alimentation Par carole FraPPier, agronome, conseillère en alimentation animale, section ruminants pour olier Grisé L’équilibre des rations, une question de gros bon sens! 1re Partie il est essentiel de garder à l’esprit les nutriments et les aliments qui pourront satisfaire les besoins des vaches, mais aussi les combinaisons possibles pour optimiser la production, la santé et la reproduction. Dans la première partie de cet article, il sera notamment question de fibres et d’énergie. Avec le contexte des dernières années, la mauvaise récolte de fourrages, la sécheresse et la flambée des prix des ingrédients, les producteurs laitiers remettent en question leur façon d’alimenter leurs vaches laitières. Tous cherchent la formule magique, facile à concocter, peu coû- 10 marS­2013 Le producteur de Lait québécois teuse et qui assurera une production maximale sans compromettre la santé des animaux. Mais comme le dit le bon vieux dicton : « On n’a rien, sans rien. » Tout comme dans la vie personnelle, il est essentiel mais combien difficile de maintenir l’équilibre (alimentaire, familial, professionnel, etc.)! Ne manger que des pommes finira par créer des carences nutritionnelles en énergie, protéines, fibres, minéraux et vitamines, et passer tout son temps au travail finira par engendrer des frictions sur le plan familial. Pour ruminer, il Faut de la Fibre Avant toute chose, il faut se souvenir que la vache est un ruminant. Qui dit ruminant dit aussi besoin de fibres, lesquelles permettent de maintenir le pH du rumen aux environs de 6,0 à 6,4. Ces fibres, lorsque suffisamment efficaces, assurent une rumination optimale. La vache devrait mastiquer et ruminer de 9 à 14 heures par jour. Le tableau 1 montre le temps de rumination et de mastication selon la grosseur des particules. On peut voir que plus les particules sont grossières, plus le temps passé à les mastiquer est long. Il y aura donc une production plus grande de salive contenant du bicarbonate de sodium (10 grammes par litre). Le bicarbonate, par son action neutralisante, permet de maintenir tableau 1 : consommation et comPortement de rumination PaRamètRe PaRticuLeS de La RatioN FiNeS moyeNNeS GRoSSièReS Consommation (min/24 h) 195,3 Rumination (min/24 h) 374,4a Temps total de mastication (min/24 h) 569,7a Adapté de Grant et coll., 1990 204,4 466,3b 670,7b 204,7 530,7c 735,4c Prenons, par exemple, deux ensilages hachés avec la même méthode et de la même longueur, récoltés dans un même champ à des taux d’humidité différents. Ils peuvent avoir la même analyse théorique, mais ne pas entraîner les mêmes résultats. Cela est dû à la souplesse de la fibre et à l’humidité (eau acide apportée dans le rumen par l’ensilage) qui ont tableau 2 : comPosition chimique de la salive des bovins NutRimeNt Bicarbonate Chlore Phosphate Potassium Sodium meq/L 126 7 26 6 126 Adapté de Bailey et Balch, 1961 les conditions optimales de rumination et, de ce fait, la microflore du rumen assure une digestion maximale des aliments. Le tableau 2 présente la composition de la salive des bovins. Ainsi, plus la vache rumine, plus la quantité de salive produite sera importante et meilleur sera le maintien du pH ruminal. La flore ruminale (bactéries, levures, protozoaires) est la meilleure alliée pour réussir en production laitière. Il est donc très important de s’assurer d’avoir suffisamment de fibres efficaces. Selon les normes établies depuis longtemps, on doit trouver entre 27 % et 30 % de fibres NDF dans la ration, et de celle-ci, au moins 75 % doit provenir des fourrages. En pratique, que se passe-t-il dans votre étable lorsque les fourrages sont tous d’excellente qualité, mais qu’ils sont hachés trop fin, brisés par le mélangeur RTM, trop humides ou que les vaches sont au pâturage? Bien que sur papier les normes soient respectées, cette fibre n’est pas nécessairement efficace, c’est-à-dire qu’il n’y a pas suffisamment de particules piquantes ou abrasives pour stimuler adéquatement la rumination permettant une production adéquate de salive. marS­2013 Le producteur de Lait québécois 11 alimentation un impact direct sur les conditions ruminales. Pour bien comprendre, voici un autre exemple : deux ensilages dont l’un est à 50 % de matière sèche et l’autre, à 25 %. Dans le premier cas, si la vache mange 16 kg de matière sèche, elle consommera 32 kg d’ensilage contenant 16 kg d’eau acide. Dans le cas de l’ensilage à 25 % de matière sèche, elle en consommera 64 kg et, par conséquent, 48 kg d’eau acide à un pH de 4 à 5. Or la vache moyenne consomme environ 90 litres d’eau par jour à un pH de 7 à 8. Dans le deuxième cas, puisque plus de la moitié de l’eau ingérée est acide, la vache devra ruminer davantage pour assurer l’équilibre du pH ruminal. Mais cela ne se produira pas, puisque la fibre humide est souple et pas assez abrasive pour assurer la rumination. tableau 3 : eFFet de la ration sur la consommation et sur la Production de salive aLimeNt ViteSSe de coNSommatioN (G d’aLimeNtS/miN) Ration cubée Herbe fraîche Ensilage Foin 357 283 248 70 PRoductioN de SaLiVe mL/miN mL/G d’aLimeNtS 243 266 280 254 0,68 0,94 1,13 3,63 Adapté de Bailey, 1958 bien doser le taux de Fibre Maîtriser le taux de fibre de la ration est le premier facteur garantissant la santé du troupeau. Il est donc conseillé d’avoir un minimum de fibres sèches de première coupe assez FiGure 1 : métabolisme des hydrates de carbone chez la vache piquantes ou l’équivalent en paille (blé de préférence, ensuite orge, avoine, soya). Cette quantité de fibre est une assurance qui garantit un niveau de fibre efficace adéquat. Qui résilierait sa police d’assurance parce qu’au cours des 20 dernières années aucune réclamation n’a eu lieu? La fibre sèche est une police d’assurance. Qui peut assurer que la récolte 2013 sera parfaite (maturité, humidité, longueur de coupe, analyse, etc.)? Or comme il vaut mieux prévenir que guérir, il faut prévoir quelques jours durant la première coupe pour récolter un foin de graminée épiée. Ce dernier sera l’assurance pour optimiser la production et la santé du troupeau. Vous n’avez pas besoin de 5 kg par vache, puisque 2 kg suffisent (2500 balles de 15 kg pour 50 vaches, ou l’équivalent en balles rondes ou en grosses balles carrées). Il faut se rappeler qu’une fibre à 40 % d’humidité n’est pas du vrai foin sec (souplesse de la fibre et acidité dues à la fermentation)! Le tableau 3 montre qu’avec une ration foin, la production de salive est beaucoup plus grande qu’avec une ration cubée. l’énerGie Adapté de Wattiaux, Michel A., Institut Babcock et Armentano, Louis E., Département des sciences laitières, Université du Wisconsin à Madison 12 marS­2013 Le producteur de Lait québécois Jetons maintenant un coup d’œil du côté de l’énergie (si difficile à combler chez les hautes productrices). Sur ce point, ces années-ci, plusieurs se tournent vers l’ensilage de maïs. Ce dernier gagne en popularité depuis l’apparition de nouvelles variétés plus digestibles et à rendement plus élevé, mais aussi en raison des conditions climatiques plus difficiles pour la pérennité des légumineuses et au prix élevé du maïs. Utiliser l’ensilage de maïs comme source d’énergie s’avère une très bonne idée, mais encore là, tout est une question d’équilibre. Il faut penser à la synchronisation de l’énergie et de la protéine concernant le rumen afin de maximiser le travail de vos meilleurs employés : bactéries, levures et protozoaires. Or beaucoup d’ensilages de maïs nécessitent un apport accru de protéine dégradable provenant par exemple : de l’ensilage de légumineuses, du tourteau de soya, de l’urée, etc. La ration doit donc être bien balancée, mais surtout bien synchronisée. Sur papier, il faut s’assurer de combler le besoin en énergie lactation, en hydrates de carbone non structuraux et structuraux, en amidon et en gras. La figure 1 illustre bien le métabolisme de l’énergie à partir des différents aliments de la ration. Selon les aliments qui se retrouvent dans la ration, la production d’acides gras volatils est différente et influence le pH ruminal. L’énergie extraite des fourrages est moins acidifiante que celle provenant des grains (maïs, orge, avoine, etc.). De plus, elle favorise la production de lait et de gras. En résumé, la proportion de fourrages et de concentrés dans la ration a un effet marqué sur la quantité et le pourcentage d’acides gras volatils produits dans le rumen, et ainsi un effet direct sur la production, la santé et la reproduction. L’énergie doit donc provenir des différents aliments pour assurer l’équilibre. Elle doit être présente dans les rations de préparation au vêlage en quantité suffisante, sinon le système de défense des vaches en sera grandement affecté. Cette baisse d’immunité est due à l’incapacité des cellules du système immunitaire de se reproduire en nombre suffisant pour combattre les infections. C’est ainsi que les problèmes métaboliques surviennent (mammite, métrite, fièvre du lait, etc.). Il ne faut pas perdre de vue que la vache consomme beaucoup moins à l’approche du vêlage, d’où l’importance de combler ses besoins. Il ne faut pas non plus négliger la ration de début lactation, car la vache n’a pas la capacité de manger autant dans les deux semaines après le vêlage qu’à 100 jours en lait. Il est donc primordial de lui servir une ration suffisamment concentrée afin qu’elle subvienne à ses besoins énergétiques, sinon son système de défense sera encore une fois affaibli et différents problèmes pourraient surgir : acétonémie, reproduction (kystes, mortalités embryonnaires), etc. dans le Prochain numéro… Dans la suite de cet article, le mois prochain, il sera question de protéine, de minéraux et de vitamines dans l’équilibre des rations, mais aussi de l’importance de certains additifs alimentaires dans l’alimentation de vos vaches laitières. n marS­2013 Le producteur de Lait québécois 13