PHARMACEUTIQUES _ SEPTEMBRE 2006
actualités
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Que peut-on dire de l’état des lieux
de la prévision dans la branche
pharmaceutique ?
>Je pense que l’importance de la
prévision pharmaceutique est large-
ment sous-estimée dans les rangs
des entreprises de la branche. Mais
ces dernières doivent redresser la
barre et avancer. Les raisons en sont
que les pressions sont fortes sur la
rentabilité des laboratoires pharma-
ceutiques, dues pour l’essentiel aux
mesures de contrôle des prix et de
maîtrise des coûts de la santé que
nous connaissons partout. Les
marges des industriels sont plus ré-
duites et la pression pour des prévi-
sions correctes se fait aussi sentir.
Nous vivons une époque certaine de
restrictions et les sociétés ne peuvent
plus se permettre aucune erreur. Les
investissements en terme de promo-
tion ou de recherche sont considé-
rables et une erreur entraînera des
pénalités significatives à bien des
égards, en terme de prix de lance-
ment, d’évaluation etc. Ce qui se tra-
duit par un accroissement de l’im-
portance de la prévision, de la
demande, aussi bien en terme de
consulting que de formation des
personnels en interne. Une de-
mande qui ne cesse de croître.
Comment le marketing et la
prévision cohabitent-ils ? Quelles
sont les frontières et les
passerelles entre ces deux
fonctions dans l’entreprise
pharmaceutique ?
>Elles sont de plus en plus alignées
ensemble aujourd’hui, plus liées
qu’elles ne l’ont jamais été ! J’ob-
serve que le marketing et le business
développement sont en train de de-
venir responsables de la prévision.
Cette dernière est de plus en plus ba-
sée dans le département marketing.
Car il est important,
comme je le précise
dans mes séminaires,
de savoir où se situe la
concurrence, à quel
moment de nouveaux
compétiteurs se pré-
sentent sur le marché,
de comprendre les dif-
férentes de qualité entre médica-
ments, le profil de ses produits, leur
efficacité, leur sécurité, les systèmes
de délivrance, tout cela par rapport
aux produits qui arriveront à l’avenir.
Et aussi de comprendre ce que veu-
lent les médecins, ce qu’ils prescri-
vent et comment ils le font ! Il doit
aussi y avoir des liens très forts entre
ceux qui travaillent dans les diffé-
rentes aires thérapeutiques et les ex-
perts « techniques » de la prévision
et je pense que la collaboration est
ici extrêmement importante. Les so-
ciétés qui réussissent à établir les
meilleurs prévisions sont celles où
existe une totale collaboration entre
marketing, département prévision et
branche clinique ou médicale.
Quelle doit être la proximité des
hommes de la
prévision avec ceux du
management général
des laboratoires ?
>Ils doivent se situer
entre le marketing et le
management. Car les
prévisionnistes sont
sans doute les plus « ob-
jectifs » ! Ils considèrent les prévi-
sions sans regard intéressé ni parti
pris, que la prévision soit basse ou
INTERVIEW
«LA PRÉVISION
RESTE
SOUS-ESTIMÉE »
Jerry Rosenblatt dirige un département spécialisé
dans la prévison pharmaceutique chez IMS Health*.
Il est animateur d’une vingtaine de séminaires en
Amérique du Nord, en Europe et en Asie. Etat des
lieux de l’art de la prévision au sein de l’industrie
pharmaceutique.
——————
Marketing
et business
développement,
responsables de
la prévision
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élevée ! Ils puisent leurs informa-
tions dans les rangs du marketing ou
du business développement, mais ils
ne sont liés à aucun produit. Ils don-
nent un avis, une opinion sur les pré-
visions.
Qui en fin de compte est le mieux
placé pour prendre la décision
finale une fois les prévisions
bâties ?
>Pour les produits qui approchent la
phase 3, ce sera certainement les
équipes marketing en charge du lan-
cement de la marque, avec l’aide et
l’appui des « techniciens » de la
prévision. Le département de la pré-
vision constitue un appui indispen-
sable au marketing, qui a en charge
l’analyse de l’environnement
concurrentiel du produit à lancer.
Quelles sont les limites de la
prévision pharmceutique ?
>Il faut considérer d’abord les li-
mites des prévisionnistes, des tech-
niciens de la prévision, dans leur
exercice. Elles renvoient à leur rela-
tive méconnaissance du marché, à
ce qui se passe sur ce dernier. Quant
à la prévision, je mentionnerai à son
égard les difficultés qu’elle ren-
contre, plutôt que ses limites. Ces
difficultés sont relatives à l’appré-
hension exacte de la taille d’un mar-
ché donné, qui peut constituer une
des sources les plus significatives
d’erreurs dans la prévision aujour-
d’hui. Mesurer correctement le mar-
ché est sans doute une des princi-
pales tâches de la prévision, mais
aussi une des sources d’erreurs les
plus répandues.
Pour quelles raisons ?
>Car il faut bien cerner le groupe
de patients pour lequel vous entrez
en compétition, quelles sortes d’in-
dications vous donnez au produit
que vous lancez, indications que les
autorités réglementaires enregistre-
ront sur votre produit. Il faut aussi
considérer les produits qui sont hors
de votre champ thérapeutique, mais
qui sont utilisés dans ce dernier et
qui comme tel vont contrarier votre
lancement. La dépression constitue
à cet égard un bon exemple et une
source de prévisions
« naïves » et donc
d’erreurs. Il importe
donc de bien cerner
le cœur du marché.
Les limites des prévi-
sions dépendront du
pays sur lequel vous
agissez, des données
dont vous disposez sur ce dernier.
L’exercice est plus facile sur les mar-
chés leaders des pays développés
que sur les pays émergents ou en dé-
veloppement, où les données ne
sont pas toujours fiables. Le marché
des vaccins constitue à ce titre un
autre exemple des limites de l’exer-
cice.
Quels sont les produits qui peuvent
constituer le plus de difficultés
dans l’art de la prévision ?
>Sans doute les produits très spé-
cialisés, issus des biotechs, de
« niches », destinés à soigner des ma-
ladies très précises pour lesquels on
ne connaît pas toujours très bien le
nombre de patients concernés et
pour lesquels les bases de données
n’existent pas toujours. On connaît
ainsi leurs indications, mais pas tou-
jours la taille de leur marché ! Le
« modèle » de l’industrie pharma-
ceutique est en train de changer
complètement et se focalise sur des
produits de biotechnologie à très
haut coût pour des populations de
patients très spécifiques.
Quelle définition donnez-vous de la
prévision ? Un réducteur
d’incertitude ou une aide à la
décision ? Y a-t-il une recette
miracle pour être sûr de réussir ?
>Certainement les deux ! Il faut mi-
nimiser l’incertitude pour aller de
l’avant. Le prévisionniste considère
un produit sous toutes ses perspec-
tives. Nous devons présenter de
nombreux scénarii pour l’action,
fournir de la clarté dans un environ-
nement d’incertitudes. Le tout en
vue d’aider le management à gérer
les risques en lui donnant les diffé-
rentes options possibles de débou-
chés du ou des produits envisagés.
Nous structurons la réflexion en ex-
cluant qu’il ne puisse y avoir qu’une
seule voie à suivre, mais bien des op-
tions, basses, élevées ou moyennes.
Notre apport est de fournir une ré-
flexion structurée, scientifiquement,
un process sur lequel le manage-
ment peut baser sa déci-
sion finale. Les prévision-
nistes ont à cet égard une
responsabilité énorme,
compte tenu notamment
des sommes considé-
rables qui sont aujour-
d’hui requises pour
mettre un produit sur le
marché. Et s’il n’y a pas de « recette
miracle », il y a certainement un
process avec de nombreuses métho-
dologies pour réussir. Les décisions
doivent surtout et avant toute chose
être basées sur des évidences ! C’est
la force d’IMS Health de pouvoir
fournir dans ce registre des données
évidentes et fiables, parmi les
meilleures au monde, pour établir de
bonnes prévisions.
PROPOS RECUEILLIS PAR J-J. CRISTOFARI
* Jerry Rosenblatt est canadien, ancien
professeur de marketing à la John Molson School
of Business (Concordia), à Montréal, et ancien
dirigeant de société, supervise chez IMS Health en
tant que « Principal and Practice leader of Global
Forecasting » une douzaine de personnes au sein
du département spécialisé de la prévision
pharmaceutique qui dispense ses services depuis
Montréal, Philadelphie et Londres.
Cerner
le groupe
de patients
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