Article-jean-leonetti-nov-2014

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18nov
Trois débats pour une révision de la
loi sur la fin de vie
Jean Léonetti Presse écrite
Analyse des pistes de réflexion et des questions en suspens, quinze jours avant le rendu des
conclusions.
1 - DIFFUSER LA « CULTURE PALLIATIVE »
La mission réfléchit au développement des services et à la formation des médecins, avec
une attention particulière pour les établissements d’hébergement pour personnes âgées
dépendantes (EHPAD).
Développer les soins palliatifs : c’est probablement la partie la plus consensuelle du travail des
députés… «Mais il faut le faire, coupe le député Alain Claeys. Nous devons être fortement
incitatifs.» Près de quinze ans après la loi érigeant l’accès à ces structures en droit du patient, le
Comité consultatif national d’éthique dénonçait en effet dans son dernier rapport le «scandale»
du non-accès à ces soins.
Ceux-ci sont «limités à une ”élite” soignante qui s’adresse à une sélection de patients, ceux qui
connaissent le système de santé, ceux qui ont des réseaux», déplorait aussi le Collectif inter
associatif sur la santé (CISS) dans sa dernière note, publiée fin octobre.
Proposant «une approche globale et interdisciplinaire» du patient, les 116 unités de soins
palliatifs comptabilisées en 2013 ont pour «objectif de soulager les douleurs physiques et les
autres symptômes, mais aussi de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et
spirituelle (1)».
Fixes ou mobiles (se rendant dans les services, les maisons de retraite, au domicile), les unités
sont une réponse à beaucoup de souffrances. Mais cette prise en charge est à la fois trop rare et
trop tardive, a déploré Jean-Claude Ameisen, président du CCNE, devant la mission. «Quand on
ne soigne pas une douleur lorsqu’elle apparaît, on a d’autant plus de mal à la soigner quand elle
est installée. De plus, réserver les soins palliatifs pour la toute fin de vie envoie au patient le
signal qu’il va mourir incessamment.»
Comme pour beaucoup d’intervenants, il plaide pour rompre l’équation «soins palliatifs = fin de
vie». Pour cela, c’est ainsi tout une culture médicale qu’il faut bouleverser afin que les soins de
support, de soulagement «deviennent la base de la médecine, a expliqué Jean-Claude Ameisen.
Il faudrait que l’oncologue sache en faire, comme le généraliste».
Pour les parlementaires, une des pistes serait de renforcer la place des soins palliatifs dans les
études de médecine, et donc dans le concours de l’internat. Selon le rapport Sicard, remis en
décembre 2012, 80 % des médecins n’auraient en effet jamais suivi de formation sur la prise en
charge de la douleur.
Des stages dans des services de soins palliatifs pourraient devenir obligatoires en tout début de
formation ou pour les étudiants concernés par les maladies graves. Au-delà de la formation, il
s’agira aussi de valoriser et de diffuser les bonnes pratiques, comme celles de ces services où un
spécialiste des soins palliatifs participe aux réunions interdisciplinaires dès l’annonce du
diagnostic d’une maladie incurable. Le rôle de l’Observatoire national de la fin de vie, créé en
2010, pourrait être renforcé en ce sens.
Enfin, un nouveau plan de développement des soins palliatifs devrait être décidé, le dernier
s’étant achevé en 2012. Symboliquement, cela marquerait une volonté politique forte et
permettrait de « flécher » des moyens pour développer les services et former aux traitements
contre la douleur. Le dernier plan de développement avait été financé à hauteur de 229 millions
d’euros.
Dans les propositions des parlementaires, certains lieux ou populations devraient aussi faire
l’objet d’une attention particulière. La situation des établissements d’hébergement pour
personnes âgées dépendantes (Ehpad) a été largement critiquée.
Les personnels formés ou sensibilisés aux soins palliatifs y sont aussi trop rares. En l’absence de
personnel médical le soir et le week-end, les résidents sont trop souvent envoyés aux urgences
inutilement. Chaque année, 8 000 personnes en provenance d’Ehpad décèdent aux urgences
dans les heures qui suivent leur admission.
2 - OBLIGER LE MÉDECIN À RESPECTER LES DIRECTIVES DU PATIENT
Faisant l’objet d’un relatif consensus, l’« opposabilité » des directives pose néanmoins
des questions pratiques et éthiques complexes.
Dès son rapport d’évaluation en 2008, Jean Léonetti l’affirmait : il faut «rendre les directives
anticipées opposables au médecin». Créées par la loi de 2002, celles-ci n’ont en effet que la
force de « souhaits », dont les médecins doivent seulement tenir compte.
C’est une des raisons pour lesquelles elles sont peu rédigées par les patients : en 2009, seuls 2,5
% des personnes concernées, c’est-à-dire incapables de s’exprimer au moment de la décision,
avaient rédigé des directives, selon l’Institut national d’études démographiques (Ined). «En
France, nous sommes dans une médecine du consentement et non de la volonté du patient, a
analysé François Goldwasser, chef du service de cancérologie de l’hôpital Cochin (Paris) devant
la mission parlementaire. Nous préconisons des traitements auquel il adhère, mais on ne sait pas
réellement ce qu’il veut. Or consentir n’est pas forcément vouloir.»
Un consensus se dégage donc, depuis plusieurs années, pour que les directives soient qualifiées
de «contraignantes» ou d’«opposables», bref, qu’elles s’imposent au médecin. Cela pose
néanmoins de nombreuses questions éthiques et pratiques.
La première : ce que l’on veut un jour est-il valable pour toujours ? «Nous avons deux libertés
fondamentales : celle de choisir et celle de changer d’avis», a fait valoir le professeur Axel Kahn
lors de son audition.
Faudrait-il que la directive soit plusieurs fois réitérée pour qu’elle soit contraignante ? Pourrait-on
imaginer que certaines directives soient opposables et pas d’autres ? C’est la piste privilégiée par
la mission. Bien que réunies en un seul document, il y aurait deux types de directives.
Les premières, d’ordre général, seraient rédigées par la personne en bonne santé pour le cas où
elle serait victime d’un accident la laissant inconsciente. Ces souhaits auraient une portée
indicative.
Les secondes, plus précises, pourraient avoir une portée contraignante. L’ensemble du
document, visé par un médecin, envisagerait ainsi plusieurs scénarios : la personne veut-elle être
placée sous respirateur ? Accepte-t-elle d’être alimentée et hydratée par sonde ou perfusion ?
Atteinte d’une maladie en phase avancée, veut-elle être transférée en réanimation si son état le
requiert ?
Une consultation spécifique consacrée aux directives pourrait même être proposée autour de
l’annonce d’un diagnostic grave. Cela permettrait d’évoquer avec le patient des questions
précises sur sa fin de vie, en même temps que des questions plus larges sur le parcours de
soins. Comme au Pays-Bas, ces directives pourraient être placées en première page du dossier
médical et être régulièrement rediscutées avec les personnels soignants. Quel que soit le
dispositif choisi, la mission prévoit néanmoins que le médecin puisse se «délivrer» de
l’opposabilité dans certaines situations précises, par exemple pour les urgences vitales. S’il ne
suivait pas les directives, le médecin devrait se justifier, soit en convoquant la collégialité, soit en
expliquant sa décision par écrit, dans un document cosigné par un confrère, versé au dossier
médical et communiqué aux familles.
Une procédure aussi cadrée et détaillée, s’agissant de situations par nature complexes,
douloureuses et évolutives, est-elle envisageable ? Certains spécialistes sont sceptiques.
Emmanuel Hirsch craint ainsi un double écueil : côté patients, le risque de se voir «condamné à
décider», «au prix d’y concéder la liberté d’une certaine insouciance et (…) le droit de ne pas
savoir, de ne pas avoir à décider de tout». Côté soignants, le risque « de se sentir exonéré de
toute autre responsabilité que le strict respect juridique de ce qui est exigé d’eux».
3 - LA SÉDATION, UN DROIT
Renforcer et de développer l’usage de la sédation lorsque les plus puissants antidouleur
n’ont plus d’effet ferait franchir un pas supplémentaire, entre l’accompagnement et l’aide à
mourir.
Renforcer et développer l’usage de la sédation lorsque les plus puissants antidouleurs n’ont plus
d’effet ferait franchir un pas supplémentaire, entre l’accompagnement et l’aide à mourir. Pourra-ton demain exiger de son médecin qu’il nous endorme définitivement, quelques jours avant notre
mort ?
Tel est l’enjeu des débats sur la «sédation profonde et continue jusqu’au décès» vers laquelle
tendent les députés Alain Claeys et Jean Léonetti. Actuellement, la sédation est possible si le
médecin n’arrive pas à calmer une douleur ou une souffrance par d’autres moyens.
Mais elle n’est pratiquée qu’à l’initiative du médecin et de façon réversible : on endort le patient
en dosant au plus juste le traitement visant à réduire son état de conscience afin qu’il puisse se
réveiller de lui-même, par exemple au matin ou lors des visites, ou que le médecin puisse le
réveiller, pour vérifier si le symptôme persiste par exemple.
Une pratique critiquée par le docteur Bernard Devalois, chef d’une unité de soins palliatifs : «Il
faut sortir du dogme de la réversibilité. Réveiller un patient pour lui dire : ’’Alors vous souffrez
toujours ?’’ et le sédater à nouveau, cela peut s’apparenter à de la maltraitance.»
C’est sur ces deux points, initiative du médecin et réversibilité, que les députés veulent clarifier
les pratiques. La sédation deviendrait, d’abord, un droit du patient : il pourrait l’exiger de son
médecin. Et ce dernier l’endormirait en assumant, dès le départ, l’idée de ne pas le réveiller
jusqu’à son décès.
Dans le détail, les députés distinguent deux situations. La première concerne les patients hors
d’état d’exprimer leur volonté. Lors d’un arrêt des traitements, la mise en place d’une sédation
continue jusqu’au décès deviendrait une obligation pour le médecin.
Pour les patients conscients, la sédation deviendrait un droit à trois conditions : être en phase
terminale (pronostic vital engagé « à court terme »), avoir demandé l’arrêt de tous les traitements
et ressentir des souffrances physiques et psychiques réfractaires aux traitements.
Ce sommeil induit pourrait-il ou devrait-il accélérer, par effet secondaire ou de façon assumée, la
survenue du décès ? Pour les uns, assumer l’accélération du décès, si le patient demande «à ce
que ça ne dure pas trop», se rapproche d’une pratique euthanasique.
La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) se méfie ainsi de la création
d’un « droit créance » à la sédation : «Sa mise en place créerait une confusion majeure sur la
finalité de cette pratique, a expliqué le docteur Vincent Morel lors de son audition. Le parallèle
entre euthanasie et sédation pourrait alors être effectué.»
La Sfap souhaite que la décision soit soumise à une décision médicale collégiale. Mais alors, il
ne s’agirait plus d’un droit du patient. De son côté, le Conseil national de l’ordre des médecins
réclame que ce droit s’accompagne d’une «clause de conscience» pour les médecins. «Soulager
est un devoir du médecin, a répondu Jean Léonetti. Depuis quand un devoir devrait-il
s’accompagner d’une clause de conscience ?»
Pour lui, comme pour le Comité consultatif national d’éthique, la question de la survenue de la
mort importe finalement peu. Une sédation sur un corps en fin de vie qui n’est plus alimenté ni
hydraté entraîne, de fait, la mort dans les jours qui suivent. Mais elle n’est qu’un effet secondaire,
l’intention étant bien de soulager.
Source : la Croix – Flore Thomasset – 17/11/2014
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