actu_Intw_IMS 31/08/06 13:06 Page 38 54 a c t u a l i t é s INTERVIEW « LA PRÉVISION RESTE SOUS-ESTIMÉE » Jerry Rosenblatt dirige un département spécialisé dans la prévison pharmaceutique chez IMS Health*. Il est animateur d’une vingtaine de séminaires en Amérique du Nord, en Europe et en Asie. Etat des lieux de l’art de la prévision au sein de l’industrie pharmaceutique. —————— Que peut-on dire de l’état des lieux de la prévision dans la branche pharmaceutique ? > Je pense que l’importance de la prévision pharmaceutique est largement sous-estimée dans les rangs des entreprises de la branche. Mais ces dernières doivent redresser la barre et avancer. Les raisons en sont que les pressions sont fortes sur la rentabilité des laboratoires pharmaceutiques, dues pour l’essentiel aux mesures de contrôle des prix et de maîtrise des coûts de la santé que nous connaissons partout. Les marges des industriels sont plus réduites et la pression pour des prévisions correctes se fait aussi sentir. Nous vivons une époque certaine de restrictions et les sociétés ne peuvent plus se permettre aucune erreur. Les investissements en terme de promotion ou de recherche sont considérables et une erreur entraînera des pénalités significatives à bien des égards, en terme de prix de lancement, d’évaluation etc. Ce qui se traduit par un accroissement de l’importance de la prévision, de la demande, aussi bien en terme de PHARMACEUTIQUES _ SEPTEMBRE 2006 consulting que de formation des personnels en interne. Une demande qui ne cesse de croître. de délivrance, tout cela par rapport aux produits qui arriveront à l’avenir. Et aussi de comprendre ce que veulent les médecins, ce qu’ils prescrivent et comment ils le font ! Il doit aussi y avoir des liens très forts entre ceux qui travaillent dans les différentes aires thérapeutiques et les experts « techniques » de la prévision et je pense que la collaboration est ici extrêmement importante. Les sociétés qui réussissent à établir les meilleurs prévisions sont celles où existe une totale collaboration entre marketing, département prévision et branche clinique ou médicale. Comment le marketing et la prévision cohabitent-ils ? Quelles sont les frontières et les passerelles entre ces deux fonctions dans l’entreprise pharmaceutique ? > Elles sont de plus en plus alignées ensemble aujourd’hui, plus liées qu’elles ne l’ont jamais été ! J’observe que le marketing et le business développement sont en train de devenir responsables de la prévision. Cette dernière est de plus en plus basée dans le département marketing. Quelle doit être la proximité des Car il est important, hommes de la comme je le précise prévision avec ceux du Marketing dans mes séminaires, management général et business de savoir où se situe la des laboratoires ? concurrence, à quel développement, > Ils doivent se situer moment de nouveaux responsables de entre le marketing et le management. Car les compétiteurs se préla prévision prévisionnistes sont sentent sur le marché, sans doute les plus « obde comprendre les difjectifs » ! Ils considèrent les préviférentes de qualité entre médicasions sans regard intéressé ni parti ments, le profil de ses produits, leur efficacité, leur sécurité, les systèmes pris, que la prévision soit basse ou actu_Intw_IMS 31/08/06 13:06 Page 39 55 égard les difficultés qu’elle rencontre, plutôt que ses limites. Ces difficultés sont relatives à l’appréhension exacte de la taille d’un marché donné, qui peut constituer une des sources les plus significatives d’erreurs dans la prévision aujourd’hui. Mesurer correctement le marché est sans doute une des principales tâches de la prévision, mais aussi une des sources d’erreurs les plus répandues. élevée ! Ils puisent leurs informations dans les rangs du marketing ou du business développement, mais ils ne sont liés à aucun produit. Ils donnent un avis, une opinion sur les prévisions. Qui en fin de compte est le mieux placé pour prendre la décision finale une fois les prévisions bâties ? > Pour les produits qui approchent la phase 3, ce sera certainement les équipes marketing en charge du lancement de la marque, avec l’aide et l’appui des « techniciens » de la prévision. Le département de la prévision constitue un appui indispensable au marketing, qui a en charge l’analyse de l’environnement concurrentiel du produit à lancer. Quelles sont les limites de la prévision pharmceutique ? > Il faut considérer d’abord les limites des prévisionnistes, des techniciens de la prévision, dans leur exercice. Elles renvoient à leur relative méconnaissance du marché, à ce qui se passe sur ce dernier. Quant à la prévision, je mentionnerai à son haut coût pour des populations de patients très spécifiques. Quelle définition donnez-vous de la prévision ? Un réducteur d’incertitude ou une aide à la décision ? Y a-t-il une recette miracle pour être sûr de réussir ? > Certainement les deux ! Il faut minimiser l’incertitude pour aller de l’avant. Le prévisionniste considère un produit sous toutes ses perspectives. Nous devons présenter de nombreux scénarii pour l’action, Pour quelles raisons ? Car il faut bien cerner le groupe fournir de la clarté dans un environ> de patients pour lequel vous entrez nement d’incertitudes. Le tout en en compétition, quelles sortes d’invue d’aider le management à gérer dications vous donnez au produit les risques en lui donnant les difféque vous lancez, indications que les rentes options possibles de débouautorités réglementaires enregistrechés du ou des produits envisagés. ront sur votre produit. Il faut aussi Nous structurons la réflexion en exconsidérer les produits qui sont hors cluant qu’il ne puisse y avoir qu’une de votre champ thérapeutique, mais seule voie à suivre, mais bien des opqui sont utilisés dans ce dernier et tions, basses, élevées ou moyennes. qui comme tel vont contrarier votre Notre apport est de fournir une rélancement. La dépression constitue flexion structurée, scientifiquement, à cet égard un bon exemple et une un process sur lequel le managesource de prévisions ment peut baser sa déci« naïves » et donc sion finale. Les prévisiond’erreurs. Il importe nistes ont à cet égard une Cerner donc de bien cerner responsabilité énorme, le cœur du marché. compte tenu notamment le groupe Les limites des prévides sommes considéde patients sions dépendront du rables qui sont aujourpays sur lequel vous d’hui requises pour agissez, des données mettre un produit sur le dont vous disposez sur ce dernier. marché. Et s’il n’y a pas de « recette L’exercice est plus facile sur les marmiracle », il y a certainement un chés leaders des pays développés process avec de nombreuses méthoque sur les pays émergents ou en dédologies pour réussir. Les décisions veloppement, où les données ne doivent surtout et avant toute chose sont pas toujours fiables. Le marché être basées sur des évidences ! C’est des vaccins constitue à ce titre un la force d’IMS Health de pouvoir autre exemple des limites de l’exerfournir dans ce registre des données cice. évidentes et fiables, parmi les meilleures au monde, pour établir de bonnes prévisions. ■ Quels sont les produits qui peuvent constituer le plus de difficultés dans l’art de la prévision ? PROPOS RECUEILLIS PAR J-J. CRISTOFARI > Sans doute les produits très spécialisés, issus des biotechs, de « niches », destinés à soigner des maladies très précises pour lesquels on ne connaît pas toujours très bien le nombre de patients concernés et pour lesquels les bases de données n’existent pas toujours. On connaît * Jerry Rosenblatt est canadien, ancien ainsi leurs indications, mais pas touprofesseur de marketing à la John Molson School jours la taille de leur marché ! Le of Business (Concordia), à Montréal, et ancien dirigeant de société, supervise chez IMS Health en « modèle » de l’industrie pharmatant que « Principal and Practice leader of Global ceutique est en train de changer Forecasting » une douzaine de personnes au sein du département spécialisé de la prévision complètement et se focalise sur des pharmaceutique qui dispense ses services depuis produits de biotechnologie à très Montréal, Philadelphie et Londres. SEPTEMBRE 2006 _ PHARMACEUTIQUES