subsides de recherche. Ce sont la
`autant de manœuvres
permettant de s’assurer la cliente
`le de nombreux patients
comme celle de futurs psychothe
´rapeutes en formation, ou
encore l’appui de certaines autorite
´s publiques.
La question se pose alors : est-il possible de ge
´rer et de
faire-valoir socialement la diversite
´, pour qu’elle ne soit
pas une atteinte trop violente au lien social, mais dans le
meilleur des cas une manie
`re de l’enrichir en le complexi-
fiant ? Je ne peux pre
´senter ici les diffe
´rents courants dans
l’histoire de la psychothe
´rapie, qui ont cherche
´ou
cherchent a
`limiter cette fragmentation inquie
´tante des
formes de psychothe
´rapie. Les solutions propose
´es par
l’e
´clectisme pragmatique, l’inte
´grationnisme, le mode
`le des
facteurs communs non spe
´cifiques ou la pense
´ed’e
´cole
3
sont provisoirement satisfaisantes, mais a
`moyen terme
nous font courir encore davantage le danger des e
´cueils
brie
`vement de
´crits, a
`savoir de l’hyperspe
´cialisation
technique et de la disqualification. C’est la
`que l’anthropo-
logie clinique me semble apporter des e
´le
´ments de re
´ponse
qui me
´ritent toute notre attention.
Clinique de l’homme et non de ses fonctions
Concernant le premier e
´cueil de l’hyperspe
´cialisation, on
peut soutenir que l’anthropologie clinique, en insistant
sur l’expe
´rience originaire de l’homme au monde, et sur
la mise en sce
`ne narrative de son existence a
`partir de sa
capacite
´d’e
´prouver, de penser et de parler, re
´agit contre
une certaine perception technicisante de l’existence
humaine par le savoir psychopathologique. L’anthropo-
logie clinique, dans sa vise
´e la plus simple, veut rappeler
qu’il s’agit non d’une clinique des fonctions, mais d’une
clinique qui concerne l’homme dans son expe
´rience tout
a
`la fois subjective et intersubjective. Une clinique qui, au
sens e
´tymologique du terme, se passe au chevet du
malade. Dans ce sens, la clinique, c’est l’art de rencontrer
l’autre la
`ou
`il est et ou
`il souffre de se trouver, souffrant
de ne pouvoir s’y retrouver.
Quand l’anthropologie phe
´nome
´nologique nous invite
avec Husserl a
`retourner aux choses elles-me
ˆmes (zu den
Sachen selbst), quand celui-ci en vient a
`mettre l’accent, a
`la
fin de son œuvre surtout, sur l’expe
´rience de l’homme
(Erfahrung)enlienaveclaLebenswelt, le monde de la vie
4
,
quand Binswanger distingue « l’histoire inte
´rieure de la
vie » des « fonctions vitales » de l’organisme, et qu’il
affirme que toute existence est coexistence, plac¸ant dans la
re
´alite
´d’une Wirheit (nostrite
´) le fondement me
ˆme de
notre existence, quand Ricœur insiste sur la dimension
narrative de toute identite
´humaine, et j’en passe, quand on
suit tous ces auteurs, n’est-on pas invite
´a
`toujours chercher
quelque chose d’ante
´pre
´dicatif, a
`l’origine de la construc-
tion de nos mode
`les si spe
´cialise
´s, et a
`rencontrer l’homme
dans son expe
´rience originaire pluto
ˆt que l’homme d’une
abstraction ? L’abstraction de l’homme moyen de la
psychopathologie diffe
´rentielle, celle de l’homme ratomor-
phique issu du laboratoire, pour reprendre une expression
de Bertalanffy, et qui oriente de loin certaines formes de
the
´rapie, celle de l’homme neuronal, comme on tend a
`le
dire aujourd’hui, ou me
ˆme celle d’un homo psychoanaly-
ticus, tel qu’il peut e
´merger d’une me
´tapsychologie un peu
trop horloge
`re ou
`les instances psychiques se figent, se
substantifient, conside
´re
´es qu’elles sont comme des ins-
tances agentielles.
Retourner a
`la chose elle-me
ˆme – en ce qui nous
concerne, a
`l’homme en souffrance d’humanisation –, de
manie
`re a
`nourrir, rendre vivant, concre
´tiser ce que les
mode
`les risquent d’aplatir avec leurs dispositifs techni-
ques et hyperspe
´cialise
´s, voila
`une premie
`re invitation de
l’anthropologie clinique.
De
´couvrir les limites de sa me
´thode
gra
ˆce a
`la re
´duction phe
´nome
´nologique
Mais prenons garde : en parlant ainsi, je pourrais faire
preuve de naı
¨vete
´e
´piste
´mologique. Mes formulations
pre
´ce
´dentes sont sujettes a
`la critique, dans la mesure ou
`
elles laisseraient entendre qu’on peut atteindre un « re
´sidu
des mode
`les », qui nous permettrait de nous retrouver en
dec¸a
`, sur un terrain ou
`nous partagerions des facteurs
communs, expression bien connue dans le domaine de la
recherche en psychothe
´rapie compare
´e. Non, soyons clairs.
Je pense qu’il n’est pas possible de travailler sans mode
`le,
lequel propose chaque fois un e
´clairage, une me
´thode, un
chemin qui devient direction (selon l’e
´tymologie me
ˆme du
terme meta-odos), donnant lieu a
`des modes de
´finis
d’intervenir. Ce que l’on peut questionner toutefois, c’est
la relation a
`son mode
`le – celui-la
`pluto
ˆt qu’un autre –
mode
`le toujours porte
´implicitement par des pre
´suppose
´s
ou aprioriimpliquant des valeurs personnelles et
ide
´ologiques. En effet, je fais l’hypothe
`se que les me
´thodes
psychothe
´rapeutiques se diffe
´rencient entre elles en fonc-
tion de diffe
´rences encore plus fondamentales que celles
de
´ja
`contenues explicitement dans leur mode
`le the
´orique et
leurs techniques. Cette pluralite
´de me
´thodes serait donc en
partie redevable a
`des pre
´suppose
´sdiffe
´rents qui organi-
sent leur mode
`le et la pratique psychothe
´rapeutique en
de
´coulant, chaque fois a
`partir d’une certaine vision de
l’homme, de la socie
´te
´ou de la science, pour ce qui est du
domaine de la psychothe
´rapie. Ces pre
´misses ou pre
´sup-
pose
´s organisateurs peuvent s’entendre au sens de Bateson
3
Duruz [4].
4
Ce que Merleau-Ponty prolongera par son insistance sur une subjectivite
´incarne
´e,quifaitquec’estnotrecorpsve
´cu tout entier
qui est esprit et que c’est a
`partir de lui que nous sommes au monde. « Il n’y pas d’homme inte
´rieur, e
´crit-il, l’homme est au monde,
c’estdanslemondequ’ilseconnaı
ˆt. Quand je reviens a
`moi a
`partir du dogmatisme de sens commun ou du dogmatisme de la
science, je trouve non pas un foyer de ve
´rite
´intrinse
`que, mais un sujet voue
´au monde ». Merleau-Ponty [15], p. V.
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