La gestion conservatoire des dépressions tourbeuses intra

Yves
PETIT-BERGHEM
Laboratoire ophen
CNRS LETG UMR 6554
Universi de Caen
La gestion conservatoire des
dépressions tourbeuses intra-
dunales : lexemple des dunes du
Nord de la France
la présence d’espèces particulières à tendance
h y g r o p h i l e .
En Basse-Normandie, les dunes du littoral abritent
des dépressions de dimensions vares dont
certaines se sont transformées en mares
permanentes plus ou moins végétalisées
(lexemple de la mare de Vauville classée en
réserve naturelle depuis 1976). Les dépressions les
plus représentatives se situent dans les deux
massifs dunaires les plus imposants du littoral, le
massif de Vauville-Biville situé entre deux caps (La
Hague et Flamanville) et celui d’Hatainville sis
entre la pointe de Rozel et le cap de Carteret (Petit-
Berghem, 2002). Ces deux grands édifices
dunaires montent à lassaut de la falaise fossile et
en tapissent les flancs. Dans le Cotentin occidental,
et plus particulièrement au nord du cap de
Carteret, les dépressions humides sont
nombreuses à tel point que le Symel
2
en a
recenes plus de 350 pour une superficie estimée
à 145 ha (Galloo et al., 2002). Dans les massifs
dunaires picards ou flamands, à l’exception de
quelques sites au sud de Boulogne-sur-mer, les
pressions sont plus isolées au sein dune
rosère fortement embroussaillée. Elles ne
représentent qu’une assez faible superficie par
rapport à la dimension totale des sites.
DES DÉPRESSIONS RÉSERVOIRS DE
B I O D I V E R S I T É
Une biodiversi à plusieurs niveaux
La biodiversité des dépressions est plurielle. Elle
est d’abord écologique puisqu’elle repose sur la
diversité des habitats. Elle est ensuite biologique
puisque associée à des espèces sensibles
(diversité spécifique) qui trouvent dans les
dépressions les conditions de site (microtopo-
graphie, hauteur d’eau, ouverture du milieu)
nécessaires à leur survie. Elle est aussi de nature
fonctionnelle et illuste par la coexistence, dans
unme habitat, d’espèces qui utilisent, de façon
différente mais compmentaire, les ressources du
milieu. Cette biodiversité est enfin culturelle, car
le à un pas et à une identité régionale avec des
pratiques et des choix sociétaux (protections,
atteintes, etc.) qui ont pu avoir des conséquences
sur la valeur patrimoniale des dépressions.
Les dépressions tourbeuses abritent des
communautés tales caractéristiques des
systèmes dunaires tourbeux alcalins nord-
atlantiques. L’habitat générique correspond aux
dépressions humides intradunales (code 2190 de
l’Union européenne). Cet habitat est cliné en
cinq habitats élémentaires
3
selon des critères
biogéographiques et écologiques. Lorsque le
substrat est minéral, ou peu enrichi en matière
Le littoral du nord de la France (Nord-Pas-de-
Calais, Picardie, Normandie) est occupé par des
dunes dampleur variable dont la valeur
patrimoniale est aujourd’hui reconnue. Lorsque les
conditions topographiques s’y prêtent (bas de
dune, proximité de la nappe phréatique), des
dépressions humides apparaissent et permettent à
l’hygrore dunaire
1
de se velopper. Une petite
couverture de tourbe dans ces dépressions
autorise la venue de plantes turficoles dont
certaines sont menacées de disparition. Ces
plantes répondent à des conditions de pleine
lumière et représentent les stades initiaux des
séries dynamiques de tation. La fixation de la
dune (qui ne se justifie plus aujourd’hui) a bloqué
la dynamique dunaire qui, elle seule, conditionne
la genèse, puis le développement despressions
tourbeuses. Cette fixation a fi les massifs
dunaires et a dume coup ré un processus
de vieillissement des dépressions existantes. La
végétation a répondu à ce processus en se
densifiant et en se banalisant (développement de
fourrés arbustifs). Dans un contexte de
développement durable et de préservation des
écosysmes tourbeux de la dune, les structures
gestionnaires ont réagi en mettant en place une
stratégie de gestion conservatoire de ces
dépressions. Quels sont les principes raux de
cette stratégie ? Quels sont les moyens mis en
œuvre ? Quelles sont les difficuls rencontes sur
le terrain ? Nous tenterons de répondre à ces
questions après avoir présenté ces dépressions et
les enjeux qui leur sont associés.
DES TOURBRES JEUNES ET DE DIMENSIONS
V A R I A B L E S
En bord de mer, des petites dépressions fermées
peuvent avoir, saisonnièrement ou durablement,
un fond humide voire marécageux. Dans le nord-
ouest de la France, ces dépressions humides sont
plus ou moins allones et situées à larrière des
cordons dunaires littoraux. Ces pressions sont
propices à la formation de tourbières
thalassogènes qui naissent au contact entre les
eaux douces et les eaux marines (Dupieux, 1998).
En position basse, des dunes paraboliques
velopes perpendicu-lairement aux vents
dominants vont être à l’origine de la plupart des
dépressions humides. La nappe d’eau douce dans
les dépressions est alimentée par l’infiltration des
pluies, mais aussi par les suintements souterrains
provenant des reliefs environnants (plateau
arrière-côtier, ancienne falaise littorale). Mais le
niveau d’eau pend surtout des précipitations et
s’are donc fluctuant d’une saison à l’autre. En
é, même si l’eau s’est comptement retie, les
pressions se signalent par une vétation
originale, plus verte, plus dense, mais surtout par
277
VOL 79 4/2004ÉOCARREFOUR
R É S U M É
Le littoral du nord-ouest de
la France est occupé en
grande partie par des dunes
dampleur variable dont la
valeur patrimoniale est
aujourd’hui reconnue. Ces
dunes offrent aux visiteurs
qui les parcourent des
paysages variés parmi
lesquels émergent des
dépressions tourbeuses
chargées dune valeur
affective et dignes du plus
grand intérêt pour les
naturalistes. Ces zones
humides repsentent des
territoires dexception dans
la mesure où elles
constituent des sites
daccueil pour des espèces
végétales ou animales
menaes de disparition. La
survie de ces espèces est
conditione par des
pratiques de gestion
respectueuses de la quali
de lenvironnement. Une
gestion conservatoire est
appliquée de nos jours et
permet gce à des
réglementations et à des
outils techniques adaptés de
conserver ou restaurer une
biodiversité dans les espèces
ou dans les paysages.
MOTS CS
Tourbe, dune littorale,
gestion durable, génie
écologique, suivi, France
s e p t e n t r i o n a l e .
A B S T R A C T
The north-western coast of
France is mainly covered
with dunes of variable
extent whose value as part
of the national heritage is
nowadays fully recognized.
To people visiting them,
these dunes offer a variety of
landscapes including peaty
slacks well-loved by those
familiar with them and of
the greatest interest to
naturalists. They can be
considered as exceptional
areas in that they provide
privileged sites for
endangered plant and
animal species. The survival
of these species depends on
management practices
respecting the quality of the
environment. Today a
management policy of
conservation is being
implemented and, thanks to
regulation and the use of
technical means adapted to
the situation, it has become
possible to preserve or
restore biodiversity in the
species or the landscapes.
KEY WORDS
Peat, coastal dune,
sustainable management,
ecological engineering,
monitoring, Northern
F r a n c e .
pour engendrer la création de nouvelles
dépressions au fond des caoudeyres
4
. Les
pressions sont donc anciennes et les difrentes
communautés pionnières qui se différencient
normalement en auréoles plus ou moins
concentriques, depuis les niveaux aquatiques
permanents (herbiers aquatiques, bas-marais)
jusqu’aux fourrés bas longuement inondables, ne
sont plus toujours apparents. Au contraire, le
veloppement locali de massifs arbustifs s’est
généralisé dans et autour des dépressions. Un
autre facteur nest pas étranger à cette progression
des ligneux : la diminution du lapin de garenne
sous l’effet de la myxomatose depuis les années
1950-1960. Le lapin ne contrôlant plus la
gétation dunaire, d’importants fourrés se sont
développés ; lextension des ligneux sest
accompage d’une baisse du niveau de la nappe
par augmentation de l’évapotranspiration. Certes,
le développement des arbustes sur le rebord des
dépressions crée une zone abritée du vent
favorable aux oiseaux d’eau. Mais, cette évolution
porte atteinte à la valeur du patrimoine naturel et
aux milieux aquatiques associés. Avec latterrisse-
ment et l’aschement progressif, il y a acra-
tion de la dynamique végétale, par densification
de la gétation puis embroussaillement à la
faveur d’années de sécheresse. La progression
des ligneux devient problématique à partir du
moment la tourbe atteint un stade dit
miralisé. L’assèchement conduit à la disparition
des communautés végétales les plus originales,
celles qui caractérisent les niveaux moyens et bas
les plus longuement inondables dans les vastes
pressions herbacées parfois creusées de mares
anciennes toujours en eau. En se fermant, les
dépressions disparaissent ou du moins
deviennent moins nombreuses, surtout depuis
que les gestionnaires ont interrompu le cycle
naturel des dunes en les stabilisant et en les
fractionnant avec le développement des stations
balaires au cours du siècle passé. Dans le
département de la Manche, l’assèchement peut
être aggraavec l’intensification des pratiques
agricoles sur les mielles (cultures maraîcres sur
sable) et la multiplication des pompages qui
l’accompagne. En Flandre, le drainage des polders
ou de l’arrière-dune, associé à l’installation de
captages d’eau souterraine, a produit les mes
effets. Près de la frontière belge, il faut également
noter les remblaiements ou décharges liés aux
aménagements touristiques ou portuaires mal
contrôlés (Provoost et al., 2002). Ces processus
conduisent à moyen terme à la disparition des
végétations tourbeuses. Ailleurs, la politique
d’enrésinement menée jusqu’aux années 1970-
1980 dans ou autour des dépressions a pu
remplacer les habitats naturels et encourager
l’apparition de broussailles. Dans beaucoup de
sites, les pins subventionnés par le Fonds forestier
organique, apparaissent des pelouses rases riches
en espèces patrimoniales (Sagina nodosa v a r .
monoliformis, Littorella uniflora, Gnaphalium
l u t e o - a l b u m). Ces espèces sont caractéristiques
des eaux peu profondes, oligotrophes et ts
lérement chlorurées. Plus en retrait, nous
trouvons des bas-marais tourbeux de bas niveau
riches en espèces turficoles comme le choin
noirâtre (Schoenus nigricans) et la linaigrette à
feuilles étroites (Eriophorum polystachion). On
retrouve également des espèces végétales de
grande valeur patrimoniale, certaines ayant des
affinis boréales ou thermo-atlantiques, comme la
parnassie des marais (Parnassia palustris), la
pyrole à feuilles rondes (Pyrolus rotundifolia) ou
diverses orchies comme l’épipactis des marais
(Epipactis palustris) ou le liparis de Loesel (L i p a r i s
l o e s e l i i ) (Photo 1).
La plupart de ces esces sont ts sensibles aux
variations des hauteurs d’eau et affectionnent les
sols avec un horizon tourbeux surieur. Sur les
sols organo-minéraux moins longuement inon-
dables, prend place une tation herbacée plus
haute et moins ouverte dominée physiono-
miquement par les monocotydones (graminées,
joncaes, cypéracées). Une plus grande fermetu-
re du milieu aboutit à des formations prairiales
dominées par les graminées puis à des végétations
hautes et fermées de type roselière ou mégaphorbiaie.
Les dépressions et marais arrière-dunaires sont
des sites très attractifs pour certaines espèces
d’oiseaux liées aux zones humides à condition que
les perturbations y soient limitées. Le chevalier
gambette, l’huîtrier pie, le vanneau huppé, la
bécassine des marais ou la mouette
mélanocéphale sont, entre autres, des espèces
amees à séjourner dans lespressions et aussi
à sy reproduire. De même, la diversité en insectes
aquatiques et en amphibiens (tritons, grenouilles,
crapauds) est grande et certaines espèces sont
menacées de disparition comme le triton crêté,
espèce vie à l'annexe II de la directive Habitats.
Une biodiversité étonnante et la présence
d’espèces très rares en France, voire en Europe,
font de ces écosysmes des milieux privilégs et
de véritables laboratoires à ciel ouvert.
Une biodiversi menacée
Les dépressions tourbeuses sont donc reconnues
par leur valeur biologique, écologique et
paysagère, mais aussi par leur valeur d’usage.
Mais aujourd’hui, la pérennité à long terme de ces
pressions humides ne semble pas totalement
assurée. La raison de cet état de fait est liée au
degré d’ancienneté de ces dépressions et à la
dynamique de la végétation qui s’y est velop-
pée. En effet, les massifs dunaires sont, de nos
jours, bien végétalisés et stabilisés et la
dynamique éolienne n’est pas suffisamment active
278
VOL 79 4/2004
La gestion conservatoire des dépressions tourbeuses intra-dunales du nord de la France
1 - Succession végétale dont le
premier stade est un substrat
humide nu. Lantonyme cor-
respond à la xérosère dunaire.
2 - Le Symel est le Syndicat
mixte des espaces littoraux de
la Manche.
3 - Ces cinq habitats élémen-
taires sont : les mares dunai-
res, les pelouses pionnières
des pannes, les bas-marais
dunaires, les prairies humides
dunaires, les roselières et
cariçaies dunaires.
4 - Les c a o u d e y r e s ( t e r m e
gascon) désignent des excava-
tions de petite dimension
(quelques m2) susceptibles de
se développer en largeur et en
profondeur si les conditions du
milieu sy prêtent (vent fort,
absence de stabilisation par la
végétation). Les caoudeyres
qui sélargissent constituent
lamorce des futures dunes
paraboliques.
qualitative et quantitative. Si la préservation des
habitats est étroitement liée à la qualité de la
nappe sous-jacente (teneur réduite en nitrates,
acidité modérée, etc.), elle est aussi fortement
dépendante des variations des niveaux
saisonniers. Les riodes de cheresse sont
particulièrement redoutées. Pour faciliter le
maintien de l’eau, il est cessaire de réaliser un
rajeunissement riodique de certaines
pressions par curage et/ou faucardage. Il s’avère
important daméliorer les conditions dhabitats en
adoucissant la pente des berges, en diversifiant les
substrats et les vitesses d’écoulement. De telles
opérations permettent d’accroître la diversides
biotopes et de favoriser aussi l’expression des
gétations semi-aquatiques.
Optimiser la biodiversité
Les habitats herbacés sont les plus diversifiés sur
le plan floristique et les plus menacés. Pour
favoriser ceux dont les potentialités floristiques
sont les plus remarquables, le maintien dun
niveau deau optimal doit être associé à la
réhabilitation de pratiques de gestion extensives
traditionnelles, seules garantes de la conservation
de ces habitats. Comme aux Pays-Bas (Van Boxel
et al., 1997), des pratiques novatrices, telles que la
réactivation de la dynamique dunaire, permettent
de voir réapparaître des cortèges végétaux
typiques de l’hygrore dunaire. En effet, depuis
quelques années, la tendance est de réinitialiser
les processus dynamiques caractéristiques de la
dune en mouvement et donc de permettre à des
plantes pionnres de réappartre. Cette tendance
d’abord obsere aux Pays-Bas puis en Belgique
et dans les Iles Britanniques (Owen et al., 2004)
s’est étendue dans le nord-ouest de la France
principalement dans les sites suffisamment
étendus et classés en réserve naturelle ou
biologique (dunes flamandes, du Pas-de-calais ou
de Picardie). Si la libre expression des processus
dynamiques de la dune est essentielle pour rouvrir
le milieu et créer de nouvelles formes et donc de
nouvelles pressions, elle ne suffit pas toujours,
car beaucoup de pressions sont parvenues à
des stades de maturité trop avancés. Aussi, pour
contrer cette évolution dynamique signe
d’appauvrissement de la biodiversité, l’interven-
tion humaine est cessaire et consiste à rajeunir
certaines dépressions en utilisant des outils
techniques adaptés (voir plus loin). Même si les
ligneux sont combattus, toutes les expérimen-
tations n’ont pas pour effet de les supprimer.
D’ailleurs, la cohabitation sur une même station de
jeunes et de vieux arbres s’avère un dispositif
expérimental inestimable pour l’étude des effets
de la végétation sur le sol. Les vieux arbustes
peuvent être maintenus au titre de la vocation de
"laboratoire de nature" affic par le massif
d u n a i r e .
national ont réduit la mobili du sable, bais la
nappe phréatique et acidifié les sols.
Pour contrer ces pnomènes, les structures
gestionnaires ont réagi en mettant en place une
gestion conservatoire du milieu. La gestion
conservatoire des dépressions tourbeuses s’est
développée progressivement en France depuis
une dizaine d’anes. Initiée dans la gion Nord-
Pas-de-Calais, elle sest ensuite étendue en
Picardie puis en Haute et en Basse-Normandie.
L’échange d’expériences et de connaissances
permet aujourd’hui d’intervenir au plus juste. Le
savoir-faire des techniciens permet de mettre en
œuvre différents protocoles d’intervention et de
suivi et aussi de mieux comprendre les mécanis-
mes de ponse des milieux tourbeux aux exri-
mentations et aux modes de gestion appliqués.
LA GESTION CONSERVATOIRE DES
D É P R E S S I O N S
Une bonne gestion passe par une meilleure
connaissance du milieu. Le fonctionnement hydro-
pédologique des tourbières, tout comme la
localisation précise des espèces remarquables,
sont par exemple des données fondamentales
qu’il faut acquérir avant d’entreprendre la gestion.
De même, un diagnostic écologique des sites
d’étude est absolument cessaire, car il permet
d’établir un état des lieux et d’évaluer les enjeux et
les potentialis. Quelles sont la faune et la flore
existantes ou potentielles ? Existe-t-il des esces
à forte valeur patrimoniale ? Quelle valeur attribuer
aux différentes dépressions et comment évoluent-
elles actuellement ? Cette phase de diagnostic met
souvent en exergue la raréfaction d’habitats
pionniers associée à la disparition d’esces
herbaes à intérêt patrimonial. Elle montre aussi
que les sites ont souvent été modifs tant à
travers la dynamique de la végétation (disparition
des cortèges turficoles typiques) qu’à travers du
fonctionnement hydrologique. A partir du
diagnostic, il est ensuite possible de définir un
certain nombre dobjectifs de gestion et de
moyens permettant de les atteindre.
Les objectifs de gestion et les outils techniques
e m p l o y é s
Ces objectifs de gestion peuvent se décliner en
plusieurs points :
Assurer le bon fonctionnement hydrologique des
s i t e s
Dans les dépressions dunaires, l’eau est fonda-
mentale, car cest elle qui conditionne le
fonctionnement et la dynamique des communau-
tés végétales et animales. L’hydrologie du site est
une préoccupation première et permanente qui
passe avant tout traitement appliqué à la
végétation. La gestion de leau est à la fois
279
VOL 79 4/2004
La gestion conservatoire des dépressions tourbeuses intra-dunales du nord de la France
5 - Les recrutements des gar-
des font généralement l'objet
de conventions avec les dépar-
tements qui les financent par
la Taxe départementale des
espaces naturels sensibles
(TEDENS).
Parvenir à une gestion durable en impliquant
efficacement les acteurs, dont les agriculteurs
Les gestionnaires s’engagent à maintenir en bon
état de conservation les terrains acquis et à en
assurer la surveillance. Pourrer des dépressions
tourbeuses en proie à une dynamique permanen-
te, le personnel emplo par la force publique ne
suffit pas, dautant plus que les ches des agents
deviennent de plus en plus nombreuses (surveil-
lance, entretien et suivi de la végétation, visites
guidées, formation, unions diverses etc.). Pour y
parvenir, le Conservatoire du Littoral fait par
exemple appel à des partenaires motivés, associa-
tions, classes vertes de lye agricole, agriculteurs.
Chaque acteur palablement formé participe ainsi
à la gestion conservatoire des dépressions.
Dans le département de la Manche, encore à forte
connotation rurale, l’investissement des agricul-
teurs est important. Les exploitants utilisent les
dunes en agriculteurs soucieux d’une gestion
durable, en respectant scrupuleusement le
patrimoine naturel et paysager des biens grâce à
des pratiques agricoles adaptées. Les animaux
introduits (vaches et chevaux dans le Cotentin)
fquentent les dunes sèches et la périprie des
dépressions. Autour des mares, des travaux
d’entretien favorisent des espaces de végétation
basse "en mosque" avec des effets de lisière en
grande quantité. La gestion des parcelles
concernées doit permettre le développement de la
diverside la flore et de la faune en favorisant
l’existence d’habitats favorables. Certains de ces
habitats pourront aussi servir de zones refuges
pour les espèces animales (zones de reproduction,
nourrissage d’abri). Le Conservatoire du Littoral
impose à l’exploitant qui accepte d’intervenir le
respect d’un cahier des charges. Il lui est bien r
interdit de drainer ou de modifier le
fonctionnement hydraulique des terrains. Il lui est
interdit d’écobuer ou d’affourager les animaux
(sauf lors de conditions météorologiques
exceptionnelles). Cette pratique ne doit pas être
intégrée dans un système de production intensif et
les dunes ne doivent pas servir de stabulation de
plein air pour des troupeaux de plus en plus
nombreux. Le nombre d’animaux par exploitant
est contlé. Une bonne gestion des dépressions
passe par un faible chargement à l’hectare. Au
dessous de 0,5 UGB/ha, il est possible de laisser
les animaux s’alimenter avec les réserves du
milieu. Mais lorsque la charge est trop forte, les
fourrages produits par la dune représentent une
part faible à gligeable du besoin des animaux,
ce qui implique un apport important de l’éleveur et
un risque de gradation fort de la dune. Si les
animaux sont trop nombreux, les dépressions
tourbeuses ne peuvent plus les accueillir. Il faut
alors envisager la création de mares artificielles.
Ces mares offrent des points permanents les
animaux en pâture peuvent venir s’abreuver.
280
VOL 79 4/2004
La gestion conservatoire des dépressions tourbeuses intra-dunales du nord de la France
Ainsi, les dépressions tourbeuses, autres mares,
mais souvent temporaires car susceptibles de
s’assécher en été, sont préservées.
Bien que repsens également, les agriculteurs
ont tendance à être relayés par d’autres acteurs
(milieux associatifs, ONF, voles etc.) dans les
départements du Nord ou du Pas-de-Calais. Dans
ces départements, les dépressions de petite
dimension (quelques dizaines de m
2
au plus)
caractérisées par une évolution tourbeuse sont
appelées pannes (terme d’origine flamande). Ces
pannes abritent des végétations ouvertes de
gazons herbacés ras, annuelles ou vivaces. C’est,
par exemple, le cas de la serve biologique
domaniale de Merlimont (Pas-de-Calais) où les
pannes humides se développent à l’arrière du
cordon bordier dans les creux des dunes à
tendance parabolique. Dans ces pannes, des
travaux de restauration et d’entretien ont été
engagés depuis une dizaine dannées par les
forestiers aidés par une association intervenant en
milieu naturel, "les Blongios". Dans les dunes
flamandes, le Conseil néral fait appel pour la
gestion courante (nettoyage et débroussaillage
manuel des pressions) à des associations ou à
des entreprises d’insertion (Ecoflandres), voire à
des maisons de quartiers. Des collaborations
basées sur le volontariat existent même avec les
pays voisins : c’est, par exemple, le cas des dunes
du Mont-Saint-Frieux fquentées chaque ane
par des Hollandais qui viennent y réaliser des
chantiers écologiques depuis 1989. Cela crée ainsi
de nouvelles formes de sociabilité puisque des
groupes sociaux qui n’étaient pas au départ en
contact les uns avec les autres se rencontrent et
apprennent en échangeant. Tous œuvrent dans la
recherche d’un résultat à produire (restaurer la
biodiversité) et dans la manière dont il convient de
conduire telle action pour arriver à ce sultat. La
participation active de tous ces acteurs engendre
un sentiment d’appartenance et de soutien en
faveur des structures gestionnaires.
Les objectifs de gestion sont budtisés et clarifiés
dans un plan de gestion soumis à l’approbation
d’un comité de gestion consultatif. Les budgets
annuels de fonctionnement d’un site peuvent
varier considérablement. Chaque année, les
penses inhérentes à la gestion sont réservées
pour les équipements d’accueil du public et pour
l’animation des sites. Mais il faut garder à l’esprit
que la plupart des investissements cessaires à
la gestion, même sils sont réalisés par les
organismes gestionnaires, entraînent à l’aval des
charges d’entretien élevées. Les collectivités
territoriales prennent souvent en charge les
gardes du Conservatoire
5
, ainsi quune partie des
frais des aménagements et des opérations de
nie écologique. Afin de duire les dépenses,
les travaux d’entretien sont souvent alis par
les communes, les associations ou les classes
vertes des lycées agricoles.
A Merlimont, le gyrobroyage, d’abord alisé par
les chasseurs (psence de mares de chasse sur le
site), a permis de rétablir des stades pionniers et
de faire face à l’envahissement par le saule des
dunes et autres espèces buissonnantes comme
l’argousier. Ce dernier a tendance à conquérir
rapidement les zones ouvertes des dunes, qu’elles
soient sèches ou humides, et son extension doit
être contlée
7
, car sinon il risque d’uniformiser la
végétation et surtout d’assécher les pannes. Le
gyrobroyage a limité l’embroussaillement mais
l’éparpillement sur place des débris végétaux a
favorisé leutrophisation de ces milieux humides et
leur restauration complète a ensuite cessi
partir de 2000) un étrépage. L’étpage recrée une
situation de départ abiotique favorable aux
espèces pionnières. Le fond des pannes, mais
aussi les tés, sont aujourd’hui traités afin de
laisser sexprimer la végétation de bordure
conditionnée par la hauteur d’eau. Dans cette
réserve, les pannes ne sont pas les seuls écosys-
mes humides pour lesquels des actions de
conservation sont engagées : d’autres zones à
évolution tourbeuse apparaissent dans leur
continui comme les habitats de bas-marais ou
les nombreux trous de bombe, vestiges de la
dernière guerre.
D’une manière générale, en France et dans les
pays limitrophes (Adema et al., 2002 ; Petersen,
2000), les méthodes manuelles ont fait leurs
preuves, mais restent fastidieuses. Les engins
caniques sont parfois utilis pour remodeler le
profil des dépressions humides et ainsi retrouver
un niveau topographique plus favorable aux
espèces hygrophiles. Mais lorsquil est fait appel à
la canisation (utilisation d’engins agricoles), il
faut être très prudent car il existe des risques de
compaction du sol et de modification de la
topographie de la dépression. Comme en
Angleterre (utilisation d’herbicides dans les dunes
de late de Sefton), des erreurs ont été
commises au début et cette pratique qui
uniformise la surface du sol et la végétation n’est
pas toujours adaptée dans les dépressions
dunaires à cause de la présence des amphibiens
(Rooney, 1997). Aujourdhui, des règles de bonnes
conduites sont établies pour optimiser la
biodiversité qu’elle soit végétale ou animale.
Lorsque le gestionnaire veut tester l’effet de telle
ou telle pratique, les outils de gestion (pâturage,
fauche, étrépage et témoins sans intervention)
sont testés sur des surfaces écologiquement
homogènes où sont plas des blocs
expérimentaux de plusieurs quadrats permanents.
Bref, toutes les opérations mentionnées visent à
éclaircir la végétation et à favoriser la reprise
spontanée des espèces caractéristiques des
premiers stades de la succession écologique. Ces
stades pionniers et post-pionniers sont les moins
compétitifs, mais les plus riches : lenjeu
écologique est donc important.
6 - Un entretien gulier par
fauche exportatrice entraîne un
rajeunissement périodique du
milieu et permet de restaurer
les différents habitats caracté-
ristiques des substrats sableux
peu organiques, en particulier
ceux do nt les poten ti alités
flori stiques sont les p lus
remarquables.
7 - L’argousier est un arbuste
épineux doté dun mode de
dissémination par drageons. Le
comportement de largousier
diffère suivant qu’il est coupé
sur terrains secs ou humides :
en zone sèche, il dépérit alors
quen zone humide il rejette
très bien. Pour que la gestion
conservatoire soit efficace, il
importe donc aux gestionnai-
res d’extraire si possible les
souches et dexporter les
rémanents (ramassage, brûla-
ge, puis év acuation d es
cendres en décharge).
281
VOL 79 4/2004
La gestion conservatoire des dépressions tourbeuses intra-dunales du nord de la France
Ces travaux font appel à des techniques variées et
ont pour but soit de restaurer les habitats gras,
soit de les entretenir dès qu’ils ont été restaurés.
Des pratiques comme le pâturage extensif
itinérant ou la fauche exportatrice
6
, largement
employées aussi bien dans certains systèmes
dunaires nordiques (îles Hébrides) que dans ceux
à caractère cantabro-atlantique (Galice), sont
aujourd’hui privilégiées. La pratique du pâturage
n’est pas nouvelle, puisque les dunes servaient de
terres de parcours et ont été de tout temps
parcourues par les bestiaux. Le pâturage exer
par les lapins durant des siècles est aujourd’hui
contrôlé, mais il n’est plus suffisant sur tous les
sites en cours d’embroussaillement. L’absence de
fquentation ou laccès limité dans beaucoup de
sites à caractère tourbeux a rendu l’établissement
du pâturage domestique possible (chevaux,
poneys). Le pâturage redonne le sens de la vie
sauvage à des animaux de race rustique. En
général, les animaux sont contenus sur des petites
parcelles puisque les conventions de pâturage
écologique établies entre les structures gestion-
naires et les agriculteurs sappliquent sur quelques
hectares. Si le bétail est générateur de micro-
perturbations favorables à l’apparition des plantes
pionnières, la surcharge pastorale doit absolument
être évitée (cf. ci-dessus) afin d’empêcher des
problèmes de dégradation du milieu (tassement
des sols, enrichissement en nitrates) ou
d’appauvrissement floristique. Dans les sites
fortement embroussaillés, le pâturage n’est pas
mis en œuvre pour ouvrir les milieux mais plutôt
pour maintenir louverture des milieux restaurés et
pérenniser les sultats obtenus.
La fauche assortie d’un décapage superficiel du sol
peut s’avérer intéressante à condition qu’elle soit
alisée à la bonne période et sur des surfaces
réduites (quelques mètres carrés). Une fauche
estivale annuelle est cessaire pour limiter
l’extension des formations prairiales ou ligneuses
(jonchaies, roselières, saulaies). La croissance
vigoureuse de certaines graminées (C a l a m a g r o s t i s
e p i g e i o s) peut également être jugulée par cette
pratique. De nombreuses espèces patrimoniales
se réveillent à la mise en lumre (E p i p a c t i s
palustris, Dactylorhiza incarnata, Ophioglossum
v u l g a t u m ) et redonnent aux pressions leur
caractère juvénile et oligotrophe. Lorsque les
pressions sont de petite taille, une fauche
tournante est appliquée de fon difrenciée, afin
de disposer d’une mosaïque d’habitats, surtout en
période de basses eaux (Galloo et al., op. cit.) .
Dans beaucoup de dunes tourbeuses, la fauche est
simplement utilisée pour contrôler la hauteur et la
densité des populations de saules. Le mariel de
coupe doit être enlevé pour éviter une accumu-
lation de nutriments et un étouffement des
banques de semences. Dans certains massifs
fquentés par les touristes, le matériel de coupe
enlevé est utilisé pour recouvrir les chemins
sableux afin de les consolider.
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La gestion conservatoire des dépressions tourbeuses intra

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