Consommation de viandes et cancers

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Consommation de viandes et cancers :
comment faire pour raison garder ?
La récente annonce1 faite par le Centre inter­
national de recherche sur le cancer (CIRC)
du caractère potentiellement cancérogène
de la consommation des «viandes transfor­
mées» et des «viandes rouges» a fait sensa­
tion. Elle a aussi relancé la polémique sur les
interprétations qui peuvent être faites du
système actuel de classification des subs­
tances «pouvant donner le cancer».
Le CIRC est un organisme de recherche
qui évalue les données disponibles sur les
causes du cancer. A la différence notable des
Agences sanitaires nationales (ou de l’Agence
européenne) en charge des risques alimen­
taires, il ne formule pas expressément de
­recommandations. Pour autant, il est doté
d’une notoriété certaine, ses travaux font
autorité et les politiques nationales et inter­
nationales visant à réduire les risques de
cancer s’appuient souvent sur ses travaux
(dénommés «monographies»). A ce titre, sa
dernière classification ne peut être passée
sous silence. Elle ne l’a d’ailleurs nullement
été tant les échos médiatiques ont été nom­
breux, de même que les réactions qu’ils ont
suscitées.
Pourquoi une telle initiative en octobre
2015 ? Le CIRC explique avoir décidé de
traiter ce sujet en 2014, un comité consultatif
international l’ayant alors jugé «hautement
prioritaire». «Cette recommandation était
fondée sur des études épidémiologiques
laissant entendre que les légères augmen­
tations du risque de plusieurs cancers pou­
vaient être associées à une forte consom­
mation de viande rouge ou de viande trans­
formée, explique-t-on à Lyon, au siège de
cette agence de l’OMS. Bien que ces risques
soient faibles, ils pourraient être importants
pour la santé publique parce que beaucoup
de personnes dans le monde consomment
de la viande, et que la consommation de
viande est en augmentation dans les pays à
revenu faible et intermédiaire.» D’où ces
conclusions formulées par un groupe de
travail composé de vingt-deux experts 2 de
dix pays différents. Ce travail fait aussi
­l’objet d’une publication conjointe dans The
Lancet Oncology.3
Certaines agences sanitaires recomman­
dent certes déjà de limiter la consommation
de viande sans pour autant mettre toujours
en avant un accroissement du risque de
­pathologies cancéreuses. En France, l’Agence
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nationale de sécurité sanitaire de l’alimen­
tation, de l’environnement et du travail
(Anses) avait déjà travaillé cette question
dans le cadre d’une revue d’ensemble des
relations entre nutrition et cancers. Elle
­traitait en particulier des viandes rouges et
transformées. Dans son rapport de 2011 «Nu­
trition et cancer», l’Anses mettait en évidence
une «relation convaincante» entre con­som­
mation de viandes rouges ou de viandes
transformées (charcuteries) et augmentation
de la probabilité de développer des cancers
du côlon et du rectum.
Elle avait alors formulé des recomman­
dations visant, par un régime équilibré, à
­diversifier les sources de protéines en alter­
nant les viandes avec des œufs ou du
poisson et en limitant la consommation
de viandes rouges à moins de cinq
cents grammes par semaine. Elle
avait aussi r­appelé que les
cancers sont des mala­
dies complexes, ré­
sultant de l’inte­
raction entre un
grand nom­bre
de facteurs de
nature généti­
que, compor­
tementale (ta­
bagisme…) ou
encore de nature
environnementale au sens
­
large – dont l’alimentation.
Dans l’opinion, l’écho de la prise de posi­
tion de l’agence de l’OMS est d’autant plus
grand que son analyse de cancérogénicité
englobe toutes les formes de consommation
d’aliments d’origine animale. Ainsi, quand
le CIRC parle de «viande rouge», il faut en­
tendre «tous les types de viande issus des
tissus musculaires de mammifères comme
le bœuf, le veau, le porc, l’agneau, le mou­
ton, le cheval et la chèvre». Pour ce qui est
de la «viande transformée» (ou «produits
carnés»), il s’agit de l’ensemble des viandes
«qui ont été transformées par salaison, ma­
turation, fermentation, fumaison et autres
processus mis en œuvre pour rehausser sa
saveur ou améliorer sa conservation».
«La plupart des viandes transformées con­
tiennent du porc ou du bœuf, mais elles
peuvent également contenir d’autres viandes
rouges, de la volaille, des abats ou des sous-
produits carnés comme le sang, détaille le
CIRC soucieux de bien se faire comprendre
du plus grand nombre. A titre d’exemples
de viandes transformées, on trouvera les
hot-dogs (saucisses de Francfort), le jambon,
les saucisses, le corned-beef, les lanières de
bœuf séché, de même que les viandes en
conserve et les préparations et les sauces à
base de viande.»
Ce luxe de détails contraste avec la pru­
dence du CIRC quant aux éléments de
preuves qu’il a rassemblés. En pratique, la
consommation de «viande rouge» a été clas­
sée comme probablement cancérogène pour
l’homme (ce qui correspond au «groupe
2A»). Et ce sur la base «d’indications limi­
tées» provenant d’études épidémiologiques
montrant des «associations positives» entre
la consommation de viande rouge et le
­développement d’un
can­cer colorectal (ain­
si, peut-être que des
cancers de la
prostate et du
­
pancréas).
D.R.
point de vue
En clair, le lien de causalité est possible,
voire probable mais nullement certain. La
consommation de «viandes trans­formées»
a, quant à elle, été classée comme cancérogène pour l’homme (soit le «groupe 1»). Il
existe, selon le CIRC des «indications con­
vaincantes» de ce que «l’agent provoque le
cancer chez l’homme» (cancer colorectal et
peut-être aussi cancer de l’estomac).
Faut-il devenir végétarien ? L’agence de
l’OMS souligne que les régimes végétariens
et les régimes carnés ont des avantages et
des inconvénients pour la santé mais avoue
bien vite être incapable de répondre. En
­dépit de ce cortège d’hypothèses et d’incer­
titudes, le CIRC explique que le risque aug­
mente avec la quantité de viande consom­
mée : chaque portion de 50 grammes de
viande transformée, consommée tous les
jours, augmente selon lui le risque de cancer
colorectal de 18% environ ; et il parle d’une
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 4 novembre 2015
02.11.15 11:24
D.R.
Jean-Yves Nau
[email protected]
1 «Le programme des Monographies du CIRC évalue la
consommation de la viande rouge et des produits carnés transformés». Communiqué de presse CIRC/OMS
N° 240 daté du 26 octobre 2015.
2 On trouvera ici la liste des participants : http://monogra
phs.iarc.fr/ENG/Meetings/vol114-participants.pdf
3 Bouvard V, Loomis D, Guyton K Z, et al, on behalf of the
International Agency for Research on Cancer Monograph Working Group. Carcinogenicity of consumption
of red and processed meat. The Lancet Oncology 2015,
published online.OI : http://dx.doi.org/10.1016/S14702045(15)00444-1
4 «Nutrition et cancer, Rapport d’expertise collective»
Anses, mai 2011.
carte blanche
Mourir à la maison
Accompagner nos patients dans la dernière
étape de leur vie est l’une des tâches nobles
pour les médecins de famille. Nous sommes
plus ou moins formés et préparés pour cette
situation, mais la grande majorité d’entre
nous l’accepte volontiers. Selon différents
sondages, une majorité de la population désire aussi pouvoir mourir à la maison.
Mais ce désir correspond-il vraiment à la
réalité, et représente-t-il toujours la meilleure attitude ? La lecture d’un récent article
pitalisation d’urgence (malgré la décision
mutuelle anticipée de vouloir rester à la
maison…), les souffrances impossibles à
­
soulager à la maison (la dyspnée, la douleur,
la solitude), ou l’épuisement de toute une
équipe sur la durée, malgré la mobilisation
de toutes les ressources possibles…
Alors est arrivé ce qu’ils n’ont pas voulu,
contre quoi ils ont essayé de se protéger : ils
ont été déplacés en urgence et sont arrivés
dans ces institutions inconnues, avec de
nouveaux soignants, dans un hôpital, une
institution de soins palliatifs, un EMS. Ils ont
été pris en charge, certainement bien traités, mais je ne suis pas sûr qu’ils aient reçu
ce dont ils avaient besoin. Ils ont moins
D.R.
augmentation de 17% pour chaque portion
de 100 grammes de viande rouge consom­
mée par jour. Sans plus de précision.
Faire une croix sur le barbecue ? De fait,
l’une des principales questions sanitaire et
scientifique est de savoir si, comme dans le
cas du tabac (et nullement de la cigarette
électronique), le risque cancérogène est
­associé aux produits de combustion. On sait
que les méthodes de cuisson à haute tempé­
rature génèrent en effet des composés qui
peuvent contribuer au risque cancérogène.
«La cuisson à température élevée ou avec la
nourriture en contact direct avec une flamme
ou une surface chaude, comme dans le bar­
becue ou la cuisson à la poêle, produit
davantage de produits chimiques cancé­
­
rogènes (comme les hydrocarbures aroma­
tiques polycycliques et les amines aro­ma­
tiques hétérocycliques) explique le CIRC.
Cependant, le groupe de travail ne disposait
pas de suffisamment de données pour
conclure si la façon dont la viande est cuite
affecte le risque de cancer. De même, il ne
disposait pas de données pour répondre à la
question du moindre risque que pourrait
­représenter la viande crue.»
La viande transformée est désormais clas­
sée dans la même catégorie que le tabac et
l’amiante. Comparer les charcuteries et le
tabac ? L’agence de l’OMS évoque le chiffre
de 50 000 morts prématurées par cancers
­digestifs qui, chaque année, pourraient dans
le monde être associées à la consommation
de viandes. On estime à un million le nombre
de celles dues, par cancer, à la consomma­
tion de tabac (600 000 à la consommation
d’alcool, et plus de 200 000 à la pollution
­atmosphérique).
Où l’on voit les limites des interprétations
qui peuvent être faites de ce travail assez
touffu de classification des cancérogènes.
Les cigarettiers tuent infiniment plus que
tous les bouchers-charcutiers. Comment
­allons-nous faire pour raison garder ?
du British Medical Journal 1 a réveillé des
questions que je me pose depuis un moment. Quand je fais le bilan de mon activité
de médecin de famille, il n’y a pas eu plus de
cinq ou six patients que j’ai vraiment pu
­accompagner à la maison jusqu’à la mort.
Cela tient à différents facteurs, entre autres
à ma situation de médecin de ville (ou plutôt
de banlieue). Le lien avec le «chez soi» est
éventuellement moins fort, les structures
­familiales sont moins bien conservées, l’accès aux institutions est plus facile.
Evidemment, il y a eu des patients qui
m’ont exprimé le désir de pouvoir rester
chez eux, moins en évoquant déjà la mort,
qu’avec l’idée d’y vivre la période de la fin de
leur vie. C’était une demande facile à ac­
cepter, mais rarement réaliste. Nous avons
organisé un réseau de soins à domicile, les
infirmières du CMS, la famille, parfois l’équipe
mobile de soins palliatifs et éventuellement
des gardes additionnelles. Mais fréquemment il y a eu des pannes dans ce montage,
une dégradation aiguë amenant à une hos­
Pr Thomas Bischoff
Médecine interne FMH
Directeur de l’Institut universitaire
de médecine de famille
PMU, 1011 Lausanne
[email protected]
s­ ouffert, mais ils ont dû finir leur vie hors de
leur cadre familier. Peut-être l’ont-ils vécu
comme un dernier échec ; l’équipe qui s’est
engagée à les garder à la maison l’a certainement ressenti comme cela.
Mais il y a aussi des situations plus dra­
matiques : plusieurs fois j’ai reçu en consultation des proches de personnes âgées, en
fin de vie, auxquelles ils ont dû promettre
­solennellement de les garder à la maison à
tout prix. Ils s’y sont engagés de bon gré,
mais avec le temps la tâche est devenue trop
lourde. Comment gérer cet engagement
moral ? Plus d’une fois j’ai dû user de mon
autorité médicale pour permettre une solution pour ces proches sans trop charger leur
conscience.
Pouvoir mourir à la maison est un rêve
compréhensible, mais aujourd’hui il me
semble justifié de penser à d’autres solutions, comme le suggère l’auteure de l’article
du BMJ. Nous devons développer des lieux
d’accueil, adaptés à tous les degrés de besoin, de confort et de thérapie, avec les
compétences nécessaires et avec des modalités de transition facilitées. L’excellence
de l’art médical se mesure aussi à sa capacité d’abstention le moment venu.
1 Pollock K. Is home always the best and preferred
place of death ? BMJ 2015;351:h4855.
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 4 novembre 2015
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