ISSN 0769-0819 FM N°391 – AVRIL 2016 BICUSPIDIE AORTIQUE E MBRYOLOGIE DE LA VALVE AORTIQUE ET ORIGINE GENETIQUE ET DEVELOPPEMENTALE DE LA BICUSPIDIE VALVULAIRE AORTIQUE S. ZAFFRAN (MARSEILLE) Coordination : Jean-François Aviérinos B ICUSPIDIE AORTIQUE : HÉTÉROGÉNÉITÉ ANATOMIQUE FONCTIONNELLE ET PRONOSTIQUE J.-F. AVIÉRINOS (MARSEILLE) L A PLASTIE AORTIQUE POUR LES BICUSPIDIES : UNE RÉPARATION STABLE À LONG TERME EMMANUEL LANSAC (PARIS) cardiologue presse www.lecardiologue.com FM VOUS AVEZ MANQUÉ UN SUJET ? CONSULTEZ NOS ANCIENS NUMÉROS SUR LECARDIOLOGUE.COM N°389 B EST OF DES GRANDES ÉTUDES 2015 - 2E PARTIE N°388 BEST OF DES GRANDES ÉTUDES 2015 - 1ÈRE PARTIE N°386 APPROCHES MODERNES EN CARDIOLOGIE A PARTIR DE CAS CLINIQUES N°384 27E CONGRÈS DU CNCF - PROGRAMME-ABSTRACTS N°383 C ŒUR ET VOYAGE N°381 L’HYPERTENSION ARTÉRIELLE RÉSISTANTE N°379 BEST OF DES GRANDES ÉTUDES 2014 - 2E PARTIE - TROUBLES DU RYTHME - VALVULOPATHIES - INSUFFISANCE CARDIAQUE - MALADIE VEINEUSE THROMBOEMBOLIQUE - MALADIE ARTÉRIELLE - AVC/AIT www.lecardiologue.com N°391 – AVRIL 2016 SOMMAIRE ÉDITEUR cardiologue presse CARDIOLOGUE PRESSE 13 rue Niepce – 75014 Paris Tél. : 01.45.43.70.76 – Fax : 01.45.43.08.10 Email : [email protected] Site web : www.lecardiologue.com BICUSPIDIE AORTIQUE Coordination de la rédaction : Renaud Samakh Publicité : François Bondu CCC – 32 rue de Paradis – 75010 Paris Tél. : 01.45.23.96.00 – Fax : 01.45.23.96.08 Coordination : Jean-François Aviérinos Directeur artistique : Pascal Wolff RÉDACTION Président et directeur de la publication : Dr Christian Aviérinos Directeur adjoint : Dr Serge Rabenou Rédacteur en chef : Dr Christian Aviérinos Comité scientifique : Pr Victor Aboyans Pr Jean-Paul Bounhoure Dr Thierry Denolle Dr François Diévart Dr Jean-Louis Gayet Dr Robert Haïat Pr Daniel Herpin Pr Christophe Leclercq Pr Jacques Machecourt Dr Marie-Christine Malergue Dr François Philippe Dr Bernard Swynghedauw Comité de lecture : Dr Frédéric Fossati Dr Gérard Jullien Dr Eric Perchicot EDITORIAL IV BICUSPIDIE AORTIQUE : APRÈS 4 SIÈCLES DE SOMMEIL, UNE RENAISSANCE Jean-François Aviérinos VI IMPRESSION KMC Graphic 11 rue Denis Papin - ZI des 50 Arpents 77680 Roissy-en-Brie TARIF 2016 1 an, 10 numéros France : 160 e CEE (hors France) : 180 e Tout autre pays : 275 e Prix « Spécial adhérent » au syndicat, à jour de cotisation : 80 e Prix unitaire : 20 e Adhérent au Cessim et au SPEPS Mensuel réservé au corps médical Commission paritaire : 0119 G 81182 ISNN : 0769-0819 Dépôt légal : à parution Les articles publiés dans la revue Le Cardiologue le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. 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Aviérinos (Marseille) BICUSPIDIE AORTIQUE APRÈS 4 SIÈCLES DE SOMMEIL, UNE R La première description d’une valve aortique bicuspide pourrait être celle qui apparaît vers 1500 dans les cahiers de Léonard de Vinci comme une variante de l’orifice aortique normalement tricuspide. Le Maître avait imaginé que si le créateur avait conçu – ou la nature sélectionné – un orifice aortique tricommissural, c’était en raison de la résistance à la pression diastolique des 3 angles intersigmoïdien obtus créés par l’apposition de 3 sigmoïdes, résistance supérieure à celle générée par les 4 angles droits d’une valve quadricuspide ou les 2 angles plats d’une valve bicuspide. La bicuspidie fut longtemps considérée comme une curiosité exposant à un risque accru de dégénérescence fuyante ou sténosante. En 1928, était rapportée la première association entre bicuspidie, coarctation et dissection aortique, faisant naître le concept de valvulo-aortopathie. En l’absence de grande série, la bicuspidie acquit la réputation de dégénérescence valvulaire obligatoire et précoce, associée à une fragilité pariétale aortique exposant à un risque de dissection similaire à celui du Marfan. « Toute valve aortique bicuspide sera opérée avant l’âge de 60 ans » fut l’aphorisme longtemps diffusé, occultant l’extraordinaire hétérogénéité de la maladie valvulaire et artérielle. La bicuspidie aortique désigne l’ensemble des malformations congénitales de la valve aortique caractérisée par la présence de 2 sigmoïdes fonctionnelles au lieu de 3, résultant de la fusion embryologique de deux coussins endocardiques, ou peut-être de l’absence de l’un d’entre eux. Les différents phénotypes de bicuspidie pourraient résulter de fusions opérées à des stades différents du développement embryonnaire, soit à un stade précoce au moment de la transformation épithélio-mésenchymateuse, générant plutôt les fusions entre sigmoïdes non coronaire et coronaire droite, soit à un stade plus tardif au moment de la septation du truncus, générant la classique fusion entre les deux sigmoïdes coronaires. Ce schéma, peut-être un peu simpliste, est contesté par certains auteurs et des formes tardives de fusion des sigmoïdes non coronaire et coronaire droite ont été décrites. Entre accident non transmissible du développement et déterminisme génétique, l’origine de la bicuspidie est vraisemblablement multifactorielle. Le déterminisme génétique est actuellement admis devant la participation de la bicuspidie au tableau clinique de syndromes manifestement génétiquement déterminés tel le syndrome de Turner, devant l’observation fréquente de cas familliaux justifiant le dépistage chez les apparentés, ainsi qu’à partir de modèles animaux génétiquement modifiés. Néanmoins, les voies génétiques en cause sont indiscutablement multiples et la génétique n’explique pas tout. Les observations de jumeaux monozygotes dont un seul des deux jumeaux est atteint de bicuspidie est fréquente, la haute prévalence de la bicuspidie dans la population contraste avec le faible de taux de transmission ne dépassant pas 10 %, le phénotype de la bicuspidie des enfants est souvent EDITORIAL RENAISSANCE différents de celui des parents et seuls 30 % de la descendance d’animaux avec bicuspidie et délétion génique homozygote sont porteurs de bicuspidie. Clairement, interviennent en plus des facteurs génétiques, des facteurs épigénétiques (rôle des histones), environnementaux telles les contraintes hémodynamiques dans le tube cardiaque primitif et des facteurs dits stochastiques, c’est-à-dire liés au hasard, par nature aléatoires et imprévisibles. A propos de l’aortopathie, sa prévalence atteint 70 % des cas de bicuspidie et augmente avec le temps, ce qui justifie son dépistage systématique et son suivi régulier. Son origine génétique ou acquise est actuellement l’objet d’une vive controverse. Son observation chez des enfants dont la valve bicuspide ne dysfonctionne pas encore, sa progression possible après remplacement valvulaire ainsi que la présence d’anomalies histologiques pariétales proches de celles observées dans le syndrome de Marfan sont autant d’arguments en faveur d’un déterminisme génétique. En outre, dans certaines familles, membres atteints de bicuspidie alternent avec membres atteints de dystrophie de l’aorte ascendante sans bicuspidie. La théorie « hémodynamique » a contrario repose sur le fait qu’une valve bicuspide même indemne de sténose ou de fuite est responsable d’une propagation excentrée du flux dans l’aorte ascendante, en raison de la mobilité réduite de la sigmoïde fusionnée. Des travaux en IRM 4D ont en effet montré la propagation hélicoïdale du flux qui se déploie en spirale dans l’aorte ascendante, générant des contraintes pariétales de cisaillement asymétriques, variables d’ailleurs selon le type de bicuspidie. Il a en outre été montré que les modifications histochimiques aortiques étaient localisées aux zones soumises aux plus hautes contraintes pariétales, faisant de cette dystrophie aortique la conséquence de phénomènes acquis stress dépendants et non pas uniquement génétiquement déterminés. Les deux théories sont manifestement en fait complémentaires. Depuis moins d’une dizaine d’année, le pronostic de la maladie est mieux connu grâce notamment aux travaux menés dans la population, qui ont permis de nuancer les affirmations péremptoires de jadis et de souligner l’hétérogénéité de la distribution des complications. Ces données sont à la fois rassurantes compte tenu de la faible incidence des complications graves rapportées, mais aussi préoccupantes devant la haute morbidité qu’elles décrivent, supérieure à celle générée par toutes les autres cardiopathies congénitales réunies. Parmi les déterminants de cette morbi- EDITORIAL dité, il n’a pas encore été montré de relation entre le phénotype de la bicuspidie et le mode évolutif, encore moins avec une forme génétique, buts ultimes des travaux de recherche en cours. Encore faudra-t-il pour cela, une grande rigueur dans la collection prospective des patients et dans la description phénotypique de la valve, en utilisant les deux classifications complémentaires actuellement proposées. A propos du traitement, la meilleure connaissance du risque aortique explique les modifications du seuil d’intervention chirurgicale en cas d’anévrisme de l’aorte ascendante dans les dernières recommandations. Au niveau valvulaire, les indications chirurgicales en cas de dysfonctionnement sténosant suivent celles du rétrécissement aortique, avec la nécessité fréquente d’associer au remplacement valvulaire un remplacement de l’aorte ascendante. La présence d’une fuite sévère pose le dilemme de l’implantation d’une prothèse mécanique chez un patient souvent jeune, ou d’une prothèse biologique avec la perspective de remplacements valvulaires itératifs. Le mécanisme des dysfonctionnements fuyants est rarement purement supra valvulaire car les anévrismes débutent en général après la jonction et les fuites aortiques sont en règle secondaires au prolapsus de la sigmoïde fusionnée. Chez ces patients, la plastie aortique par correction du prolapsus a peut-être sa place, mais nécessite un geste valvulaire sur une valve par nature pathologique et surtout d’apporter la preuve de la durabilité de la réparation. Les séries chirurgicales sont attendues avec impatience. Bonne lecture. PARTIE 1 EMBRYOLOGIE DE LA VALVE AORTIQUE ET ORIGINE GENETIQUE ET DEVELOPPEMENTALE DE LA BICUSPIDIE VALVULAIRE AORTIQUE S. Zaffran. Marseille LA BICUSPIDIE DE LA VALVE AORTIQUE (BVA), DÉFINIE PAR LA PRÉSENCE DE DEUX SIGMOÏDES FONCTIONNELLES AU LIEU DES TROIS, EST LA MALFORMATION VALVULAIRE CONGÉNITALE LA PLUS FRÉQUENTE, AVEC UNE PRÉVALENCE ESTIMÉE ENTRE 0,5 ET 1,4 % DE LA POPULATION. Cette pathologie touche plus fréquemment les hommes que les femmes (ratio de 3:1). Dans près de 50 % des cas à 20 ans, les patients porteurs de cette malformation développent des dysfonctions valvulaires (insuffisance et/ou sténose aortique) sévères ou des pathologies aortiques comme l’anévrisme ou la dissection aortique. [1] L E DEVELOPPEMENT DE LA VALVE AORTIQUE Nos connaissances sur le développement du cœur et des valves cardiaques ont été essentiellement acquises grâce aux études menées sur les modèles animaux (ex. : poisson zèbre, poulet, souris), illustrant la remarquable conservation évolutive de cet organe chez les vertébrés. LA FORMATION DES COUSSINS ENDOCARDIQUES Chez l’homme, les valves commencent à se former pendant la 5e semaine de gestation (9e jour chez la souris). Les valves sigmoïdes (aortiques et pulmonaires) se développent à partir de structures appelées « coussins » endocardiques situées au niveau de la voie d’éjection du cœur embryonnaire (la région conotroncale - figure page suivante). Initialement, les couches endothéliales et myocardiques du tube cardiaque primitif sont séparées par une matrice extracellulaire (MEC) nommée gelée cardiaque. Après l’inflexion du tube cardiaque primitif et l’acquisition de l’identité des chambres cardiaques, des cellules myocardiques de la région conotroncale vont augmenter Le Cardiologue 391 – Avril 2016 leur production de MEC et ainsi conduire à la formation de protubérances de gelée cardiaque : les coussins endocardiques. L’extension de la gelée cardiaque des coussins endocardiques est immédiatement suivie d’une étape de transition endothélio-mésenchymateuse (TEM) au cours de laquelle des cellules endocardiques, localisées sur la paroi interne du tube cardiaque, se transforment en cellules mésenchymateuses sous l’influence de signaux provenant du myocarde (figure page suivante). Cette transition peut être divisée en trois étapes : 1) l’activation des cellules endocardiques, devenant hypertrophiques ; 2) la perte des liaisons intercellulaires qui leur confère des capacités migratoires ; 3) la migration des cellules mésenchymateuses dans la gelée cardiaque. Il s’agit d’un processus finement régulé par différentes voies de signalisation qui interagissent entre elles. La TEM est principalement initiée par le facteur de croissance TGF-β (facteur de croissance transformant), ainsi que Wnt (sites d’intégration MMTV liés à Wingless), le FGF (facteur de croissance des fibroblastes) et les facteurs BMP2 VII et 4 (voie morphogénétique osseuse), entre autres. Les expériences réalisées sur des tubes cardiaques explantés ont permis de connaître le rôle de la molécule BMP2 lors de l’initiation de la TEM des cellules endothéliales. Si le signal BMP2 est bloqué, le phénomène de TEM ne peut pas se produire. En effet, l’invalidation du gène Bmp2 chez la souris conduit à une létalité précoce des embryons associée à une anomalie de formation des coussins endocardiques. Cette inactivation s’accompagne d’une dérégulation de plusieurs gènes endocardiques comme Nfatc1, Notch1, Twist1 et Msx2. Il est intéressant de voir que l’expression de Has2, qui code l’acide hyaluronique embryonnaire, enzyme nécessaire à la formation de la gelée cardiaque, est également réduite. En conséquence, BMP2 est un facteur clé dans le processus initial de la formation des valves cardiaques. Enfin, différentes études réalisées in vitro sur des modèles de coussins endocardiques tendent à montrer que la voie TGF-β est plutôt nécessaire au maintien de la TEM. La délétion du gène Tgf-β2 chez la souris conduit à une hypertrophie des coussins endocardiques, suggérant un rôle dans la terminaison de la TEM. La voie TGF-β exerce donc un double rôle à la fois dans l’initiation et dans la terminaison de ce processus. Récemment, plusieurs études ont montré que la voie de signalisation NOTCH intervient dans la délimitation du territoire des coussins et dans l’initiation de la transformation des cellules endocardiques. Au cours de la valvulogenèse, le récepteur NOTCH1 est exprimé dans l’endocarde des coussins. Les études sur l’inactivation ou l’activation ectopique de cette voie, nous apprennent que NOTCH est indispensable pour définir les limites des coussins endocardiques, et qu’il est un élément important de l’induction de la TEM. Par exemple, l’activation du récepteur NOTCH1 dans les cellules endocardiques des chambres ventriculaires conduit à la formation de pseudo coussins endocardiques dans les ventricules, démontrant son rôle dans l’établissement du territoire valvulaire. D’autres études ont aussi impliqué la voie de l’oxyde nitrique dans la TEM. Lors de la formation des valves, eNOS (endothelial nitric oxyde synthase), enzyme catalysant une réaction oxydative de la Lariginine conduisant à la libération de radicaux libres de type oxyde nitrique, favoriserait le processus de TEM. Chez la souris, l’expression de cette enzyme est contrôlée par la voie NOTCH, et à son tour eNOS est capable de réguler l’expression de NOTCH1. En 2000, l’invalidation de eNos chez la souris a souligné l’importance de cette voie dans la formation de la valve aortique. [7] Les souris mutantes pour eNos ont une BVA dans 30 % des cas associée à une anomalie de développement des coussins endocardique avec une fusion précoce du coussin postérieur et du coussin septal qui donnera le feuillet droit anormal. Ainsi, la TEM est un processus finement régulé, impliquant de nombreux facteurs et dont probablement tous les effecteurs n’ont pas encore été identifiés. VIII RÔLE DES CELLULES DE LA CRÊTE NEURALE LORS DE LA FORMATION DES VALVES SIGMOÏDES Les valves sigmoïdes se forment en même temps que le septum aorticopulmonaire progresse. En 1983 des études chez le poulet ont montré que la formation de la voie d’éjection du cœur nécessite la participation des cellules de la crête neurale. [8] Les expériences d’ablation du tube neural dorsal chez l’embryon de poulet ont permis d’identifier une sous-population « cardiaque » de la crête neurale, et leur absence est associée à un spectre d’anomalie des gros vaisseaux. [8] Chez la souris, les expériences de lignage génétique ont ensuite montré que les cellules dérivées de la crête neurale cardiaque sont présentes en grand nombre au niveau des coussins de la voie efférente dès l’initiation de la septation du tronc artériel commun. Chez l’homme, ces cellules contribuent à la formation des valves sigmoïdes dès le 22e jour de gestation (figure ci-contre). La contribution de ces cellules est plus importante pour les feuillets valvulaires aortiques et pulmonaires adjacents au septum (feuillets coronaires droit et gauche pour la valve aortique) que pour les feuillets distaux. Une étude plus récente a permis de faire le lien entre la perturbation du comportement de ces cellules et la présence d’anomalies valvulaires. La perturbation des cellules de la crête neurale empêche leur bonne condensation dans la gelée cardiaque des coussins entraînant un mauvais positionnement des coussins endocardiques et un déséquilibre dans la formation des feuillets valvulaires, ce qui conduit dans certain cas à une BVA. [9] L’étude d’un modèle de hamsters syriens présentant 60 % de BVA avaient déjà impliqué ces cellules dans l’apparition de la bicuspdie. Chez ces hamsters, au moment de la septation aortico-pulmonaire, la fusion des coussins septal et pariétal ne se fait pas en leur centre mais au niveau de leurs marges postérieures. Il n’y aura donc pas séparation des feuillets droit et gauche mais formation d’un unique feuillet antérieur issu de la fusion des marges postérieures des deux coussins. Cette fusion est associée à une distribution anormale des cellules musculaires lisses (α-SMA) au sein de la voie efférente. Les cellules musculaires lisses présentes dans la voie efférente dérivant essentiellement des crêtes neurales cardiaques, nous pouvons supposer que des défauts de migration ou d’adhésion de ces cellules conduisent à l’apparition de la BVA. [10] LA MATURATION DES VALVES CARDIAQUES Pendant le remodelage de l’appareil valvulaire, les cellules interstitielles réduisent leur taux de prolifération et commencent à exprimer les composants de la MEC. La maturation des valves se caractérise par une complexification et une réorganisation trilaminaire de la MEC. [11] La stratification en trois couches des Le Cardiologue 391 – Avril 2016 EMBRYOLOGIE DE LA VALVE AORTIQUE ET ORIGINE GENETIQUE… Figure. Le remodelage des coussins endocardiques de la région conotroncale du cœur embryonnaire. Développement pathologique OD VD OG VG Septation aortico-pulmonaire Valve aortique biscupide Cœur embryonnaire Région conotroncale Myocarde Coussins endocardiques Cellules de la crête neurale Cellules mésenchymateuses Développement normal Valve aortique La première étape de la formation des valves sigmoïdes est observée pendant le remodelage des coussins endocardiques (gris). Les cellules endothéliales (gris foncé) se transforment en cellules mésenchymateuses (bleu) sous l’influence de signaux provenant du myocarde (orange). Ce processus est une transformation endothélo-mésenchymateuse. Les cellules de la crête neurale (vert) envahissent les coussins endocardiques afin d’induire la septation aortico-pulmonaire de la région conotroncale du cœur, et participer à la formation des valves sigmoïdes. OD, oreillette droite ; OG, oreillette gauche ; VD, ventricule droit ; VG, ventricule gauche. valves sigmoïdes apparaît vers la 36e semaines de grossesse chez l’homme. Les feuillets des valves sigmoïdes matures possèdent une couche riche en élastine (ventricularis) exposée au flux pulsatile, une couche spongieuse riche en protéoglycans en son milieu (spongiosa) et une couche riche en collagène fibrillaire (fibrosa) sur la face opposée à l’écoulement. Ces couches riches en composés de MEC contribuent aux propriétés biomécaniques distinctes des valves cardiaques. [11] Afin d’acquérir leur forme définitive, les valves sigmoïdes subissent une étape d’excavation par leur face artérielle qui permet l’élongation et l’amincissement des feuillets ainsi que la délimitation des sinus valvulaires au niveau aortique. Cette excavation nécessite une réorganisation de la MEC et en particulier la concentration de fibres de collagènes au niveau de l’anneau fibreux qui connecte la valve au myocarde ventriculaire. Les modèles murins d’inactivation des gènes Adamts5 et Tgf-β2 ont souligné l’importance de la voie TGF-β dans la maturation de la MEC. Les souris mutantes pour Adamts5 ont un défaut d’organisation de la MEC des valves sigmoïdes s’associant dans 15 % des cas à une BVA. La modification de la MEC au niveau de la zone d’insertion des feuillets valvulaires conduirait à un élargissement et une perte de délimitation de ces zones d’insertions au moment de la phase d’excavation. La zone d’insertion ne serait plus assez dense pour maintenir l’endothélium à proximité de la paroi aortique conduisant à la fusion de deux feuillets lors de la maturation valvulaire. Ainsi, une atteinte des étapes de maturation tardive de la valve pourrait aussi conduire à la fusion des sigmoïdes. Le mécanisme moléculaire contrôlant cette excavation reste non connus. O RIGINE GENETIQUE DE LA BICUSPIDIE CHEZ L’HOMME Le caractère héréditaire de la bicuspidie a été suspecté depuis de nombreuses années. Les analyses familiales et les études génétiques ont, en effet, établi que la BVA est un trait héritable, avec environ Le Cardiologue 391 – Avril 2016 9 % de prévalence chez les parents du premier degré et jusqu’à 24 % dans les familles lorsqu’il y a plus d’un membre de la famille touchée. Cette anomalie valvulaire peut être identifiée de manière sporadique IX ou familiale, et peut être présente de manière isolée ou faire partie du tableau clinique de différents syndromes. Le séquençage du génome humain et les avancées technologiques de la génétique moderne ont contribué à la découverte de la cause génétique de nombreuses anomalies cardiaques, dont la BVA. En 2005 en effet, l’étude génétique d’une large famille américaine présentant des pathologies de la valve aortique, dont neuf cas de BVA, a permis l’identification de mutations autosomiques dominantes sur le gène NOTCH1 (locus 9q34.3). [2] Par la suite, le séquençage de ce gène a permis l’identification d’autres mutations au sein de petites familles et dans environ 4 % des cas sporadiques de BVA. Ces mutations génèrent, en général, un transcrit plus court qui conduit probablement à la dégradation de la protéine. D’autres analyses de liaison ont été réalisées et ont associé la présence de la bicuspidie avec les régions 18q, 5q et 13q sans qu’aucun gène candidat ne soit identifié pour le moment. [1] La région 10q qui contient le gène ACTA2, codant la protéine α-actine du muscle lisse (ACTA2), a elle aussi été associée à l’apparition d’anévrisme thoracique et, dans certains cas, d’une BVA. [3] De même, des mutations faux-sens hétérozygotes du gène codant pour le canal potassique KCNQ2 ont été identifiées chez des patients avec un syndrome d’Andersen, associant parfois l’allongement de l’intervalle QT à une BVA. [4] Toutefois, il n’est pas clair si la mutation KCNQ2 est la cause initiale de l’anomalie de la valve aortique. Plus récemment, l’analyse d’une translocation t(1 ;5)(p36.11 ;q31.2) connue pour être associée à certaines cardiopathies congénitales dont la BVA a permis d’identifier le gène MATR3 (nuclear matrix Matrin 3), comme gène candidat de cette pathologie. [5] Enfin, de rares variants dits « faux sens » ont été identifiés sur le gène GATA5 dans certains cas familiaux de BVA. [6] Bien que ces résultats confirment indiscutablement l’origine génétique de la BVA, les mécanismes moléculaires intimes sous-jacents reliant l’anomalie génétique à la fusion embryologiques des sigmoïdes restent non connus ; en outre, aucune anomalie génétique à ce jour n’a pu être corrélée au pronostic de la maladie valvulaire. C ONCLUSION En résumé, l’augmentation de nos connaissances des voies moléculaires régulant le développement de la valve aortique commence à avoir des répercussions sur notre compréhension de l’origine de la BVA. Comme prévu, l’identification des gènes importants pour la morphogenèse de la valve aortique a contribué à la découverte de mutations responsables de malformations congénitales de cette valve, et permettra dans le futur d’accélérer nos découvertes sur l’étiologie de cette pathologie. Une meilleure compréhension des causes génétiques de cette anomalie aura sans aucun doute une incidence sur la prédiction de la morbidité à long terme de la BVA. n RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Siu SC, Silversides CK. Bicuspid aortic valve disease. Journal of the American College of Cardiology. 2010;55(25):2789-800. mous variations in the transcriptional activation domains of GATA5 in bicuspid aortic valve disease. Journal of molecular and cellular cardiology. 2012;53(2):277-81. [2] Garg V, Muth AN, Ransom JF, Schluterman MK, Barnes R, King IN, et al. Mutations in NOTCH1 cause aortic valve disease. Nature. 2005;437(7056):270-4. [7] Lee TC, Zhao YD, Courtman DW, Stewart DJ. Abnormal aortic valve development in mice lacking endothelial nitric oxide synthase. Circulation. 2000;101(20):2345-8. [3] Guo DC, Pannu H, Tran-Fadulu V, Papke CL, Yu RK, Avidan N, et al. Mutations in smooth muscle alpha-actin (ACTA2) lead to thoracic aortic aneurysms and dissections. 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L’élément central de la définition est donc la malformation d’au moins une commissure et la fusion des 2 sigmoïdes que cette commissure était censée séparer. [1] La bicuspidie aortique comprend donc un large spectre de malformations de la valve aortique depuis les formes anciennement appelées bicuspidie pure caractérisées par la présence de 2 sigmoïdes, 2 sinus et 2 commissures, jusqu’à des formes plus ou moins avortées de valve tricommissurale avec présence de 3 sinus et parfois même fusion partielle des 2 sigmoïdes. La marque anatomique de la fusion embryologique peut être visible sous la forme d’une petite crête plus ou moins épaisse et plus ou moins calcifiée appelée raphé. La bicuspidie est la plus fréquente des cardiopathies congénitales et sa prévalence est estimée entre 0,5 et 1,4 % de la population générale, soit une incidence de 10 à 16 000 nouveaux cas par an en France, ce qui en fait une valvulopathie presqu’aussi fréquente que le prolapsus valvulaire mitral. Il existe une prépondérance masculine avec un sexe ratio homme femme de 3/1. C LASSIFICATIONS CLASSIFICATION DE SIEVERS (figure 1 page XII) Une première classification des valves bicuspides a été proposée en 2007 par Sievers, distinguant les différents phénotypes de valve bicuspide en fonction de la présence et du nombre de raphés. [1] ■■ Le type 0 correspond aux anciennes bicuspidies pures caractérisé par l’absence de raphé et la présence de 2 sigmoïdes de taille sensiblement égale avec en général 2 sinus (ancienne bicuspidie pure). Selon l’orientation des 2 sigmoïdes, on distingue le type 0 latéral du type 0 antéro-postérieur. La prévalence du type 0 se situe aux alentours de 5-7 %. ■■ Le type 1 est défini par la présence d’un raphé le plus souvent entre Le Cardiologue 391 – Avril 2016 les 2 sigmoïdes coronaires, parfois entre la sigmoïde non coronaire et la sigmoïde coronaire droite, exceptionnellement entre la noncoronaire et la coronaire gauche. Le type 1 avec raphé inter-coronaire est de loin le phénotype de bicuspidie le plus fréquent avec une prévalence d’environ 70 %. ■■ Enfin le type 2 est défini par la présence de 2 raphés en général entre la non-coronaire et la coronaire droite et entre les 2 sigmoïdes coronaires, la seule commissure libre étant celle séparant la sigmoïde non coronaire et la sigmoïde coronaire gauche. Ce type de bicuspidie, anciennement appelée valve unicuspide, est de très loin le plus rare avec une prévalence de moins de 5 %. La difficulté de visualiser certains raphés peu marqués dans la XI 0 raphé - Type 0 lat 13 (4) ap 7 (2) 1 raphée - Type 1 L-R 216 (71) R-N 45 (15) 2 raphés - Type 2 N-L 8 (3) concavité des sigmoïdes ainsi que les études génétiques en cours visant à tenter de corréler un génotype au phénotype ont conduit à préférer une classification plus embryologique reposant non plus sur la présence ou l’absence de raphé mais sur la localisation de la fusion embryologique. Les deux classifications en fait sont complémentaires. CLASSIFICATION « EMBRYOLOGIQUE » (figure 2 page XIII) Cette classification distingue 3 types de bicuspidie selon l’orientation de l’axe intercommissural, en utilisant l’orifice aortique en coupe petit axe transthoracique comme le cadran d’une montre. [2] Le type 1 ou phénotype typique correspond à la fusion embryologique des sigmoïdes coronaires droite et gauche (forme CD-CG), qu’il y ait ou non présence d’un raphé et que ce raphé soit complet ou partiel. Dans ce type de bicuspidie, l’axe intercommisural est habituellement situé en position 10h00-16h00, plus rarement 9h0015h00 ou 11h00-17h00. Les 2 coronaires naissent de la même sig- Figure 1. Classification de Sievers (d’après référence 1) L-R/R-N 14 (5) moïde (sigmoïde antérieure). Ce type de bicuspidie est de loin le plus fréquent, représentant 70 à 80 % des cas. Le type 2 correspond à un phénotype atypique résultant de la fusion embryologique de la sigmoïde non coronaire et de la sigmoïde coronaire droite (forme NC-CD). Dans ce type de bicuspidie, l’axe intercommissural est habituellement en position 13h00-19h00, parfois 12h00-18h00. Le raphé peut être présent ou absent et les 2 coronaires naissent chacune d’une sigmoïde différente. La prévalence de ce phénotype est estimée entre 20 et 30 %. Le type 3 correspond à un autre phénotype atypique résultant de la fusion embryologique de la sigmoïde non coronaire et de la sigmoïde coronaire gauche (forme NC-CG). L’axe intercommissural dans ce cas est situé en position 14h00-20h00. Le raphé peut être présent ou absent et les coronaires naissent chacune d’une sigmoïde différente. Ce phénotype représente moins de 1 % des cas. La distinction de ces différents phénotypes est bien sûr facilitée par la présence d’un raphé qui signe la fusion embryologique et par l’identification de la sigmoïde non coronaire qui par définition est toujours à cheval sur le septum interatrial. P RONOSTIC PRÉSENTATION ÉCHOGRAPHIQUE : NOTION DE VALVULO-AORTOPATHIE Le diagnostic de valve aortique bicuspide repose sur la visualisation en systole en coupe petit axe de l’aspect typique en double croissant. En coupe parasternale longitudinale grand axe, les sigmoïdes, même XII fines, ont très souvent un aspect en canne de golf en systole et la dilatation de la chambre de chasse est fréquente avec un diamètre souvent proche de 30 mm voire supérieur. Les diamètres des sinus (segment 0), de la jonction et du segment I (aorte tubulaire) doivent être mesurés en diastole. L’absence de tout dysfonctionnement valvulaire au moment du diaLe Cardiologue 391 – Avril 2016 BICUSPIDIE AORTIQUE : HETEROGENEITE ANATOMIQUE… gnostic est observée dans 30 % des cas dans les études menées dans la population. [3] La valve peut alors être fine et non calcifiée ou présenter, dans 15 % des cas environ, une dégénérescence valvulaire débutante sous la forme d’un épaississement et/ou de calcifications des sigmoïdes. [3] Un dysfonctionnement valvulaire sténosant ou fuyant, tous grades confondus, est observé dès le diagnostic chez environ 70 % des patients. [4] Le mécanisme le plus fréquent des fuites aortiques est un prolapsus de la sigmoïde fusionnée, plus rarement une restriction valvulaire, exceptionnellement un prolapsus de la sigmoïde non fusionnée. La dilatation de l’aorte ascendante est observée dans plus de 80 % des cas de bicuspidie et débute typiquement après la jonction sino tubulaire dans 2/3 des cas sans lien avec le type de fusion embryologique. Dans 1/3 des cas la dilatation intéresse la racine, comme dans le syndrome de Marfan, et en général ce phénotype « racine » est associé aux formes CD-CG. La haute prévalence de cette dystrophie de l’aorte ascendante justifie pleinement à propos de la bicuspidie l’appellation de valvulo-aortopathie. PRONOSTIC VALVULAIRE Le dénominateur commun à tous les travaux consacrés au pronostic de la bicuspidie, qu’elle ait été diagnostiquée dans la communauté ou dans un centre de référence, est de ne pas avoir montré d’excès de mortalité par rapport à la population générale de même âge et de même sexe. [3-4] En revanche, la bicuspidie aortique est associée à une morbidité supérieure à celle générée par toutes les autres cardiopathies congénitales réunies, à tel point qu’il fut longtemps écrit que toutes les valves bicuspides étaient opérées avant l’âge de 60 ans. Cet aphorisme mérite toutefois d’être nuancé à la lumière des travaux menés dans la population parmi les habitants du Comté d’Olmsted limitant ainsi les biais de sélection des centres tertiaires. Ainsi, au sein de plus de 200 patients porteurs d’une bicuspidie aortique asymptomatique, âgés en moyenne de 32 ans et sans dysfonctionnement valvulaire au moment du diagnostic, l’incidence à 20 ans des évènements cardiovasculaires étaient de 33 %, événements incluant mortalité cardiovasculaire, insuffisance cardiaque, AVC et Figure 2. Classification embryologique (d’après référence 2) Type I : Phénotype Typique : fusion embryologique des sigmoïdes coronaires droite et gauche, sans raphé ou avec raphé complet ou partiel (prévalence : 70 à 80 %). R R R 11 10 9 3 5 4 L N N Type II : Phénotype Atypique : fusion embryologique des sigmoïdes non coronaire et coronaire droite (prévalence : 20 à 30 %). Atypical 12 1 L N Type III : Phénotype Atypique ; fusion embryologique des sigmoïdes non coronaire et coronaire gauche (prévalence : 1 %). R R L 7 L L 6 N Le Cardiologue 391 – Avril 2016 N XIII endocardite. [3] Vingt-cinq pourcent avaient subi un remplacement valvulaire aortique, en moyenne onze ans après le diagnostic, à un âge moyen de 49 ans au moment de la chirurgie, essentiellement indiqué pour sténose aortique (70 % des indications). Enfin, l’incidence de l’ensemble des événements cardiovasculaires médicaux et chirurgicaux était proche de 50 % à 20 ans. Plusieurs remarques étaient soulignées : le jeune âge des patients au moment de la chirurgie, intervenant en moyenne 20 ans plus tôt que dans la population générale, la faible incidence d’endocardite infectieuse (4 patients sur un suivi moyen de 15 ans) et l’hétérogénéité de la répartition des complications. Les deux facteurs de risque indépendants de survenue d’une complication médicale ou chirurgicale étaient en effet un âge supérieur à 50 ans et surtout la présence d’une dégénérescence valvulaire au moment du diagnostic, laquelle était observée dans 13 % des cas malgré l’absence de dysfonctionnement fuyant ou sténosant. Parmi les patients présentant une dégénérescence valvulaire dès le diagnostic, sous la forme d’un épaississement des sigmoïdes ou de la présence de calcifications, l’incidence des événements médicaux et chirurgicaux augmentait de façon exponentielle entre 5 et 10 ans pour atteindre plus de 70 % de patients à 20 ans, contre 25 % en l’absence de dégénérescence. Observation décevante, le phénotype de la bicuspidie n’était pas associé aux événements médico-chirurgicaux, soulignant l’importance du suivi clinique et échographique chez tous les patients quel que soit le type de bicuspidie. PRONOSTIC AORTIQUE Dans le travail précédent, 40 % des patients présentaient un anévrisme de l’aorte thoracique à la fin du suivi contre 15 % au moment du diagnostic. L’incidence du remplacement de l’aorte ascendante n’était néanmoins que de 5 % à 20 ans et aucune dissection n’a été rapportée pendant le suivi. Ce dernier point contraste avec la réputation de fragilité accrue de la paroi de l’aorte ascendante chez ces patients et la documentation d’une dégénérescence de la média similaire à celle observée dans le Marfan. Ces données ont été complétées par un autre travail toujours mené dans la population d’Olmsted, parmi 416 patients avec bicuspidie dont l’âge au moyen au diagnostic était de 35 ans, en incluant cette fois les dysfonctionnements valvulaires fuyant ou sténosant au diagnostic. [4] Au terme d’un suivi moyen de 16 ans, seules deux dissections aortiques ont été observées, l’une chez un patient avec sténose valvulaire aortique, l’autre après remplacement valvulaire aortique. Malgré cette très faible incidence (0,5 % à 25 ans), le risque de dissection est apparu néanmoins supérieur à celui de la population générale avec un risque relatif estimé à 8. Le faible taux d’événement n’a pas permis de définir des facteurs de risque de dissection. Il est à noter toutefois que le diamètre de l’aorte ascendante des deux XIV patients victimes de dissection était respectivement de 50 et 52 mm à la dernière évaluation échographique avant la dissection. Ce faible taux de dissection contrastait avec une incidence de 26 % à 25 ans de survenue d’un anévrisme de l’aorte ascendante parmi les 380 patients sans anévrisme aortique au diagnostic. Le risque relatif de développement d’un anévrisme de l’aorte ascendante par rapport à la population générale était estimé à plus de 80 en choisissant comme valeur seuil de définition un diamètre > 45 mm. Les facteurs de risque de dilatation anévrysmale de l’aorte ascendante pendant le suivi était la présence d’une sténose valvulaire aortique et d’une dilatation aortique supérieure à 40 mm au moment du diagnostic. Là, encore le phénotype de la bicuspidie n’était pas un facteur de risque d’événement aortique. En conclusion, la grande disproportion entre l’incidence élevée d’anévrisme aortique et très faible de dissection suggérait que le diamètre de l’aorte n’était pas le seul facteur de risque de survenue d’une dissection aortique. En outre, la survenue d’anévrisme aortique chez des patients dont le diamètre initial de l’aorte ascendante était strictement normal suggérait que le suivi aortique devait être systématique chez tous les patients porteurs de bicuspidie, quel que soit son phénotype et quel que ce soit le diamètre aortique initial. Enfin, le pronostic aortique après remplacement valvulaire a été étudié dans un travail ayant inclus rétrospectivement plus de 1200 patients avec bicuspidie aortique ayant bénéficié d’un remplacement valvulaire aortique isolé entre 1960 et 1995. [5] Parmi eux, près de 800 patients avaient un diamètre strictement normal au moment de la chirurgie valvulaire alors que 500 avaient un diamètre de l’aorte ascendante > 40 mm. Aucune différence en termes de mortalité totale et de mortalité cardiovasculaire postopératoire n’était observée entre les patients avec et sans dilatation de l’aorte ascendante au moment de la chirurgie valvulaire initiale. En revanche, les patients dont le diamètre aortique était > 40 mm au moment de la chirurgie étaient exposés à un risque légèrement supérieur de développer un évènement aortique, critère de jugement composite regroupant survenue d’une dissection aortique, survenue d’un anévrisme de l’aorte ascendante (diamètre aortique ≥ 50 mm) ou nécessité d’une nouvelle chirurgie pour remplacement de l’aorte ascendante. L’incidence de ces événements est néanmoins restée faible dans les deux groupes (25 % vs 12 %), notamment le nombre de dissection aortique (4 au total dont 3 dans le groupe avec diamètre initial > 40 mm), l’essentiel des évènements étant représenté par la survenue d’une dilatation aortique. En conclusion de ce travail, on retiendra que le risque de complication aortique persiste malgré le remplacement valvulaire justifiant la poursuite de la surveillance postopératoire des diamètres aortiques. Néanmoins, l’incidence des complications aortiques graves reste faible, incitant à bien peser au moment du remplacement valvulaire aortique l’indication de remplacement de l’aorte ascendante, lequel double la mortalité opératoire. Le Cardiologue 391 – Avril 2016 BICUSPIDIE AORTIQUE : HETEROGENEITE ANATOMIQUE… C ONCLUSION - RECOMMANDATIONS La bicuspidie aortique est caractérisée par l’hétérogénéité de sa présentation anatomique et fonctionnelle et par celle de son pronostic. La mortalité qui lui est associée reste faible et semble non significativement différente de celle de la population générale. En outre les complications valvulaires et aortiques graves telles l’endocardite infectieuse et la dissection semblent peu fréquentes. L’aortopathie de la bicuspidie reste néanmoins une réalité relevant vraisemblablement à la fois d’un déterminisme génétique et acquis ; bien que présentant de réelles similitudes histologiques avec la maladie de Marfan, elle en diffère radicalement par un pronostic beaucoup plus favorable. Ce dernier point explique le retour à la valeur de 55 mm comme seuil de remplacement de l’aorte ascendante dans les dernières recommandations. Ces éléments rassurants ne doivent pas occulter la lourde morbidité attachée à la bicuspidie, essentiellement représentée par un risque élevé de remplacement valvulaire aortique pour sténose valvulaire en général 20 ans plus tôt que chez les patients avec valve tricommissurale. Le diagnostic de bicuspidie est affirmé la plupart du temps par l’échographie cardiaque transthoracique, l’échographie transoesophagienne n’étant pas obligatoire. Le suivi de l’aorte ascendante doit être régulier chez tous les patients y compris ceux qui ont été opérés. En cas d’images échographiques non optimales ou de diamètre de l’aorte ascendante > 45 mm, la confirmation par un autre moyen d’imagerie (angioscanner ou angio-IRM) est requise. En cas de bonne concordance, le suivi peut alors être réalisé par échographie transthoracique pour ne réserver un nouveau contrôle par scanner ou IRM qu’en cas de progression ou si le diamètre dépasse 50 mm. Les bêtabloquants sont logiquement recommandés en cas d’hypertension artérielle ; ils sont acceptés en son absence en cas de diamètre de l’aorte ascendante supérieur à 40 mm mais avec un faible niveau de recommandation (recommandation de classe 2B) et sans aucune preuve scientifique à ce jour. [6] Le dépistage des apparentés du premier degré est encouragé (recommandation de classe 2 A). Les indications de remplacement valvulaire aortique suivent les recommandations de la sténose aortique et de l’insuffisance aortique. Le remplacement de l’aorte ascendante est recommandé en cas de diamètre de l’aorte ascendante supérieur à 55 mm, quel que soit le niveau, ou de diamètre supérieur à 50 mm en présence de facteur de risque (histoire familiale de dissection ou progression des diamètres de plus de 5 mm par an). Enfin, le remplacement de l’aorte ascendante est accepté au-delà d’un diamètre de 45 mm dès lors qu’existe une indication de remplacement valvulaire. n RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Sievers et al. J Thorac Cardiovasc Surg 2007;133:1226-33. [5] McKellar ; Am J Cardiol 2010;106:1626-33. [2] Michelena ; Circulation. 2014;129:2691-704. [6] 2014 ESC Guidelines on the diagnosis and treatment of aortic diseases; European Heart Journal (2014) 35, 2873-926. [3] Michelena ; Circulation. 2008;117:2776-84. [4] Michelena ; JAMA. 2011;306(10):1104-12. Le Cardiologue 391 – Avril 2016 XV PARTIE 3 LA PLASTIE AORTIQUE POUR LES BICUSPIDIES : UNE REPARATION STABLE A LONG TERME E. Lansac. Paris, I. Di Centa. Suresnes n En présence d’une valve bicuspide, le remplacement de l’aorte est indiqué lorsque son diamètre dépasse 55 mm, ou 50 mm en présence de facteurs de risque (HTA, coarctation, antécédent familiaux ou une croissance anévrismale ≥ 3 mm par an) ou 45 mm si l’indication première est valvulaire. n La plastie aortique s’adresse aux patients porteurs d’une insuffisance aortique dystrophique à valves souples non rétractées bicuspides ou tricuspides. Le phénotype de l’aorte ascendante peut être soit un anévrisme de la racine aortique (diamètre des sinus de Valsalva supérieur à 45 mm), un anévrisme sus-coronaire (diamètre des sinus de Valsalva inférieurs à 40 mm) ou d’insuffisance aortique isolée (tous les diamètres inférieurs à 40 mm). n La coupe petit axe définit le type de fusion de la bicuspidie (droite-gauche par exemple pour la forme la plus fréquente), le nombre de raphé (0 ou I) et l’orientation des commissures (120° et 180°). La présence de deux raphés signe une unicuspidie. n La coaptation valvulaire se décompose en 2 paramètres : la hauteur de coaptation (Hc) (normale 4-5 mm) et la hauteur effective (He) correspondant à la distance entre le plan de l’anneau et le sommet de la coaptation valvulaire (normale 9-10 mm). n La plastie aortique des valves bicuspides donne des résultats satisfaisants, superposables à ceux des plasties de valves aortiques tricuspides. n Le principe de la plastie aortique dans les bicuspidies (0 raphé ou I raphé) est de transformer la valve en bicuspidie symétrique afin d’aligner la longueur du bord libre de la valve fusionnée sur celle de la valve non fusionnée. La réparation est systématiquement protégée par une annuloplastie sous-valvulaire afin d’augmenter le surface de coaptation valvulaire. L a majorité des patients porteurs d’une bicuspidie aortique sera opérée d’une sténose aortique (80 % des cas) ou d’une insuffisance aortique (IA) associée dans 15 à 40 % des cas à un anévrisme de l’aorte ascendante. [1] Un remplacement de l’aorte est indiqué lorsque son diamètre dépasse 55 mm, ou 50 mm en présence de facteurs de risque ou d’une croissance anévrismale ≥ 3 mm par an [2]. Si l’indication chirurgicale première est la valvulopathie aortique, le seuil de replacement de l’aorte ascendante ou de la racine aortique est abaissé à 45 mm de diamètre (figure 1). [2] Bien que la plupart des bicuspidies fuyantes soient accessibles à une réparation, elles sont encore majoritairement traitées par un remplacement valvulaire isolé, ou combiné au remplacement de la racine aortique avec réimplantation des artères coronaires en cas XVI d’anévrisme de la racine (intervention de Bentall). Une méta analyse récente regroupant 7 000 patients ayant eu un Bentall mécanique montre un taux de mortalité à long terme de 2,4 %/patients année, (soit 24 % à 10 ans) et un taux majeur d’événements liés à la valve (accidents thromboemboliques, hémorragiques, endocardite, réopération) de 3,7 %/patient année (soit 37 % à 10 ans) avec une altération de la qualité de vie significative par rapport à la plastie aortique. [3, 4] Dans la continuité de la réparation mitrale, la plastie aortique ouvre de nouveaux horizons pour cette population jeune (âge moyen 47 ans pour les patients ayant une valve bicuspide [5]), avec des résultats très encourageants sous réserve d’une standardisation technique associant la resuspension des feuillets (traitement du prolapsus) à une annuloplastie sous-valvulaire. Le Cardiologue 391 – Avril 2016 LA PLASTIE AORTIQUE POUR LES BICUSPIDIES Figure 1. Recommandations de prise en charge chirurgicale des dystrophies aortiques à valves bicuspides Anévrisme Racine aortique IA isolée Sus-coronaire Symptômes Symptômes Asymtomatiques et FE < 50 % et/ou DTSVG > 50 mm (25 mm/m2) et/ou DTDVG > 70 mm Ø ≥ 55 mm Ø ≥ 50 mm si FDR : coarctation, HTA, antécédents familiaux ou personnel de dissection ≥ 3 mm/an Ø ≥ 45 mm valvulopathie aortique d’indication chirurgicale Ø ≥ 25-27 mm/m2 syndrome de Turner Figure 2. Classification lésionnelle des insuffisances aortiques basée sur le phénotype de l’aorte ascendante (A) : anévrisme de la racine aortique, anévrisme de l’aorte sus-coronaire et insuffisance aortique isolée, et sur l’analyse de la direction du jet et des mécanismes de l’insuffisance aortique (IA) (B). A - Phénotypes de l’aorte ascendante Anévrisme de la racine Valsalva ≥ 45 mm Anévrisme sus-coronaire Valsalva ≤ 40 mm IA isolée Tous les Ø ≤ 40 mm B - Direction du jet et macanisme de l’IA IA centrale par dilatation des diamètres (type I) Le Cardiologue 391 – Avril 2016 IA excentrée par prolapsus valvulaire (type II) Rétractation valvulaire (type III) XVII Figure 3. Analyse des orientations commissurales et morphologies associées de l’anneau aortique : valve tricuspide, bicuspide, unicuspide. Valve aortique tricuspide Valve bicuspide 0 raphé 1 raphée Commissures à 180° Commissures 120° à 180° Type 0 Commissures à 120° ANALYSE ÉCHOGRAPHIQUE : CRITÈRES DE RÉPARABILITÉ L’échocardiographie est un élément clé de cette prise en charge chirurgicale. La coupe grand axe analyse les 4 diamètres aortiques, les mouvements valvulaires et la direction du jet de l’IA (figure 2). En fonction du diamètre des sinus de Valsalva, on distingue 3 phénotypes : les anévrismes de la racine (sinus ≥45 mm), les anévrismes sus-coronaires (sinus < 40 mm) et les IA isolées (tous les diamètres < 40 mm). Il existe dans la majorité des cas une dilatation du diamètre de la base de l’anneau (> 25 mm). La fuite aortique peut être centrale par dilatation des diamètres aortiques (type I), excentrée par prolapsus valvulaire (type II) ou restrictive (large jet central ou/ou excentré) par rétraction valvulaire (type III). [6] A l’instar de la valve mitrale, les insuffisances aortiques à valves souples (type I et II) sont des bons candidats à la réparation par rapport aux valves rétractées (type III). La coupe petit axe définit le type de fusion de la bicuspidie (droiteXVIII Valve unibicuspide Type 1 2 raphés gauche par exemple pour la forme la plus fréquente), le nombre de raphé (0 ou I) et l’orientation des commissures (120° et 180°) (figure 3). L’analyse détaillée des commissures recherche des petits raphés (fusion valvulaire partielle) signant une bicuspidie quelle que soit l’orientation commissurale. La présence de deux raphés signe une unicuspidie. L’évaluation de la coaptation valvulaire se décompose en 2 paramètres (figure 4) : la hauteur de coaptation (Hc) mesurée à l’endroit où le jet est maximal et la hauteur effective (He) correspondant à la distance entre le plan de l’anneau et le sommet de la coaptation valvulaire. [6] SCANNER CARDIAQUE SYNCHRONISÉ Il confirme les diamètres de l’aorte ascendante tubulaire et des sinus de Valsalva (mesure du diamètre interne fond du sinus à fond du sinus en coupe horizontal double oblique), analyse la crosse aortique et les artères coronaires, en précisant notamment la localisation et la hauteur des ostia (figure 5). Par ailleurs, il analyse la forme de l’anLe Cardiologue 391 – Avril 2016 LA PLASTIE AORTIQUE POUR LES BICUSPIDIES Figure 4. Analyse échographique de la hauteur effective de coaptation (He : distance entre la base de l’anneau aortique et le sommet de la coaptation valvulaire). Figure 5. Analyse tomodensitométrique de la valve bicuspide et de la racine aortique : (A) Anévrisme de la racine aortique à valve bicuspide, coupe transversale (mesure du diamètre de la racine aortique du fond du sinus au fond du sinus diamètre interne), (b) vue endoluminale d’une valve bicuspide avec raphé, (c) et (d) aspect en reconstruction 3D d’une Insuffisance aortique isolée à valve bicuspide, avec hypoplasie d’un triangle souscommissural (flèche, d). Figure 6. Approche chirurgicale physiologique et standardisée de la plastie aortique en fonction des phénotypes de l’aorte ascendante à valves bicuspides Phénotypes de l’aorte ascendante Anévrisme de la racine aortique Sinus de Valsalva Ø ≥ 45 mm Anévrisme sus-coronaire Sinus de Valsalva Ø ≥ 40 mm IA isolée Tous les Ø ≥ 40 mm Une approche physiologique et standardisée de la réparation valvulaire aortique Reconstruction de la racine Tube sus-coronaire + annuloplastie sous-valvulaire (anneau > 25 mm) Remodeling + annuloplastie sous-valvulaire Annuloplastie sus-valvulaire (STJ > 35 mm) Annuloplastie sous-valvulaire (anneau > 25 mm) Réparation valvulaire Alignement des longueurs de bord libre Le Cardiologue 391 – Avril 2016 Resuspension de la hauteur effective Annuloplastie sous-valvulaire aortique XIX neau aortique, en fonction des hauteurs des triangles sous-commissuraux et de l’orientation commissurale. L’hypoplasie d’un triangle sous-commissural signe une bicuspidie, celle de deux triangles, une valve unicuspide. PRINCIPES DE LA PLASTIE AORTIQUE Le principe de la plastie aortique est de réduire les diamètres aortiques dilatés et de réparer les lésions valvulaires, tout en préservant l’anatomie dynamique de l’aorte (figure 6). L’objectif de la réparation valvulaire est de transformer toutes les bicuspidies (0 raphé ou I raphé) en bicuspidies symétriques afin d’aligner la longueur du bord libre de la fusionnée sur celle de la valve non fusionnée. [5] La réparation est complétée par une resuspension de la hauteur effective des feuillets, puis elle est systématiquement protégée par une annuloplastie sous-valvulaire afin d’augmenter la surface de coaptation. [5, 7] En cas d’anévrisme de la racine, le remplacement des sinus de Valsalva selon la technique du remodeling avec réimplantion des coronaires permet de positionner les commissures à 180 degrés. En cas d’anévrisme de l’aorte tubulaire sans dilation des sinus de Valsalva, seul un tube sus-coronaire sans réimplantion des coronaires sera réalisé. La réparation des valves unicuspides (2 raphés) est plus complexe car elle nécessite la reconstruction d’une commissure en péricarde autologue pour une bicuspidisation symétrique. Elle ne se justifie qu’en pédiatrie ou chez l’adulte jeune en alternative à une bioprothèse ou une intervention de Ross. Les résultats des réparations des valves bicuspides sont stables à long terme et superposables à ceux des valves tricuspides avec une meilleur qualité de vie par rapport au remplacement valvulaire prothétique. L’indemnité de réopération, de récidive d’IA ≥ grade 2 et la survie à 10 ans sont respectivement de 95 %, 90 % et 91 % en cas d’anévrisme de la racine aortique. Par ailleurs, l’indemnité de complications thromboembolique et endocardite est de 94 % à 10 ans. L’absence d’annuloplastie (si anneau natif > 25-28 mm), une hauteur effective des cuspides inférieure à 9 mm en postopératoire, une orientation des commissures inférieure à 160° et la reconstruction d’une cuspide avec un patch de péricarde autologue constituent des facteurs de risque de réopération. [5, 7-10] Une approche physiologique et standardisée de la réparation des valves bicuspides associant le traitement du prolapsus (resuspension valvulaire) et l’annuloplastie aortique offre de bons résultats à long terme. Un registre international multicentrique des patients opérés d’une dystrophie de l’aorte ascendante, incluant les valves bicuspides, a été initié au sein de la Heart Valve Society, le registre AVIATOR (AorticValve repair InternATiOnal Registry). L’objectif est de fournir des données basées sur les preuves, afin de proposer la meilleure procédure, adaptée à chaque patient [8]. n RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Etz CD, Misfeld M, Borger MA, Luehr M, Strotdrees E, Mohr FW. 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