ÉDITORIAL L’affinité par Philip A. Baer, M.D., C.M., FRCPC, FACR « Getting to know you, getting to feel free and easy. When I am with you, getting to know what to say. » – Rodgers et Hammerstein, « The King and I »; air interprété par Gertrude Lawrence en 1951. T out le monde est égal, mais que George Orwell me pardonne, certains patients sont plus égaux que d’autres. Je ne me laisse jamais aller à accorder un traitement préférentiel à un patient donné, mais il arrive qu’un patient suscite un sentiment d’affinité. Le détachement est une vertu clinique, en théorie. Le médecin, femme ou homme de sciences empreint de détachement, ne doit pas laisser ses émotions nuire à son jugement. C’est pourquoi les collèges de médecins s’opposent à ce que les médecins traitent les membres de leur propre famille, sauf en cas d’urgence. Une position tout à fait raisonnable à mon avis. En Ontario, où j’exerce, le Collège des médecins et chirurgiens de l’Ontario (CPSO) nous recommande de traiter tous les patients également – d’agir avec empathie sans manifester de préférences pour certains patients. Toutefois, l’interaction entre un médecin et son patient en clinique n’est pas aussi désincarnée et rationnelle. Le patient qui consulte ressent diverses émotions : la peur, l’espoir, la colère et la tristesse, pour ne nommer que celles-là. Le médecin n’est pas entièrement dénué d’émotions non plus. Par ailleurs, durant cette brève rencontre clinique, le médecin doit établir un lien avec son patient pour forger l’alliance thérapeutique qui détermine dans une certaine mesure les chances de succès du traitement. Les sujets de conversation entièrement neutres sont peu nombreux. Parler de la pluie et du beau temps peut vite devenir agaçant. Même après la grève du hockey, personne ne veut parler des Maple Leafs et la plupart des équipes sportives de Toronto sont si mauvaises que même les patients qui arborent le chandail d’une équipe ne tiennent pas à bavarder sur ce sujet. La religion et la politique étant des sujets tabous, j’essaie de trouver dans l’histoire du patient un point intéressant dont nous pourrions parler, même brièvement. Je constate que j’éprouve une affinité naturelle pour certains patients. Les raisons de cette affinité peuvent changer au fil du temps, selon mon expérience de vie. En ce moment, mes fils jumeaux terminent leurs études à l’université. Par conséquent, les jeunes patients qui ont l’âge de mes fils retiennent toujours mon attention. Plusieurs d’entre eux sont à l’université, certains aux mêmes universités que mes enfants. Le fait de connaître le nom des résidences universitaires où ils ont peut-être habité ou un fait intéressant à propos de la vie sur le campus facilite beaucoup le premier contact. Le même genre d’affinité m’a aidé à communiquer avec des patients dans la quarantaine dont les enfants avaient à peu près le même âge que les miens, et encore plus avec des patients parents de jumeaux. En général, je suis réticent à recevoir des patients qui ont déjà consulté d’autres rhumatologues. Je n’ai pas de solutions magiques inconnues de mes collègues. Pourtant, lorsqu’on m’a demandé de recevoir un patient qui avait été examiné par trois rhumatologues, j’ai accepté immédiatement. Pourquoi? Parce que j’avais remarqué que le jeune homme participait au Programme d’enseignement coopératif à l’université que fréquente un de mes fils. Il devait déménager tous les quatre mois et il avait besoin d’un rhumatologue dans chaque ville pour le suivi de l’arthrite séronégative. Lorsque je l’ai reçu, l’arthrite était en rémission et j’ai été heureux de pouvoir cesser progressivement son traitement. Cet été, c’est avec bonheur que je l’ai vu recevoir son diplôme à la même cérémonie de graduation que celle de mon fils. Dans un article sur la divulgation de renseignements personnels par les médecins à leurs patients1, le CPSO posait la question suivante : « La mère d’un jeune patient vous demande si vous avez des enfants. Que répondriez-vous? » Le CPSO est d’avis que vous pouvez éviter de répondre, mais que vous pouvez aussi simplement répliquer : « Oui, et je comprends ce que vous ressentez. » Dans mon bureau, j’ai des photographies de mes enfants un peu partout, et je ne pourrais pas éviter de répondre à cette question, et je n’y ai jamais vu un problème. Ma dernière réflexion sur le sujet est née de la lecture d’un autre article récent2 qui concluait que nous accordons moins d’importance à la douleur dont se plaignent les patients que nous n’aimons pas qu’à la douleur qu’éprouvent des patients que nous apprécions. Voici mon avis : essayez de trouver un élément positif chez chaque patient, souvent en lien avec une expérience commune de la vie, et vos journées de clinique vous sembleront plus agréables. Références : 1. Foxman, S. Too much information: How does self-disclosure by physicians affect patients? CPSO Dialogue 2012; 8(2):31-3. 2. De Ruddere L, Goubert L, Prkachin KM, et coll. When you dislike patients, pain is taken less seriously. Pain 2011; 152(10):2342-7. Philip A. Baer, M.D., C.M., FRCPC, FACR Rédacteur en chef, JSCR, Scarborough, Ontario JSCR 2013 • Volume 23, Numéro 1 3