Forum Med Suisse 2011 ;11(10):169–171 171
curriculum
Les sélectines sont des molécules d’adhésion cellulaire
vasculaire qui donnent des interactions hétérotypiques
avec les ligands saccharidiques par leur domaine lec-
tine. La sélectine P est stockée dans les granules des
thrombocytes et les corps de Weibel-Pallade des cellules
endothéliales, et après activation présentée à la surface
des thrombocytes ou des cellules endothéliales. La sé-
lectine E est synthétisée de novo après activation par
les cellules endothéliales. La sélectine L est exprimée
constitutionnellement sur tous les leucocytes myéloïdes
et la plupart des lymphocytes [27]. Les sélectines pro-
voquent le freinage initial des leucocytes pendant l’ex-
travasation lors des réactions inflammatoires et pen-
dant le trafficking normal, par ex. dans les organes
lymphatiques secondaires [28]. La sélectine Paenoutre
une influence directe sur l’adhésivité plaquettaire [29].
Les cellules des tumeurs épithéliales produisent des
mucines polysaccharidiques à leur surface et les libè-
rent dans le sang périphérique (voir Introduction). Les
mucinesàlasurface des cellules tumorales déclenchent
l’interaction avec la sélectine P sur les thrombocytes.
Cette interaction est à l’origine de l’embole tumoral
[24, 30]. Les sélectines P et L sont en outre respon-
sables de l’activation du microenvironnement, surtout
des cellules endothéliales, et permettent ainsi la créa-
tion d’une niche métastatique [31]. La sélectine L est en
outre impliquée dans le recrutement des leucocytes
myéloïdes, qui ont une fonction importante dans la
création de la niche métastatique et donc de nouvelles
métastases [30, 32, 33].
L’ inhibition des sélectines par héparines
empêche la métastatisation
Les sélectines contrôlent d’importantes étapes dans la
métastatisation hématogène des cellules tumorales [34].
L’ ensemencement expérimental des poumons par injec-
tion intraveineuse de cellules de cancer colique est net-
tement moins important chez les souris déficientes en
sélectine PouL[30]. Fait intéressant, il yaune synergie
d’effets, àsavoir que chez les souris doublement défi-
cientes en sélectine PetLles métastases sont encore
moins nombreuses que chez les monodéficientes. Ces ef-
fets ont pu être reproduits avec l’héparine non fraction-
née [24, 32]. Un traitement par héparine peu avant l’in-
jection intraveineuse de cellules tumorales adiminué la
métastatisation par un mécanisme dépendant de la sé-
lectine P[24]. Aucun autre effet n’a pu être observé chez
les souris déficientes en sélectine P. Mais si l’héparine a
été injectée 6–12 heures après l’injection de cellules tu-
morales àdes souris déficientes en sélectine P, une dimi-
nution plus marquée de la formation de métastases apu
être constatée [32]. Cet effet àretardement de l’héparine
semble dépendre de la sélectine Lcar il ne se produit pas
chez les souris qui en sont déficientes [32]. Chez les sou-
ris doublement déficientes en sélectine PetLetdans le
modèle expérimental de métastases utilisé, l’héparine
non fractionnée pendant les premières heures suivant
l’inoculation de cellules tumorales n’a montré aucune
diminution de la métastatisation [30]. Ces résultats indi-
quent que la propriété antimétastatique de l’héparine
non fractionnée est principalement due àl’inhibition des
sélectines et n’ad’importance qu’au cours des premières
heures aprèsinjection de cellules tumorales. Les hépa-
rines de bas poids moléculaire peuvent plus ou moins
bien lier et inhiber les sélectines et donc plus ou moins
bien aussi la métastatisation [35, 36]. Les héparines à
courte chaîne notamment, comme la nadroparine, ont
un effet moins marqué. Il faut savoir àcepropos que le
pentasaccharide fondaparinux n’a aucun effet sur cette
métastatisation expérimentale [35]. Ce qui permet de
conclure que l’effet antimétastatique des héparines n’est
pas dû àleur activité anticoagulante. Des expériences
avec héparines modifiées sans activité sur la coagulation
mais avec puissant effet inhibiteur des sélectines ont
déjà pu être réalisées avec succès dans un modèle mé-
tastatique expérimental [37].
Perspectives
Chez les cancéreux, les héparines préviennent une réci-
dive de thrombo-embolie plus efficacement que les an-
tagonistes de la vitamine K, du fait de leur activité bio-
logique plus large. Les cancéreux thrombo-emboliques
doivent donc si possible toujours être traités par hépa-
rines. En plus de la diminution des thrombo-embolies,
les héparines ont aussi un effet antinéoplasique direct,
essentiellement dû àl’inhibition des sélectines pendant
la métastatisation. Les études cliniques s’intéressant à
l’effet des héparines devraient donc se concentrer sur-
tout sur des stades tumoraux précoces, avant toute mé-
tastatisation. Cette population de patients aleplus pro-
fité de l’intervention par daltéparine dans l’étude CLOT
aussi [10]. Plusieurs études en cours examinent l’effet
des héparines de bas poids moléculaire chez des pa-
tients àunstade tumoral localisé. Des héparines modi-
fiées ayant une activité spécifique sur les sélectines par
ex. sont en outre testées dans des modèles précliniques.
Ces substances viendront compléter les traitements
antitumoraux aussi bien classiques que ciblés.
Correspondance:
Heinz Läubli
Klinik Innere Medizin
Universitätsspital Basel
CH-4031 Basel
Références recommandées
–Lee AY, Levine MN, Baker RI, Bowden C, Kakkar AK, Prins M, et al.
Low-molecular-weight heparin versus a coumarin for the prevention
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