003, pp.
547-565, spéc. p. 561.
890 Art. 7A (a) et (b) du Clayton Act. Le délai de principe a été étendu
de 20 jours à 30 jours ouvrables par la réforme de 2001. En cas
d’OPA ou de banqueroute, le délai est réduit à 15 jours.
893 ICN, « Report on the costs and Burdens of Multijuridictional
Merger Review », Mergers Working Group. Notification and
Procedures subgroup, op. cit., spec. p. 7.
895 ICN, « Report on the Costs and Burdens of Multijurisdictional
Merger Review », Mergers Working Group. Notification and
Procedures subgroup, op. cit., spéc. pp. 9 et s.
912 Les frais sont de l’ordre de 45 000 dollars si l’opération est
inférieure à 113,4 millions de dollars, de 125 000 dollars si elle est
inférieure à 567 millions de dollars et de 280 000 dollars lorsque
l’opération aune valeur égale ou supérieure à 567 millions de dollars.
916 lbid., spéc. p. 8. L’étude révèle qu’environ 80 personnes sont
généralement affectées à cette tâche au sein des entreprises pendant
plusieurs mois. Durant la première phase, le nombre de personnes
concernées est environ de 30 alors qu’il atteint 128 durant la seconde
phase.
47
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
substantiels La situation actuelle n’est donc pas satisfaisante.
Elle l’est d’autant moins que les opérateurs se trouvent
rapidement confrontés aux risques liés à des engagements
multiples voire contradictoires
B. Le régime juridique des engagements (…)
(…)&1. Les objectifs des engagements (…)
343. Modèle européen. Au niveau communautaIre, les
engagements proposés présentent un double objectif : ils
doivent être proportionnels à la violation de la concurrence et
éliminer totalement les distorsions constatées. Plus
généralement, ils doivent restaurer le statu quo ante, c’est-àdire restaurer les conditions d’une concurrence effective qui
prévalait avant l’opération envisagée. La restauration de la
concurrence implique concrètement de désavantager les
parties à l’opération et/ou de favoriser leurs concurrents. Dans
l’affaire Gencor, le TPICE a tenu ainsi à souligner que le
principal objectif d’un engagement est de réduire le pouvoir de
marché des parties et de garantir des structures de marché
922
concurrentielles .
De cet objectif découle plusieurs conséquences. Contrairement
aux autorités américaines, la Commission européenne doit
opérer une analyse économique précise « de la structure et
923
des caractéristiques particulières du marché
et plus
particulièrement des barrières à l’entrée ». Les remèdes
doivent être par ailleurs suffisamment effectifs pour régler les
problèmes de concurrence sur une longue période. En d’autres
termes, il ne s’agit pas seulement de mettre fin à la pratique
illégale. De même, les remèdes ne doivent pas introduire de
nouveaux problèmes de concurrence sur le marché ou
nécessiter des contrôles ultérieurs une fois qu’ils ont été mis en
924
oeuvre . Enfin, les remèdes doivent être opérationnels dans
925
des « délais rapides » . La célérité avec laquelle un remède
est effectivement mis en oeuvre constitue ainsi un critère
déterminant dans le système communautaire. Contrairement au
système américain, la Commission ne peut pas retarder une
opération jusqu’à la mise en oeuvre effective des
engagements. Elle peut seulement suspendre une décision
jusqu’à ce qu’un remède efficace soit trouvé.
344. Au regard de ces observations, on ne s’étonnera donc pas
que le droit communautaire privilégie les remèdes structurels
qui ne nécessitent pas de mesures de contrôle à moyen et à
long terme. Les remèdes comportementaux ont tendance à
jouer un rôle plus important dans certaines circonstances
particulières. C’est le cas lorsque la cession d’activité est
impossible ou difficile à mettre en oeuvre, ou encore en
présence d’un problème de concurrence qui découle des
caractéristiques d’un marché où il y a de fortes barrières à
l’entrée du fait d’infrastructures essentielles ou de droits de
propriété intellectuelle. Les autorités ont alors tendance à
imposer certains comportements ou à résilier certaines
relations contractuelles qui confèrent l’exclusivité en
926
provoquant des distorsions de concurrence .
345. Modèle américain. Contrairement au modèle
communautaire, la politique américaine en matière
d’engagements se caractérise par la flexibilité des règles
régissant la matière et une approche moins structurelle
marquée par le souci des autorités de contrôle de limiter les
922 TPICE, 25 mars 1999, Gencor Ltd cl Commission des
Communautés européennes, aff. T-102/96, Rec. p. II-753, § 316 et
point 2 de la Communication de la Commission concernant les
mesures correctives recevables conformément au Règlement (CEE)
n° 4064/89 du Conseil et au Règlement CE n°447/98 d e Ia
Commission (JOCE C 68 du 2 mars 2001).
927
interventions dans le processus concurrentiel du marché .
Cette situation est justifiée au regard de l’objectif assigné aux
remèdes. Le contrôle des engagements aux Etats-Unis s’opère,
en principe, selon un objectif plus étroit que le contrôle
communautaire : il s’agit de mettre fin à la pratique illégale qui
restreint de façon substantielle la concurrence en empêchant,
928
par la même occasion, qu’elle se renouvelle . II en résulte
une analyse économique moins poussée de la part des
autorités de contrôle : l’analyse des barrières à l’entrée
intervenant plutôt en tant que critère d’appréciation des
opérations envisagées.
La pratique décisionnelle des agences fédérales a montré que
le choix du remède dépend en pratique de quatre facteurs pour
lesquels il est difficile d’établir une hiérarchie le rapport
coûts/bénéfices au regard du problème de concurrence posé :
l’analyse des comportements par le passé (les remèdes
structurels seront privilégiés en cas d’échec par le passé d’un
engagement comportemental) la structure du marché (en
présence d’un marché réglementé, il est moins dangereux
d’intervenir par des remèdes structurels sans affecter les gains
d’efficience que dans le cadre d’un marché ouvert au libre jeu
de la concurrence) ; et enfin le moment de l’intervention des
autorités spécialisées. Dans le cadre du contrôle a priori
imposé par le HSR Act de 1976, les autorités américaines
adoptent une approche préventive qui combine les deux types
929
de remèdes . Lorsque ultérieurement les opérateurs agissent
en violation de l’article 2 du Sherman Act, il existe par contre
une certaine préférence pour les remèdes structurels, en
particulier lorsque les comportements préconisés avant
930
l’opération n’ont pas été respectés .
&2. La mise en oeuvre des engagements
346. Délai d’examen. Dans certains systèmes juridiques, les
délais dans lesquels sont insérés les engagements sont
généralement courts et strictement définis. L’absence de
souplesse du régime en vigueur se traduit souvent pour les
opérateurs économiques par un manque de temps pour
négocier les engagements ou leur prise en compte insuffisante
par les autorités lorsqu’ils arrivent tardivement. A l’opposé,
certains systèmes juridiques, dont les Etats-Unis prônent une
flexibilité frappante dans le régime juridique des engagements.
Un tel régime présente l’avantage de permettre des liens étroits
et quasi-permanents avec les entreprises concernées. Mais, à
l’inverse, l’absence de délais impératifs allonge souvent la
durée des procédures, souvent deux fois plus longues qu’en
Europe. Entre ces deux extrêmes, le droit communautaire a
récemment opéré des réformes visant à renforcer l’efficacité du
régime des engagements à travers un meilleur équilibre entre
sécurité juridique et flexibilité L’assouplissement des délais
devrait faciliter la négociation sur les engagements, sans
931
risquer d’allonger démesurément les procédures .
927 SULLIVAN (A.T.), « Antitrust remedies in the US. and BU
advancing a standard proportionality » , the Antitrust L. BuIl., Summer
2003, pp. 377-425., spec. p. 404. Les États-Unis ont ainsi « […] a
preference for market economies rather a more centralized, regulatory
planning process that may carry over into its selection of Iess
sweeping remedies, at Ieast from time to lime. This serves the dual
purpose of rationing judicial and enforcement agency resources, thus
permitting the competitive process, rather than a regulatory agency, to
shape the market »
928 Sur l’évolution du droit américain en la matière, infra, n° 845 et s.
923 Pt. 7 de la Communication sur les mesures correctives.
929 SULLIVAN (A.T.), « Antitrust remedies in the US. and EU
advancing s standard of proportionality », op. cit., spec. p. 394. A titre
d’exemple, durant l’année 2000, sur 4749 transactions susceptibles
d’un examen poussé dans le cadre d’une second request, 2501 ont
fait l’objet de remèdes de nature structurelle (divestutures)
924 Pt. 10 de la Communication sur les mesures correctives.
930 Ibid., spec. p. 414.
925 Pt. 10 de la Communication sur les mesures correctives.
931 IDOT (L.), « Le nouveau « Règlement
concentrations » », op. cit., spéc. pp. 6-7.
926 Pt. 9 de la Communication sur les mesures correctives.
CE
sur
les
48
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
347. Approche communautaire. En effet, le Règlement (CE)
n°139/2004 opère une plus grande flexibilité des dé lais
d’enquête et plus particulièrement de dépôt d’engagements.
L’objectif de cette réforme vise à permettre à la Commission de
procéder aux market tests nécessaires à l’appréciation des
ultimes engagements sans pour autant compromettre la célérité
de l’examen. La durée des phases I et II est ainsi étendue et
les parties auront la possibilité d’ « arrêter l’horloge » (« stop
932
the clock ») durant la phase II. (…)
349. Négociation des engagements. Le déroulement des
négociations entre les opérateurs économiques et les autorités
de contrôle est plus ou moins institutionnalisé selon les
systèmes juridiques. Aux Etats-Unis, les agences fédérales
jouent un rôle décisif dans la phase d’élaboration des
engagements en coopération étroite avec les parties
938
concernées . En France, durant la procédure de contrôle,
aucune négociation entre l’administration et les parties n’est
prévue par les textes. Elle sera cependant nécessaire avant
toute prise d’engagement. Les parties devront en effet
échanger avec les autorités de contrôle pour connaître leur
point de vue et obtenir leur consentement quant aux
engagements économiquement acceptables qui permettent de
satisfaire l’exigence de maintien ou le rétablissement d’une
939
concurrence « suffisante »
Au niveau communautaire, il
revient aux parties de proposer les remèdes adéquats
940
susceptibles de satisfaire la Commission , même si en
pratique les parties peuvent demander et recevoir des
suggestions de la Commission sur la pertinence des
engagements proposés. A cet égard, les Best Practices ont
récemment institutionnalisé un suivi de la procédure, sous la
forme des State of Play meetings, que l’on pourrait traduire
« réunions d’état des lieux », lesquelles pourront se dérouler
dans les locaux de la Commission, ou sous une autre forme,
sous la direction en principe d’un fonctionnaire Senior. Ces
réunions n’excluent pas d’autres contacts avec le case team,
ne
serait-ce
que
pour
la
discussion
d’éventuels
941
engagements .
Toujours au niveau communautaire, il convient de noter que, si
les engagements en phase I sont acceptés par le seul
Commissaire en charge de la concurrence, la procédure est
plus lourde pour les engagements pris en phase II, puisqu’ils
doivent être approuvés par le collège des Commissaires après
avis du Comité consultatif des Etats membres. Ce dernier
intervient également officiellement sur les engagements en
phase I.
350. Aux États-Unis, les spécificités institutionnelles se
répercutent naturellement sur le régime juridique des
engagements. L’accord entre les parties et les autorités
antitrust est consacré à travers un consent decree. Celui-ci
analyse les problèmes concurrentiels soulevés par l’opération,
les propositions et les solutions mises en oeuvre dans un délai
précis. Les autorisations assorties de conditions et charges
acceptées par les parties doivent être avalisées par un juge
fédéral ou par les cinq Commissaires de la ETC. En cas
d’enquête du DOJ, celui-ci déposera simultanément une plainte
932 Art 10 du Règlement (CE) n°139/2004.
938 SULLIVAN (A.T.), « Antitrust remedies in the US. and EU
advancing a standard of proportionality » , op. cit, spéc. p. 402.
939 Art L. 430-6 du Code de commerce.
940 Pt. 6 de la Communication sur les mesures correctives précitée.
941 Pts 29 à 39 des Best Practices on the conduct of EC merger
control proceedings. Dans les rapports avec les entreprises
notifiantes, ces réunions sont prévues à cinq moments de la
procédure : a) si des doutes sérieux apparaissent quant à la
compatibilité de l’opération, avant l’expiration d’un délai de trois
semaines en phase I, b) dans les deux semaines suivant un passage
en phase Il, c) avant l’envoi de la communication des griefs (CG), d)
après la réponse à la CG et l’audition, e) avant la réunion du Comité
consultative.
devant le tribunal fédéral de première instance et une
proposition de consent decree qui sera oubliée dans le
Registre fédéral dans sa version non confidentielle
accompagnée des notices explicatives durant une période de
deux mois afin de permettre aux tiers de commenter le
942
projet . Au terme de ce délai, le projet est soumis à
l’approbation judiciaire ou administrative sur le fondement de la
conformité à l’intérêt public. Ainsi, les juridictions américaines
opèrent un contrôle plus strict sur la nature et l’ampleur des
engagements en comparaison avec le modèle communautaire
où le contrôle des juridictions est fondé sur l’erreur manifeste
d’appréciation. La Commission bénéficie donc d’une marge
d’appréciation non-négligeable dans la mise en oeuvre de la
943
politique communautaire en matière de concentration .
Ceci étant, le même souci de transparence et de respect de la
confidentialité est présent également en droit communautaire.
Durant la procédure, les parties sont invitées à signaler
clairement les éléments jugés confidentiels. Le délai dans
lequel doit s’effectuer le désinvestissement n’est pas, en outre,
divulgué dans la version publique de la décision de la
Commission. Dès que les mesures de désinvestissement sont
menées à terme, la Commission publie un communiqué de
presse visant à préciser la nature et le contenu des
engagements souscrits, le nom de l’acquéreur et les motifs d’un
tel choix.
351. Effectivité des engagements. Pour autant, le contrôle du
respect des engagements par les autorités spécialisées est
plus ou moins efficace selon les juridictions. La plupart des
autorités disposent d’« une force de frappe » tant juridique que
944
matérielle souvent trop faible pour en assurer l’effectivité .
Les autorités américaines et, à un degré moindre, la
Commission européenne bénéficient de moyens d’action
substantiels qui constituent une particularité à l’échelle
945
internationale . Si dans la plupart des juridictions, les
sanctions habituellement prévues vont de l’interdiction de
l’opération projetée à l’infliction d’amendes et/ou d’astreinte,
force est de constater que le manque de volonté et de moyens
humains et financiers en réduit l’efficacité. Pour remédier à
cette situation, les autorités multiplient les remèdes structurels,
même si ce type de pratiques se traduit par un
interventionnisme des autorités de concurrence qui ne va pas
sans susciter de vives critiques, car au-delà même de
l’opération contractuelle visée, c’est tout un secteur
946
économique qui peut en être influencé . Un autre moyen
récent employé par certaines autorités de contrôle consiste à
faire appel, sous des formes
variées, à des tiers. Nullement choquante lorsque les tiers n’ont
qu’un rôle de surveillance, cette pratique est plus surprenante
lorsqu’elle vise à se décharger purement et simplement du
947
contrôle de l’exécution en introduisant un tiers arbitre .
352. Conclusion. L’analyse comparative des modèles
américain et européen montre de nombreuses divergences
dans les objectifs et le traitement juridique des engagements
dans le cadre du contrôle des concentrations. Celles-ci sont
dues en partie aux spécificités institutionnelles et au degré
variable de maturité des contrôles nationaux. Elles sont
également dues aux différences d’approches de fond dans
l’analyse des effets pro ou anticoncurrentiels de ces opérations.
En tout état de cause, la multiplication et la diversité des
régimes juridiques en matière d’engagements accroissent les
coûts et l’insécurité juridique avec le risque pour les opérateurs
économiques de se voir imposer des engagements lourds et
parfois contradictoire
49
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
942 Art 5 du Clayton Act.
943 SULLIVAN (A.T.), « Antitrust remedies in the U.S and EU :
advancing a standard of proportionality », op. cit., spéc. pp. 402-403.
L’auteur souligne à cet égard que « Unlike in the U.S., there remain
doubts in the EU whether there is adequate judicial control over
Commission decisions ».
944 Au niveau communautaire, la réforme opérée par le Règlement
(CE) n° 139/2004 accroît les sanctions dont dispose la Commission
en cas de non respect des engagements souscrits.
945 SULLlVAN (A.T.), « Antitrust remedies in the US. and EU :
advancing a standard or proportionality », op. cit, spéc. pp. 393-394.
L’auteur souligne que : « The efficacy of the ex ante review process is
evident, [...]. After the ex ante review, only a few mergers are actually
challenged with the DOJ taking the lead »
946 WINCKLER (A.), BRUNET (F.) et al., La pratique communautaire
du contrôle des concentrations [...], op. cit., spéc. pp. 205 et s.
947 IDOT (L.), MOMEGE (C.), « Le rôle clef des engagements en
matière de contrôle des concentrations », Rev. Lamy dr. Aff., n°
spécial, avril 2001, n° 37, p.18
F. AMAND, T. PIQUEREAU, « Le suivi des engagements souscrits dans le cadre du contrôle des
concentrations en France », Concurrences, 2007/11, n°4, p. 36 (Extraits)
(…) 2. Les engagements occupent une place essentielle dans
le contrôle des concentrations : la possibilité offerte aux
entreprises de proposer des remèdes confère un degré de
liberté supplémentaire à la procédure, en permettant de
dépasser la logique duale d’autorisation/interdiction : il existe
un continuum d’engagements envisageables qui offrent une
grande souplesse au régime de contrôle. Pas moins d’une
quarantaine de décisions d’autorisation ont fait l’objet
d’engagements depuis 2002 : c’est dire l’importance qu’ils ont
prise dans la pratique décisionnelle du ministre.
3. S’il est traditionnellement d’usage de distinguer
engagements structurels et engagements comportementaux,
d’un point de vue pratique, ce cloisonnement n’est que partiel.
Plus complémentaires que substituables, les deux types
d’engagements sont séparés par une frontière qui est loin
d’être aussi étanche qu’il n’y paraît au premier abord. Certains
engagements comportementaux revêtent en réalité un
6
caractère quasi-structurel . Si l’opération aboutit à une
intégration verticale, un remède de mise à disposition des
concurrents d’un input essentiel (ou garantissant l’accès à une
infrastructure essentielle) peut avoir certains effets
assimilables à des désinvestissements. De tels remèdes
peuvent être indiqués lorsqu’il s’agit de préserver les gains
d’efficience emportés par une opération.
4.Depuis quelques mois, les centres d’intérêts des
commentateurs semblent d’ailleurs s’être déplacés : alors que
la
nature des engagements — structurelle ou comportementale
? — semblait occuper une place majeure dans leurs réflexions
il y a encore peu de temps, le débat désormais au premier
plan porte plus sur la question du respect des engagements
ou sur la place des tiers dans le processus de suivi opéré par
le ministre : sujets effectivement importants en pratique. (…)
5. Inciter les entreprises au respect effectif de leurs
engagements
6. Pour assurer l’effectivité des engagements, le moyen le
plus sûr est que les entreprises soient spontanément incitées
à les mettre en oeuvre : il peut être utile que soient inscrites
dans le texte des engagements certaines clauses incitatives.
La question de leur systématisation dans des modèles-type
n’est pour l’heure pas tranchée, car il n’est pas certain que le
formalisme auquel conduit cette solution ne s’avère pas dans
certains cas inadapté.
6
À titre d’exemple, la mise à disposition de certaines chaînes du
groupe Canal + aux distributeurs alternatifs peut être interprétée
comme un remède comportemental quasi-structurel, de même que
l’obligation de distribuer les chaînes d’un certain nombre d’opérateurs
indépendants sans qu’il y ait de désinvestissement, les engagements
visent à assurer une moindre concentration du pouvoir économique
entre les mains d’un seul acteur, par une mise en commun d’inputs ou
d’infrastructures essentiels.
1. La phase de conception doit prévoir des mécanismes
incitatifs dans la rédaction des engagements
(…)
7. Au moment de la négociation des engagements, mais peutêtre plus encore lorsqu’il s’agit de vérifier qu’ils sont
respectés, il existe une asymétrie d’information patente entre
les entreprises et les services du ministre chargés du contrôle.
Cette asymétrie existe également vis-à-vis des tiers
intéressés, tels les concurrents, clients ou fournisseurs,
éventuellement consultés dans le cadre d’un test de marché
ou qui se sont manifestés directement auprès de la DGCCRF.
Pour pallier cette asymétrie, il est nécessaire que les
engagements soient formulés de telle sorte que les
entreprises ne puissent tirer profit de leur avantage
informationnel pour de facto ne pas satisfaire à leurs
obligations.
8. Lorsque l’engagement consiste à céder des actifs,
l’asymétrie peut notamment porter sur l’attractivité pour des
tiers des actifs que l’entreprise envisage de céder. Or s’il
existe par exemple un doute sur l’adéquation entre le prix de
cession envisagé et la rentabilité économique des actifs, et
donc leur survie à terme, l’autorité de concurrence ne peut
pas prendre le risque de constater a posteriori que les
engagements n’ont pas pu être respectés parce qu’ils
consistaient en la cession d’actifs sans grand intérêt pour un
éventuel repreneur. Dans ces conditions, il appartient aux
parties d’envoyer des signaux de nature à rassurer sur leur
capacité et leur volonté réelles à procéder à la vente : en
s’engageant à céder les actifs sans prix de réserve à l’issue
d’un délai connu à l’avance, elles s’interdisent elles-mêmes de
retarder indéfiniment la cession prévue. Par ailleurs, lorsque
des incertitudes existent quant à la viabilité des engagements
proposés, les parties peuvent aussi proposer d’elles-mêmes
d’autres pistes. (…)
9. La transparence de la mise en oeuvre procède également
des mécanismes d’incitation au respect des engagements. En
faisant le choix de « se lier les mains », les parties à la
concentration envoient un signal clair sur leurs intentions
réelles. (…)
10. C’est également vrai lorsqu’il s’agit d’engagements
comportementaux : pour vérifier par exemple que les filiales
sont bien gérées de façon séparée, ou que les tiers
bénéficient d’un accès aux ressources ou infrastructures
essentielles détenues par les parties, un mandataire
indépendant peut être chargé de collecter l’information
pertinente sur les pratiques commerciales effectivement mises
en oeuvre par l’entreprise. Si elles savent qu’il en est
régulièrement rendu compte à l’autorité de concurrence, les
parties seront plus fortement incitées au respect de leurs
engagements comportementaux.
11. Le recours à un mandataire est explicitement couvert par
la notion de « mesures visant notamment à remédier […] aux
effets anticoncurrentiels [...] de l’opération » figurant aux
articles L. 430-5 et L. 430-7 du Code de commerce. La
question pourrait en théorie se poser en cas d’injonction de
50
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
savoir si la désignation d’un mandataire participerait des
mesures propres « à assurer une concurrence suffisante »8,
mais pour l’heure, le cas ne s’est jamais présenté. En pratique
toutefois, la nomination d’un mandataire fait généralement
partie intégrante des engagements proposés librement par les
parties et approuvés par l’autorité française de concurrence.
12. Dans ces conditions, la question du mandataire soulève
évidemment celle de son agrément par le ministre. II faut non
seulement que le mandataire donne toutes les garanties de
compétence professionnelle et d’indépendance vis-à-vis des
parties, mais également que les termes de son mandat, et
notamment les éléments relatifs à sa rémunération, soient de
nature à ne pas le dissuader du bon exercice de sa mission. A
cet égard, le très récent arrêt du TPICE dans l’affaire
Microsoft 9 a rappelé aux autorités de concurrence la
nécessité de cantonner strictement le mandataire à un rôle
d’assistance et de conseil limité dans le temps, et de ne pas
renoncer à leur responsabilité « régalienne » de contrôle du
suivi des engagements. Même si cette décision attrait au droit
antitrust, c’est ainsi que la DGCCRF comprend le rôle du
mandataire pour les concentrations ; en particulier, elle veille
scrupuleusement à ce que le mandat soit clairement délimité
et n’empiète pas sur les prérogatives du ministre : lui seul
garde
la responsabilité du suivi et du respect des
engagements et le cas échéant de la sanction de son
inexécution, après avis du Conseil de la concurrence.
13. La transparence de l’information à l’égard des services du
ministre est donc un élément très important d’incitation des
entreprises au respect de leurs engagements : celle à l’égard
des tiers l’est tout autant. La DGCCRF est par exemple
favorable au fait de révéler l’identité du mandataire agréé par
le ministre, et de dévoiler, dans la limite imposée par le secret
des affaires, les grandes lignes de son mandat. A titre
d’exemple, par un communiqué de presse 10 du 18 mai 2007,
le ministre chargé de l’Économie a indiqué publiquement qu’il
avait agréé M. Jacques Vistel en tant que mandataire
indépendant, et que ce dernier était chargé de veiller à la
bonne mise en oeuvre des 59 engagements ayant conditionné
l’autorisation de l’acquisition de TPS par le groupe Vivendi
Universal. Quelques jours plus tard, le 25 mai 2007, le
ministère rendait publique une version non confidentielle du
mandat de M. Jacques Vistel 11 : les tiers ont ainsi été
informés du détail des missions du mandataire et encouragés
à se rapprocher de lui en amont des négociations
commerciales avec les parties, de façon à accroître la
transparence du dispositif visant à s’assurer de la bonne mise
en oeuvre des engagements.
2. Vers une systématisation en matières d’engagements ?
14. L’importance des schémas incitatifs prévus dans les
engagements, qui assoient la crédibilité des cessions
envisagées ou assurent la transparence du processus de
suivi, justifie de s’interroger sur le bien-fondé de systématiser
de telles dispositions, par exemple en fixant à l’avance le
cadre dans lequel les engagements seront définis.
L’idée que la DGCCRF propose des modèles-types pour les
engagements ou les mandats, à l’instar de la pratique
développée à Bruxelles par la Commission européenne — qui
n’est pas sans mérites — peut paraître séduisante : accroître
la transparence, préciser les exigences en matière de
remèdes, dégager une cohérence d’ensemble en matière
d’engagements, tous ces arguments méritent d’être
considérés. Le niveau d’information requis serait connu des
entreprises et des tiers intéressés à l’avance : définition des
engagements et de leurs modalités pratiques, rôle du
mandataire et détail précis de ses missions, qu’il s’agisse de
vérifier l’effectivité des désinvestissements ou de l’application
des règles comportementales. (…)17. La DGCCRF considère
actuellement la possibilité de définir un socle commun pour
orienter les propositions d’engagements des parties. Sans
doute ce souci de cohérence dans la formulation des
engagements pourrait-il faire l’objet d’un amendement des
Lignes Directrices 12. Il est toutefois important de conserver le
principe d’une négociation au cas par cas, afin de conserver
des marges de manœuvre dans la rédaction des
engagements, plutôt que d’imposer un trop grand formalisme
aux entreprises. Le risque est que des contraintes excessives
retardent l’utilisation de ces marges de manœuvre
indispensables à la rédaction.
18. De même que pour définir les engagements, une certaine
souplesse est également nécessaire en ce qui concerne leurs
éventuelles révisions au cours du temps. (…)
20. Dans ce contexte, l’expertise sectorielle du mandataire est
très utile pour éclairer le ministre sur les raisons qui pourraient
justifier une révision des engagements. Il en est de même
(lorsqu’il s’agit d’un secteur régulé), et de façon encore plus
prégnante, pour les autorités sectorielles compétentes. Ces
dernières sont d’ailleurs impliquées dans le processus dès la
phase de conception des engagements. Tel a par exemple
été le cas, à l’été 2005, lors du rapprochement de Neuf
13
Telecom et de Cegetel
: l’Autorité de Régulation des
Communications Électroniques et des Postes (ARCEP) a été
impliquée tant au stade de la définition que pour le suivi des
engagements.
Étant donnée la complexité du fonctionnement des marchés
des télécommunications, il était notamment prévu que le
ministre de l’Économie puisse demander à l’ARCEP de lui
fournir tous les éléments nécessaires à l’appréciation de la
mise en oeuvre des engagements par les parties. Dans de
nombreuses affaires concernant le secteur audiovisuel, et
notamment Vivendi Universal/TPS, la DGCCRF a été en
dialogue constant avec le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel
(CSA). Du fait de leur statut d’observateurs privilégiés des
secteurs en cause et de leurs compétences techniques
spécifiques, les autorités sectorielles ont naturellement un rôle
important à jouer en matière de suivi des engagements. (…)
23. En définitive, la question du respect par les entreprises
des engagements qu’elles ont souscrits doit être envisagée
dans la définition même de ces engagements. Des remèdes
bien conçus anticipent les difficultés de mise en oeuvre
pratique : ils prévoient des dispositions de nature à inciter les
entreprises à les respecter spontanément, à assurer la
transparence la plus grande (d’abord à l’égard de
l’administration qui peut alors, dans une certaine mesure,
décider d’informer les tiers sur l’avancée de la réalisation des
engagements), et à permettre d’envisager des évolutions des
remèdes en tant que de besoin, par exemple si la structure
concurrentielle des marchés est amenée à se modifier. Ici,
comme ailleurs, devancer les problèmes, c’est commencer à
les résoudre.
24. Cependant, il serait illusoire de penser qu’il suffit de
prévenir le risque de manquement pour assurer l’effectivité
des engagements souscrits. Nécessairement, les services du
ministre doivent également jouer un rôle de dissuasion : pour
ce faire, la DGCCRF peut à tout moment procéder aux
vérifications nécessaires (sur pièces comme sur le terrain)
8
Art. L. 430-7 C. Com.
Arrêt du TPICE (grande chambre), 17 sept. 2007, affaire T-201/04,
Microsoft/Commission.
10
http:I/www.minefe.gouv.frldirections_services/dgccrf/presse/commu
nique/2007/mediateur_canal_tps.pdf
11
http://www.minefe.gouv.ft/directions_services/dgccrf/presse/commu
nique/2007/vistel.pdf.
9
12
Lignes Directrices de la DGCCRF relatives au contrôle des
concentrations, Procédure et analyse (version du 30 avril 2007).
C2005-44, Lettre du ministre de l’économie, des Finances et de
l’Industrie du 12 août 2005, aux conseils de la société Neuf Telecom,
relative à une concentration dans le secteur des communications
électroniques, publiée au BOCCRF n° 1 du 26 févr. 2 006.
13
51
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
pour s’assurer que les entreprises respectent bien leurs
engagements. En cas de manquement avéré aux
engagements, elle dispose en dernier ressort d’un arsenal
répressif : la procédure définie à l’article L. 430-8 du Code de
commerce permet de sanctionner les entreprises qui auraient
failli à leurs obligations.
II Organiser
engagements
le
contrôle
de
l’exécution
des
25. Le contrôle de l’exécution des engagements est une
prérogative du ministre chargé de l’Économie. Cette mission
ne concerne d’ailleurs pas que les engagements souscrits
14
, mais
dans le cadre d’opérations de concentrations
également l’exécution des décisions rendues par le Conseil
15
16
de la concurrence , au fond ou en mesures conservatoires
17
.
L’organisation du contrôle fait actuellement l’objet d’une
réflexion approfondie. Un travail a été ainsi entrepris par les
services du ministre pour dresser un bilan de la pratique en
matière de suivi d’engagements, la comparer à celles d’autres
pays de l’Union européenne, et essayer d’en évaluer
l’efficacité.
1. Une équipe spécialisée dans les engagements n’est
pas nécessairement le gage d’une plus grande efficacité
26. Une telle expérience d’équipe spécialisée, exclusivement
dévolue à la définition et au suivi des engagements pris en
matière de concentration a été expérimentée par la
Commission européenne : elle n’a cependant pas semblé
concluante et a été interrompue.
27. À supposer qu’une telle équipe soit mise en place en
France, il conviendrait d’articuler son travail de définition et de
suivi des engagements avec celui de l’équipe qui a été en
charge de l’analyse concurrentielle du cas. II en serait
d’ailleurs de même en cas de demande de révision des
engagements si les conditions de la concurrence venaient à
évoluer sur le marché à l’issue de l’autorisation. (…)
2. Études sur la pratique de la DGCCRF en matière
d’engagements
35. La DGCCRF réfléchit activement sur la façon de
perfectionner sa pratique en matière d’engagements. Il lui est
apparu nécessaire de dresser le bilan de la pratique ministre
dans une étude ad hoc, par exemple depuis la mise en oeuvre
de Ia loi relative aux nouvelles régulations économiques
20
(NRE) . (…)
Le recrutement d’une Chef économiste, issue de l’équipe du
Chief Economist de la DG Comp, s’insère dans la volonté de
la DGCCRF d’être désormais un acteur du débat en économie
de la concurrence. Outre l’estimation a posteriori des effets
économiques de quelques décisions emblématiques, ces
travaux ont une visée méthodologique.
III. Sanctionner les manquements avérés
40. Parmi les prérogatives du ministre chargé de l’Économie,
figurent les dispositions de l’article L. 430-8 IV du Code de
commerce qui permettent au ministre de s’assurer de
l’effectivité de la mise en oeuvre des engagements. Elles
prévoient que, lorsqu’il estime qu’une entreprise n’a pas
respecté ses obligations, le ministre saisit pour avis le Conseil
de la concurrence, afin que ce dernier constate l’inexécution.
Une fois constaté le manquement des entreprises, le ministre
peut alors envisager les suites à donner : sanctions
pécuniaires, injonctions sous astreinte d’exécuter les
engagements, voire retrait de la décision d’autorisation. (…)
14
En application des dispositions de l’art. L. 430-8 IV C. Com.
En vertu des dispositions de l’art. L. 464-8 alinéa 2 C. Com.
Art. L. 464-2 C. Com.
17
Art. L. 464-1 C. Com.
20
Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouve lles régulations
économiques, JO n° 113 du 16 mai 2001, page 7776.
15
16
1. Ne pas remettre en cause l’esprit de l’article L. 430-8
42. Les textes sont clairs : le ministre ne dispose d’autres
outils procéduraux que la saisine du Conseil de la
concurrence pour valider le constat de l’éventuelle
inexécution. En pratique, la saisine résulte de la mobilisation
par la DGCCRF des pouvoirs d’investigation très étendus dont
elle dispose. Outre les vérifications sur pièces réalisées
continûment, deux enquêtes sur le terrain ont par exemple été
réalisées à cette fin en 2006. Ces enquêtes menées par la
DGCCRF ont pour effet de sensibiliser directement les
entreprises à la question du respect de leurs engagements, et
très souvent un simple rappel des sanctions auxquelles elles
s’exposent suffit à les mobiliser. Si les saisines du Conseil de
la concurrence sur le fondement de l’article L. 430-8 sont
rares, c’est aussi parce que les mesures de sanctions prévues
par le Code ont un caractère fortement dissuasif.
43. La politique de la DGCCRF en l’espèce consiste à ne
jamais couper le fil du dialogue avec les entreprises et de tenir
compte des difficultés rencontrées dans l’exécution des
engagements. En cas de force majeure, les délais de cession
peuvent par exemple être prolongés de quelques semaines.
La contrepartie de cette souplesse devrait a contrario être que
le dispositif prévu pour sanctionner en cas de non-respect
avéré, qui passe par la saisine préalable du Conseil de Ia
concurrence, soit le plus efficient possible.
44. Il est légitime de s’interroger sur la logique d’un dispositif
qui demande au Conseil de la concurrence de se prononcer
sur le respect d’engagements sur lesquels il n’a pas
forcément eu à statuer. En effet, en proportion des cas
examinés par le ministre, rares sont les secondes phases
d’instruction : en moyenne, moins de 5 % des dossiers sont
concernés. Ce chiffre est d’ailleurs rigoureusement équivalent
pour le ministre chargé de l’Économie ou pour la Commission
22
européenne .
Statistiquement, le Conseil de la concurrence peut donc être
amené à se prononcer plus souvent sur le respect
d’engagements concernant des opérations de concentration
sur lesquelles il n’aura pas eu à se prononcer que sur celles
23
pour lesquelles il aura délivré un avis .
45. Ce dispositif répond toutefois au souci de mieux garantir le
24
droit des parties : étant donné la gravité des sanctions
encourues par les entreprises en cas de non-respect
d’engagements, qui peuvent aller jusqu’au retrait de la
décision, il a semblé plus sage au législateur d’encadrer cette
procédure par l’avis d’une autre autorité. Ce type de
procédure n’est d’ailleurs pas isolé en droit français. (…)
2. En perfectionner la mise en œuvre (…)
50. La mise en oeuvre de l’article soulève plusieurs questions
d’ordre juridique. Certains commentateurs ont déploré le
« vide procédural » qui entourerait le respect du contradictoire
lors de la procédure conduite devant le Conseil de la
concurrence : ce dernier n’est pas prévu par les textes.
Toutefois, le Conseil de la concurrence a pris l’initiative
heureuse d’établir le principe du contradictoire au cours du
22
Depuis 2002, 3,18 % des opérations notifiées à la Commission
européenne ont fait l’objet d’une phase II (54 cas sur 1696) ; la
tendance semble d’ailleurs être au ralentissement sur les huit
premiers mois de 2007 : à peine 2,40 % des affaires sont concernées.
En France, depuis 2002, 2,55 % des cas examinés ont fait l’objet
d’une saisine du Cons. Conc., mais depuis le relèvement des seuils
en 2004, le taux moyen est de 3,0 %, en progression sur les premiers
mois de 2007.
23
Entre 2002 et 2006, sur les 39 décisions ministérielles
d’autorisation sous réserve d’engagements, 9 seulement avaient
donné lieu à une seconde phase d’instruction parle Cons. Conc., soit
moins de 25 %.
24
Les sanctions encourues par les entreprises sont très importantes :
outre une sanction financière dans la limite de 10 % de leur chiffre
d’affaires, elles peuvent voir remise en cause de la décision
d’autorisation initialement accordée par le ministre.
52
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
seul précédent ayant donné lieu à ce jour à la transmission
d’un avis 27 au ministre de l’Économie.
51. On peut également regretter que le Code de commerce
n’enferme pas la procédure de sanction des manquements
dans des délais précis28. Il s’agit là d’un point très sensible, sur
lequel une réforme serait urgente. S’agissant notamment de la
transmission au ministre de l’avis du Conseil de la
concurrence constatant le non-respect éventuel des
engagements, la procédure peut ainsi se prolonger à l’excès
pour le premier cas d’application, plus de 18 mois se sont
écoulés entre la saisine et la remise de l’avis, mais cette
longueur s’explique en partie par le fait que les services
d’instruction du Conseil n’ont pas pu s’appuyer à l’époque sur
le rapport d’un mandataire ni sur les conclusions d’une
enquête de terrain. Par ailleurs, ils ont fait le choix de mettre
en oeuvre une procédure contradictoire écrite, qui certes
requiert plus de temps mais est également gage d’une plus
grande sécurité juridique pour les entreprises. (…)
53. La procédure doit donc être améliorée dans ses aspects
temporels. Les voies ouvertes pour une telle modification sont
nombreuses. Il peut par exemple s’agir d’une modification
législative. Une autre piste, plus expédiente, pourrait consister
à amender le protocole de coopération signé entre la
DGCCRF et le Conseil de la concurrence. Cette solution est
plus souple, et pourrait être mise en place plus rapidement.
(…)
55. En résumé, la pratique du ministre en matière de suivi
d’engagements peut sans doute être améliorée. L’équilibre du
régime de contrôle doit cependant être maintenu : il faut se
garder de réformes hâtives qui pourraient lui porter un coup
fatal. La DGCCRF reste confiante quant à sa capacité à
explorer toutes les marges d’amélioration du cadre existant.
56. Confiante, elle peut l’être pour au moins trois raisons.
D’abord parce que ses équipes ont acquis de par la loi NRE
de 2001 une grande expérience du contrôle des
concentrations qui leur permet d’anticiper Iorsqu’ils conçoivent
les engagements avec les parties à l’opération, les problèmes
susceptibles de se poser au moment de leur exécution. Le
recours plus fréquent à des mécanismes incitatifs, le souci
permanent d’assurer la transparence de I’exécution des
engagements, sont autant d’outils qui permettent de faciliter le
suivi.
57. Ensuite, parce que son organisation matricielle et la
qualité des moyens humains dont elle dispose constituent un
atout majeur en tant qu’autorité de concurrence : l’articulation
du travail de suivi entre la sous-direction de la politique de
concurrence et les sous-directions sectorielles, les corps
d’enquête, mais également les directions régionales, permet
de concentrer dans une même Direction Générale des
compétences extrêmement variées, qui convergent toutes
vers un même but : vérifier, sur pièces, ou sur le terrain, à tout
moment, que les engagements sont bien respectés.
58. Enfin, parce que le dispositif prévu par le Code de
commerce est un garde-fou suffisamment dissuasif. La
procédure de sanction des manquements aux engagements
peut certainement être améliorée — en termes de délai de
procédure notamment — mais elle a récemment pu faire la
preuve de son efficacité.
27
Avis n° 07-A-03 du 28 mars 2007 relatif à l’exécuti on des
engagements souscrits par le groupe Carrefour à l’occasion d’une
opération de concentration, publié au BOCCRF n° 7 b is du 14 sept.
2007.
28
Alors qu’en vertu de l’art. L. 430-6 C. Com., le Cons. Conc. dispose
d’un délai de trois mois pour remettre son avis relatif à une opération
de concentration, l’art. L. 430-8 reste totalement silencieux sur ce
point.
« Les remèdes dans les opérations de concentrations », Concurrence et Consommation, décembre 2007,
n° 156, p. 4
Introduction par Antoine Gosset-Grainville, Associé Gide Loyrette Nouel
Le terme de remède a été choisi alors que, dans la pratique
courante, on utilise plus souvent le mot « engagement ». La
notion de remède est plus large que celle d’engagement
puisqu’elle englobe non seulement les solutions proposées par
les entreprises qui notifient une opération de concentration, mais
également celles qui lui sont suggérées, voire imposées, par
l’autorité de concurrence. Ce terme a été retenu afin d’obtenir
une approche aussi large que possible du sujet. Pour mémoire,
2
les Anglo-saxons utilisent trois termes distincts remedies ,
3
4
undertakings et commitments ,
Au-delà des questions de sémantique, deux raisons principales
nous ont conduits à proposer et à retenir ce thème pour l’atelier
d’aujourd’hui.
La première réside dans le fait que la question des remèdes est
particulièrement sensible pour les entreprises engagées dans
une opération de concentration. Lorsque I’on parle de remèdes
cela veut dire que des sacrifices se profilent pour les différents
acteurs liés à I’opération : la renonciation à certains actifs, à des
accords d’exclusivité existants ainsi que la prise d’engagements
concernant des comportements futurs.
Ce sont des sacrifices qui signifient bien souvent la remise en
cause du business plan, de la projection des synergies et des
2
3
4
Remèdes.
Engagements.
Engagements.
effets attendus de l’opération ainsi que de tous les modèles
préparés par les banquiers d’affaires qui ont soufflé l’idée de la
concentration.
C’est une question sensible parce que les remises en cause et
les sacrifices peuvent être à l’origine de tensions internes au sein
de l’entreprise, notamment avec les opérationnels chargés des
actifs ou des entités concernées par les nouveaux engagements.
De plus, une opération de concentration est par nature une
phase de tension Lorsqu’il est question de « remèdes », la
tension vient s’ajouter à la tension. Qui dit remèdes dit risque de
remèdes et in fine potentiellement risque d’interdiction de
l’opération.
Deuxième raison du choix de ce thème : les remèdes sont une
réelle question d’actualité. Plusieurs décisions récentes, tant au
plan national qu’au plan communautaire, ont été l’occasion de
formuler des remèdes importants avec une certaine nouveauté.
Pour exemples, l’opération Gaz de France/Suez au plan
communautaire, l’opération TPS/Canal Sat au plan national et
beaucoup d’autres opérations survenues en 2006, en font une
année riche sur ce plan. La Commission européenne a décidé
d’engager un travail d’analyse ex port des remèdes passés et
des décisions déjà prises sous l’angle de leur efficacité, afin de
préciser quelles sont les questions qui peuvent se poser et
l’opportunité d’un aménagement des règles applicables.
De manière très concrète, la Commission prépare actuellement
de nouvelles lignes directrices.
53
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
Le cadre juridique de la détermination et de la mise en
œuvre des remèdes en France et en Europe (…)
La première question qui se pose est celle de la contradiction
apparente entre les objectifs du contrôle des concentrations,
d’une part, et les exigences de la liberté du commerce et de
l’industrie, de l’autre. La liberté du commerce et de l’industrie est
une liberté constitutionnelle, dont le Conseil constitutionnel, dans
sa décision du 16 janvier 1982, avait sanctionné la restriction
comme anticonstitutionnelle, en la qualifiant de restriction
arbitraire ou abusive à la liberté d’entreprendre. Cette liberté est
‘un des fondements de la construction communautaire. Pour
exemple, l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux
indique que la liberté d’entreprise est reconnue conformément au
droit communautaire et aux législations et pratiques nationales.
Cette liberté est l’épine dorsale du système d’économie de
marché, et ne doit pas être entravée ou le moins possible.
Face à l’existence de cette liberté de premier rang, e contrôle
des concentrations est une prérogative publique permettant de
s’opposer à une opération de croissance externe ou à un
rapprochement entre des entreprises si cette opération « est
susceptible d’entraver de manière significative la concurrence
sur un marché donné ».
Ce pouvoir de veto ou de reconfiguration des opérations de
concentration constitue une prérogative extrêmement forte de la
puissance publique sur les entreprises. C’est même le domaine
où les pouvoirs de l’autorité publique sont les plus étendus ou,
en tout cas, plus structurants pour les entreprises que les
pouvoirs de l’administration en matière fiscale, de régulation
économique générale, voire antitrust classique. Ce n’est ni le
lieu, ni le moment d’aborder la question de la légitimité du
contrôle des concentrations en lui-même, mais il paraît important
d’avoir à l’esprit cette dialectique compliquée, avec la liberté du
commerce et de l’industrie. C’est à la lumière de cette dialectique
que se comprennent le rôle et l’utilité des remèdes dans les
opérations de concentration, puisque les remèdes sont le moyen
de limiter au strict nécessaire la restriction à la liberté du
commerce et de l‘industrie. Cet objet vertueux, se constatant au
plan des principes et des modalités de mise en oeuvre des
remèdes, permet, sur le plan des principes, de sortir de la
logique du tout ou rien : autorisation d’une opération de
concentration ou interdiction. Les remèdes permettent de trouver
la voie moyenne, de concilier les objectifs contradictoires, les
contraintes. Les chiffres illustrent parfaitement et clairement cette
vertu puisqu’au plan communautaire les interdictions prononcées
par l’autorité communautaire sont, depuis l’adoption du
règlement concentration, de moins de 30 sur plus de 2000
opérations notifiées, un chiffre très faible. En revanche, près de
20 % des opérations notifiées ont été autorisées après que les
entreprises eurent formulé des remèdes, ce qui prouve bien
l’utilité et la vertu de cet outil pour permettre la réalisation des
opérations dans des conditions satisfaisantes du point de vue du
marché.
Cette vertu se constate également au plan des modalités. Ce
sont les entreprises elles-mêmes qui ont, en principe, le libre
choix des remèdes, pourvu que les solutions qu’elles proposent
répondent aux problèmes de concurrence identifiés. Cette
approche, non prescriptive dans sa philosophie, est motivée,
entre autres, par la volonté de limiter l’atteinte à la liberté du
commerce et de l’industrie, de laisser aux entreprises le libre
choix des moyens, lorsqu’il est demandé d’apporter une solution
à un problème identifié. Dans la pratique, il est de notoriété qu’il
y a un certain nombre de tempéraments à cette belle
construction théorique, d’abord dans les faits les choix des
remèdes sont plus ou moins orientés par l’autorité de
concurrence dont le pouvoir d’orientation est quand même très
fort. À cet élément s’ajoutent dans le cas particulier de la France
des dispositions juridiques spécifiques, par rapport aux règles
communautaires, qui permettent à l’autorité de concurrence
d’imposer dans certaines situations, des remèdes. C’est le
fameux outil des prescriptions et des injonctions prévues à
l’article L. 430-7 du Code de commerce. Cet outil a été peu
utilisé jusqu’à présent (5 cas d’injonction depuis 2000, pas de
cas de prescription). (…)Les « bons remèdes » sont ceux qui
réunissent trois grandes caractéristiques : d’abord, ce sont les
remèdes efficaces compte tenu de la nature du problème posé ;
ensuite, les remèdes proportionnés à la difficulté identifiée et,
enfin, les remèdes « monitorables », une fois décidés, de
manière que leur mise en oeuvre effective puisse être garantie.
La question qu’il faut se poser sur le premier objectif, l’efficacité,
est de savoir si le remède peut résoudre le problème de
concurrence posé. En ce sens, la question de la forme du
remède est moins importante que celle de ses effets. Les autorités de concurrence ont toujours privilégié les engagements
structurels — forme la plus appréciée de remède — parce qu’ils
créent un vrai abandon de position de marché, qu’ils prennent la
forme de cession d’actifs ou de solution imaginative de carveout. Dans les différents cas, à partir du moment où le remède est
structurel, la réalité tangible est rassurante pour l’autorité de
concurrence et également pour les tiers.
À l’inverse, les engagements comportementaux ont longtemps
suscité une certaine méfiance des autorités de concurrence, car
leur effet est paru plus incertain ou du moins plus difficile à
mesurer.
Cette opposition doit être revisitée, pour trois raisons principales.
D’abord le juge communautaire a clairement confirmé que les
engagements comportementaux pouvaient être appropriés.
L’arrêt Babyliss de 2003 comporte une phrase très claire et sans
équivoque : le juge a indiqué que rien ne permet d’exclure a
priori qu’un engagement de type comportemental soit de nature
à résoudre les problèmes de concurrence posés par une
concentration.
Deuxième raison pour laquelle cette dichotomie structurel/comportemental doit être revisitée, les autorités de concurrence elles-mêmes reconnaissent maintenant que ces types
d’engagements comportementaux peuvent, dans certains cas,
être la meilleure réponse au problème posé. Pour mémoire,
l’opération TPS/Canal Sat a été validée à la fin de l’été 2006 par
le ministre de l’Économie. Dans cette opération, Canal + a pris
59 engagements, tous de nature comportementale ou quasi
comportementale. Ce type d’engagement permettait de répondre
au mieux aux problèmes identifiés par la DGCCRF et le Conseil
de la concurrence.
Troisième raison pour laquelle cette opposition doit être
relativisée, la frontière entre structurel et comportemental est en
fait beaucoup plus floue qu’il n’y paraît. (…)
Deuxième objectif du bon remède : être proportionnel au
problème posé. Cela paraît évident, mais dans la réalité, les
choses sont un peu plus compliquées, et il y a deux obstacles au
respect de cette exigence. Le premier, c’est qu’il est très souvent
difficile d’apprécier, au moment de la notification d’une opération
de concentration, l’ampleur des difficultés. C’est un exercice
délicat, car les délais sont évidemment très courts. Pour
contourner cet obstacle ou le dépasser, deux options, non
exclusives l’une de l’autre, s’offrent aux entreprises. La première
est de se donner du temps avec, par exemple, une
prénotification suffisamment longue de l’opération pour examiner
sereinement ces questions, et bien cerner l’ampleur des
problèmes. Au plan communautaire, un délai est également
possible, à la fin de la procédure, avec la fameuse clause d’arrêt
des pendules introduite dans le nouveau règlement des
concentrations. Le deuxième outil dont disposent les entreprises
pour éviter de formuler des remèdes mal adaptés à la nature des
problèmes posés, c’est le recours à l’analyse économique dont
les apports peuvent être très importants.
Le deuxième obstacle est la tentation de la marge de sécurité,
tentation assez naturelle des autorités de concurrence (…)
La troisième et dernière caractéristique des bons remèdes : les
remèdes qui peuvent être suivis, dont la mise en oeuvre peut
être surveillée. Cette exigence est plus facile à respecter dans le
cadre des engagements structurels (…)
54
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
Pour terminer, la dernière question irnportante à examiner dans
cet exposé introductif est celle du cadre procédural dans lequel
les remèdes sont mis en oeuvre. Cette question des remèdes a
été assez peu organisée et, jusqu’à présent, assez peu
encadrée de manière juridique. Il était probablement préférable,
dans la phase de mise en place du contrôle des concentrations,
de se donner le maximum de souplesse pour apprécier ensuite,
dans la mise en oeuvre de ces règles, la nature réelle des
problèmes posés et des contraintes auxquels les entreprises
sont soumises. On constate d’ailleurs cet état de fait à tous les
stades de la procédure, d’abord au niveau du dialogue avec les
parties et les tiers, au moment de la formulation des remèdes, en
particulier les thèses de marché. Certains praticiens ou
observateurs ont, par exemple, évoqué la nécessité de
soumettre les questions posées par l’autorité de concurrence
aux tiers, dans le cas des thèses de marché, et de soumettre ces
questions aux parties à la concentration. La procédure étant
jugée pertinente et utile pour garantir l’objectivité des conditions
dans lesquelles la thèse de marché est réalisée, cette piste
mérite au moins d’être étudiée.
Au stade de la nature des remèdes envisageables, les textes,
tant le texte national que le texte communautaire, sont assez
elliptiques sur ce sujet — débat de la préférence pour le remède
structurel — mais, au-delà de cela, ne serait-il pas opportun de
préciser le type de remède le plus adapté pour faire face aux
différentes difficultés qui peuvent se présenter ? (…).
L’analyse économique dans la détermination des remèdes :
démarches, apports, limites
Laurent Benzoni, Professeur de sciences économiques,
université Paris ll, cabinet TERA consultants
(…) Le contrôle des opérations de concentration occupe une
place un peu particulière au sein du dispositif général du droit de
la concurrence (…)
Cette intervention ex ante, qui relève du prospectif et du
préventif, laisse d’ailleurs à penser que, du point de vue économique, le contrôle des concentrations procède autant d’une
approche de la régulation des marchés que d’une approche de
l’analyse concurrentielle des marchés. Il reste que c’est alors
dans la prévision, c’est-à-dire dans l’appréciation future du
marché et de son état concurrentiel, que le recours à l’analyse
économique et à la quantification est considéré désormais
comme essentiel. Pour l’économiste, la responsabilité est lourde,
puisque c’est de cette appréciation du futur que dépendent
l’ampleur et la nature des remèdes qui doivent être finalement
prescrits et mis en oeuvre. Cet exercice peut conduire à deux
types d’erreurs. Soit des erreurs dites de type 1 — dans le jargon
des économistes les remèdes sont surdimensionnés par rapport
à ce qu’ils auraient dû être, notamment en ce qui concerne leur
effet concurrentiel sur le marché. À l’opposé, il y a les erreurs
dites de type 2 : les remèdes sont au contraire sousdimensionnés ; et, dans ce cas, il aurait fallu en imposer de plus
contraignants. Les économistes ont tendance à qualifier l’erreur
7
de type 1 de regulatory failure
c’est-à-dire de défaut du
régulateur.
8
Dans le cas de type 2, on parle plutôt de competition failure ,
puisque finalement ce sera la concurrence qui sera prise en
défaut, après l’erreur commise. Les économistes s’interrogent
sur l’impact des erreurs d’appréciation vaut-il mieux faire des
erreurs de type 2 que des erreurs de type 1. Finalement ils
considèrent que, généralement, les erreurs de type 2 sont préférables. En d’autres termes, il vaut mieux, dans l’appréciation
des remèdes, que les autorités de contrôle soient plus permissives que restrictives et préfèrent des remèdes plus légers à des
remèdes « surcontraignants ». (…)
7
8
Défaillance de la réglementation.
Défaillance de la concurrence
finalement, c’est bien cette vision polaire qui induit la relation
simple, a priori, selon laquelle plus un marché est concentré,
c’est-à-dire plus il se rapproche du monopole, plus il s’éloignera
du mode de fonctionnement concurrentiel pur et parfait qui est
censé garantir la maximalisation du bien-être collectif. Cette
vision chez les économistes est dite structuraliste. C’est en effet
la structure du marché qui détermine la performance
concurrentielle, indépendamment presque des comportements
qu’adopteraient les acteurs sur les marchés en question.
De façon un peu simpliste si un acteur disposait de 100 % du
marché, et qu’à l’opposé des acteurs disposaient d’une part de
marché très proche de 0 %, finalement la moyenne serait de
50 %. Cela signifie que l’on trouve un seuil et on se dit alors que
si on commence à dépasser 50 %, c’est que I’on s approche un
peu trop du monopole ; et si en définitive on est en dessous de
50 %, c’est que l’on doit être plus proche de l’autre situation, le
marché concurrentiel. C’est totalement arbitraire, et c’est
pourtant dans une certaine mesure ce qui fondait le texte de la
dominance économique qui prévalait dans le règlement des
concentrations. En fait, cela avait quand même un avantage,
c’est que cela rendait relativement simples toutes les opérations
qui étaient en dessous du seuil de 50 %. Mais le gros
inconvénient est que cela compliquait toutes les opérations qui
dépassaient ce seuil de 50 %. L’analyse économique est bien
plus sophistiquée, nuancée, subtile et complexe que ne le laisse
penser cette approche polaire simple voire simpliste. En effet
l’analyse économique dit que dès qu’on passe d’une situation de
monopole à une situation de duopole, donc de un à deux, il n’y a
plus aucune relation simple et directe entre la structure du
marché et le marché, c’est-à-dire le nombre d’acteurs et la
répartition des parts de marché entre les acteurs, donc le niveau
de concentration et le comportement concurrentiel des acteurs
qui sont sur le marché. La même structure, le duopole, peut
produire le pire : l’entente, le cartel, ou le meilleur : la
concurrence débridée par les prix que l’on appelle le « duopole
de type Bertrand ». D’où, sans aucun doute, cette évolution du
règlement des concentrations qui a finalement intégré les
enseignements de l’analyse économique, puisque le test de
dominance économique a été remplacé par le test de l’entrave
significative à la concurrence. Les Anglo-Saxons appellent ce
test SLC, pour substantial lessening of competition.
Effectivement le paragraphe 3 de l’article 2 du règlement de
2004 établit ainsi que : « Les concentrations qui entraveraient de
manière significative une concurrence effective dans le marché
commun, ou une partie substantielle de celui-ci, notamment du
fait de la création ou du remplacement d’une position dominante,
doivent être déclarées incompatibles avec le marché commun en
question ». En fait une règle de raison, le test SLC, a finalement
remplacé une règle qui était le test de dominance. Ce nouveau
test est sur le fond, plus contraignant que l’ancien, car une
entrave significative à la concurrence peut exister en l’absence
même d’une dominance économique. Mais cette nouvelle
approche est plus ouverte, car le renforcement d’une dominance
économique par une opération de concentration n’induit pas
mécaniquement comme c’était le cas avant, une entrave
significative à la concurrence. (…)
Pour apprécier I’effet de la réduction ou de I’entrave
substantielles à la concurrence, les lignes directrices introduisent
explicitement les notions d’effet unilatéral et d’effet coordonné.
C’est ici qu’intervient, évidemment, l’analyse économique pour
évaluer les effets. Du point de vue économique, le juste calcul
d’un effet unilatéral doit prendre en compte trois types d’effet. Un
effet direct résulte de la diminution du nombre d’offreurs sur le
marché, suite à l’opération de concentration. (…)
Le deuxième effet, l’effet indirect, résulte de la réaction
potentielle des concurrents face a un éventuel accroissement
des prix ou à une réduction des quantités initiées par l’entité
fusionnante qui disposerait d’ un certain pouvoir de marché. Et le
troisième effet, I’effet de synergie ou gain d’efficience, concerne
la baisse des coûts induits par I’opération de concentration. Les
coûts peuvent baisser par effet d’économie d’échelle ou
55
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
d’économie d’envergure. Ces gains sur les coûts liés à la
mutualisation de facteurs de production permettent de produire
une plus grande gamme de produits à des coûts plus faibles.
Il est saisissant d observer le fossé qui sépare I’analyse théorique et la réalité de la vie des affaires. (…)
En dernier lieu, les gains d’efficacité sont le plus souvent omis
par les modèles économiques, alors qu’ils sont essentiels pour
évaluer totalement les effets unilatéraux, voire les effets
coordonnés. La doctrine à ce sujet est relativement claire : ces
gains d’efficacité, pour être pris en considération, doivent être
directement imputables à l’opération de concentration, ils doivent
être quantifiables, vérifiables, et se faire à l’avantage du progrès
économique et social, c’est-à-dire principalement à l’avantage du
consommateur ou pour promouvoir la recherche d’innovations.
S’il est un domaine où les économistes peuvent aussi intervenir
dans une opération de concentration, c’est bien celui du calcul
des effets sur les coûts marginaux que peuvent induire les
opérations de concentration. À l’instar du calcul des élasticités
de demande, ces évaluations sont exigeantes en informations et
longues à réaliser, ce qui peut se comprendre finalement comme
une incitation à solliciter des conseils des économistes très en
amont des opérations de concentration. Il reste que ces gains
d’efficacité ou d’efficience constituent aussi un exercice de
prévision, donc, comme pour les effets coordonnés, on se situe
plus dans l’art que dans la science. L’un des aphorismes les plus
courants pour désigner les économistes dit que ce sont des
experts qui sauront demain pourquoi ce qu’ils prédisent
aujourd’hui est faux. Reste que cette incertitude des résultats et
les limites des méthodes analytiques expliquent sans doute
I’impression de discrétionnaire voire d’arbitraire dont se plaignent
parfois les acteurs du marché, en matière de remèdes dans les
opérations de concentration. Et comme le disait récemment un
fin connaisseur de ces dossiers en Europe, la concentration est
un des rares espaces où les notions de politique industrielle,
voire de patriotisme économique, ont encore un peu de
consistance, histoire de rappeler que l’ampleur des enjeux
politiques qui se cachent derrière un thème apparemment très
technique permet d’expliquer que le flou peut être aussi une
façon de mener les dossiers.
Débat (…)
Guillaume Cerutti revient sur plusieurs points, y compris le point
abordé par Thomas Picot. D’abord, sur le débat entre les
engagements structurels et les engagements comportementaux,
la question a été posée par Antoine Gosset-Grainville de savoir
s’il ne fallait pas davantage codifier les choses pour améliorer la
lisibilité ou la prévisibilité, pour les entreprises, des solutions
pouvant être agréées par les autorités de concurrence.
Personnellement, il ne le pense pas. Il estime qu’il faut observer
que, entre les engagements structurels et les engagements
comportementaux, il y a de plus en plus un continuum : des
engagements comportementaux quasi structurels, certains
engagements structurels en réalité sont peut-être moins forts
que ce qu’ on pourrait penser. Il faut bien sûr avoir une gamme
d’engagements possibles, sans oublier que, dans la discussion
avec les entreprises, les autorités de concurrence sont dans une
véritable négociation. Donc il faut laisser finalement de marge de
manœuvre pour arriver en fonction de l’analyse des effets, à la
meilleure solution possible. Il est vrai que dans les lignes
directrices, il est encore écrit qu’il y a une préférence pour les
engagements structurels qui sont plus clairs, plus faciles et
engagent moins en termes de suivi. Mais il serait assez partisan
de garder une souplesse dans l’usage des différents remèdes
possibles dans les opérations de concentration.
Ensuite, des tendances sont observées. Il a été peu fait mention
des effets verticaux liés à certaines opérations dé concentration,
mais un atelier avait été consacré à ce sujet, dont une des
conclusions était qu’après un certain nombre de décisions
judiciaires au plan communautaire la tendance allait, s’agissant
des effets verticaux, de plus en plus vers les engagements
comportementaux plutôt que vers les engagements structurels.
Au delà de cette tendance, la préférence est de garder une
gamme aussi large que possible et de donner toute sa place à la
négociation, et chaque fois, d’essayer d’en mesurer les effets.
Deux éléments lui paraissent importants la question de
I’évaluation économique des effets d’une opération et des effets
des remèdes qui peuvent être envisagés. De ce point de vue, il
reste beaucoup de travail au sein des autorités de concurrence.
Ainsi, il estime qu’il y a trop peu d’évaIuations faites ex post des
engagements structurels ou comportementaux acceptés dans le
cadre d’opérations. De la même manière, elles ont assez peu
l’habitude, au moment où elles autorisent une opération avec
des engagements, de reIever de manière précise, la situation de
marché à ce moment-là, de manière à pouvoir régulièrement
mesurer l’efficacité des effets et améliorer leur capacité à bien
proportionner et à bien choisir entre les différents engagements
dans les opérations suivantes de concentration. Donc, il reste à
faire des progrès sensibles en matière économique.
La question du suivi des engagements est un terrain à défricher,
y compris à partir du processus d’agrément des repreneurs ou
d’agrément du mandataire Il y à là, en matière de latitude des
autorités de concurrence, une question à poser. Aujourd’hui, il ne
sait pas si elles sont trop puissantes ou pas assez dans ce
domaine. Chaque fois, la DGCCRF regarde au cas par cas, mais
les choses sont assez peu codifiées. Cependant on peut
considérer qu’il est bon que l’autorité de concurrence garde une
capacité d’action et de choix. Peut-être faut-il rester dans cette
zone un peu grise. C’est la même chose pour l’agrément du
mandataire. Parfois, des questions sont posées parce que le
mandataire est choisi et payé par les parties.
Il indique également pour le suivi des engagements que des
progrès doivent être accomplis du point de vue des sanctions du
non-respect des engagements. (…) Mais peut-être la DGCCRF
est-elle moins efficace et moins outillée pour gérer l’aprèsopération, l’après-décision lorsque celle-ci est assortie
d’engagements.
Intervention introductive : enseignements de l’analyse ex
post des remèdes par la Commission européenne : Pistes
de réflexion
Caries Esteva Mosso, responsable de l’unité « Politique en
matière de concentration et contrôle » à la DG concurrence,
Commission européenne
Ce document montre le taux d’intervention, c’est-à-dire le
pourcentage d’opérations notifiées pour lesquelles la
Commission intervient dans le marché et fait changer l’opération
initiale à cause des problèmes de concurrence. Les triangles
montrent les interdictions, qui sont toujours restées en dessous
de 2 %. Leur moyenne constitue moins de 1% de toutes les
affaires que nous avons examinées. (…) les statistiques des
décisions pour lesquelles la Commission a exigé des remèdes.
Dans les dernières années, le chiffre s’est trouvé compris entre
6 % et 8 % et la moyenne totale, bien que cela ait beaucoup
oscillé, est d’environ 7 %. Pour vous donner des chiffres plus
concrets, l’année dernière, nous avons examiné 356 opérations.
19 décisions ont été prises avec des remèdes. À partir de ces
statistiques, on constate que l’intervention de la Commission est
relativement limitée, elle n’atteint pas plus de 8 % des opérations
modifiées à la suite d’une analyse concurrentielle. (…)
(…) Sur ces 40 cas, nous avons choisi 96 engagements imposés
(…) cette analyse plus subjective de l’étude montre que plus de
la moitié des remèdes ont été clairement effectifs, mais que
24 % d’entre eux, un chiffre important, ne l’ont pas été
complètement. Deux raisons à cela : soit le problème de
concurrence n’a été résolu que quelques années après le
désinvestissement, soit le remède n’a pas complètement
restauré la situation concurrentielle antérieure à l’opération.
Dans 7 % des cas le remède a été clairement inefficace. (…)
(…) C’est le but de la réforme que nous préparons (…) resserrer
les boulons ici et là plutôt que reconstruire complètement la
machine. (…) prendre en compte la jurisprudence récente (…)
56
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
adapter la communication existante, datant de 2001, au nouveau
règlement de concentration. (…)
Commençons rapidement par les principes généraux, qui
consistent surtout à incorporer la jurisprudence existante. Le
premier principe concerne l’allocation de responsabilité. Il est
clair que ce n’est pas à la Commission de proposer un remède,
même si elle peut orienter le débat. Mais une fois que la
Commission a reçu les engagements, c’est sa responsabilité
d’établir si l‘opération modifiée continuera à créer un problème
de concurrence. Cela est une clarification importante. En effet, la
communication actuelle est quelque peu ambiguë sur ce point.
On pourrait déduire de son sixième paragraphe que les parties
ont pour rôle de démontrer que les remèdes doivent résoudre les
13
problèmes de concurrence. La Cour dans le cas EDP/GDP ,
dans lequel la Commission a vu ratifier son refus d’une opération
dans le secteur de l’énergie au Portugal, nous a très clairement
dit que la charge de la preuve n’incombait pas aux entreprises
mais à la Commission. Si la Commission veut interdire
l’opération, telle que modifiée par les remèdes, continue à être
incompatible. Dans ce cas-là, la Cour a considéré que la
Commission l’avait fait de façon suffisamment claire.
Le deuxième principe général porte sur le débat au sujet des
différents types de remèdes. Il faut éviter d’être trop dogmatique
et essayer de faire une distinction très nette entre remède
comportemental et remède structurel. La Cour nous a conseillé
déjà depuis plusieurs années d’étudier les effets des différents
remèdes. Ceux qui ont des effets structurels parce qu’ils
permettent qu’une contrainte concurrentielle soit reproduite dans
le marché, sont parfaitement acceptables.
Quelles seront nos lignes de clarification dans la communication
? Nous proposons de maintenir clairement la préférence pour les
désinvestissements, pour les problèmes à caractère tant
horizontal que non horizontal. (…)
La communication apportera aussi des éclaircissements sur les
principes de nécessité et de proportionnalité. En premier lieu, il
faut qu’il s’agisse d’un remède suffisant pour éliminer
complètement le problème identifié. La Cour l’a dit clairement
dans le cas General Electric. Par conséquent pour pouvoir
approuver la concentration, nous devons être sûrs que le
remède résoudra le problème de concurrence. En deuxième lieu,
il ne doit pas nécessairement aller au-delà de ce qui est
nécessaire pour rétablir le problème de concurrence. Comme la
Cour l’a dit dans le jugement Cementbow, cependant, les parties
peuvent soumettre des remèdes allant au-delà de ce qui est
strictement
nécessaire
pour
éliminer
les
problèmes
concurrentiels : la Commission n’a pas à limiter les possibilités
des parties.
Laissons ces principes généraux et examinons les problèmes
concrets. Que propose la Commission pour résoudre les
problèmes identifiés par l’étude ? La source principale d’échec
des remèdes est un contenu insuffisant. L’étude nous montre
quels éléments manquaient dans les paquets désinvestis. Dans
la majorité des cas, le manque de certains éléments forçait les
entreprises faisant l’objet du désinvestissement à maintenir des
liens, ou dans le marché en amont, ou dans le marché en aval,
avec l’entreprise mère. (…) Nous avons aussi rencontré des
problèmes parce que les désinvestissements, trop peu
importants, n’avaient pas la dimension suffisante pour assurer la
viabilité à un concurrent ou parce que des droits de propriété
intellectuelle manquaient restaient dans l’entreprise mère ou,
encore, à cause de limitations géographiques. Cela est aussi lié
à l’idée de la dimension critique.
Comment résoudre ces problèmes ? En premier lieu, nous
proposons d’être plus stricts dans l’analyse de ces paquets de
désinvestissement. Nous demanderons donc que tous les actifs
nécessaires à la viabilité de l’entité désinvestie soient inclus
dans ce paquet. Le point principal est l’accès indépendant aux
fournitures. Si vous regardez ces trois décisions datant de cette
dernière
année
:
Inco/Falconbridge,
GDF/Suez
et
Evraz/Highveld, vous verrez que la Commission commence déjà
à demander que l’entreprise désinvestie ait une source
d’approvisionnement. (…)
L’étude a mis en évidence un autre grand problème en relation
avec le contenu des investissements : un problème
d’information, d’asymétrie d’information. La Commission ne
dispose pas de l’information nécessaire pour évaluer si une
partie d’une entreprise bientôt désinvestie est viable, et
concurrentielle. (…) nous proposerons que, chaque fois que les
parties présentent un remède, elles accompagnent leur
proposition d’une certaine information additionnelle, qui définisse
les caractéristiques et I’étendue des engagements proposés : les
conditions d’application, les raisons pour lesquelles selon elles
ce remède en particulier éliminerait les problèmes de
concurrence. (…) De plus, nous demanderons une description
détaillée factuelle du fonctionnement actuel de l’entreprise
désinvestie. Nous voulons savoir quels sont les actifs
nécessaires pour que cette entreprise désinvestie fonctionne de
façon viable et concurrentielle (…) Je ne pense pas que cela
constitue un formalisme excessif. Il s’agit plutôt d’un besoin réel
d’information. (…) Nous essayons d’avancer vers une analyse
encore plus objective des propositions de désinvestissement.
Le deuxième grand problème identifié par l’étude concernait la
pertinence des acquéreurs. Ici à nouveau, nous ne proposons
pas un changement révolutionnaire : nous essayons simplement
de clarifier un peu les différentes modalités à la disposition des
parties pour essayer de limiter ou d’identifier des acquéreurs
souhaitables pour restaurer la capacité concurrentielle de l’entité
à désinvestir. La méthode traditionnelle qu’il convient à notre
avis d’utiliser dans la plupart des cas est de ne pas identifier
d’acheteur au moment de la décision mais d’imposer simplement
quelques critères. Les parties ont. alors une période pour
proposer un acheteur a la Commission Si la Commission
constate que I’acquéreur propose satisfait ces conditions, elle
approuve l’acquéreur. (…)
Concernant la mise en oeuvre des remèdes, nous proposons
des changements limités. La procédure de mise en oeuvre
conserve deux étapes avec des délais restreints, généralement
de six et trois mois. Pendant la première étape, les entreprises
peuvent décider et proposer un acheteur librement. En cas
d’absence dans les six mois, dans les trois mois suivants le
20
trustee a l’obligation de trouver un acheteur avec une clause
d’absence de prix minimal. Normalement, la seule existence de
la deuxième période assure que le désinvestissement se fasse
durant la première. Nous sommes très rarement arrivés à
l’obligation de vente sans prix minimal par le trustee. On
renforcera aussi l’obligation de maintenir les entreprises à
désinvestir séparées du reste, pour éviter des risques de
dégradation, de transfert d’informations confidentielles, et on
essaiera de donner un peu plus de poids au rôle du mandataire
21
et du hold separate manager . Nous aimerions que le
mandataire soit nommé encore plus rapidement, idéalement
avant même que la procédure de désinvestissement commence,
afin qu’il en soit chargé dès le début. Nous aimerions également
lui donner un peu plus de responsabilité, quant aux plaintes de
tiers pour manque de respect de remède. Nous voudrions
identifier le mandataire — et son mandat—, le rendre public sur
le site de la Commission, pour que les tiers puissent s’adresser
directement à lui, qui devient de plus en plus une figure
essentielle pour assurer que la période de mise en oeuvre
fonctionne correctement. (…)
20
13
Energia de Portugal/Gas de Portugal
21
Mandataire
Gestionnaire des éléments d’actifs séparés.
57
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
Le point de vue des praticiens
Stéphane Hautbourg, associé, Gide Loyrette Nouel
(…) L’exercice d’actualisation des lignes directrices communautaires actuellement mené par la Commission est très utile.
Il faut néanmoins garder une certaine flexibilité, de façon à ne
pas encadrer trop strictement les entreprises lorsqu’elles
réfléchissent. Bien souvent, les problèmes de concurrence qui se
posent sont nouveaux. Il faut alors essayer d’inventer des
remèdes efficaces et praticables.
Suite à la présentation qui vient de vous être faite, je souhaiterais rebondir plus particulièrement sur trois points. Le
22
premier est la charge de la preuve. Dans l’affaire EDP/GDP
mentionnée par CarIes, le tribunal de première instance a
indiqué qu’il appartient certes aux parties notifiantes de proposer
le remède, de donner toutes les informations à la Commission
pour qu’elle puisse apprécier leur efficacité, mais, au final, la
charge de la preuve pèse bien sur la Commission. C’est à elle de
démontrer que l’opération. après modification et prise en compte
des effets des remèdes par rapport au problème de concurrence
identifié, ne peut pas être autorisée. Il s’agit là d’une précision
importante dès lors que. dans la pratique, la Commission a eu
tendance jusqu’ici à faire reposer sur les parties la charge de la
preuve de l’effectivité des remèdes en particulier en présence de
remèdes de nature moins structurelle ou quasi structurelle. À cet
égard, le tribunal et la Cour de justice ont précisé que l’autorité
de concurrence ne peut pas simplement se retrancher derrière
les difficultés de mise en oeuvre et de contrôle des remèdes
proposés par les parties pour les rejeter. Dans cette hypothèse,
la Commission doit démontrer et prouver, puisque la charge de
la preuve repose sur elle, que les remèdes proposés ne vont pas
être en mesure de répondre au problème de concurrence.
Sur ce débat entre les remèdes de nature structurelle ou plus de
nature comportementale, la jurisprudence est assez nombreuse,
avec au moins cinq arrêts du tribunal de première instance ou de
23
24
la Cour de justice. Je citerai les affaires ARD , Babyliss , Tetra
25
26
27
LavaI , EasyJet , EDP , dans lesquelles le juge dit : « Il ne
faut pas d’a priori, on ne doit pas préférer une solution à une
autre, mais il faut raisonner par rapport au problème de
concurrence identifié et savoir si le remède que l’on propose est
adéquat par rapport au problème de concurrence. » Il n’y a donc
pas de raison de considérer a priori qu’un engagement de type
structurel est préférable et doit donc être privilégié. Encore une
fois, la question qui se pose est celle de savoir si l’engagement
permet de répondre au problème de concurrence identifié.
Je souhaitais également faire quelques observations pratiques
sur la procédure en elle-même. En ce qui concerne tout d’abord
la durée de la période de désinvestissement, la Commission fait
part d’une préférence pour une durée courte de six mois, suivie
d’une deuxième période de trois mois. C’est, effectivement, dans
la plupart des opérations, une période qui laisse un temps
suffisant aux parties pour trouver un acquéreur et finaliser les
accords de transfert. Toutefois, dans certaines opérations
beaucoup plus complexes, dans lesquelles un nombre important
de remèdes doit être mis en oeuvre, la durée initiale prévue peut
s’avérer finalement très courte, voire soulever un problème vis-à-
22
Arrêt du tribunal de première instance du 21 septembre 2005.
affaire T-87/05, EDP c. Commission.
23
Arrêt du tribunal de première instance du 30 septembre 2003,
affaire T-158/00, ARD c. Commission.
24
Arrêt du tribunal de première instance du 3 avril 2003. affaire T114/02, Babyliss c. Commission.
25
Arrêt du tribunal de première instance du 25 octobre 2002. affaire
T-5/02. Tetra Laval c. Commission. l’arrêt du tribunal e été confirmé
par la cour de justice dans son arrêt du 15 février 2005, affaire c12/03. Commission c. Tetra Laval.
26
Arrêt du tribunal de première instance du 4 juillet 2006, affaire T177/04, Easyjet Airline co Ltd c. Commission.
27
Arrêt du tribunal de première instance du 21 septembre 2005,
affaire T-87/05, EDP c. Commission.
vis du choix de l’acquéreur lui même Il faut donc être en mesure
de laisser plus de temps aux entreprises lorsque cela apparaît
nécessaire compte tenu du nombre d’actif à céder, pour
rechercher des acquéreurs crédibles dans le cadre d’un
processus qui permette de valoriser au mieux les actifs cédés.
En ce qui concerne la proposition formulée par la Commission d
utiliser un formulaire standard dit formulaire RM pour le dépôt
des engagements cela correspond déjà très largement à une
pratique établie, que cela soit en France ou au niveau
communautaire. (…) Tout cela n’est donc pas nouveau et
l’utilisation d’un formulaire standard ne devrait pas modifier
sensiblement la donne pour les entreprises. (…) À
ma
connaissance, il n’existe à ce jour qu’une seule affaire dans
laquelle l’agrément des repreneurs proposés a été refusé par la
Commission. Il s’agit de l’affaire Total Fina/Elf. (…)
Pour conclure, dès lorsque la Commission annonce uni
durcissement du champ et du contrôle des remèdes, les
entreprises peuvent avoir un intérêt à préempter cette question
dans le cadre de la structuration même de leur opération (…)
Comment mesurer l’efficacité des remèdes ? La lecture du
document de la Commission laisse à ce titre un sentiment
ambivalent.
David Sevy, directeur du bureau de Paris, cabinet de conseil
en économie LECG
L’articulation entre les remèdes et l’analyse effets semble une
nécessité logique; elle suppose a priori d’utiliser une même
métrique, du à défaut des métriques très cohérentes. À ce titre,
l’évolution de la doctrine économique et de la pratique de la
politique de la concurrence s’oriente, de plus en plus, vers une
sortie du dogme des parts de marché et de la structure de
marché, au profit d’une analyse des effets centrée sur les
consommateurs elle implique de s’intéresser plus aux prix et aux
autres variables qui affectent le surplus des consommateurs et
un peu moins au devenir de concurrents particuliers. Les
enseignements de l’étude de la Commission sont précieux et
permettent certainement de progresser dans la compréhension
d’un instrument essentiel de la politique de la concurrence. La
prise en compte insuffisante des effets des remèdes du point de
vue des consommateurs, pourtant au cœur des objectifs admis
de la politique de concurrence, entraîne néanmoins une
frustration. (…)
Nous sommes en fait dans une situation où il est difficile de
distinguer ce qui ressort de la politique de la concurrence à
proprement parler de ce qui ressortirait plus d’une politique de
réglementation sectorielle. II faut alors s’interroger sur le degré
de proximité qu’il serait souhaitable d’entretenir entre les deux.
Une clarification importante des autorités de la concurrence dans
les années récentes a consisté à dire « Focalisons-nous sur le
consommateur, sur le surplus du consommateur, regardons les
prix, c’est ce qui doit guider notre action ». Un régulateur
sectoriel peut avoir d’autres intérêts immédiats pour le secteur
dont il a la charge, l’emploi par exemple, et peut souhaiter le
déconcentrer, à marche forcée éventuellement, parce que cela
sert ces autres intérêts. Dans un contexte de contrôle des
concentrations, la coexistence de ces deux logiques crée parfois
un sentiment de gêne, parce qu’on ne travaille alors plus avec un
agenda unique, défini selon des principes parfaitement clairs et
bien articulés, mais avec deux casquettes et deux agendas
imparfaitement cohérents, mobilisés par une même autorité. En
tant que praticien, lorsqu’il s’agit de dialoguer avec une autorité
de concurrence, il est utile et important de bien comprendre ses
préoccupations. Dans un tel contexte, une réflexion s’impose sur
l’articulation entre politique de la concurrence et régulation
sectorielle. Des clarifications sur les objectifs poursuivis
apparaissent souvent souhaitables — elles devraient parfois
précéder la discussion plus technique sur les remèdes. (…)
Un autre type d’opérations pose également des problèmes
singuliers les fusions non horizontales. Deux particularités
méritent d’être relevées. D’une part, dans ce type d’opération, on
est souvent amené à discuter de remèdes d’accès, que l’on
58
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais-Royal
classerait dans la catégorie des remèdes quasi structurels ou
comportementaux, par opposition à des remèdes structurels
stricto sensu. D’autre part, l’existence de problèmes de concurrence est souvent moins simple à établir et au fond, beaucoup
moins claire que dans des opérations horizontales. (…) Le débat
[y] est beaucoup plus ouvert, pour plusieurs raisons. La première
raison est que les opérations verticales sont aussi des
opérations qui génèrent des effets d’efficacité. La deuxième
raison est que la théorie des effets, dans des fusions non horizontales, est souvent spéculative (…) Cela appelle en réalité une
certaine prudence dans la caractérisation des effets spécifiques
à une opération non horizontale. La troisième raison, si l’on
devait retenir l’hypothèse de l’existence d’effets d’exclusion
potentiels dans une opération verticale donnée, est que, selon
l’école de pensée de Chicago, les opérations de concentration
verticale ne sont pas de nature à porter atteinte au bien-être du
consommateur, mais trouvent au contraire la justification dans
des effets d’efficacité qui bénéficient aux consommateurs. Ainsi,
même si des problèmes potentiels de concurrence se
matérialisaient sous la forme d’une exclusion de certains
concurrents, nous ne sommes pas certains que, in fine, le
surplus du consommateur serait négativement affecté alors
même que la protection de ce surplus constitue l’objectif premier
de la politique de la concurrence.
L’opération Canal+/TPS constitue un exemple instructif
d’opération comportant de nombreux aspects verticaux : le
remède le plus discuté concernait la mise à disposition de
chaînes par l’entité fusionnée pour des concurrents. La solution
finalement adoptée est intéressante, dans la mesure où elle
semble respecter un principe de proportionnalité, dans ce
contexte particulier d’opération verticale. Cette solution consiste
à ne pas ouvrir complètement ce dont disposait l’entité
fusionnée, en matière de contenu, de chaînes, etc. Une partie
simplement des actifs est « ouverte » et accessible aux tiers.
L’ampleur et le périmètre de cette ouverture visent à concilier
deux préoccupations. (…)
Dans des opérations non horizontales notamment si l’on se
tourne vers des remèdes structurels, on risque l’inefficacité si les
opérations de fusion verticale génèrent a priori des effets
d’efficacité, une séparation verticale en guise de remède devrait
entraîner des inefficacités. D’où l’idée de vouloir continuer dans
la direction de remèdes d’accès, associés à des procédures de
suivi et de mise en oeuvre novatrices au besoin. Nous ne
pouvons qu’espérer que la Commission continuera à envoyer
des signaux encourageants dans cette direction.
D. ENCAOUA, R. GUESNERIE, Politiques de la concurrence, Rapport du Conseil d’Analyse Economique, La
Documentation française, 2006, pp. 154-155
Troisième partie. Constats généraux, chantiers et
discrétionnaires (sensibilité politique, lobbying, etc.) peuvent
propositions
avoir le plus d’effet. A contrario, des engagements sur des
Des constats aux recommandations : grands chantiers,
mesures comportementales peuvent être vérifiés ex post, parfois
propositions et suggestions
facilement. Leur non-respect peut conduire à des sanctions
4.1. Grands chantiers : la déclinaison européenne
financières, comme dans le cas de violation des règles de
4.1.2. Mieux prendre en compte les considérations de
concurrence, sans aller nécessairement jusqu’à casser la fusion
compétitivité et d’innovation dans les décisions de politique
autorisée. Outre le fait que cette proposition pourrait avoir
de la concurrence
l’avantage de réduire le nombre de refus d’opérations par la
Commission qui se voient rejetés ensuite par l’autorité judiciaire
Proposition : Les autorités de la concurrence ne devraient pas
d’appel, elle permettrait de maintenir le droit de la concurrence
dans son rôle de promoteur de l’efficacité économique (sanction
s’interdire de recourir à des engagements de nature
des violations des règles de concurrence) sans l’élargir
comportementale au titre des mesures correctives conditionnant
indûment à un rôle normatif quant au choix des structures de
les autorisations de certaines concentrations. Ces engagements
peuvent être contrôlés ex post avec des sanctions financières en
marché prétendument souhaitables.
cas de non-respect.
Il y a cependant une difficulté générale à l’arrière-plan, dont il
Commentaire : Comme on l’a rappelé plus haut, la Commission
faut être conscient, mais qui requerrait une expertise particulière
manifeste une forte préférence pour des mesures ayant un
et qui concerne une dimension généralement peu apparente,
mais réelle, de la politique européenne, celle de la gestion de
caractère structurel (cession d’actifs) plutôt qu’un caractère
l’équilibre transatlantique en matière de politique de
d’engagement comportemental, avant d’autoriser certaines
opérations de concentration. Cette préférence s’explique par le
concentrations. La difficulté vient de ce que l’intérêt européen, et
fait que les mesures structurelles évitent d’avoir à vérifier ex post
par exemple celui du consommateur européen, et l’intérêt
américain, par exemple, celui du consommateur américain, n’ont
si les engagements comportementaux ont bien été respectés. Il
n’en demeure pas moins qu’elle traduit un biais qui peut être
pas de raison de coïncider.
défavorable à l’efficacité économique. D’une part, dans une
En l’absence d’institution de gouvernance globale en matière de
mesure d’engagement structurel, l’accent reste mis sur la
concurrence, Bruxelles gère non l’intérêt européen direct, mais
création ou le renforcement d’une position dominante. C’est
une version indirecte qui prend en compte l’équilibre des
d’autant plus curieux que la réforme du droit communautaire du
relations transatlantiques. Une prise en compte de la logique
contrôle des concentrations a voulu s’affranchir de cette notion
industrielle ou de celle de l’innovation, renforcerait la logique de
dont on a vu qu’elle pouvait conduire à quelques dérives
l’intérêt européen, mais paradoxalement, rendrait plus difficile la
condamnées par le TPI (notamment au travers de la dominance
gestion de la sorte d’équilibre de type coopératif dans les
collective). D’autre part, la désignation des actifs à céder lors de
relations transatlantiques. Cependant, la configuration suggérée
l’opération de concentration est une opération assez délicate qui
pourrait éviter l’erreur de politique économique européenne qu’a
fait intervenir des jugements et des appréciations prospectives
été la gestion des diverses affaires Péchiney, même si, ce
qui peuvent apparaître comme étant mal justifiés. Les
faisant, elle pourrait en même temps affecter l’équilibre existant
désaccords entre les parties et la Commission sur la nature ou
entre les instances existantes de ce côté et de l’autre de
l’étendue de ces cessions peuvent faire achopper la négociation.
l’Atlantique. Il y a là bien entendu une option stratégique.
De plus, c’est au cours de cette négociation que des influences
59
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
Bibliographie sommaire
F. AMAND, T. PIQUEREAU, « Le suivi des engagements souscrits dans le cadre du contrôle des concentrations en
France », Concurrences, 2007/4, p. 36
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Consommation, décembre 2007, n° 156, p. 7
L. FRENEAUX, « L'efficacité du recours aux engagements en matière de contrôle des concentrations », Revue
internationale de droit économique, 2007, tome 21, n° 1, p. 43
S. GELBERT, « Le point de vue des entreprises sur le projet de réforme du droit communautaire des concentrations », in A.
MOURRE (dir.), Le nouveau droit communautaire de la concurrence : les droits de la défense face aux pouvoirs de la
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M. GLAIS, « 25 ans de contrôle français de la concentration : un bilan analytique et statistique », Semaine juridique JCP E Edition Entreprise et affaires, 2004, n° 39, p. 1476
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L. IDOT, C. MOMEGE, « Le rôle clef des engagements en matière de contrôle des concentrations », Revue Lamy droit des
affaires, avril 2001, n° 37, p. 18.
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procédurales des entreprises notifiantes », in A. MOURRE (dir), Le nouveau droit communautaire de la concurrence : les
droits de la défense face aux pouvoirs de la Commission européenne, Bruylant, 2004, 238 p., p. 31
C.E. MOSSO, « Enseignements de l’analyse ex post des remèdes par la Commission européenne : pistes de réflexion »,
Concurrence et Consommation, décembre 2007, n° 156, p. 13
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Bulletin, été 2003, p. 377
A. VIALFONT, « Le droit de la concurrence et les procédures négociées », Revue internationale de droit économique, 2007,
tome 21, n° 2, p. 157
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P. WILHELM, « Les implications de la loi du 1 août 2000 sur le contrôle des rapprochements d’entreprises de
communication audiovisuelle » Legipresse, Mars 2002 ; « la notion de concentration en droit interne et communautaire » ,
Contrats Concurrence Consommation, Novembre 2007
Merger Remedies Study, octobre 2005
60
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
4/ TABLE RONDE N° 4 :
Quel rôle pour le juge des
concentrations ?
4-1/ Introduction du thème de la table ronde
L’objet de la table ronde est d’évaluer l’interpénétration entre droit communautaire et droit national des concentrations, en en
montrant les convergences et les différences alors que les contrôles sont opérés sur la base des mêmes textes.
Comment un juge non-spécialisé en matière économique peut-il arriver à prendre les « bonnes » décisions ?
La table ronde aura pour objet de débattre notamment sur :
l’utilité et l’efficacité des différentes types de procédure : référé suspension, référé mesures utiles…
l’étendue et les méthodes du contrôle juridictionnel : urgence ; administration de la preuve ; secret des affaires ; intensité du
contrôle...
4-2/ Présentation des intervenants
Présidence :
Emmanuel PIWNICA
Avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation
Ancien président de l'Ordre des avocats aux conseils, Emmanuel Piwnica est président de la
Société de législation comparée.
Intervenants :
Hubert LEGAL
Ancien juge au TPICE
Ancien élève de l'Ecole normale supérieure de Saint Cloud et de l'Ecole nationale d'administration,
Hubert Legal est Conseiller d'Etat. Membre du Conseil d'Etat depuis 1988, il y a exercé les
fonctions de rapporteur et de commissaire du gouvernement à la section du contentieux jusqu'en
1993. Il a également, pendant la même période, été chargé de mission auprès du directeur des
affaires juridiques du Ministère des Affaires étrangères. De 1993 à 1997, il a occupé le poste de
conseiller juridique à la Représentation permanente de la France auprès de l'Organisation des
Nations Unies à New York.
Référendaire auprès du juge français à la Cour de justice des Communautés européennes à
Luxembourg de 1997 à 2001, il y a été ensuite nommé juge au Tribunal de première instance des
Communautés européennes. Pendant son mandat qui s'est achevé en 2007, il a été rapporteur de
nombreux dossiers de concurrence et président d'une chambre à partir de 2003.
Après un retour à Paris au Conseil d'Etat, il est actuellement, depuis avril 2008, directeur au
service juridique du Conseil de l'Union européenne à Bruxelles.
Emmanuel GLASER
Conseiller d’Etat
Diplômé de Sciences Po et ancien élève de l’ENA, Emmanuel Glaser a notamment exercé les
fonctions de sous-directeur du droit public et international à la direction des affaires juridiques du
ministère de l’économie, des finances et de l’industrie et d’agent judiciaire adjoint du Trésor, entre
1998 et 2002.
Conseiller d’Etat, il est depuis 2003 commissaire du gouvernement près l’assemblée du
contentieux et les autres formations de jugement du Conseil d’Etat.
Il est par ailleurs professeur à Sciences Po et professeur associé à l’université Paris XII Val de
Marne.
61
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
Robert SAINT-ESTEBEN Avocat à la Cour (Bredin-Prat)
Après avoir accompli son cursus, notamment en Droit communautaire et français de la
concurrence à la faculté de Droit de Paris et au Centre d’Etudes européennes, dont il fut de la
première promotion, il a été assistant du Professeur Berthold Goldman à l’Université de Paris II et
au Centre d’Etudes Européennes (Paris I). Le Président Goldman fut le créateur de la chaire de
Droit communautaire de la concurrence à Paris.
Dès 1964 et 1965, Robert Saint-Esteben a été stagiaire à la Commission européenne (DG
concurrence – à l’époque DG IV).
En tant qu’Avocat, il a participé à de nombreuses affaires de concurrence, aussi bien
contentieuses que de concentration tant en Droit communautaire qu’en Droit interne. Il a écrit de
nombreux ouvrages, articles et interventions dans le domaine du droit de la concurrence
Jean-Patrice DE LA
LAURENCIE
Avocat à la Cour (White & Case LLP)
Jean-Patrice de La Laurencie a rejoint en avril 2004 le cabinet White & Case, au sein duquel il codirige le département droit de la concurrence du bureau de Paris.
Il est spécialisé en droit de la concurrence, français et communautaire, où il a acquis plus de 20
années d’expérience, tant publique que privée. Dans cette spécialité, il conseille et représente
notamment des sociétés nationales et internationales comme des gouvernements, devant les
autorités de la concurrence et les tribunaux français et européens, en matière de contrôle des
concentrations, de pratiques anti-concurrentielles, d’aides d’Etat ou de relations entre producteurs
et distributeurs.
Il a effectué la plus grande partie de sa carrière administrative (1970-1989) au Ministère de
l’Économie et des Finances, en qualité de spécialiste des questions anti-inflation et antitrust. Son
dernier poste a été, pendant cinq ans, celui de directeur général adjoint de la Direction Générale
de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes. Il a aussi exercé les
fonctions de conseiller technique au Cabinet de Jacques Delors, alors Ministre de l’Économie et
des Finances, et de conseiller financier à la Représentation Permanente de la France auprès des
Communautés Européennes à Bruxelles. Il a quitté l’administration en 1990 pour devenir avocat,
comme responsable de l’activité concurrence du bureau de Paris de Coudert Frères (1990-2000),
puis de Norton Rose (2001-2004).
4-3/ Documentation : textes, jurisprudence et doctrine
Communication de la Commission européenne et règlement de procédure du Tribunal de
Première Instance des Communautés Européennes
Communication
de la Commission
Règlement de
procédure du
TPICE
Relative à une procédure simplifiée de traitement de certaines opérations de concentration en
application du règlement 139/2004 du Conseil, JO 2005 C 56/32
Nouvel article 76 bis instaurant la procédure de « fast track »
Législation française
Législation
française
Décret n° 2000-389 du 4 mai 2000 modifiant l’artic le R. 311-1 du Code de justice administrative (le Conseil
d'Etat est compétent en premier ressort pour statuer sur des recours dirigés contre les décisions
ministérielles prises en matière de contrôle des concentrations économiques)
Décret n° 2002-689 (article 10)
Art. L. 521.1 du CJA (référé-suspension)
Décret 2005 (secret des affaires)
Article L. 430-10 du code de commerce
Créé par Loi n°2001-420 du 15 mai 2001 - art. 93 J ORF 16 mai 2001
I. - Les décisions prises en application des articles L. 430-5 à L. 430-8 sont rendues publiques, le cas échéant
accompagnées de l'avis du Conseil de la concurrence, selon des modalités fixées par décret.
II. - Lorsqu'il interroge des tiers au sujet de l'opération, de ses effets et des engagements proposés par les
parties et rend publique sa décision dans les conditions prévues au I, le ministre chargé de l'économie tient
compte de l'intérêt légitime des parties qui procèdent à la notification ou des personnes citées à ce que leurs
secrets d'affaires ne soient pas divulgués.
62
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
Jurisprudence de la Cour de justice européenne ; jurisprudence du Conseil d’Etat
Jurisprudence du TPICE
BaByliss c. Commission,
TPICE 3 avril 2003,
aff. T-114-02
Sur le droit des tiers
La Commission avait approuvé la reprise de certains actifs de Moulinex par SEB sous certaines
conditions. BaByliss a contesté cette décision devant le TPI, qui, dans son examen de la recevabilité,
a estimé que n’étant pas destinataire de la décision, elle était néanmoins directement et
individuellement concernée par celle-ci.
À cet égard, le TPI a retenu : sa participation active à la Procédure ; son statut de concurrent
potentiel sur des marchés oligopolistiques ; son intérêt au rachat de Moulinex ou, à tout le moins, de
certains de ses actifs.
Jurisprudence du Conseil d’Etat
Le juge des référés a recours à une analyse économique pour déterminer si les effets
anticoncurrentiels d'une décision administrative sont susceptibles de caractériser une
situation d'urgence. Cette ordonnance montre que le Conseil d'État opère une analyse approfondie
de l'interprétation économique des faits avancée pas le requérant. Le juge procède à une analyse
avantages/inconvénients de la suspension, comme il l'avait déjà fait par exemple dans la décision
CE, ord., 19 janv. 2004, n° 263012, Sté T-Online Fran ce : se plaçant à la date de son jugement pour
apprécier l'urgence, il constate que la suspension de l'arrêté contesté aurait pour conséquence
l'application d'une hausse des tarifs pour les ménages en plein hiver, et ce à titre purement provisoire
en attendant le jugement au fond.
Fiducial Informatique et Le Conseil d’Etat a pris l’initiative, au titre de ses pouvoirs d’instruction, de saisir pour avis le
Fiducial Expertise Conseil de la concurrence
13 février 2006 (Cf p. 76)
req. n° 279180
Société Fromaget Vins et La recevabilité d’une demande en référé-suspension est conditionnée à l’effectivité de
autres et Société France l’opération objet de la décision en cause
Antilles
er
Ord. 1 juin 2006 et 25 juillet
2006
req. n° 293198 et 294897
Société Métropole Le Conseil d’Etat apporte des précisions sur les droits des entreprises concurrentes aux
Télévision (M6) parties à la concentration et sur la saisine du Conseil de la concurrence par le ministre de
20 juin 2007 l'Economie, dans le domaine de l’audiovisuel.
Société Poweo
10 février 2006
req. n° 289013
req. n° 278652 Cette décision illustre l'extension du contrôle du juge administratif sur la légalité du contentieux des
concentrations. Le Conseil d'État contrôle la nature des engagements d'une décision de
concentration. Elle marque de plus l'aspect complémentaire des rôles du juge et de l'expert
économique dans le contentieux de la concurrence.
Fédération Nationale des
Transports Routiers,
Ord. 18 février 2008
req. n° 312534
Le juge des référés (mesure utile) peut prescrire à des fins conservatoires toutes mesures,
notamment sous forme d’injonctions à l’égard de l’administration, à condition que ces
mesures soient utiles, justifiées par l’urgence, ne fassent obstacle à l’exécution d’aucune
décision administrative et ne se heurtent à aucune contestation sérieuse.
Se heurte à une telle contestation sérieuse une opération de concentration non notifiée au ministre
de l’économie mais susceptible de relever du contrôle communautaire (article L. 430-2 du code de
commerce)
63
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
Articles de doctrine et Lignes directrices de la DGCCRF
E. BARBIER DE LA SERRE, « Le contrôle des concentrations et la procédure accélérée : bref retour sur un
franc succès », Revue Lamy de la Concurrence, 2006/6, n° 449, p. 56
Cinq années après les débuts de la procédure accélérée
devant le TPICE, une adaptation récente de son règlement
de procédure et un nouveau record de rapidité de
jugement permettent de dresser un bref bilan de l'usage
de cet outil dans le domaine du contrôle des
concentrations. L'indéniable succès de la procédure
accélérée dans cette matière ne doit pas en occulter les
limites et les paradoxes. L'existence de cette procédure
est, en effet, loin de résoudre définitivement la question
de la place du juge dans le système communautaire de
contrôle des concentrations.
Modification du règlement de procédure du TPICE, JOUE
15 nov. 2005, n° L 298, p. 1 ; TPICE, 21 sept. 2005, aff. T87/05, EDP c/ Commission
1. Comme l'a démontré un récent rapport consacré aux
procédures civile et pénale françaises, l'objectif de célérité du
procès doit être mis en balance avec d'autres impératifs, tels
que la qualité des décisions rendues (cf. Rapp. groupe de
travail Magendie, Célérité et qualité de la justice, 6 sept.
2004). Au seuil de son étude des différents moyens
permettant d'optimiser la gestion du temps judiciaire en
fonction de ces impératifs, le rapport Magendie décrit les
règlements de procédure de la CJCE et du TPICE comme « le
support d'une justice d'excellence » dont il convient de tirer
inspiration au niveau national (p. 15). Au soutien de cette
référence flatteuse, on peut relever que les règlements de
procédure de ces deux juridictions cherchent, effectivement,
comme le recommande le rapport Magendie, à adapter au
mieux le temps du procès à la nature du litige dont la Cour ou
le Tribunal sont saisis. De nombreuses illustrations de cette
volonté viennent à l'esprit, mais l'une des plus apparentes a
sans doute été, ces dernières années, la permanence des
efforts entrepris pour l'accélération du traitement des affaires
de contrôle des concentrations. Cette matière a en effet très
largement bénéficié de la recherche du « temps judiciaire sur
mesure » que le rapport Magendie appelle de ses vœux. Et
c'est pour ces bonnes raisons, comme le souligne la Cour de
justice elle-même, que « [l]e règlement sur les concentrations
comporte [...] des dispositions dont l'objectif est de limiter,
pour des raisons de sécurité juridique et dans l'intérêt des
entreprises concernées, la durée des procédures de
vérification des opérations qui incombent à la Commission ».
Le législateur communautaire « a souhaité assurer un
contrôle des opérations de concentration dans des délais
compatibles à la fois avec les exigences d'une bonne
administration et celles de la vie des affaires » (cf. CJCE, 25
sept. 2003, aff. C-170/02 P, Schlüsselverlag J.S. Moser e.a. c/
Commission, Rec. CJCE, I, p. 9889, pts 33 et 34). Or, cet
impératif de célérité est sérieusement mis en danger si le
contrôle judiciaire s'éternise, ainsi que l'ont relevé certains
auteurs il y a déjà longtemps (cf. Brown A., Judicial Review of
Commission Decisions under the Merger Regulation : the First
Cases, European Competition Law Review, 1994, n° 6, p.
296). Pour autant, il convient également de garder à l'esprit
que le déroulement normal des étapes de la procédure
judiciaire favorise la manifestation de la vérité et que le
sacrifice de ces étapes est de nature à nuire à la qualité des
décisions rendues. L'équilibre à maintenir entre qualité et
célérité des décisions reste donc un art difficile également au
niveau communautaire.
2. Pour cette raison, de grands espoirs ont été placés dans
l'introduction, au début de l'année 2001, d'une procédure
accélérée devant les juridictions communautaires (cf. Règl. de
procédure de la CJCE, art. 62 bis ; Règl. de procédure du
TPICE, art. 76 bis). Cette procédure ne s'applique bien
entendu pas uniquement au contrôle des concentrations, mais
ce domaine était l'un de ceux visés au premier chef par la
réforme (cf. Fountoukakos K., Judicial review and merger
control : The CFI's expedited procedure, Competition Policy
Newsletter, n° 3, oct. 2002, p. 7). Pendant un certa in temps, la
procédure a été en phase de rodage mais, après cinq années
d'application, elle fait désormais partie intégrante du paysage
du contrôle des concentrations. Deux événements récents
permettent de dresser un rapide bilan de ces débuts, que l'on
peut qualifier de brillants. D'une part, le Tribunal vient
d'adopter une modification de son règlement de procédure qui
permet plus de souplesse dans l'application de la procédure
accélérée. D'autre part, par son arrêt EDP c/ Commission, le
Tribunal vient de battre un nouveau record en jugeant une
affaire de concentration en sept mois (cf. TPICE, 21 sept.
2005, aff. T-87/05, EDP c/ Commission, non encore publié au
Recueil). Néanmoins, si l'on y regarde de plus près, le bilan
très positif de l'application de la procédure accélérée au
contrôle des concentrations (I) ne dispense pas d'une
réflexion sur ses limites, lesquelles soulèvent, plus
fondamentalement, la question de la recherche de la place
appropriée du juge dans le système communautaire du
contrôle des concentrations (II).
I. - UN BILAN TRÈS POSITIF DANS LE DOMAINE DU
CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS
3. Au terme de ses cinq premières années d'application, la
procédure accélérée a été utilisée à de nombreuses reprises
(A) et a démontré sa grande efficacité (B).
A. - Une procédure bien rodée et généreusement
appliquée en contrôle des concentrations
4. Adoptée par la Cour et le Tribunal à la fin de l'année 2000,
er
la procédure accélérée est entrée en vigueur le 1
février
2001 devant ces deux juridictions (cf. Modifications du
règlement de procédure de la CJCE du 28 novembre 2000,
JOCE 19 déc. 2000, n° L 322, p. 1 ; Modifications du
règlement de procédure du TPICE, 6 déc. 2000, JOCE 19
déc. 2000, n° L 322, p. 4 ; cf., désormais, Règl. d e procédure
de la CJCE, art. 62 bis ; Règl. de procédure du TPICE, art. 76
bis). Dès ces débuts, cette procédure s'est imposée comme
un outil assez simple dont les principaux traits peuvent être
résumés en trois points (pour plus de détails sur ses
conditions d'application et sur les premiers usages de la
procédure, cf., notamment, Fountoukakos K., préc., et Lamy
procédures communautaires n° 360-370).
5. Premièrement, l'application de la procédure est demandée
par le requérant ou le défendeur, selon le cas, au moment du
dépôt de la requête introductive d'instance ou en même temps
que le dépôt du mémoire en défense. Elle est ordonnée,
lorsqu'elle est demandée devant la Cour, par son Président
et, lorsqu'elle est demandée devant le Tribunal, par la
chambre en charge de l'affaire. Pour obtenir l'application
d'une telle procédure, il convient pour le demandeur de
prouver « l'urgence particulière » de l'affaire (cf. Règl. de
procédure de la CJCE, art. 62 bis ; Règlement de procédure
du TPICE, art. 76 bis). Néanmoins, même dans l'hypothèse
où un tel degré d'urgence a été établi, le bénéfice d'un
traitement selon une procédure accélérée relève de la
discrétion des deux juridictions. Ainsi, d'une part, les
règlements de procédure de la Cour et du Tribunal prévoient
tous les deux que la procédure « peut » être accordée lorsque
64
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
l'urgence particulière est établie (cf. Règl. de procédure de la
CJCE, art. 62 bis ; Règl. de procédure du TPICE, art. 76 bis).
D'autre part, accorder cette procédure « commande de tenir
également compte d'autres circonstances, en ce compris les
effets qu'a un tel octroi sur la durée de traitement d'autres
affaires » (TPICE, Ord., 11 avr. 2003, aff. T-392/02 R, Solvay
Pharmaceuticals c/ Conseil, Rec. CJCE, II, p. 1825, pt. 104). Il
est clair en effet que le fait pour chacune des deux juridictions
d'appliquer la procédure accélérée à une affaire retarde le
traitement des autres affaires dont elles ont la charge (en
raison du traitement prioritaire de l'affaire concernée, cf. pt. 7
infra).
6. Deuxièmement, la procédure accélérée a pour première
conséquence de priver les parties d'un deuxième échange de
mémoires (réplique et duplique), sauf décision contraire
adoptée, selon le cas, par le Président de la Cour ou par le
Tribunal. L'accent est en effet porté, dans le cadre de la
procédure accélérée, sur la procédure orale.
7. Troisièmement, l'affaire est jugée en priorité par la Cour
ou le Tribunal, par dérogation à la règle posée aux articles 55
de leurs règlements de procédure respectifs, qui obligent ces
deux juridictions à connaître des affaires dont elles sont
saisies dans l'ordre selon lequel leur instruction est terminée.
8. Quant à l'application de la procédure accélérée aux
procédures relevant du droit de la concurrence, la pratique du
Tribunal offre un panorama varié selon les matières. Tout
d'abord, il semble que les plaideurs l'ont rarement demandée
et, à ce stade, jamais obtenue dans le cadre d'un litige
concernant des pratiques anticoncurrentielles (cf., pour un
exemple de demande rejetée, TPICE, 30 sept. 2004, aff. T313/02, Meca-Medina et Majcen c/ Commission, non encore
publié au Recueil, pt. 22). La procédure a, en revanche, été
demandée plus souvent dans le domaine des aides d'État (cf.,
par ex., TPICE, 30 avr. 2002, aff. T-195/01 et T-207/01,
Government of Gibraltar c/ Commission, Rec. CJCE, II, p.
2309, pt. 40 ; TPICE, 8 juill. 2004, aff. T-198/01, Technische
Glaswerke Ilmenau c/ Commission, non encore publié au
Recueil, pt. 30 ; TPICE, Ord., aff.T-276/02, 2 juin 2003, Forum
187 c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 2075, pt. 20) même si, à
ce stade, elle ne semble avoir été ordonnée qu'une seule fois,
sur demande de la Commission (cf. TPICE, 30 avr. 2002, aff.
T-195/01 et T-207/01 préc., pt. 40). De fait, dans le domaine
du droit de la concurrence, c'est surtout le contrôle des
concentrations qui a bénéficié de la procédure accélérée. Au
er
1 janvier 2006, plus de 80 % des demandes déposées dans
ce domaine depuis la création de la procédure accélérée ont
en effet été accordées par le Tribunal. En outre, les affaires
de contrôle des concentrations représentent, à elles seules,
de 60 à 70 % des affaires dans lesquelles le Tribunal a
appliqué une procédure accélérée. C'est dire si cette
juridiction a fait preuve d'ouverture dans ce domaine, au prix,
il faut le rappeler, d'un ralentissement du traitement des
affaires qui ne bénéficient pas d'une telle procédure. Du reste,
le nombre d'affaires de contrôle des concentrations dans
lesquelles la procédure accélérée a été appliquée par le
Tribunal est d'autant plus remarquable que ces dossiers sont
souvent complexes et très lourds sur un plan factuel,
considération qui, en principe, diminue leurs chances de
bénéficier d'un tel traitement. En effet, la procédure accélérée
suppose normalement que les requêtes et les preuves
soumises à leur soutien soient d'un volume limité (cf. CJCE,
Instructions pratiques relatives aux recours directs et aux
pourvois, JOUE 8 déc. 2004, n° L 361, p. 15, pt. 46 ; TPICE,
Instructions pratiques aux parties, JOCE 4 avr. 2002, n° L 87,
p. 48, pt. VI. 2). Ainsi, dans les affaires Schneider c/
Commission et EDP c/ Commission, ce n'est qu'au prix d'un
raccourcissement de leur requête que les parties ont pu
bénéficier de la procédure accélérée (cf. TPICE, 22 oct. 2002,
aff. T-310/01, Schneider Electric c/ Commission, Rec.CJCE,
II, p. 4071, pt. 65 ; TPICE, 21 sept. 2005, aff. T-87/05, EDP c/
Commission, non encore publié au Recueil, pt. 31). En
définitive, le contrôle des concentrations a donc certainement
bénéficié d'une bienveillance particulière de la part du
Tribunal (cf. Coulon E., Le rôle du juge, in Mourre A. (dir.), Le
nouveau droit communautaire de la concurrence, Bruylant,
2004, p. 67).
9. Outre les considérations de protection juridictionnelle
effective déjà mentionnées, cette générosité du Tribunal tient
sans doute au fait que la procédure accélérée est accordée
essentiellement dans les cas où les mesures provisoires
ordonnées sur le fondement des articles 242 CE et 243 CE ne
sont pas adaptées (cf. note explicative diffusée par le TPICE
sur son site Internet lors de la création de la procédure
accélérée). Or, les mesures provisoires peuvent, en effet, être
d'une utilité réduite en matière de contrôle des concentrations.
D'une part, le sursis à l'exécution d'une décision d'autorisation
peut être très difficile à obtenir, car l'intérêt du requérant doit
être mis en balance avec l'intérêt public qui s'attache à
l'exécution des décisions prises en matière de contrôle des
concentrations ainsi qu'avec les intérêts des tiers qui seraient
affectés directement par le sursis à l'exécution de la décision
(TPICE, ord. 2 déc. 1994, aff. T-322/94 R, Union Carbide c/
Commission, Rec. CJCE, II, p. 1159, pt. 36). D'autre part,
dans le cas d'une décision d'interdiction, au-delà des
difficultés techniques que peuvent soulever un sursis à
l'exécution d'une décision négative (cf., respectivement,
CJCE, Ord., 5 oct. 1969, aff. 50-69 R, Allemagne c/
Commission, Rec. CJCE, p. 449 ; Lamy procédures
communautaires, n° 370-465) ou le prononcé d'autres
mesures provisoires visant à autoriser provisoirement
l'opération, sur le fondement de l'article 243 CE, qui
risqueraient, par là même, d'atteindre la répartition des
compétences entre les institutions (cf., par analogie, TPICE,
Ord., 5 déc. 2001, aff. T-216/01 R Reisebank c/ Commission,
Rec. CJCE, II, p. 3481, pt. 52 ; Lamy procédures
os
communautaires, n 370-445 et 370-450), de telles mesures
sont de toutes façons peu compatibles avec la sécurité
juridique requise par les parties avant de réaliser une
opération de concentration. Enfin, le nombre important
d'affaires de contrôle des concentrations dans lesquelles la
procédure a été accordée tient sans doute également au fait
que la Commission ne semble pas s'opposer aux demandes
présentées dans cette matière (cf., en particulier, TPICE, 25
oct. 2002, aff. T-5/02, Tetra Laval c/ Commission, Rec. CJCE,
II, p. 4381, pt. 63, et TPICE, 3 avr. 2003, aff. T-114/02,
BaByliss c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 1279, pt. 62).
B. - Une efficacité amplement démontrée dans le domaine
du contrôle des concentrations
10. Si l'on s'attache maintenant à faire un bilan de l'efficacité
de la procédure accélérée dans le domaine du contrôle des
concentrations, on est conduit à constater un grand succès.
Dans les affaires Schneider c/ Commission et Tetra Laval c/
Commission, le Tribunal a ainsi annulé les deux séries de
décisions de la Commission respectivement en dix et neuf
mois (cf. TPICE, 22 oct. 2002, aff. T-310/01, Schneider
Electric c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 4071 ; et TPICE, 22
oct. 2002, aff. T-77/02, Schneider Electric c/ Commission,
Rec. CJCE, II, p. 4201 ; TPICE, 25 oct. 2002, aff. T-5/02,
Tetra Laval c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 4381 et TPICE,
25 oct. 2002, aff. T-80/02, Tetra Laval c/ Commission, Rec.
CJCE, II, p. 4519). Tetra Laval est devenue, pour sa part, la
première entreprise à avoir pu réaliser une opération de
concentration après que elle-ci a été interdite, la Commission
l'ayant finalement autorisée au terme d'un nouvel examen
après l'annulation de la décision d'interdiction (cf. Déc.
Comm., 13 janv. 2003, aff. n° IV/M.2416 - Tetra Lava l/Sidel,
JOUE 12 juin 2003, n° C 137, p. 14 ; Communiqué Comm .
CE, n° IP/03/36, 13 janv. 2003). Dans les affaires Babyliss c/
Commission, Royal Philips Electronics c/ Commission et
Cableuropa e.a. c/ Commission, le Tribunal a statué en douze
mois dans les deux premières affaires et en dix mois dans la
65
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
troisième (cf. TPICE, 3 avr. 2003, aff. T-114/02, BaByliss c/
Commission, Rec. CJCE, II, p. 1279 ; TPICE, 3 avr. 2003, aff.
T-119/02, Royal Philips Electronics c/ Commission, Rec.
CJCE, II, p. 1433 ; TPICE, 30 sept. 2003, aff. T-346/02 et T347/02, Cableuropa e.a. c/ Commission, Rec. CJCE, II, p.
4251). Enfin, comme cela a déjà été mentionné en
introduction, dans la récente affaire EDP c/ Commission
(TPICE, 21 sept. 2005, aff. T-87/05, EDP c/ Commission, non
encore publié au Recueil), le Tribunal a battu son record en
matière de contrôle des concentrations en rejetant un recours
en annulation sur le fond en sept mois seulement. Bien sûr,
certains trouveront qu'il s'agit d'un délai encore trop long au
regard des contraintes de la vie des affaires. Il n'en reste pas
moins qu'un traitement dans une telle durée apparaît comme
une avancée tout à fait remarquable si l'on tient compte de la
complexité des affaires de concentration et des contraintes
propres aux juridictions internationales, ces dernières devant
recourir, à l'inverse de leurs homologues nationales, à la
traduction de certaines pièces de procédure.
Le succès de la procédure accélérée a permis un net
accroissement du rôle du juge dans le contrôle des
concentrations.
II. - LES CHANTIERS ACHEVÉS ET LES RÉFLEXIONS À
POURSUIVRE
11. Tout est-il donc pour le mieux dans le monde de la
procédure accélérée et du contrôle des concentrations ? On
pourrait être tenté de le conclure au vu des statistiques
précédemment citées. La procédure accélérée pouvait
cependant encore faire l'objet de perfectionnements, qui ont
été adoptés récemment par le Tribunal (A). En outre, le
progrès que représente la procédure accélérée ne doit pas la
faire passer pour une solution miracle. En effet, si la
procédure accélérée a permis au juge de trouver une plus
grande place dans le système communautaire de contrôle des
concentrations, on ne peut pas non plus tout attendre d'elle et
prétendre depuis son adoption se dispenser d'une réflexion
sur la place appropriée du juge dans ce même système (B).
A. - Ce qui vient d'être fait : des ajustements pratiques
accroissant la flexibilité de la procédure
12. Par sa décision du 12 octobre 2005, le Tribunal a apporté
trois modifications importantes au régime de la procédure
accélérée applicable devant lui, qui sont entrées en vigueur le
er
1 janvier 2006 (une version consolidée du nouvel article 76
bis est présentée à la fin de cet éclairage).
13. Telle qu'elle était conçue avant l'adoption par le Tribunal
des dernières modifications de ses règles de procédure, la
procédure accélérée présentait certains risques pour le
requérant. En effet, comme cela a déjà été souligné cidessus, en application des Instructions pratiques du Tribunal
et de la Cour (cf. pt. 8, supra), le requérant qui demande
l'application d'une procédure accélérée doit soumettre une
requête introductive d'instance plus courte que d'ordinaire
(25 pages approximativement devant le Tribunal et dix pages
approximativement devant la Cour) ce qui peut impliquer une
limitation du nombre de moyens soulevés par le requérant.
Or, dans l'hypothèse où la demande de procédure accélérée
était rejetée, le requérant restait tenu par la brièveté de ses
écritures. Il lui était en outre impossible de contourner cet
inconvénient en soulevant de nouveaux moyens lors du dépôt
de la réplique ou lors de l'audience, sous peine de violer
l'interdiction de soulever des moyens nouveaux en cours
d'instance (cf. TPICE, règl. de procédure, art. 48). Bien
entendu, cet inconvénient pouvait s'avérer particulièrement
handicapant en matière de contrôle des concentrations, car la
complexité des décisions de la Commission dans ce domaine
donne en général l'occasion aux parties de soulever de
nombreux moyens, ce qui pouvait imposer aux requérants des
choix difficiles.
14. Pour cette raison, le Tribunal a modifié son règlement de
procédure afin de prévoir la possibilité, pour le demandeur,
d'indiquer dans sa demande de procédure accélérée que
certains moyens ou arguments ou bien certains passages de
la requête ou du mémoire en défense ne sont présentés que
pour le cas où il ne serait pas statué selon une procédure
accélérée (cf. TPICE, règl. de procédure, art. 76 bis, § 1, tel
que modifié). Le nouveau texte précise qu'un tel résultat peut
être atteint en joignant à la demande une version abrégée de
la requête ainsi qu'une liste des annexes devant seules être
prises en considération dans le cas où il serait statué selon
une procédure accélérée. En définitive, il sera donc possible
pour les requérants de déposer deux versions alternatives de
leur requête, ce qui leur permettra de tenter une résolution
rapide de l'affaire tout en préservant l'avenir.
15. Si la flexibilité de la procédure accélérée est donc
largement accrue au bénéfice des parties, elle l'est également
pour le Tribunal, du fait d'une autre modification. Désormais,
le Tribunal est en effet autorisé à assortir une décision de
statuer selon une procédure accélérée de « conditions
relatives au volume et à la présentation des mémoires des
parties, au déroulement ultérieur de la procédure ou aux
moyens et arguments sur lesquels le Tribunal sera appelé à
se prononcer » (cf. TPICE, règl. de procédure, art. 76 bis, § 4
nouveau). Cela donne au Tribunal une base légale pour
organiser dès son début le déroulement de la procédure et, de
ce fait, être plus directif que dans le cadre de la procédure
ordinaire, d'autant plus d'ailleurs que lui est donné le moyen
de sanctionner les atteintes à l'autorité de sa décision : si l'une
des parties ne se conforme pas à l'une des conditions fixées
dans la décision de statuer selon une procédure accélérée,
elle peut être rapportée, la procédure étant alors poursuivie
selon la procédure ordinaire (cf. TPICE, règl. de procédure,
art. 76 bis, § 1, tel que modifié).
16. Enfin, pour être exhaustif, on mentionnera un dernier
facteur de flexibilité introduit par les dernières modifications du
règlement de procédure du Tribunal, moins important que les
deux précédents et de nature plus technique. Cette
modification résulte du changement introduit à l'article 46, § 1,
du règlement de procédure, qui fixe désormais le délai de
dépôt du mémoire en défense à deux mois (et non plus à un
mois ; la modification se justifie par le fait qu'une prorogation
d'un mois était en pratique presque toujours accordée au
défendeur). Ce délai de deux mois étant cependant
difficilement compatible avec l'urgence qui caractérise
certaines affaires jugées selon une procédure accélérée, il est
désormais également prévu que, lorsque la partie requérante
a demandé au Tribunal de statuer selon une procédure
accélérée, le délai pour le dépôt du mémoire en défense est
d'un mois. Le raccourcissement du délai est automatique et
ce n'est que dans l'hypothèse où le Tribunal décide de ne pas
donner suite à la demande qu'un délai supplémentaire d'un
mois pour présenter ou, selon les cas, compléter le mémoire
en défense est imparti à la partie défenderesse (cf. TPICE,
règl. de procédure, art. 76 bis, § 4).
B. - Ce qu'il reste à faire : une poursuite de la réflexion
sur la place appropriée du juge dans le système
communautaire de contrôle des concentrations
17. Le succès de la procédure accélérée a permis un net
accroissement du rôle du juge dans le contrôle des
concentrations. Il y a évidemment tout lieu de se réjouir de ce
progrès de la protection juridictionnelle effective des
justiciables. On peut cependant se demander si, en un sens,
le recours plus fréquent au juge n'a pas contribué à rendre
plus
apparents
qu'auparavant
certains
problèmes
systémiques - ou, autrement dit, des problèmes de « seconde
génération » - qui sont loin d'être résolus à ce stade.
18. Avant que le juge ne prenne toute sa place dans le
contrôle des concentrations, la situation était en quelque sorte
triste mais simple : les parties n'avaient parfois que peu
d'intérêt à attaquer la décision de la Commission. Cette
décision clôturait donc parfois définitivement la procédure. Les
66
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
parties pouvaient le regretter, mais au moins étaient-elles
rapidement fixées sur leur sort. Désormais, le contrôle plus
effectif du juge encourage les parties à déposer des recours,
l'effet utile de la procédure judiciaire ayant sans doute
progressé le plus significativement pour les recours relatifs à
des opérations interdites par la Commission. Or, le contrôle
du juge, même dans le cadre d'une procédure accélérée,
requiert du temps. À cela vient s'ajouter le fait que, lorsqu'il
examine une décision de la Commission, le juge
communautaire ne fait qu'appliquer un contrôle de légalité qui
lui interdit de substituer son appréciation à celle de la
Commission. Une éventuelle annulation résulte donc en un
renvoi devant la Commission pour un nouvel examen
(le règlement n° 139/2004 a, du reste, précisé que le nouvel
examen a lieu au regard des conditions prévalant alors sur le
marché ; cf. act. 10, § 5, relatif au contrôle des concentrations
entre entreprises). En vertu de l'article 233 CE, il appartient à
la Commission de prendre les mesures que comporte
l'exécution de l'arrêt, lesquelles doivent respecter les motifs
qui constituent le soutien nécessaire du dispositif (cf. CJCE,
26 avr. 1988, aff. 97/86, 99/86, 193/86 et 215/86, Asteris
e.a./Commission, Rec. CJCE p. 2181, pt. 27 ; TPICE, 22 oct.
2002, aff. T-310/01, Schneider Electric c/ Commission, Rec.
CJCE, II, p. 4071, pts 464 et 465). Sur cette base, le nouvel
examen peut aboutir à l'autorisation de l'opération, comme
dans le cas de Tetra Laval (cf. pt. 10 supra). Mais tout
problème de sécurité juridique n'est pas forcément écarté
pour autant, même dans le cas d'une autorisation. L'affaire
Tetra Laval est du reste assez révélatrice des complications
qui peuvent continuer à se manifester dans une telle
hypothèse. En effet, si, dans cette affaire, la Commission a
finalement autorisé l'opération en imposant certaines
conditions, elle a néanmoins déposé un pourvoi contre l'arrêt
du Tribunal. Or, dans sa décision d'autorisation postérieure à
la décision d'interdiction, la Commission relevait que la
compatibilité de l'opération avec le marché commun pourrait
dépendre du résultat de ce pourvoi et d'un éventuel réexamen
par les juridictions communautaires de la validité de la
décision d'interdiction (« [t]he compatibility of the operation
with the common market may depend on the outcome of that
appeal and of an eventual re-examination by the Community
Courts of the validity of the Article 8(3) Decision of 30 October
2001 » ; cf. Déc. Comm., 13 janv. 2003, préc., pt. 3 ; cf.
également Communiqué Comm. CE, n° IP/03/36, 13 janv.
2003). En d'autres termes, il semble que, dans l'esprit de la
Commission, la nouvelle décision pouvait faire l'objet d'un
éventuel retrait. Or, comme le pourvoi contre l'arrêt du
Tribunal n'a pas été jugé selon une procédure accélérée,
comme c'est pourtant possible (cf. la référence faite par
l'article 118 du règlement de procédure de la Cour de justice à
ses articles 55 à 90), la décision de la Cour est intervenue
plus de deux années après cette autorisation conditionnelle
(cf. CJCE, 15 févr. 2005, aff. C-12/03 P, Commission c/ Tetra
Lava, Rec. CJCE, I, p. 987). Sur le fond, la Cour a certes
confirmé l'arrêt du Tribunal, malgré une erreur de droit. Mais
que se serait-il passé si la Cour avait annulé l'arrêt du
Tribunal ? À titre principal, on peut envisager deux
conséquences positives.
19. Premièrement, peut-être la Commission aurait-elle eu le
droit de retirer sa décision d'autorisation. On peut en effet
considérer que, dans la mesure où elle s'appuyait sur des
motifs de l'arrêt du Tribunal ultérieurement invalidés par la
Cour, cette décision aurait pu être considérée comme illégale.
Or, le retrait rétroactif d'actes administratifs illégaux est permis
s'il intervient dans un délai raisonnable et si l'institution dont
émane cet acte tient suffisamment compte de la confiance
légitime du bénéficiaire de l'acte qui a pu se fier à la légalité
de celui-ci (cf. CJCE, 12 juill. 1957, aff. 7/56 et 3/57 à 7/57,
Algera e.a. c/ Assemblée commune de la CECA, Rec. CJCE,
p. 81, 116 ; CJCE, 17 avr. 1997, aff. C-90/95 P, de Compte c/
Parlement, Rec. CJCE, I, p. 1999, pt. 35). En l'espèce, dès
lors que la Commission avait expressément indiqué dans sa
décision que cette dernière pourrait être revue au regard de la
procédure judiciaire en cours, on peut douter que Tetra Laval
ait pu acquérir une confiance légitime très forte dans
l'absence de retrait. Dès lors, pour peu qu'il ait pu avoir lieu
dans « un délai raisonnable », un retrait était peut-être
possible. La fusion des entreprises, déjà réalisée mais
dépourvue d'autorisation, se serait alors trouvée bien mal en
point.
20. Deuxièmement, si la Cour avait décidé d'annuler l'arrêt du
Tribunal, deux possibilités s'ouvraient à elle : (i) soit la Cour
renvoyait l'affaire au Tribunal pour un nouveau jugement
avec, dans l'hypothèse d'une nouvelle annulation, un renvoi
devant la Commission pour un troisième examen et, pourquoi
pas, un nouveau recours devant le Tribunal ; (ii) soit la Cour
décidait de statuer définitivement sur l'affaire et, très
probablement, de rejeter le recours des parties à l'opération,
plus de deux années après qu'elles ont effectivement réalisé
l'opération. Dans les deux hypothèses, on imagine la situation
très délicate dans laquelle les parties à l'opération auraient pu
se trouver placées, avec éventuellement l'obligation de
séparer ce qui pouvait encore l'être (cf. Règl. n° 139/2004, 20
janv. 2004, art. 8, § 4).
21. Il s'agit d'un scénario-catastrophe bien sûr appelé à rester
assez exceptionnel, mais qui n'est pas pour autant
impossible. Il est également envisageable, et peut-être plus
encore, dans l'hypothèse où c'est une autorisation (et non une
interdiction) d'une opération de concentration qui fait l'objet
d'un recours (en général par des concurrents). La possibilité
de renvois successifs et d'allers-retours entre la Cour, le
Tribunal et la Commission, en dépit de l'existence de la
procédure accélérée, laisse donc subsister l'éventualité de
scénarios à rebondissement de ce genre.
22. C'est donc là l'un des coûts irréductibles de l'usage de la
procédure accélérée : en permettant au juge communautaire
d'être un acteur plus influent du contrôle des concentrations,
dans un premier temps, elle accroît la protection
juridictionnelle effective des requérants, mais, dans un second
temps, parce qu'elle nécessite tout de même un recours, elle
tend à différer le moment à partir duquel les décisions
attaquées deviennent définitives. La procédure accélérée aura
beau être appliquée dans des délais encore plus rapides que
ceux qui peuvent être actuellement constatés, le temps
minimal nécessaire pour contrôler les décisions de la
Commission et les éventuels allers-retours entre cette
dernière, le Tribunal et la Cour imposent aux entreprises
d'accepter que leur sécurité juridique soit différée dans le
temps potentiellement durant une assez longue période en
raison de l'existence de plusieurs degrés de juridiction.
23. Ces difficultés et ses coûts ne constituent bien sûr
nullement une raison suffisante pour regretter le temps où le
juge contrôlait peu les décisions de contrôle des
concentrations. En revanche, ils donnent certainement lieu à
réfléchir sur les limites de la procédure accélérée, qui n'est
pas une procédure miracle, et à s'interroger, éventuellement
pour s'en inspirer, sur les options suivies par les systèmes de
contrôle des concentrations dans lesquels le juge a une place
plus affirmée encore. Mais, là non plus, les solutions idéales
ne semblent pas exister.
Le système américain constitue-t-il une solution idéale pour
résoudre le problème de la sécurité juridique des opérations
de concentration ?
24. D'un côté, si l'on envisage le modèle fédéral américain,
dans lequel c'est au juge que revient le pouvoir d'interdire les
opérations de concentration, on constate que les juridictions
saisies peuvent se prononcer dans des délais parfois très
rapides, pour ne pas dire fulgurants (cf. Logan K., Litwin E. et
Antoine O., Two comments : is « fast track » judicial review
fast enough ? : are there, based on the U.S. experience, land
mines in the modernization proposal ?, International Antitrust
Law & Policy. 2002 (2003), p. 115). Certes, il est parfois
67
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
retenu à l'encontre du système américain que les délais de la
phase administrative peuvent être plus longs que ceux
applicables en droit communautaire et qu'ils ne connaissent
pas de limites strictes comme celles imposées à la
Commission. En effet, lorsque les autorités américaines
adressent aux parties une « second request » (demande de
production de documents et de questionnaires, voire de
dépositions, ouvrant l'équivalent de la « phase II »
communautaire), les parties ne peuvent réaliser l'opération
qu'au terme d'un délai de 30 jours après avoir satisfait à
toutes les exigences de cette second request, ce qui peut
demander des mois. Il n'est cependant pas évident que cette
situation d'incertitude soit un inconvénient décisif par rapport
aux délais communautaires, et ce pour au moins trois raisons.
En premier lieu, lorsqu'une opération ne fait pas l'objet d'une
« second request », elle est autorisée dans des délais tout à
fait comparables à ceux applicables en cas de « phase I », le
formulaire « HSR » étant du reste bien moins compliqué à
remplir qu'un formulaire CO. En deuxième lieu, les délais très
longs requis pour répondre aux second requests découlent en
grande partie des outils utilisés dans le système américain et,
en particulier, des demandes de communication visant un très
grand nombre de documents, sur le modèle de la subpoena.
Or, l'usage de tels outils n'a pas nécessairement à être
reproduit dans les autres systèmes. Enfin, en troisième lieu, il
y a sans doute une certaine myopie à considérer que le délai
à prendre en compte pour apprécier la durée du processus
communautaire commence avec la notification de l'opération.
Il faut en effet tenir compte de la nécessité de pré-notifier
l'opération, ce qui, pour des opérations difficiles, peut
impliquer un rallongement substantiel des délais. Du reste, la
période d'examen elle-même peut parfois être rallongée par la
Commission dans certaines circonstances. En effet, les délais
« sont exceptionnellement suspendus lorsque la Commission,
en raison de circonstances dont une des entreprises
participant à la concentration est responsable, a été contrainte
de demander un renseignement par voie de décision en
application de l'article 11 ou d'ordonner une inspection par
voie de décision en application de l'article 13 » (Règl.
n° 139/2004, 20 janv. 2004, art. 10, § 4). Certes, il s'agit, en
principe, d'un report « exceptionnel », mais ce terme est
interprété de façon libérale par le Tribunal (cf. TPICE, 22 oct.
2002, aff. T-310/01, Schneider Electric c/ Commission, Rec.
CJCE, II, p. 4071, pts 105 et 106). En définitive, l'incertitude
des délais applicables dans le cadre de la procédure
américaine ne constitue probablement pas une raison
suffisante pour écarter, par principe, tout système dans lequel
la décision d'interdiction d'une opération de concentration
appartient au juge.
25. D'un autre côté, le gain de temps réalisé dans un tel
système, par rapport au système communautaire, est-il
toujours
significatif ? Il faut bien admettre que le système
des États-Unis a l'avantage d'éviter les renvois successifs
entre les autorités administratives et les autorités judiciaires.
Mais il n'est pas sûr pour autant que ce seul gain soit toujours
substantiel. Si, par exemple, la Commission autorise
l'opération sur renvoi après l'annulation d'une décision
d'interdiction, l'ajout de la durée d'une phase I à l'ensemble du
processus ne constitue pas nécessairement une perte de
temps significative. Mais, surtout, le système américain
constitue-t-il une solution idéale pour résoudre le problème de
la sécurité juridique des opérations de concentration ? C'est
loin d'être sûr, car, dans le système américain comme dans le
système communautaire, l'exercice éventuel des voies de
recours prend nécessairement du temps. Pour cette même
raison, l'idée selon laquelle la création d'une chambre
juridictionnelle communautaire spécialisée en matière de droit
de la concurrence, sur la base de l'article 225 A CE, pourrait
résoudre définitivement la question de la célérité des
procédures, notamment du fait de la spécialisation des juges,
est sans doute trop optimiste. Les décisions de cette chambre
pourraient en effet faire l'objet d'un pourvoi ou d'un appel
devant le Tribunal (art. 225 A CE, al. 3), ce qui doit être pris
en compte pour apprécier la durée globale de la période au
terme de laquelle la sécurité juridique des parties est
complète.
26. On est donc sans doute amené à devoir se résigner : un
contrôle judiciaire effectif, de qualité et à plusieurs degrés de
juridictions comprend une irréductible part de délai, quel que
soit le système en cause, et vouloir concilier qualité et
immédiateté du contrôle, c'est prétendre résoudre la
quadrature du cercle. Un arbitrage entre les divers objectifs du
contrôle juridictionnel est donc nécessaire. Entre les
impératifs de qualité, de célérité et de motivation des
jugements, auxquels on peut ajouter le souci de préserver la
pluralité des degrés de contrôle juridictionnel et la nature
administrative du contrôle des concentrations, il est
certainement difficile de fixer des priorités. Un choix semble
cependant inévitable et il n'est pas évident qu'il doive toujours
être fait en faveur de la célérité : comme le souligne le rapport
Magendie, « [s]i certaines lenteurs doivent être combattues,
d'autres, au contraire, méritent d'être conservées, parce
qu'elles sont utiles. Ici, la durée correspond à des pertes de
temps inutiles, voire nuisibles, qui ne concourent pas au
processus judiciaire. Là, elle est synonyme de réflexion, de
sérénité de la justice, de recherche de la vérité » (Rapport
Magendie, préc., p. 17).
68
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
M. BAZEX, « Les interactions entre le droit et l’économie : l’exemple du contrôle par le juge administratif des opérations de
concentration entre entreprises », in L’architecture du droit – Mélanges en l’honneur du professeur Michel Troper,
Economica, 2006, pp. 139-151
1. - «… il y a lieu, pour établir la conviction du Conseil d’Etat, de
décider avant dire droit de saisir le Conseil de la concurrence,
autorité administrative indépendante habilitée à analyser, en les
complétant par ses propres investigations, les informations
réunies par l’administration sur un projet de concentration
notifié, afin d’éclairer l’autorité compétente sur les atteintes que
ce projet est susceptible de porter à la concurrence et, le cas
échéant, sur le caractère suffisant des contributions apportées
au progrès économique pour compenser ces atteintes ; … ».
Extrait de l’arrêt de Section du Conseil d’Etat du 20 juillet 2005
Société Fiducial Informatique et Société Fiducial Expertise (Droit
Administratif, 2005, n°133), la citation atteste cla irement du
recours par le juge administratif à l’analyse économique, la
haute juridiction sollicitant l’avis du Conseil de la concurrence
pour pouvoir se prononcer sur la légalité de la décision du
Ministre de l’Economie autorisant une opération de
concentration.
La solution mérite une explication, quand on connaît la réserve
traditionnelle du juge en matière de contrôle des interventions
économiques des personnes publiques. Au-delà, sur un plan
plus théorique cher à Michel Troper, il faut s’interroger sur les
implications pour le juge de cette nouvelle interaction entre le
droit et l’économie.
La réflexion entreprise dans cette perspective montre que la
réception de l’analyse économique par le juge administratif (I)
entraîne une transformation sensible de son rôle (II).
I- LA RECEPTION DE L’ANALYSE ECONOMIQUE PAR LE
JUGE ADMINISTRATIF
2 - La bonne compréhension de la solution adoptée par le
Conseil d’Etat dans l’arrêt du 20 juillet 2005 nécessite un
rappel de la règle applicable en matière de contrôle des
opérations de concentration entre entreprises.
Pour s’en tenir à l’exemple du droit interne, c’est la loi modifiée
du 19 juillet 1977 relative au contrôle de la concentration
économique et à la répression des ententes illicites et des abus
de position dominante (JO du 20/07/1977), qui la première a
confié au Ministre de l’Economie, agissant conjointement avec
le Ministre de tutelle du secteur concerné, le soin de contrôler
les opérations de concentration entre entreprises, dépassant les
seuils déterminés par le texte et « de nature à porter atteinte à
une concurrence suffisante sur un marché » (article 4). A cette
fin, le texte autorisait le Ministre à soumettre le projet à ce qui
était alors la Commission de la concurrence, et, dans les limites
de son avis, à enjoindre aux entreprises intéressées de prendre
des mesures nécessaires pour rétablir la concurrence.
Ce mécanisme devait être repris, mais modifié, par
er
l’ordonnance du 1 décembre 1986, relative à la liberté des prix
et de la concurrence (JO du 9 décembre 1986). L’article 38 du
texte disposait que « tout projet de concentration ou toute
concentration de nature à porter atteinte à la concurrence,
notamment par création ou renforcement d’une position
dominante, peut-être soumis, par le Ministre chargé de
l’économie, à l’avis du Conseil de la concurrence ». En ce cas,
en vertu de l’article 41, il appartenait au Conseil de la
concurrence (substitué à la Commission de la concurrence)
d’apprécier « si le projet de concentration ou la concentration
apporte au progrès économique une contribution suffisante pour
compenser les atteintes à la concurrence ». Enfin, l’article 42
déterminait les pouvoirs des Ministres : « enjoindre aux
entreprises, soit de ne pas donner suite, soit de modifier ou de
compléter l’opération ou de prendre toute mesure propre à
assurer ou à rétablir une concurrence suffisante ou subordonner
la réalisation de l’opération à l’observation de prescriptions de
nature à apporter au progrès économique et social une
contribution suffisante pour compenser les atteintes à la
concurrence … ».
Intégrées par la suite dans le livre IV du Code de commerce,
ces dispositions ont été depuis lors modifiées par la loi sur les
nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 (JO du 16
mai 2001). Selon la nouvelle rédaction de l’article L-430-5 du
Code de commerce, la notification du projet par les parties est
devenue obligatoire, et il appartient au Ministre de l’économie
de se prononcer sur le projet assorti des engagements
éventuels des intéressés. Toutefois, si le Ministre « estime que
l’opération est de nature à porter atteinte à la concurrence et
que les engagements pris ne suffisent pas à y remédier, il saisit
pour avis le Conseil de la concurrence ». En ce cas, selon
l’article L-430-6, il revient au Conseil de la Concurrence
d’examiner si l’opération « est de nature à porter atteinte à la
concurrence, notamment par création ou renforcement d’une
position dominante ou par création ou renforcement d’une
puissance d’achat qui place les fournisseurs en situation de
dépendance économique. Il apprécie si l’opération apporte au
progrès économique une contribution suffisante pour
compenser les atteintes à la concurrence. Le Conseil tient
compte de la compétitivité des entreprises en cause au regard
de la concurrence internationale et de la création ou du maintien
de l’emploi ».
Sur cette base, en application des paragraphes III et IV de
l’article L-430-7 du Code, « le Ministre chargé de l’économie et,
le cas échéant, le Ministre chargé du secteur économique
concerné peuvent, par arrêté motivé : soit interdire l’opération
de concentration et enjoindre le cas échéant aux parties de
prendre toutes mesures propres à rétablir une concurrence
suffisante ; soit autoriser l’opération en enjoignant aux parties
de prendre toutes mesures propres à assurer une concurrence
suffisante, ou en les obligeant à observer des prescriptions de
nature à apporter au progrès économique et social une
contribution suffisante pour compenser les atteintes à la
concurrence… Si le Ministre chargé de l’économie et le Ministre
chargé du secteur économique concerné n’entendent prendre
aucune des deux décisions prévues au paragraphe III, le
Ministre chargé de l’économie autorise l’opération, par une
décision motivée. L’autorisation peut-être subordonnée à la
réalisation effective des engagements pris par les parties qui ont
procédé à la notification… ».
Ce rappel de la règle applicable est nécessaire pour mesurer le
changement qu’a apporté le recours à l’analyse économique
dans le contrôle opéré par le juge.
3 - En application de solutions très classiques, ce contrôle
s’exerce sans difficulté particulière sur les éléments de
droit des décisions ministérielles mettant en œuvre le
contrôle.
Tel est le cas pour ce qui en est de la légalité externe des
décisions mettant en œuvre le contrôle. Dans son étude
classique sur « Le contrôle juridictionnel des interventions
économiques de l’Etat » (EDCE, 1970, p.133), M. DelmasMarsalet notait déjà « une certaine préférence du juge pour le
contrôle de légalité externe portant sur la compétence de
l’autorité administrative et sur le respect de certaines garanties
de forme ou de procédure qu’il s’est efforcé de développer »
(article cité p.147). Ainsi, dans une décision d’Assemblée du 16
mai 2003, Fédération des employés et cadres CGT-FO et
autres, le Conseil d’Etat a sanctionné le non-respect des règles
de compétence à l’occasion d’une opération de concentration
dans le secteur bancaire (acquisition par le Crédit Agricole des
droits de vote dans les Assemblées générales du Crédit
Lyonnais ; Droit Administratif, 2003, n°141).
69
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
Il en va de même, au plan de légalité interne, pour le contrôle de
la violation de la loi ou de l’erreur de droit (voir par exemple, à
propos d’un moyen tiré du champ d’application de la loi, Conseil
d’Etat, Section 9 juillet 2003, Société Générale de Brasserie,
Droit Administratif, 2003, n°234). En l’occurrence, l es modalités
de l’intervention de l’autorité publique à cet égard ne posant pas
de problèmes différents de ceux d’une action courante, on
conçoit bien que le contrôle du juge s’exerce dans les conditions
habituelles du contentieux de la légalité.
4 - Qu’en est-il lorsque sont en cause les éléments de fait
servant de base à la décision de l’autorité publique ?
D’une manière générale, le contrôle opéré par le Juge
administratif au titre de l’erreur de fait est tributaire des
conditions posées par les textes, comme l’avait déjà observé
sur un plan général M. DELMAS-MARSALET dans son article
ci-dessus mentionné : « le plus souvent, les lois d’économie
dirigée ne subordonnent pas l’intervention de l’administration à
des conditions précises. Elles se bornent à en définir l’objet …
et parfois à en indiquer le but. Dans ce cas, l’administration
dispose d’un très large pouvoir discrétionnaire pour apprécier si
elle doit ou non intervenir et dans quel sens. Toutefois, ce
pouvoir trouve ses limites dans le but en vue duquel il a été
conféré à l’administration, ce but pouvant être explicitement
indiqué par la législation ou déduit de son objet même… et ce
n’est que lorsque cette analyse révélera une discordance
évidente entre les faits retenus et le but ou l’objet de la décision
que le juge sanctionnera cette « erreur manifeste
d’appréciation ». On retrouve ainsi le contenu de ce qu’il est
convenu d’appeler le « contrôle minimum » exercé par le juge
sur les décisions administratives prises en vertu d’un pouvoir
discrétionnaire » (article déjà cité p.148).
Les textes applicables en matière de contrôle des opérations de
concentration, tels que présentés ci-dessus, ne définissant pas
de manière précise les conditions de fait de l’intervention de
l’autorité publique, au départ, c’est bien cette solution qui a été
mise en œuvre pour opérer le contrôle de l’erreur de fait,
comme cela résulte de l’arrêt de Section du Conseil d’Etat du 15
octobre 1982 le BIHAN et Fédération Française des Pompes
Funèbres, AJDA, 1983, p.254). En l’espèce, une offre publique
d’achat des actions d’une entreprise occupant une position
dominante sur le marché des concessions du service extérieur
des pompes funèbres (la Société des pompes funèbres
générales) avait été lancée par une autre entreprise détenant
une place importante sur le marché des concessions de
distribution d’eau (la Société lyonnaise des eaux et de
l’éclairage). Se fondant sur les pouvoirs que le Code des
communes alors applicable conférait aux autorités publiques
pour assurer la bonne exécution des concessions de service
public, le Ministre de l’économie avait refusé de mettre en
œuvre la procédure de contrôle prévue par la loi ci-dessus
mentionnée de 1977. Saisie d’une demande d’annulation de ce
refus, la Haute Juridiction rejette le recours pour le motif
suivant : « considérant que … le Code des communes conférait,
tant au Gouvernement par la rédaction des cahiers des charges
types, qu’aux autorités de tutelle par l’approbation des contrats
de concession, des pouvoirs étendus pour protéger les intérêts
des collectivités locales et des usagers du service public ; que le
Ministre de l’économie a pu, en dépit de la position dominante
occupée par la Société des pompes funèbres générales sur le
marché des concessions du service extérieur des pompes
funèbres et de la place importante occupée par le groupe de la
Société lyonnaise des eaux et de l’éclairage sur le marché des
concessions de la distribution d’eau, décider, sans commettre
d’erreur manifeste d’appréciation, qu’il n’y avait pas lieu de
saisir la Commission de la concurrence de ce projet de
concentration économique… ».
La décision est la copie conforme de l’analyse ci-dessus
rappelée de M. Delmas-Marsalet : faute de toute norme de
référence, le juge administratif se trouve dans l’impossibilité de
s’assurer de l’adéquation de l’intervention de l’autorité publique
aux circonstances de fait, sauf dans l’hypothèse exceptionnelle
d’une erreur manifeste d’appréciation.
5 - Le recours à l’analyse économique change
complètement les données du problème, car il confère
précisément au juge un instrument de référence lui
permettant d’exercer un « contrôle complet » au sens que
cette expression revêt dans le contentieux administratif
(avec comme on sait le contrôle de la qualification juridique
des faits).
Le revirement a été acquis à l’occasion de l’arrêt de Section du
Conseil d’Etat du 9 avril 1999, Société The Coca Cola Company
(AJDA, 1999, p.611), dans lequel se posait la question de la
légalité de la décision aux termes de laquelle, au vu de l’avis du
Conseil de la concurrence, l’autorité publique avait enjoint au
requérant de renoncer à l’acquisition des actifs du Groupe
Orangina. Suivant la démarche du Conseil de la concurrence, le
juge va d’abord s’assurer des « effets anticoncurrentiels de
l’opération de concentration projetée ; … ainsi, le Groupe CocaCola pourrait bénéficier, sur le marché des boissons gazeuses
sans alcool « hors colas » et « hors foyer », d’un effet de
gamme et de portefeuille… ; la détention par Coca-Cola de
deux produits considérés comme incontournables constituerait
pour les acheteurs du marché « hors colas » et « hors foyer »…
un facteur déterminant dans le choix de leurs fournisseurs, et
aurait ainsi des effet anticoncurrentiels sur le marché dont il
s’agit ». S’agissant ensuite de « l’existence alléguée d’une
compensation des effets anticoncurrentiels par une contribution
suffisante au progrès économique et social », le juge énonce
que « l’imprécision des données fournies sur ces deux points ne
permet pas d’établir que les effets anticoncurrentiels de
l’opération envisagée pourraient être compensés par une
contribution suffisante au progrès économique et social ». Enfin,
au requérant qui faisait valoir qu’une solution autre que
l’interdiction aurait été possible, le juge répond que « … eu
égard à la nature et à l’importance des effets anticoncurrentiels
du projet de concentration et à la difficulté corrélative de
déterminer les mesures adéquates pour les compenser, la
décision de s’opposer purement et simplement à l’opération
projetée ne peut être regardée comme ayant porté une atteinte
excessive à la liberté du commerce et de l’industrie… ».
Il ressort clairement de cette décision que c’est bien en se
fondant sur l’analyse économique que la Haute Juridiction a pu
exercer un contrôle complet de la décision de l’autorité publique.
Aussi bien la doctrine économique a-t-elle relevé que « la
décision du Conseil d’Etat se fonde sur une analyse
économique rigoureuse et des plus pertinentes. Elle met en
exergue des questions et des concepts micro économiques
fondamentaux » (B. Thiry, Professeur d’économie à l’Université
de Liège, note à l’AJDA, 1989, p.611). La décision a fait depuis
lors figure d’arrêt de principe. En effet le même raisonnement de
fond a été ultérieurement repris par le Conseil d’Etat, que ce soit
pour confirmer la position prise par l’autorité publique (voir par
exemple Conseil d’Etat, 11 juillet 2001, Syndicat CGT de la
société Clemessy, Droit Administratif, 2001, n°209, pour la
validation des prescriptions accompagnant une autorisation), ou
au contraire pour l’infirmer (Conseil d’Etat, Section, 6 février
2004, Société Royal Philips Electronics, Droit Administratif,
2004, n°57, pour une inexacte appréciation des effe ts
concurrentiels de l’opération ; voir pour une revue détaillée de
cette jurisprudence, les articles de P. Hubert, Le contrôle des
concentrations et le juge administratif français, Revue Lamy de
la Concurrence, août-octobre 2005, p.14) et de D. Theophile et
H. Parmentier, l’étendue du contrôle juridictionnel dans le
contentieux du contrôle des
concentrations, Revue
Concurrences 2006 n° 1 p.39).
6 - Bien plus, la jurisprudence a élargi les hypothèses dans
lesquelles elle met en œuvre le raisonnement économique
attaché au contrôle des opérations de concentration.
Un premier cas de figure entre en vérité dans l’office normal du
juge administratif, puisqu’il s’agit du référé : dans son
ordonnance du 19 mai 2005 Société Fiducial Informatique et
70
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
Société Fiducial Expertise (Droit Administratif, 2005, n°100),
intervenue dans l’affaire ayant par ailleurs donné lieu à l’arrêt du
20 juillet 2005 signalé au début (n°1), le juge des référés du
Conseil d’Etat a utilisé l’approche économique pour fonder la
suspension de la mesure autorisant la concentration. S’agissant
de la condition d’urgence (article L-521-1 du Code de justice
administrative), la Haute Juridiction a considéré que : « en
l’espèce, eu égard à l’objet de la décision contestée et à ses
effets sur le marché qui sont difficilement réversibles, la
condition d’urgence doit être tenue pour réalisée, tant au regard
de l’intérêt public en cause qui est le maintien d’une situation de
concurrence effective sur le marché, objectif protégé par une
législation d’ordre public, qu’à celui des sociétés requérantes
qui sont présentes sur le même marché en tant que concurrents
ou clients potentiels … ». En ce qui concerne la condition de
doute sérieux sur la légalité de la décision, elle a également été
jugée remplie à raison de la « faiblesse » de l’argumentation du
Ministre « au regard du caractère probable, suffisamment rapide
et durable, et suffisant, de l’entrée de nouveaux concurrents
susceptibles de contrecarrer des effets anticoncurrentiels
potentiels de l’opération en cause ». En d’autres termes,
l’analyse concurrentielle vient au soutien des pouvoirs de référé
du juge administratif, les effets anticoncurrentiels d’une décision
administrative (généralement une décision d’autorisation) étant
susceptibles de créer la situation d’urgence exigée par l’article
L-521-1 du Code de justice administrative.
Plus remarquable est l’arrêt de Section du Conseil d’Etat du 20
juillet 2005 Société Fiducial Informatique auquel il vient d’être
fait allusion. En l’espèce, le Ministre avait autorisé l’opération de
concentration sans saisir le Conseil de la concurrence en dépit
de la possibilité offerte par le Code de commerce (article L-4305 déjà cité). On a vu que, saisi ultérieurement d’un recours
contre la décision d’autorisation, dans la décision déjà citée du
20 juillet 2005, la Haute Juridiction administrative devait solliciter
l’avis du Conseil de la concurrence « pour apprécier la situation
concurrentielle du marché » (et c’est au vu de cet avis que
l’arrêt ultérieur du 13 février 2006 a confirmé la décision du
Ministre ; voir infra n° 9). Mais le plus important à ce stade du
raisonnement est de relever que la saisine par le juge du
Conseil de la concurrence a été décidée en dehors de toute
disposition de texte, conférant ainsi une véritable portée de
principe au recours à l’analyse concurrentielle.
7 - La jurisprudence récente consacre donc la réception de
l’analyse économique par le juge administratif, à l’image de
ce que fait son homologue communautaire (voir pour
illustrations récentes, les arrêts de la Cour de Justice des
Communautés Européennes du 15 février 2005 Commission c./
Tetra Laval Bv aff. n°C-12/03 P, Recueil I – 987 et suivants et
du Tribunal de Première Instance du 23 février 2006 Cement
Bouw Handel & Industrie Bv aff. n°T – 282/02, non enco re
publié).
Cela dit, l’observation montre que cette utilisation du
raisonnement économique par le juge n’est pas neutre, et
qu’elle entraîne une transformation sensible de son rôle.
II-LA TRANSFORMATION
ADMINISTRATIF
DU
ROLE
DU
JUGE
8 - La réception de l’analyse économique par le juge
administratif a pour conséquence immédiate et évidente
l’élargissement de l’objet du contrôle qu’il exerce. Mais, plus
encore, on peut se demander si l’utilisation de cette nouvelle
référence n’entraîne pas une réorientation de ses pouvoirs.
9 - Que la réception de l’analyse économique se traduise
par un élargissement de l’objet du contrôle opéré par le
juge parait aller de soi, puisqu’il y a là autant de sources
inédites de la légalité qui devront être respectées par
l’autorité ministérielle dans l’exercice de sa compétence en
matière de contrôle des opérations de concentration.
Cet élargissement a d’abord une dimension substantielle, qui
résulte de l’existence de nouvelles normes de référence. Ces
normes sont celles de l’analyse micro-économique, dont l’objet
est « d’expliquer les comportements individuels et leur
interaction. Son niveau d’observation privilégié est celui de
l’entreprise et du marché d’un bien ou d’un service particulier »
ème
Ed., p.7). De la
(J. Généreux, Micro-Economie, Hachette, 4
même manière, M. F. Jenny (ancien Vice-Président du Conseil
de la Concurrence) écrit que « l’analyse micro-économique
constitue l’un des fondements principaux du droit de la
concurrence, et en particulier de la prohibition des ententes ou
des abus de position dominante anticoncurrentiels, ainsi que du
contrôle des concentrations d’entreprises figurant dans les
er
dispositions de l’ordonnance du 1 décembre 1986 » (Les
er
relations entre le droit et l’économie dans l’ordonnance du 1
décembre 1986, G.P. des 12 et 13 février 1997).
Or, c’est justement cette analyse micro économique que le juge
administratif utilise pour s’assurer de la légalité des décisions
qui lui sont déférées en matière de contrôle des opérations de
concentration.
Il faut en effet préciser que, pour procéder à « l’analyse
concurrentielle d’une concentration » (voir sur la question
l’ouvrage d’Emmanuel Combe, Economie et Politique de la
Concurrence, Editions Dalloz, 2005, p.353 et suivantes), la
doctrine économique expose que, dans un premier temps, il
convient d’évaluer l’impact de l’opération sur la concurrence en
mesurant le « pouvoir de marché » de la nouvelle entité, pouvoir
de marché qui revêt des formes différentes selon qu’il s’agit
d’une fusion horizontale, verticale ou conglomérale. Dans un
deuxième stade, il convient d’examiner s’il existe des obstacles
à ce pouvoir de marché, par exemple de la part des partenaires
de la nouvelle entité (distributeur pour un fabricant,
consommateur, etc), ou encore sous la forme de « barrières à
l’entrée » susceptibles de s’opposer à l’arrivée de nouveaux
concurrents. Enfin, à supposer même que l’opération affecte de
manière significative la concurrence sur le marché pertinent, elle
peut néanmoins être autorisée dans la mesure où les parties
peuvent faire valoir des « gains d’efficacité » (réduction de
coûts, économies d’échelle, économies de gamme, etc ; voir sur
tous ces points l’analyse détaillée de E. Combe dans son
ouvrage précité).
La lecture des arrêts du Conseil d’Etat prononcés depuis le
revirement de jurisprudence à l’occasion de l’affaire Coca-Cola
montre que c’est exactement cette démarche que suit le juge.
Ainsi, dans l’arrêt déjà cité du 13 février 2006 Fiducial
Informatique et Fiducial Expertise dans lequel, au vu de l’avis du
Conseil de la concurrence, il a statué au fond sur la légalité de
l’autorisation ministérielle (à paraître dans Droit Administratif
2006), le Conseil d’Etat commence par s’interroger sur les parts
de marché détenues par les parties à la concentration : « … la
concentration conduit à une situation dans laquelle, si les deux
sociétés principales se partagent une grande part de marché,
une part significative de ce marché est détenue par de
nombreux autres opérateurs très actifs… ». Au deuxième stade
de son raisonnement, le juge se préoccupe de vérifier s’il existe
des obstacles au pouvoir de marché de la nouvelle entité : « Sur
les barrières à l’entrée sur le marché : … le développement d’un
tel progiciel ne rencontre aucune barrière liée à la technologie
ou aux coûts d’investissements… ; la véritable limite à une
pénétration rapide sur le marché réside dans l’inertie des clients
…. ; toutefois, doivent être pris en compte les facteurs
d’animation concurrentielle que constituent les modifications
réglementaires qui contraignent les clients à anticiper le
renouvellement des progiciels… ». Faisant enfin le point sur le
« bilan concurrentiel », le juge conclut que l’opération ne
menaçait pas la concurrence sur le marché, et donc que
l’autorisation ministérielle était licite.
Ce n’est là qu’un exemple, et l’étude des autres décisions
intervenues depuis le revirement de 1999 montrerait la même
démarche de la part du Conseil d’Etat.
71
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
Il est certain que le juge a tiré parti de l’intervention de l’autorité
de la concurrence, qui, comme on l’a vu ci-dessus, a été
consulté sur la base des dispositions du Code de commerce ou
des pouvoirs généraux d’instruction du juge. Pour autant, il ne
devrait pas y avoir « d’instrumentalisation » de la Haute
Juridiction – ce qu’à Dieu ne plaise –, car d’autres décisions que
celles dont des extraits viennent d’être rapportés montrent que
le Conseil d’Etat garde son libre arbitre par rapport au Conseil
de la Concurrence. En atteste , par exemple, l’arrêt rendu à
propos de la reprise de Moulinex par SEB, où le Conseil d’Etat a
annulé l’autorisation donnée par le Ministre en raison d’une
erreur dans l’analyse des gains d’efficacité effectuée par
l’autorité de la concurrence et suivie par le Ministre (Conseil
d’Etat, 6 février 2004, Société Royal Philips Electronics, déjà
cité), et en conséquence l’opération a dû être reprise sur des
bases entièrement nouvelles (Conseil d’Etat, 13 février 2006,
Société de Longhi S.P.A. et Société de Longhi France, requête
n°278796, à paraître dans Droit Administratif, 2006) .
10 - Une seconde cause d’élargissement de l’objet du
contrôle opéré par le juge administratif tient à ce que ce
contrôle s’exerce dorénavant dans le temps.
C’est une règle bien établie du contentieux administratif que « la
légalité d’une décision administrative est appréciée au regard de
la situation existant et des règles de droit applicables le jour où
cette décision a été prise » (Cours de contentieux administratif
du Président Odent, Cours de droit Paris, 1977-1980, p.1661). Il
en résulte que, en principe et sauf exception (détournement de
pouvoir par exemple), la survenance de circonstances
ultérieures nouvelles est sans influence possible sur la légalité
d’une décision administrative, laquelle ne peut être affectée par
des événements postérieurs à son intervention.
Cette vision en quelque sorte « instantanée » des choses n’est
pas celle de l’analyse économique qui, au contraire, s’inscrit
dans le temps et en conséquence nécessite de saisir les effets
futurs ou même simplement potentiels des comportements des
agents économiques. La dimension temporelle joue un rôle
particulièrement important dans le contrôle des opérations de
concentration, comme l’a reconnu la jurisprudence de la Cour
de Justice des Communautés Européennes : « Une analyse
prospective, telle que celles qui sont nécessaires en matière de
contrôle des concentrations, nécessite d’être effectuée avec une
grande attention, dès lors qu’il ne s’agit pas d’examiner des
éléments du passé, au sujet desquels on dispose souvent de
nombreux éléments permettant d’en comprendre les causes, ni
même des événements présents, mais bien de prévoir des
événements qui se produiront dans l’avenir, selon une
probabilité plus ou moins forte, si aucune décision interdisant ou
précisant les conditions de la concentration envisagée n’est
adoptée » (CJCE, 15 février 2005, Commission des
Communautés Européennes c./ Tetra Laval BV, déjà cité,
paragraphes 42 et également 44).
A l’image du juge communautaire, le juge administratif a donc
été conduit à utiliser la même méthode hypothético-déductive,
et à apprécier dans le temps les situations de fait qui sont les
conditions légales de l’opération de concentration. L’arrêt déjà
cité du 13 février 2006 Société de Longhi S.P.A. peut ainsi
décider que … « l’analyse des effets d’une concentration ne
peut se réduire au constat des parts de marché détenues lors
de l’opération, mais doit s’étendre à leur potentiel d’évolution
ultérieure, compte tenu de tous les éléments susceptibles de
compenser l’ampleur des parts conférées aux parties à la
concentration ». On trouve la même approche dans l’évaluation
du « bilan concurrentiel » de l’opération que fait le Conseil d’Etat
dans l’arrêt du 13 février 2006 Société Fiducial Informatique
(déjà cité).
La prise en considération de la dimension temporelle vient
élargir d’autant le champ du contrôle que le juge administratif
tire du nouvel instrument de référence qu’il met à sa disposition
en utilisant l’analyse économique. On ne saurait s’en plaindre,
dès lors que l’évolution des idées et des institutions a contribué
à élargir les tâches de la puissance publique, notamment en ce
qui concerne l’équilibre du tissu économique.
11. – Au-delà, on peut d’ores et déjà se demander si
l’utilisation de l’analyse micro-économique ne débouche
pas sur une réorientation des pouvoirs de contrôle du juge
administratif sur les décision de l’autorité publique en
matière d’opérations de concentration entre entreprises.
Sans doute, comme le montre un certain nombre d’exemples
cités ci-dessus, le Conseil d’Etat continue d’exercer sa fonction
essentielle de juge de la légalité externe ou interne des actes
administratifs (au moins au titre de la violation de la loi ou de
l’erreur de droit dans ce dernier cas).
De même, le juge ne sortira pas de son rôle, quand se posera la
question de la combinaison entre le raisonnement économique
et les autres textes éventuellement applicables aux opérations
de concentration : on a rappelé supra (voir n° 2 et 9) que,
lorsqu’il doit apprécier les gains d’efficacité de l’opération, le
Conseil de la concurrence doit tenir compte de « la création ou
le maintien de l’emploi » (article L 430-7 paragraphe III du Code
de commerce). Le droit communautaire va beaucoup plus loin à
cet égard, qui autorise des Etats membres à demander à la
Commission des Communautés Européennes de prendre en
considération, dans les conditions qu’il définit, « la protection
d’autres intérêts légitimes » (tels que la sécurité publique, la
pluralité des médias, les règles prudentielles,… ; voir l’article 215 du règlement du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des
concentrations entre entreprises, JOUE L 24 du 20 janvier
2004). Mais c’est une mission traditionnelle du Conseil d’Etat
que de concilier la satisfaction des différents intérêts généraux
dont l’administration à la charge (voir la formule du célèbre arrêt
BLANCO), et cela est si vrai d’ailleurs que la Haute Juridiction a
déjà eu l’occasion d’y procéder à l’occasion de l’application de
la prohibition des pratiques anticoncurrentielles (voir par
exemple, pour ce qui est de la combinaison de ces règles avec
la gestion du domaine public : Conseil d’Etat 26 mars 1999
Société EDA, AJDA, 1999, p. 427 ; ou avec l’exercice du
pouvoir de police : Avis contentieux du Conseil d’Etat du 22
novembre 2000 Société L et P Publicité SARL, AJDA, 2001, p.
198).
12. – Mais, si le recours à l’analyse économique permet au
juge de se situer sur le terrain du contrôle de l’erreur de
fait, c’est à dire de l’exactitude des faits et de leurs
qualifications, une question se pose alors de l’existence de
la norme de référence. Comme le rappelle fort bien Monsieur
Delmas-Marsalet dans son article déjà cité à plusieurs reprises,
« lorsque l’intervention de l’administration est subordonnée, ne
serait-ce que partiellement, à certaines conditions de fait
définies de manière suffisamment précise, soit par la loi, soit
même par ,la jurisprudence, le juge exercera pleinement son
contrôle sur les faits économiques qui constituent ainsi la
condition légale de l’intervention » (article cité page 148).
En l’occurrence, par conséquence, l’analyse micro-économique
satisfait-elle à cette exigence de l’existence de normes aptes à
être appliquées par le juge ? A notre connaissance, la réponse
est non. Il existe sans doute une œuvre économique doctrinale,
mais il ne semble pas qu’il s’en dégage un consensus entre les
différentes écoles de pensées, même si certains auteurs
considèrent que « la plupart des Nations (ont adopté) les
principes de l’économie de marché » (Généreux, ouvrage cité,
page 157 ; on peut trouver une description de ces différentes
approches, à l’heure actuelle, dans l’ouvrage de F. Leveque,
Economie de la réglementation, Edition de la découverte, 1998,
pages 6 à 22). En d’autres termes, il n’existe pas au plan
économique une codification comme il en existe une en matière
civile, commerciale, etc.
13. – Dans ces conditions, quelle peut être la solution pour
le juge administratif ?
Ce peut être malgré tout de chercher à emprunter la démarche
qui vient d’être décrite par Monsieur Delmas-Marsalet, et de
déterminer lui-même la référence d’origine économique à
72
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
laquelle il entend conférer une valeur normative. On trouve déjà
l’illustration de cette façon de procéder dans l’arrêt du Tribunal
de Première Instance des Communautés Européennes, Affaire
n° T-342-99 (Droit Administratif, 2002, n° 138), à l’occasion de
laquelle le juge a commencé par définir les conditions d’une
« situation de position dominante collective », pour pouvoir juger
de la licéité du refus d’autorisation opposé par la Commission à
une opération de concentration. L’arrêt du Conseil d’Etat du 6
février 2004 Société Royal Philips Electronics, déjà cité, en
donne un autre exemple, dans lequel le juge a procédé à la
réception – toujours au sens juridique du terme – d’une théorie
de l’analyse micro-économique connue sous le nom de
« l’exception de l’entreprise défaillante » : aux termes de cette
décision, et selon les propres propos de la Haute Juridiction,
« s’agissant de la reprise par un concurrent, d’une société en
difficulté, (le ministre) doit autoriser l’opération sans l’assortir de
prescriptions lorsqu’il apparaît au terme de ce bilan que les
effets de cette opération sur la concurrence ne seraient pas plus
défavorables que ce qui résulterait de la disparition de
l’entreprise en difficulté, c’est-à-dire s’il est établi, en premier
lieu que ces difficultés entraîneraient la disparition rapide de la
société en l’absence de reprise, en deuxième lieu qui n’existe
pas d’autres offres de reprise moins dommageable pour la
concurrence… et en troisième lieu que la disparition de la
société en difficulté ne serait pas moins dommageable pour les
consommateurs que la reprise projetée ». Et c’est après avoir
constaté que la dernière condition n’était pas remplie, que la
Haute Juridiction a annulé l’autorisation donnée par le ministre.
Il est certain qu’on se trouve, dans cette hypothèse, en
présence d’un contrôle complet de la qualification juridique des
faits. Mais il s’en faut que ce soit la qualification générale car,
dès lors comme on l’a vu qu’il n’existe pas de corpus établi de
l’analyse micro-économique, comment le juge pourrait-il
déterminer la règle applicable, hormis les situations
exceptionnelles du type de celles qui vient d’être décrite cidessus ?
14. – L’observation suggère alors une seconde solution,
qu’on pourrait qualifier d’ « empirique », par rapport à la
démarche « normative » ci-dessus présentée.
Cette seconde solution consiste pour le juge à prendre en
compte la nature spécifique de la référence économique, très
largement dépendante des circonstances de fait, et à s’assurer
de l’établissement correct des données économiques par
l’autorité publique et l’autorité publique et du caractère plausible
de leur interprétation première, sans s’attacher à l’instrument
d’analyse micro-économique en lui-même. Cette méthode est
celle majoritairement suivie par le juge communautaire : dans
son arrêt du 15 février 2005 Commission des Communautés
Européennes contre Tetra Laval BV déjà cité, la Cour peut par
exemple exposer que l’ « analyse d’une opération de
concentration de type « congloméral » est une analyse
prospective, dans laquelle la p^prise en compte d’un laps de
temps étendu dans l’avenir, d’une part, et l’effet de levier
nécessaire pour qu’il y ait une entrave significative à une
concurrence
effective,
d’autre
part,
impliquent
des
enchaînements de cause à effet qui sont mal discernables,
incertains et difficiles à saisir. Dans ce contexte, la nature des
éléments de preuve produits par la commission pour établir la
nécessité d’une décision déclarant l’opération de concentration
incompatible avec le marché commun est extrêmement
importante, ces éléments devant conforter les appréciations de
la Commission selon lesquelles, à défaut d’acceptation d’une
telle décision, le scénario d’évolution économique sur lequel
cette institution se fonderait serait plausible » (point 44 ; voir sur
la question l’exposé de Monsieur le juge Legal à la Cour de
Cassation le 12 octobre 2004 sur « Le contrôle juridictionnel des
appréciations économiques dans les décisions communautaires
relatives à la concurrence »). En d’autres termes, le juge exige
un standard de preuve très élevé en ce qui concerne les faits
servant de base à la décision, pour pouvoir opérer le contrôle de
l’erreur de fait.
A la lecture des arrêts exposés supra dans la première partie,
on peut se demander si ce n’est pas la solution suivie par le
Conseil d’Etat qui, dans la plupart des cas, s’est attaché
essentiellement à mesurer les effets anti-concurrentiels de
l’opération ou le caractère suffisant des engagements pris par
les entreprises fusionnées pour prévenir les atteintes à la
concurrence ou celui des contributions au progrès économique
et social, etc. En d’autres termes, le juge s’en tient à la
vérification de l’exactitude et de la cohérence des faits avancés
par les parties à l’opération et par l’autorité ministérielle à l’appui
de leur décision, sans se préoccuper des qualifications au
regard des catégories juridiques, - qui par hypothèse sont
indéterminées ou incertaines compte tenu de l’absence de
corpus parfaitement établi de règles économiques.
Observons que cette solution offre l’avantage de conserver aux
parties à l’opération et à l’autorité publique la responsabilité des
choix de gestion qui incombent à l’occasion des opération de
concentration. Là encore, il faut se référer à la jurisprudence
communautaire : tout en revendiquant le droit de « vérifier, non
seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve
invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également de
contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données
pertinentes devant être prises en considération pour apprécier
une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les
conclusions qui en sont tirées » (Cour de justice des
Communautés européennes 15 février 2005 Commission des
Communautés Européennes contre Tetra Laval BV déjà cité,
point 39), le juge n’en « reconnaît (pas moins) à la Commission
une marge d’appréciation en matière économique » (idem point
39 ; voir également pour une illustration plus récente la
formulation du point 196 de l’arrêt du Tribunal de Première
Instance des Communautés Européennes du 23 février 2006
déjà cité, selon lequel le « règlement [de contrôle des
opérations de concentration] confère à la Commission un
certain pouvoir d’appréciation, notamment pour ce qui est des
appréciations d’ordre économique complexes »). En d’autres
termes, ce dispositif de contrôle ne remet pas en cause la
marge d’opportunité dont dispose l’autorité publique au plan
interne, marge inévitable dans la décision de concentration et
au-delà dans toute action politique industrielle.
15. - Si ces observations sont bien exactes, elles
démontrent comment le recours à l’analyse économique a
fait évoluer le contrôle du juge administratif.
La nature spécifique des données économiques, et en
particulier leur origine extérieure à l’action administrative ainsi
que leur insertion dans le temps, ne les soustraient pas au
contrôle du juge, ce qui de toute évidence constitue une source
de satisfaction dans un état de droit, surtout si l’on songe à
l’importance des intérêts en cause.
Mais la prise en considération de la théorie micro-économique,
avec notamment la place qu’elle réserve aux situations de fait,
conduit à une sorte de « reformatage » du contrôle
juridictionnel, qui cesse d’être une stricte observation de
l’observation de la légalité, pour davantage mettre l’accent sur
l’adéquation en fait des décisions prises par l’autorité de
contrôle au but poursuivi, se rapprochant ainsi de la mission de
régulation opérée par les autorités de la concurrence.
Il reste maintenant à savoir si cette évolution demeurera limitée
au seul domaine du contrôle des opérations de concentration,
ou si elle ne doit pas être étendue à l’application des règles de
concurrence en général, et au-delà des règles économiques
dans leur ensemble.
73
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
Lignes directrices de la DGCCRF (Extraits pp. 36-44 )
2.9. La publicité des décisions et les voies de
recours
2.9.1. La publicité des décisions
188. Le principe en vigueur depuis la loi du 17 juillet 1978
relative à la communication des documents administratifs est
celui de la liberté d’accès aux documents administratifs, dont
font partie les décisions ministérielles en matière de
concentration. Dans un souci de transparence, l’article L. 43010 du Code de commerce, issu de la loi du 15 mai 2001 sur
les nouvelles régulations économiques a donc prévu la
publication de toutes les décisions prises sur le fondement
des articles L. 430-5 à L. 430-8. Lorsque le Conseil de la
concurrence a rendu un avis, celui-ci est rendu public en
même temps que la décision du ministre. Cette publicité est
réalisée dans un but d’information du public au sens large, et
en particulier à l’égard des tiers intervenant sur le marché
concerné par l’opération de concentration et pouvant être
intéressés par celle-ci.
189. Toutes les décisions sont par conséquent publiées au
BOCCRF électronique, accessible depuis le site Internet de la
DGCCRF dédié aux concentrations. En revanche, les
éléments recueillis par la DGCCRF dans le cadre de
l’instruction (dossier de notification des parties, réponses des
clients, concurrents et fournisseurs au test de marché) n’ont
pas vocation à être publiés et sont traités confidentiellement.
190. L’article L. 430-10 prévoit également que certains
éléments des décisions peuvent relever du « secret des
affaires », dont il est reconnu que les entreprises ont un
81
intérêt légitime à le sauvegarder . Les parties notifiantes
disposent d’un délai de quinze jours à compter de la date de
réception de la décision pour indiquer au ministre les
mentions qu’elles considèrent comme relevant du secret des
affaires. Au-delà de ce délai, le ministre considérera que la
publication peut intervenir sans occultation sans nécessiter de
confirmation écrite des parties. En cas de difficultés pour
répondre dans ce délai de 15 jours, les parties sont invitées à
en informer les services du ministre.
191. Le secret des affaires n’est défini ni par la
réglementation, ni par la jurisprudence : on peut seulement en
dire qu’il recouvre les informations dont la divulgation en
dehors de l’entreprise créerait un préjudice difficilement
réversible pour celle-ci.
192. La systématisation des règles d’occultation est délicate,
en raison des particularités
inhérentes à chaque dossier. La détermination de ce qui
relève ou non du secret des affaires ne peut dès lors résulter
que d’une appréciation au cas par cas. Il est par conséquent
impératif que les parties qui demandent l’occultation de
certaines données le fassent d’une manière précise et
circonstanciée.
193. Certains éléments ne peuvent en principe être occultés :
- informations dont la publication est obligatoire en application
de la réglementation en vigueur en France ou dans un autre
pays de l’Union européenne. Si une obligation de publicité
pèse sur les entreprises en vertu de la réglementation, mais
que les entreprises n’ont pas déféré à cette obligation (ex. :
dépôt annuel des comptes au registre du commerce et des
sociétés), les entreprises ne pourront pas alléguer leur
81
Voir aussi :
- en droit communautaire : art. 27 § 2 du Règlement CE n° 1/2003 du
16 décembre 2002 ; art. 16 § 1 du Règlement CE n° 7 73/2004 du 7
avril 2004.
- en droit interne : art. L. 463-4 du Code de commerce, relatif au
Conseil de la concurrence.
manquement pour justifier du caractère confidentiel d’une
donnée.
- informations divulguées par l’entreprise elle-même, au-delà
de ses obligations légales et réglementaires : rapports
annuels, site Internet, …
- informations aisément accessibles : informations issues d’un
retraitement des données publiques (informations figurant sur
des banques de données Internet, informations accessibles
par le biais d’instituts chargés d’études, etc.).
- informations ayant perdu leur importance commerciale (par
l’écoulement du temps ou pour toute autre raison).
- informations faisant partie de l’analyse concurrentielle ou
permettant de définir le périmètre des engagements consentis
par les parties. En particulier, la publication des engagements
comportementaux (description et délais) constitue une
garantie de bonne exécution, en favorisant, en complément
des vérifications effectuées par la DGCCRF, une surveillance
par le marché.
194. Pour les autres données, il appartient aux parties de
justifier leur demande par des éléments prouvant son bienfondé (explication au cas par cas de l’intérêt légitime de
l’entreprise à ne pas divulguer l’information concernée) et de
transmettre au bureau B3 une proposition de version
communicable de la décision.
195. Les demandes d’occultation peuvent notamment porter
sur :
- les informations non chiffrées qui auraient par exemple trait
à des secrets de fabrication, des secrets industriels, à
l’organisation interne ou à la stratégie commerciale de
l’entreprise.
- les données chiffrées : chiffre d’affaires des parties en
82
Europe (étant entendu que le chiffre d’affaires en France et
mondial des parties ne peut généralement pas être occulté
sauf lorsque la société n’a pas d’établissement en France ou
lorsqu’elle revêt une forme juridique particulière), parts de
marché (habituellement remplacées par des fourchettes
indicatives), nombre de salariés, informations financières
(coût de production, prix de revient, marges, projets
d’investissement, …), délais de réalisation des engagements
structurels.
- pour tenir compte des intérêts légitimes de tiers à ce que
leurs secrets d’affaires ne soient pas divulgués, le ministre
peut également occulter ou remplacer par des fourchettes des
mentions qui ne lui auraient pas été signalées par les parties
notifiantes.
196. L’ensemble des demandes fait l’objet d’une appréciation
par les services de la DGCCRF. Les éléments pour lesquels
l’occultation demandée n’aura pas été justifiée, ou aura été
appuyée par des justifications considérées comme
insuffisantes par l’administration, ne seront pas occultés dans
la version publiée de la décision. L’appréciation de la
justification apportée à l’appui de la demande d’occultation
relève des services de la DGCCRF : d’autres informations que
celles figurant dans la liste précitée sont susceptibles d’être
occultées si la demande en est fondée, alors qu’une demande
d’occultation portant sur l’un des éléments mentionnés
précédemment, mais dénuée de justification, ne pourra être
accueillie.
197. En tout état de cause, le ministre n’est pas lié par les
demandes d’occultation formulées par les parties, et il lui
appartient de concilier l’intérêt légitime des parties à protéger
82
il figure dans les comptes annuels, et, comme tel, est public.
74
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
leurs secrets d’affaires et l’intérêt des tiers et du marché à être
informés correctement des analyses menées par le Conseil
de la concurrence et par le ministre, et de la décision de ce
dernier. Il est évident qu’il ne pourra pas être déféré aux
demandes d’occultation d’éléments qui sont le support
nécessaire de la décision et dont l’occultation priverait ladite
décision de son sens à l’égard des tiers.
198. Il a été reconnu par la jurisprudence que le ministre
pouvait décider de publier son appréciation sur une opération
de concentration, même dans l’hypothèse où cette opération a
été abandonnée par les parties notifiantes, dès lors qu’était
respectée l’obligation d’occulter toute mention qui porterait
83
atteinte au secret des affaires .
199. Il est possible d’être informé par message électronique
des décisions ministérielles et des avis du Conseil de la
Concurrence au moment de leur publication au BOCCRF
électronique. Il suffit pour cela de s’abonner à la liste de
diffusion gérée par la DGCCRF.
Il est utile de préciser que c’est seulement à compter de la
publication de la décision au BOCCRF électronique que
commence le délai pour exercer une voie de recours contre la
décision.
2.9.2. Les voies de recours
206. L’acte individuel n’est pas notifié aux tiers. En l’absence
de publication de la décision attaquée, le délai de recours ne
court pas à l’égard des tiers. Le point de départ du délai
opposable aux tiers correspond à la date de publication de la
décision dans l’édition électronique du Bulletin Officiel de la
Concurrence, de la Consommation et de la Répression des
Fraudes (BOCCRF).
207. Rendue possible par l’adoption, en février 2004, de
l’ordonnance relative aux modalités et effets de la publication
86
des lois et de certains actes administratifs , l’édition
électronique du BOCCRF, dont la première est disponible
depuis le 22 juin 2006, entraîne notamment une réduction de
plusieurs mois des délais de publication des décisions de
concentration, auparavant publiées dans la seule édition du
BOCCRF existante, l’édition papier. La sécurité juridique des
entreprises a ainsi été renforcée.
208. Le recours contre une décision ministérielle prise en
matière de contrôle des concentrations économiques est un
recours en annulation pour excès de pouvoir.
Concomitamment à l’exercice de ce recours, le requérant est
fondé à former une requête en référé tendant à la suspension
de la décision en cause.
2.9.2.2 Le recours pour excès de pouvoir
200. Aux termes de l’article R. 311-1 (9°) du Code de justice
administrative, le Conseil d’État est compétent pour connaître
en premier et dernier ressort des recours dirigés contre les
décisions ministérielles prises en matière de contrôle des
concentrations économiques.
201. Sont donc a priori concernés tous les recours contre les
décisions portant sur les concentrations, mais aussi
d’éventuels recours contre des décisions connexes,
84
notamment en matière de publication , ou encore d’agrément
d’un repreneur d’actifs dont la cession conditionne une
85
décision d’autorisation d’une opération de concentration .
202. Ces recours peuvent être introduits par les parties à
l’opération comme par tout tiers ayant un intérêt à agir.
2.9.2.1 Les délais de recours
209. Le recours pour excès de pouvoir est un recours
contentieux tendant à l’annulation d’une décision
administrative (en l’occurrence, prise en matière de contrôle
des concentrations économiques) et fondé sur la violation par
cette décision d’une règle de droit.
2.9.2.2.1 Le contrôle de l’excès de pouvoir opéré par le
Conseil d’État est un contrôle entier
203. Le délai pour former un recours contre une décision
ministérielle prise en matière de contrôle des concentrations
économiques est de deux mois. Le délai de recours
contentieux est un délai franc ; il faut y rajouter le dies a quo
et neutraliser en fin de période les jours fériés.
204. Le point de départ du délai de recours varie selon que le
requérant est la personne visée ou un tiers.
205. Une décision ministérielle prise en matière de contrôle
des concentrations économiques est un acte individuel ; il est
donc rendu opposable à celui qu’il concerne par la voie de
notification. En conséquence, le délai de recours court à
compter du jour de la notification de la décision par le ministre
à l’intéressé.
83
Conseil d’État, 3/8 SSR, 9 mai, 2001, Société anonyme CHEP
France (n° 231320).
84
Conseil d’État, 9 mai 2001, Société Chep France SA, annulant
l’ordonnance du Tribunal administratif de Paris du 26 février 2001.
85
Le 19 mai 2006, les sociétés Fromaget Vins S.A. et Société
Centrale Européenne de Distribution Groupe C10 ont introduit une
requête en annulation de la décision du ministre chargé de l’économie
d’agréer la société Angoulême Boissons aux fins de la reprise de
l’entrepôt de la société Kronenbourg sis à Poitiers, dont la cession a
été enjointe par un arrêté du 26 mai 2005 pris au titre du contrôle des
concentrations et relatif à plusieurs acquisitions d’entrepôts réalisés
par Kronenbourg. A ce jour, le Conseil d’État n’a pas encore statué
sur cette requête. Son juge des référés s’est en revanche prononcé
par une ordonnance du 25 juillet 2006 sur la demande de suspension
de la décision en cause introduite concomitamment à la requête en
annulation par les mêmes sociétés, affirmant alors la compétence de
la Haute Juridiction.
87
210. Dans ses arrêts de section Coca-Cola et Interbrew , le
Conseil d’État s’est prononcé pour la première fois sur la
légalité des interventions ministérielles en matière de
concentration sous le régime de l’Ordonnance du 1er
décembre 1986. Ainsi, le Conseil d’État a examiné la légalité
interne au regard de l’erreur de droit et de l’erreur de fait. Le
juge s’est attaché à rechercher l’erreur de droit au travers de
l’application du contrôle des concentrations par le ministre et
son administration.
211. Quant à l’erreur de fait, le Conseil d’État opère un
contrôle poussé de la qualification des faits. Ainsi, dans son
arrêt Coca-Cola, le Conseil d’État s’est notamment penché
sur la motivation de l’arrêté ministériel. Il a examiné la
régularité de la décision ministérielle en tant qu’elle rejetait les
engagements proposés par les parties, dans la perspective de
réduire les atteintes à la concurrence. Les ministres avaient
en effet relevé que les propositions faites étaient
« insuffisantes en l’espèce en raison de la durée trop courte
de la licence envisagée et de sa portée trop limitée; par suite,
ne retenant pas lesdites propositions, les ministres n’ont pas
procédé à une appréciation erronée ». Dès lors, le Conseil
d’État s’est situé sur le terrain de l’appréciation des faits.
212. Il a alors estimé qu’il incombait aux ministres « dès lors
qu’ils écartaient les propositions d’engagements [...] de définir
les mesures adéquates et proportionnées susceptibles d’être
imposées aux parties à l’opération de concentration [...], qu’il
résulte toutefois des pièces du dossier qu’eu égard à la nature
et à l’importance des effets anticoncurrentiels du projet de
concentration et à la difficulté corrélative de déterminer des
mesures adéquates pour les compenser, la décision prise par
86
Aux termes de cette ordonnance, la publication des actes et
documents administratifs au bulletin officiel d’un ministère diffusé
sous forme électronique dans des conditions garantissant sa fiabilité
produit les mêmes effets de droit que leur publication sous forme
imprimée.
87 Conseil d’État, 9 avril 1999, société Interbrew ; Conseil d’État, 9
avril 1999, The Coca Cola Company
75
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
les ministres de s’opposer purement et simplement à
l’opération projetée ne peut être regardée comme ayant porté
une atteinte excessive à la liberté du commerce et de
l’industrie ». Ainsi par un tel contrôle de proportionnalité, le
Conseil d’État s’attache-t-il à ce qui est nécessaire au
maintien ou au rétablissement d’une concurrence juste et
suffisante, opérant alors un bilan.
213. Par des arrêts de section Fiducial Informatique et
88
Fiducial Expertise (ci-après « arrêts Fiducial ») , le Conseil
d’État, se prononçant sur la légalité d’une décision
d’autorisation prise en matière de contrôle des concentrations
89
après le décret d’application de la loi dite NRE , a confirmé et
précisé le caractère entier du contrôle de légalité qu’il entend
mener.
90
214. Dans cette affaire Fiducial , le Conseil d’État s’est
reconnu la possibilité au titre de ses pouvoirs d’instruction, et
alors même que le Code de commerce ne prévoyait une telle
consultation que par le ministre chargé de l’économie, de
91
saisir pour avis le Conseil de la concurrence , autorité
administrative indépendante, selon ses termes, « habilitée à
analyser, en les complétant par ses propres investigations, les
informations réunies par l’administration sur un projet de
concentration notifié, afin d’éclairer l’autorité compétente sur
les atteintes que ce projet est susceptible de porter à la
concurrence ».
Considérant que cette saisine se justifiait à la fois par la
contradiction de fond qui entachait, selon son juge des référés
(voir supra), la décision en cause et par une demande de
substitution de motifs présentée par le ministre, et estimant
que ces circonstances rendaient impossible de se prononcer
sur la base des éléments dont il disposait, le juge a clairement
indiqué qu’il entendait opérer, au delà du contrôle de droit, un
contrôle des faits.
215. Après avoir invité le Conseil de la concurrence à
compléter par ses propres investigations les informations
réunies par le ministre, et à la lumière de l’avis que l’autorité
administrative indépendante lui a remis, le Conseil d’État a
donné droit, par son arrêt Fiducial du 13 février 2006, à la
demande de substitution de motifs formée par le ministre en
défense, et a considéré que les éléments nouveaux ou
complémentaires invoqué par ce dernier confirmaient les
conclusions de la décision attaquée. Ainsi, le Conseil d’État at-il également rappelé que l’analyse concurrentielle doit être
fondée sur une vision dynamique des marchés en cause.
2.9.2.2.2 Le juge consacre une approche dynamique des
circonstances de droit et de fait
216. Dans l’affaire Interbrew, faisant suite à l’arrêt
d’annulation prononcé par le Conseil d’État, le Gouvernement,
sur demande du ministre en charge de l’économie, a saisi la
section du rapport et des études du Conseil d’État d’une
demande d’avis sur la manière d’exécuter une décision
d’annulation. Celle-ci a considéré, dans sa réponse en date
du 15 juillet 1999, qu’en matière d’exécution de la chose
jugée, il appartient au ministre de statuer sur une éventuelle
nouvelle demande « en prenant en considération les
circonstances de droit et de fait existant à la date d’édiction de
la nouvelle décision à prendre ».
217. L’article 10 du décret n° 2002-689 tire les co nséquences
de cet avis : « En cas d'annulation totale ou partielle d'une
décision prise par le ministre chargé de l'économie et, le cas
échéant, par le ministre chargé du secteur économique
concerné sur le fondement des articles L. 430-5 ou L. 430-7
du Code de commerce et s'il y a lieu à réexamen du dossier,
les entreprises concernées qui ont procédé à la notification
soumettent une notification actualisée dans un délai de deux
mois à compter de la date de notification de l’arrêt du Conseil
d'État ».
218. Cet avis a été confirmé par l’arrêt du Conseil d’État du 6
février 2004 (société Royal Philips), ainsi que par un arrêt du
92
13 février 2006 (société De Longhi). Par ses deux décisions ,
le Conseil d’État a validé le principe d’une analyse dynamique
des marchés en cause. Notamment, par sa décision du 13
février 2006 (société De Longhi), le Conseil d’État a suivi le
ministre en ce qu’il se fondait, non sur une analyse
prospective, mais sur l’évolution réelle des marchés en cause
dans les années qui ont suivi la concentration, cette dernière
n’ayant pas été défaite après l’annulation. Ainsi, une
appréciation différente peut être portée sur l’opération en
fonction d’éléments nouveaux depuis la décision initiale, tels
que de nouvelles acquisitions, un environnement concurrentiel
différent, etc.
219. Dans l’affaire Fiducial, le Conseil de la concurrence, saisi
par le Conseil d’État au titre de ses pouvoirs d’instruction, a
examiné l’opération de concentration dont l’autorisation était
en cause en se fondant notamment sur ses propres
investigations. Or, l’enquête de marché qu’il a réalisé alors est
intervenue près d’un an après l’intervention de l’autorisation.
En conséquence, il a établi la répartition des marchés entre
ses différents acteurs (en terme de part de marché) et mené
une analyse concurrentielle après que la concentration en
cause ait produit des effets. En effet, intervenue le 19 octobre
2004, la décision d’autorisation n’a été suspendue par
ordonnance du juge des référés du Conseil d’État que le 19
mai 2005, soit sept mois après, sept mois au cours desquels
la concentration a produit des effets.
2.9.2.3 Le référé suspension
220. Concomitamment à l’introduction d’un recours en excès
de pouvoir, le requérant est fondé, aux termes de l’article
L.521.1 du code de justice administrative, à demander au juge
des référés du Conseil d’État qu’il suspende la décision
contestée.
2.9.2.3.1 Les conditions de la suspension d’une décision
ministérielle prise au titre du contrôle des concentrations
économiques
221. Comme toute décision administrative, quand une
décision prise au titre du contrôle des concentrations
économiques fait l'objet d'une requête en annulation, le juge
des référés (en l’occurrence, du Conseil d’État), saisi d'une
demande en ce sens, peut ordonner la suspension de
l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets,
lorsque (i) l'urgence le justifie et (ii) qu'il est fait état d'un
moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute
sérieux quant à la légalité de la décision.
222. Dans son ordonnance du 19 mai 2005 suspendant la
décision d’autorisation de l’acquisition par la société CEGID
de la société CCMX Holding, le juge des référés du Conseil
d’État a rappelé que « la condition d'urgence à laquelle est
subordonné le prononcé d'une mesure de suspension, doit
être regardée comme remplie lorsque la décision
administrative contestée préjudicie de manière suffisamment
88
Conseil d’État, arrêt avant dire droit du 20 juillet 2005, Fiducial
Informatique et Fiducial Expertise ; Conseil d’État, 13 février 2006,
Fiducial Informatique et Fiducial Expertise.
89
Décision ministérielle du 19 octobre 2004 autorisant la société
CEGID à prendre le contrôle de la société CCMX Holding.
90
Celle tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 19
octobre 2004 autorisant la société CEGID à prendre le contrôle de la
société CCMX Holding précitée.
91
Conseil d’État, arrêt avant dire droit du 20 juillet 2005 précité.
92
Par l’arrêt du 6 février 2004, le Conseil d’État a annulé la décision
ministérielle d’autorisation de l’acquisition de la société Moulinex par
la société SEB. Conformément à l’article 10 du décret précité, la
société SEB a alors procédé à une nouvelle notification, actualisée,
de l’opération. Le ministre a alors autorisé l’opération. Cette deuxième
décision a fait l’objet d’un nouveau recours en annulation, introduit
devant le Conseil d’État par la société De Longhi. Par son arrêt du 13
février 2006, le Conseil d’État a cette fois rejeté le recours.
76
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du
requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ». Il a alors
relevé « qu'en l'espèce, eu égard à l'objet de la décision
contestée et à ses effets sur le marché qui sont difficilement
réversibles, la condition d'urgence doit être tenue pour
réalisée tant au regard de l'intérêt public en cause qui est le
maintien d'une situation de concurrence effective sur un
marché, objectif protégé par une législation d'ordre public,
qu'à celui des sociétés requérantes qui sont présentes sur ce
même marché en tant que concurrent ou client potentiel ».
223. Quant à la condition qu’il soit fait état d’un moyen propre
à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision, au seul
cas d’espèce, le juge des référés du Conseil d’État l’a
examinée à la lecture des motifs de la décision en cause. Il y
a alors relevé une contradiction, et a considéré que le ministre
ne l’avait pas levée dans ses observations. En conséquence,
après avoir montré que cette contradiction dans les motifs
était de nature à entacher la décision d’une erreur de droit, il a
conclu qu’il existait un doute sérieux sur sa légalité.
224. A la lecture de l’ordonnance du 19 mai 2005 précitée, il
pourrait donc être entendu notamment que le juge des référés
du Conseil d’État semble vouloir retenir que la condition
d’urgence est acquise dès lors que la décision en cause
autorise une concentration économique. Il doit toutefois être
souligné que le juge des référés n’a pas encore eu à
confirmer sa jurisprudence. En effet, il a jugé irrecevable les
deux demandes en référé-suspension relatives à des
décisions prises au titre du contrôle des concentrations
économiques dont il a eu à connaître par la suite à date.
2.9.2.3.2 La recevabilité d’une demande en référé-suspension
est conditionnée à l’effectivité de l’opération objet de la
décision en cause
225. Pour qu’il puisse être fait droit à une demande de
suspension d’une décision administrative, et donc d’une
demande de suspension d’une décision prise au titre du
contrôle des concentrations, la décision en cause doit encore
produire des effets juridiques au jour de la demande. On ne
suspend pas une décision qui a déjà produit tous ses effets.
La question de savoir à partir de quand une décision prise au
titre du contrôle des concentrations a produit tous ses effets
préside donc à l’examen de la requête.
226. Qu'il s'agisse d'une décision autorisant une concentration
ou d'une décision d'agrément d'un repreneur d'actifs cédés au
titre du contrôle des concentrations, le juge des référés du
Conseil d’État considère aujourd'hui clairement que le ministre
se prononce dans chacun de ces cas sur le seul protocole
d'accord de cession qui lui est notifié. Dans ces deux cas, la
décision du ministre se borne à autoriser la cession ; la
cession effective, on doit donc considérer que la décision a
produit tous ses effets, et partant, que la formation d’un
référé-suspension est irrecevable.
227. Dans l’affaire Fromaget Vins et C10, ces derniers
sollicitaient du juge des référés du Conseil d'État qu'il
suspende une décision d'agrément du repreneur d'un actif
dont la cession avait été imposée au titre du contrôle des
er
concentrations. Par ordonnance du 1 juin 2006, le juge
rejetait alors la requête en référé suspension car irrecevable,
considérant « que la société Kronenbourg Holding a cédé le
30 mars 2006 à la société Angoulême Boissons l'intégralité du
capital de la société Elidis Boissons Services Poitiers, les
titres ayant été payés le jour même ; que le fonds de
commerce exploité en location gérance par Elidis Boissons
Services Poitiers a été cédé le 30 mars 2006 à la société
maintenant détenue par Angoulême Boissons [...] ; qu'avant
même l'introduction, le 9 mai 2006, de la requête en référé,
les éléments d'exploitation [...] nécessaires au fonctionnement
effectif et autonome de l'établissement cédé ont été transféré
au repreneur agréé par la décision contestée ; qu'ainsi cette
décision d'agrément était entièrement exécutée à la date de la
requête ».
228. Le juge des référés du Conseil d’État a confirmé cette
acception de la fin des effets d’une décision prise au titre du
contrôle des concentrations autorisant une acquisition par
ordonnance du 25 juillet 2006 (société France Antilles). Dans
cette affaire, la société France Antilles demandait au juge de
suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de
justice administrative, l'exécution de la décision du ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie, en date du 17 mai
2006, autorisant l'acquisition par le groupe l'Est Républicain
de la société Delaroche auprès de la société Socpresse. Le
juge des référés du Conseil d’État a alors conclu ainsi ses
considérants : « Considérant qu'il résulte de l'instruction d'une
part, qu'en vertu de l'acte de cession conclu le 10 avril 2006
entre la société Socpresse et les sociétés Est Bourgogne
Rhône Alpes (EBRA), Le Journal l'Est Républicain et Banque
Fédérative du Crédit Mutuel, le transfert de propriété des
actions de la société Delaroche à la société EBRA, véhicule
constitué par le groupe l'Est Républicain et la Banque
Fédérative du Crédit Mutuel pour l'acquisition, n'était soumis
qu'à la seule condition suspensive de la délivrance de
l'autorisation ministérielle prévue par les articles L. 430-1 et
suivants du code de commerce, laquelle a été accordée sans
condition le 17 mai 2006 ; que d'autre part, par une
délibération du 8 juin 2006, le conseil d'administration de la
société Delaroche a autorisé ce transfert et enregistré la
démission des dirigeants en place et leur remplacement par
des représentants du groupe l'Est Républicain ; qu'enfin, le
même jour, l'acquisition des actions de la société Delaroche a
été intégralement réglée au vendeur ; qu'ainsi, la décision
d'autorisation donnée par le ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie était entièrement exécutée à la date
à laquelle la société FRANCE ANTILLES a introduit sa
requête tendant à la suspension de cette décision ; que par
suite, cette requête n'est pas recevable
77
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
Bibliographie sommaire
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D. WAELBROECK, « Le juge communautaire en matière de concentrations : « Censeur pédagogue » ou juge de la
légalité ? », Concurrences, 2005/4, p. 1
78
LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
Les Entretiens du Palais Royal
CLOTURE DE L’ENTRETIEN
par Mme Laurence IDOT
Professeur à l’Université PanthéonAssas (Paris II)
Laurence Idot
Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
Diplômée de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (service public, 1975) et Docteur d’Etat en droit
(thèse sur « Le contrôle des pratiques restrictives de concurrence dans les échanges
internationaux », Paris II, 1981, dir. B. Goldman), Laurence Idot est également Agrégée des Facultés
de droit (droit privé, 1982).
Successivement professeur des universités détaché à la Faculté de droit de Côte d’Ivoire (19831988), puis à la Faculté de droit de l’Université Paris V-René Descartes (1988-1993), elle a été
rattachée à l’Université Paris I - Panthéon Sorbonne (1993-2007), au sein de l’UFR 07, études
internationales et européennes, chargée des enseignements en droit communautaire de la
concurrence.
Professeur à l’Université Paris II - Panthéon Assas, depuis septembre 2007, rattachée au Collège
européen de Paris, Laurence Idot y est chargée des enseignements en droit de la concurrence.
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LE CONTROLE DES CONCENTRATIONS
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