Faire une prévision statistique est une ambition dé mesuré, par
Xavier Timbeau, directeur du département analyse et prévision
de l'OFCE
Le Monde, 6 janvier 2004
L'observatoire français des conjonctures économiques (ofce) dispose de deux
modèles macroéconomiques : emod.fr pour des données trimestrielles sur la France,
et un autre, tout nouveau et pas encore baptisé, pour l'Europe. qu'est-ce que recèlent
leurs " ;boîtes noires"? comment appréhendent-ils la ré alité ?
Nos modèles intègrent au départ les données fournies par la Comptabilité nationale,
un instrument statistique relativement sophistiqué et fiable, mais qui ne restitue, il est
vrai, qu'une vision fruste de la réalité. Un exemple parmi d'autres : pour mesurer
l'activité du million et demi de sociétés françaises, la Comptabilité nationale a créé un
agrégat "entreprises" qui en donne une représentation fictive, au détriment, par
conséquent, de la complexité et de la richesse de la diversité. Et même si la
tendance actuelle est de multiplier les accès aux données individuelles, les modèles
restent fondés sur une approche qui réduit l'économie à quelques tableaux de
chiffres. Qui plus est, les effets de structure - l'âge des individus, point fondamental
dans leur comportement face au chômage ou
Tous ces éléments donnent à conclure que, lorsque nous élaborons un modèle
économique, nous ne faisons pas un modèle de l'économie, mais un modèle de la
Comptabilité nationale. Donc, lorsque nous faisons une prévision, c'est, en réalité,
une prévision du chiffre de la Comptabilité nationale et non de l'activité économique.
Si l'on vous comprend bien, les statisticiens en sont réduits à courir après leurs
erreurs...
Comment faire autrement ? L'économie française est la résultante de décisions
prises par des dizaines de millions de personnes qui réagissent personnellement à
des événements. Faire une prévision est une ambition démesurée. Nous ne vivons
pas dans un système mécanique régi par la loi de la gravitation. Nous sommes dans
un système capitaliste qui repose sur le bluff. Chaque acteur cache les données dont
il dispose et profite de cette asymétrie d'information pour s'enrichir ou asseoir
davantage son pouvoir.
Lorsque la crise asiatique a éclaté, aucun observateur ne connaissait la situation
patrimoniale réelle des pays de la zone. De même, prenez la folie de la nouvelle
économie : qui aurait pu mesurer le rendement d'Internet ? Le système capitaliste a
pour fondement théorique et ultime de gérer l'innovation que, par essence, on ne
peut deviner. Nous sommes donc face à une fantastique machine dont la vocation
est d'inventer, et évidemment de se tromper.
Cela dit, nous autres statisticiens pouvons nous appuyer sur un certain nombre
d'éléments appris du passé. Nous pouvons ainsi affirmer, sans trop de risques, que
lorsqu'une entreprise est endettée, elle va chercher à se désendetter. En clair, nous
pouvons anticiper un certain nombre de comportements - pas tous - dictés par les
contraintes auxquelles les acteurs doivent faire face et par le principe de ré alité.