Travail, formation et recherche
48 La Vie économique Revue de politique économique 2-2002
Le développement durable: concept,
politique et importance de l’énergie
La notion moderne du développement du-
rable est marquée par la définition qu’en a
esquissé la Commission Brundtland, laquelle
insiste sur l’égalité des droits des générations
présentes et futures.En liaison avec les exigen-
ces de justice distributive et tout ce qui s’ensuit,
le développement durable se conçoit aujour-
d’hui comme une trilogie formée de compati-
bilité écologique, d’efficacité économique et
de justice sociale.La signification première du
développement durable est de mettre à nu les
conflits d’intérêts afin de départager ceux qui
sont porteurs d’avenir, et cela dans la transpa-
rence. Dans cette optique, il est indispensable
de formuler concrètement le concept de déve-
loppement durable dans les divers domaines
politiques à travers des critères et des indica-
teurs appropriés.
Le développement durable est ancré dans la
Constitution (art. 73) et le Conseil fédéral a
précisé la conception qu’il en a dans son rap-
port stratégique.Récemment,le Comité inter-
départemental de Rio a publié un bilan de son
application en Suisse.1Cet ancrage constitu-
tionnel du développement durable a permis
d’enregistrer quelques progrès. Par exemple,
la nouvelle stratégie du DETEC2est explici-
tement tournée vers les objectifs du dévelop-
pement durable. Dans le cadre du projet
MONET,conduit par l’Office fédéral de la sta-
tistique, on élabore actuellement un système
d’indicateurs complet pour suivre l’évolution
du développement durable dans notre pays.
Des systèmes d’indicateurs ont déjà été créés
pour d’autres secteurs, notamment les trans-
ports ou l’agriculture.
En raison de son importance pour les acti-
vités économiques ainsi que de ses répercus-
sions pour l’environnement, l’énergie occupe
une position capitale dans le concept du déve-
loppement durable. La politique énergétique
remplit une mission à responsabilité, consis-
tant à aménager les conditions-cadre du sys-
Le développement durable:
critères et indicateurs dans le secteur de l’énergie
Depuis le Sommet de Rio,
en 1992, la notion de «dévelop-
pement durable» n’est plus ab-
sente du débat public. Toutefois,
pour la rendre opérationnelle
dans la pratique politique,
des indicateurs qui permettent
d’interpréter et de mettre en
évidence son évolution sont
nécessaires. Une étude mandatée
par l’Office fédéral de l’énergie
s’est intéressée à la place qu’oc-
cupe l’énergie dans la probléma-
tique du développement durable.
Il en est principalement résulté
un système d’indicateurs per-
mettant de saisir les qualités
de la politique énergétique, de
l’approvisionnement et de l’utili-
sation de l’énergie dans l’optique
précitée.
Florian Gubler
Junior Consultant,
Ecoplan Forschung und
Beratung in Wirtschaft
und Politik, Berne
(www.ecoplan.ch)
Urs Brodmann
Partner, Factor Consul-
ting & Management AG,
Zurich
(www.factorag.ch)
En raison de son importance pour les activités
économiques ainsi que de ses répercussions
pour l’environnement, l’énergie occupe une
position capitale dans le concept du dévelop-
pement durable de la Confédération. Le sys-
tème d’indicateurs exposé représente un in-
strument destiné à une politique de l’énergie
inscrite dans ce concept. Photo: Keystone
Travail, formation et recherche
49 La Vie économique Revue de politique économique 2-2002
tème qui autorisera un tel développement du-
rable. C’est dans ce cadre que l’Office fédéral
de l’énergie a mandaté la communauté de tra-
vail Ecoplan et Factor Consulting + Manage-
ment AG afin qu’elle mette au point un sys-
tème d’indicateurs permettant de saisir les
qualités de la politique énergétique, de l’ap-
provisionnement et de l’utilisation de l’éner-
gie dans l’optique du développement durable.
Délimitation du système
et méthodologie
Le nombre croissant de systèmes d’indica-
teurs sectoriels du développement durable né-
cessite une plus grande délimitation et davan-
tage de coordination. Le graphique 1 montre
bien qu’on peut construire un tel système
d’après différents points de vue. Jusqu’à pré-
sent,les groupes de consommation,par exem-
ple les transports ou l’agriculture, occupaient
le devant de la scène. Un système d’indicateurs
qui se baserait sur les facteurs de production
énergétique ferait double emploi avec de tels
systèmes. Ce risque a été pris en compte dans
la présente étude.
Le domaine de l’énergie se caractérise par
des relations complexes entre causes et effets,
mais ce sont en fin de compte leurs effets sur
l’environnement, l’économie et la société qui
sont déterminants. Une certaine compréhen-
sion des causes fondamentales est primordiale
pour interpréter correctement l’évolution de
ces effets au fil du temps. C’est pourquoi
l’étude s’est assigné comme objectif de démê-
ler cet écheveau causal en se fondant sur un
nombre restreint d’indicateurs – et non en
procédant à une modélisation quantitative
détaillée.
Pour représenter des corrélations d’effets
au travers d’indicateurs, il existe plusieurs
approches, parmi lesquelles la plus connue
est sans doute le modèle «pressure-state-
response» de l’OCDE. En se basant sur ce der-
nier, les auteurs ont développé une nouvelle
approche conçue spécialement pour évaluer
le développement durable de secteurs parti-
culiers, et qui distingue quatre types d’indi-
cateurs (voir graphique 2):
– les indicateurs d’effets indiquent les effets
essentiels du secteur énergétique sur l’en-
vironnement, l’économie et la société du
point de vue du développement durable;
– les indicateurs d’activité décrivent la pro-
duction et la consommation de biens et de
services par les quatre groupes de consom-
mateurs que sont l’industrie, les services, les
ménages et les transports. Leur niveau d’ac-
tivité constitue le principal moteur de la de-
mande d’énergie;
– les indicateurs de rendement énergétique
indiquent le rendement technico-énergé-
tique de la production,de la transformation
et de l’utilisation de l’énergie;
– les indicateurs politiques représentent les
conditions-cadre de la politique énergétique
sur l’aménagement durable du secteur éner-
gétique.
1 Comité interdépartemental de Rio, Etat de la mise
en œuvre de la stratégie – développement durable
en Suisse, 2000.
2 Département fédéral de l'environnement,
des transports de l'énergie et de la communication.
Environnement
Information
Travail
Capital
Autres matières
premières
Sols
Energie
Ménages
Industrie
Services
Trafic
Agriculture
Catégories d'effets
Economie Société
Groupes de cosommateurs
Facteurs de production
Graphique 1
Interaction entre les niveaux «Groupes de consommateurs», «Facteurs de production» et
«Dimensions des effets», représentant les frontières entre les systèmes d’indicateurs sectoriels
Source: Gubler, Brodmann / La Vie économique
Travail, formation et recherche
50 La Vie économique Revue de politique économique 2-2002
Suivant la pratique habituelle, une démar-
che à deux niveaux a été choisie afin de déter-
miner les indicateurs appropriés. Dans une
première phase, on a déterminé les critères
propres à favoriser un développement durable
du système énergétique. La détermination de
ces critères – résultant d’un processus partiel-
lement itératif – est effectuée tant de bas en
haut (bottom-up), en fonction de l’analyse des
systèmes d’indicateurs existants, que de haut
en bas (top-down), à partir des définitions gé-
nérales ainsi que des règles pratiques du déve-
loppement durable. Dans la deuxième phase,
on a recherché des indicateurs mesurables qui
illustrent de façon optimale ces critères.
Pour délimiter les indicateurs, on a dû,
entre autres, se poser la question de l’étroite
interdépendance du système énergétique suisse
avec l’étranger.A la base,les indicateurs de du-
rabilité doivent respecter le principe de terri-
torialité.Cela signifie que, par exemple, on en-
registre la consommation totale d’énergie et ses
effets sur l’environnement en Suisse, qu’elle
provienne ou non de la population domiciliée
dans le pays ou de personnes étrangères (par
exemple trafic de transit). Conformément au
principe de causalité, des éléments spécifiques
doivent en outre être pris en considération,
notamment les effets parallèles sur l’environ-
nement à l’étranger résultant de la consom-
mation de biens et de services en Suisse, ainsi
que la pollution de l’environnement impu-
table à l’énergie des voyages aériens de la po-
pulation suisse dans le monde entier.
Critères et indicateurs dans
le secteur de l’énergie
L’étude propose d’adopter un système d’in-
dicateurs composé de 27 critères et de 60 in-
dicateurs. Ils sont brièvement répertoriés ci-
dessous et classés par types d’indicateurs.
Indicateurs d’effets écologiques (10 indica-
teurs): les effets sur l’environnement du do-
maine de l’énergie sont multiples et com-
plexes. Les principaux d’entre eux, du point
de vue de la durabilité, ont été déterminés au
moyen d’une analyse quantitative, puis syn-
thétisés sous les critères ressources, paysage
& espaces vitaux, climat, qualité de l’air,
radioactivité et rayonnement non ionisant.
Indicateurs d’effets économiques (10 indica-
teurs): un inventaire exhaustif des critères et
indicateurs de durabilité utilisés en écono-
mie montrent qu’ils sont encore peu déve-
loppés et peu fiables, et pas seulement dans
le domaine de l’énergie. Pour cette raison, les
critères et indicateurs découlent de l’objectif
Ce système d’indicateurs a été conçu pour
servir à l’élaboration d’un inventaire national
et de séries chronologiques. En principe, on
pourrait aussi envisager des comparaisons
internationales ou intersectorielles. En illus-
tration: les Stausee dans la région du Grimsel.
Photo: Keystone
Travail, formation et recherche
51 La Vie économique Revue de politique économique 2-2002
principal «satisfaction efficace des besoins».
Celle-ci est mesurée en termes de qualité de
l’approvisionnement et de prix, tandis que la
force d’innovation, la stabilité du secteur,
ainsi que la demande de conditions-cadre
exemptes de distorsion poursuivent essen-
tiellement des objectifs d’efficacité dans le
contexte économique. Les critères qui ne
peuvent constituer un objectif dans le sec-
teur énergétique et qui n’y ont aucun intérêt
comme,par exemple,le «nombre de person-
nes actives»,ont été délibérément abandon-
nés.
Indicateurs d’effets sociaux (6 indicateurs):
dans le domaine social – plus encore que
dans le secteur économique – la notion de
durabilité recouvre une extrême variété de
définitions toutes valables,ce qui complique
la recherche de critères appropriés au do-
maine de l’énergie. Les critères finalement
retenus correspondent aux objectifs princi-
paux de la société: solidarité (service pu-
blic),participation, individualité et sécurité.
Une fois de plus, seuls les critères qui ont un
sens pour ce secteur spécifique sont pris en
compte (solidarité régionale en matière de
prix, par exemple); les critères généraux,
comme les compensations entre catégories
de revenus ou l’égalité des sexes, sont laissés
de côté.
Indicateurs d’activité (16 indicateurs): tout
comme les indicateurs d’efficacité énergé-
tique, ces indicateurs illustrent les motiva-
tions sous-jacentes à l’évolution de la con-
sommation d’énergie. Ils se réfèrent à des
composants spécifiques de la consomma-
tion qui concourent de manière déter-
minante à l’évolution de la consommation
totale d’énergie, comme l’évolution de la
surface de référence énergétique dans les bâ-
timents. En outre, ils mettent en lumière les
facteurs exogènes (tels que les conditions
climatiques) ainsi que divers aspects spéci-
fiques aux structures socio-économiques
(p.ex.nombre moyen de personnes compo-
sant un ménage) influant sur le niveau d’ac-
tivité des différentes catégories de consom-
mateurs.
Indicateurs de rendement énergétique (10 in-
dicateurs): ces indicateurs se réfèrent à l’effi-
cacité d’utilisation des énergies disponibles.
En raison des multiples emplois de l’énergie,
il a fallu limiter le nombre de paramètres
choisis. Les indicateurs d’efficacité doivent
être, autant que possible, coordonnés en
fonction des indicateurs d’activité exposés
précédemment. Par exemple, l’indicateur
«Besoins spécifiques des ménages en énergie
de chauffage» est complémentaire de l’indi-
cateur de l’évolution de la surface de réfé-
rence énergétique.
Indicateurs politiques (8 indicateurs): en se
fondant sur les objectifs poursuivis dans le
cadre de la politique énergétique actuelle,on
a identifié les principaux types de mesures
qui encouragent une évolution du domaine
énergétique dans le sens du développement
durable. La plupart de ces mesures visent un
changement de comportement volontaire
de la part des producteurs et des consom-
mateurs d’énergie (par exemple, fiscalité
écologique) au contraire de mesures de type
«command and control».Un indicateur don-
né caractérise chaque type de mesures.
Conclusion et perspectives
Le système de critères et d’indicateurs dé-
crit précédemment représente une base pour
une observation globale du système énergé-
tique suisse en termes de développement du-
rable. Relevons que plusieurs des indicateurs
proposés dans les domaines économique et
social sont des éléments novateurs (comme,
par exemple, le degré de diversification du sys-
tème énergétique suisse, les différences régio-
nales de prix). La classification par types d’in-
dicateurs d’effets, d’activités, d’efficacité, de
politique qui a été choisie est également nou-
velle.Ils peuvent s’avérer utiles pour l’élabora-
tion de systèmes d’indicateurs dans d’autres
domaines.
Politique:
instaure des
conditions-cadre
Production + consommation
de biens et services:
Æ
Industrie
Prestataires
Ménages
Transports
Activités
Environ-
nement
Economie Société
Système énergétique:
Mise à disposition
d'énergie utile
(offre) Efficacité
energétique
Qualité de l'air Ressources
Climat Rayonnement
non ionisant
Paysage et
espaces vitaux Radioactivité
Effets
StabilitéSécurité
Qualité d'appro-
visionnement Individualité
Prix Participation
EfficacitéSolidarité
Efficacité de la
consommation Eff. de la mise
à disp. d'énergie
Demande d'énergie utile
Facteurs
exogènes Activité
sectorielle
Structure socio-
économique
Politique
Recherche Mesures
volontaires Subventions
Concurrence
Information
PrescriptionsCoopération
Redevances
énergétiques
Graphique 2
Illustration des types d’indicateurs et critères utilisés: effets, activités, efficacité énergétique
et politique (des critères de durabilité sont proposés pour chaque type d’indicateur)
Source: Gubler, Brodmann / La Vie économique
Travail, formation et recherche
52 La Vie économique Revue de politique économique 2-2002
Ce système a été avant tout conçu pour ser-
vir à l’élaboration d’un inventaire national et
de séries chronologiques. A l’image d’un sys-
tème de détection,les indicateurs retenus doi-
vent indiquer au monde politique l’évolution
du système énergétique en fonction de critères
de durabilité donnés. Toutefois, ce système ne
prétend remplacer ni les études et évaluations
approfondies, ni les contrôles d’efficacité.
En principe, on pourrait envisager aussi
des comparaisons internationales ou inter-
sectorielles. Cependant, le caractère innovant
de plusieurs indicateurs et l’important travail
d’enquête qu’ils requièrent posent pour le
moment des limites pratiques à leur mise en
œuvre pour ce genre de comparaisons. Une
version fortement simplifiée du système d’in-
dicateurs a été utilisée, dans un module com-
plémentaire à la présente étude, pour une
comparaison de la durabilité entre les systè-
mes énergétiques suisse, vietnamien et népa-
lais.3
L’utilisation du système à l’échelon canto-
nal ou local ainsi qu’une évaluation des divers
projets seraient en principe possibles, même si
elles impliquent une série de compléments et
d’adaptations. Le système proposé peut égale-
ment servir de liste de contrôle (check list) dans
l’appréciation de projets ponctuels dans le do-
maine de l’énergie afin d’en déterminer les
principales valeurs statistiques en termes de
développement durable. Des évaluations in-
trinsèques au niveau du projet ou du système
demanderaient une pondération de chaque
indicateur – une tâche qui appartient au
monde politique. La présente étude n’a pas
examiné la question des valeurs cibles pour
chaque indicateur, ni les questions afférentes à
la pondération et l’agrégation d’indicateurs.
Il est utile de rappeler que le concept pré-
senté ici constitue un système d’indicateurs
idéal, qui demande un travail statistique con-
sidérable. Une telle réalisation n’est par consé-
quent possible que de manière progressive.Les
auteurs sont d’avis qu’il y a lieu de développer
en priorité les indicateurs d’effets – décisifs du
point de vue du développement durable. En
d’autres termes, ce qui importe, c’est l’état du
patient et non la quantité de médicaments
qu’il ingurgite. Le problème des émissions de
gaz à effet de serre illustre, si besoin était, qu’il
y a du souci à se faire pour le patient «domai-
ne de l’énergie».
Bibliographie
Brodmann Urs, Gubler Florian, Walter
Felix, «Nachhaltigkeit: Kriterien und In-
dikatoren für den Energiebereich». Sur
mandat du programme de recherche Bases
de l’économie énergétique de l’Office fé-
déral de l’énergie. Berne, 2001.
OFCL/OCFIM n°de commande: 805.046d.
Le rapport final comprend un résumé en
allemand et en français; il peut également
être consulté sur Internet:
www.ewg-bfe.ch.
ENTEC AG, Criteria and indicators of sus-
tainability in the energy sector. A tool for
policy assessment and training in sustai-
nable development. Sur mandat de la DDC,
Saint-Gall, 2001.
Encadré 1
L’étude présentée dans cet article a été
réalisée pour le compte du programme de
recherche «Fondements de l’économie éner-
gétique» de l’Office fédéral de l’énergie.
Les études déjà publiées ainsi que des infor-
mations concernant le programme de recher-
che sont disponibles à l’adresse Internet
www.ewg-bfe.ch.
Encadré 2
3 ENTEC AG, Criteria and indicators of sustainability in the energy sec-
tor. A tool for policy assessment and training in sustainable
development. Sur mandat de la DDC. Saint-Gall, 2001.
Photo: Keystone
A la base, les indicateurs de durabilité doivent
respecter le principe de territorialité. Cela
signifie que, par exemple, on enregistre la
consommation totale d’énergie et ses effets
sur l’environnement en Suisse, même si elle
provient du trafic de transit (en illustration).
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