L’Encéphale (2009) 35, 269—280
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
PSYCHOGÉRIATRIE
Dépression et personnes âgées
Depression and the elderly
T. Gallardaa,b,,H.Lôo
a,b
aInserm, U 894-7, physiopathologie des maladies psychiatriques, Paris, France
bService hospitalo-universitaire, hôpital Sainte-Anne, faculté de médecine Paris Descartes,
université Paris Descartes, 7, rue Cabanis, 75674 Paris cedex 14, France
Rec¸u le 12 juin 2008 ; accepté le 2 octobre 2008
Disponible sur Internet le 5 juin 2009
MOTS CLÉS
Dépression ;
Âge avancé ;
Pluridisciplinarité ;
Comorbidités ;
Troubles cognitifs ;
Maladie d’Alzheimer ;
Antidépresseurs ;
Psychothérapie ;
Modèles de soins
Résumé «Dépression »et «âge avancé »sont souvent associés chez nos contemporains.
«Dépression »est alors entendu dans le sens de «désespoir existentiel »et non celui de «maladie
dépressive »: sont amalgamés l’éprouvé du tragique de l’existence et une condition patholo-
gique. Des tableaux dépressifs dont le caractère pathologique ne fait aucun doute sont fréquents
chez la personne âgée mais les frontières entre normal et pathologique deviennent plus impré-
cises en dec¸à d’un certain seuil symptomatique, en présence d’évolutions chroniques et dans
les situations de comorbidités. L’outil nosographique, malgré ses limites, s’avère précieux. Les
études épidémiologiques incluant les comorbidités de l’épisode dépressif avec des troubles
cognitifs et/ou des affections somatiques permettent de meilleures estimations des taux de
prévalence des symptômes et des troubles dépressifs au sein des populations âgées. La for-
mule, «la dépression est la dépression à tout âge », recèle une part de vérité à condition
de prendre en compte les multiples facteurs qui modifient l’expression symptomatique de la
dépression avec l’avance en âge. Le facteur le plus documenté est la comorbidité de la dépres-
sion avec des affections somatiques, présente chez la majorité des plus de 80 ans. D’autres
facteurs, psychologiques ou socioculturels, sont également à l’œuvre mais leur influence a été
moins étudiée. La baisse des performances cognitives observée au cours des troubles dépressifs
n’est pas l’apanage des personnes âgées mais elle est indéniablement plus marquée dans cette
population. Poser un diagnostic précoce de maladie d’Alzheimer ou, au contraire, éliminer ce
diagnostic chez un patient déprimé rapportant un affaiblissement cognitif constitue une étape
essentielle de la prise en charge. Avec le bilan neuropsychologique et l’imagerie cérébrale,
nécessaires au diagnostic, s’impose aussi la nécessité d’une évaluation pluridisciplinaire, neu-
ropsychogériatrique. La prise en charge d’un état dépressif gériatrique emprunte à différentes
approches de soins incluant les soins somatiques, les médicaments psychotropes, les techniques
de stimulation cérébrale et la psychothérapie mais aussi l’accompagnement médicosocial. La
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (T. Gallarda).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009.
doi:10.1016/j.encep.2008.10.013
270 T. Gallarda, H. Lôo
coordination des soins incombe au médecin généraliste, au cœur du dispositif. Mais cette mis-
sion théorique peut s’avérer impossible pour la gestion des cas complexes. De ce constat est
née la réflexion sur des modalités d’adaptation du modèle anglo-saxon des «soins en colla-
boration »dans notre pays : la coordination des différentes interventions thérapeutiques par
un gestionnaire du soin offrirait une efficacité supérieure à celle des modalités habituelles de
soins.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
KEYWORDS
Depression;
Advanced age;
Pluridisciplinarity;
Comorbidities;
Cognitive disorders;
Alzheimer’s disease;
Antidepressants;
Psychotherapy;
Care models
Summary ‘‘Depression’’ and ‘‘old age’’ are often associated among our contemporaries.
In this case, ‘‘depression’’ is understood to be ‘‘existential despair’’ and not a ‘‘depressive
disease’’: an amalgam is made of the tragedy of the patient’s existence and a pathologi-
cal condition. Clinical pictures of depression, the pathological nature of which is obvious,
are frequent in the elderly; however, the line between normal and pathological becomes
less clear above a certain symptomatic threshold, in the presence of chronic evolutions and
in situations of comorbidity. The nosographical tool, in spite of its limits, is precious. Epi-
demiological studies that include the comorbidities of the depressive episode with cognitive
and/or somatic affections permit better estimations of the prevalence of the symptoms and
the depressive problems among elderly populations. The formula ‘‘depression is depression at
whatever age’’ harbours a certain truth if one takes into account the multiple factors that
modify the symptomatic expression of depression in later life. The most documented fac-
tor is the comorbidity of depression with somatic affections that is present in the majority
of those aged over 80. Other psychological or sociocultural factors are also apparent, but
their influence has been studied less. The decline in cognitive performance observed during
depression is not exclusive to the elderly but is undeniably more marked in this population.
Making an early diagnosis of Alzheimer’s disease or, conversely, eliminating this diagnosis in a
depressed patient complaining of diminished cognition is an essential step in the subsequent
management. Together with the neuropsychological assessment and brain imaging, required
for diagnosis, a neuropsychogeriatric pluridisciplinary assessment is obviously required. The
management of geriatric depression is based on various approaches that include somatic care,
psychotropic drugs, brain stimulation techniques and psychotherapy, but also requires medi-
cosocial care. The coordination of care is incumbent on the general practitioner in the heart
of the plan. However, this theoretical mission may appear impossible for the management
of complex cases. Based on this, reflections on were initiated on the modalities of adap-
ting the Anglo-Saxon ‘‘collaborative care’’ to France: coordination of the various therapeutic
interventions by a care manager would offer greater efficacy than that of the usual care
modalities.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
«Dépression »et «âge avancé »sont souvent associés
chez nos contemporains. Depuis Burton, dans son «Anatomie
de la mélancolie »,«After seventy years, all is trouble and
sorrow », la littérature classique a fourni pléthore de cita-
tions sur ce thème. «Dépression »est alors entendu dans
le sens «désespoir existentiel »et non «maladie dépres-
sive ». Sont amalgamés l’éprouvé du tragique de l’existence
et une condition pathologique qui relève de la médecine.
Cet amalgame trouve ses racines dans des sociétés occi-
dentales où les valeurs de la jeunesse sont à ce point
sacralisées que «vieillir jeune »est érigé en objectif. Les
médecins somaticiens ont adhéré à ces postulats négatifs
liés au vieillissement avancé. Les psychiatres eux-mêmes
ont longtemps déserté le champ des affections mentales
du vieillissement. Dans son abord de la maladie dépres-
sive, le médecin doit éviter l’indifférenciation entre ce qu’il
perc¸oit comme une condition existentielle, «être devenu
un vieillard »et les symptômes d’un état pathologique,
«souffrir d’un état dépressif ». Cette indifférenciation pour-
rait, en effet, déboucher sur deux impasses : l’abstention
thérapeutique dans des états dépressifs sévères, ou la médi-
calisation et le risque de prescription en excès face à des
plaintes ou des modifications comportementales, en dehors
de tout processus pathologique [13,19].
Le normal et le pathologique : l’éclairage
nosographique
La dépression de la personne âgée questionne particu-
lièrement les frontières du normal et du pathologique.
Des tableaux dépressifs dont la nature pathologique ne
fait aucun doute sont fréquents au cours de la deuxième
partie de la vie, d’intensité mélancolique, parfois avec
des caractéristiques catatoniques ou délirantes. Ils béné-
ficient d’une prise en charge thérapeutique codifiée. Mais
les états dépressifs d’expression symptomatique atténuée
sont plus nombreux à cet âge. Le diagnostic de ces états
dépressifs est plus difficile, leur évolution et leur théra-
peutique moins consensuelles. Pour certains, ils pourraient
constituer les prémices des troubles dépressifs majeurs,
soulignant l’importance de leur identification dans une
optique préventive. Les frontières entre normal et patholo-
gique deviennent plus imprécises en dec¸à d’un certain seuil
Dépression et personnes âgées 271
symptomatique (dépressions subsyndromiques, dysthymies,
dépressions mineures), en présence d’évolutions chroniques
ou dans les situations de comorbidités. Contrairement aux
troubles dépressifs à la symptomatologie bruyante, ces
situations relèvent de la compétence des médecins de
soins primaires ou de médecine somatique hospitalière
[24].
L’épisode dépressif
L’outil nosographique, malgré ses limites, s’avère précieux.
Les auteurs de la classification internationale des mala-
dies (CIM 10eversion) comme ceux du manuel diagnostique
et statistique «des troubles mentaux »(DSM) ont identifié
neuf symptômes cardinaux dans leur définition de l’épisode
dépressif («épisode dépressif majeur »). Ces critères diag-
nostiques requièrent la présence minimale de cinq d’entre
eux, parmi lesquels obligatoirement l’humeur dépressive ou
la perte d’intérêt ou de plaisir [3,29].
L’épisode dépressif organique
Le diagnostic d’épisode dépressif organique est posé uni-
quement lorsqu’il existe une présomption de causalité
directe entre une affection cérébrale ou une autre affec-
tion physique et un trouble associant une modification de
l’humeur à une altération globale du niveau d’activité [29].
Le trouble de l’humeur doit survenir à la suite du fac-
teur organique présumé et ne pas constituer une réaction
émotionnelle du patient à la présence du trouble cérébral
organique. Les auteurs du DSMIV offrent la possibilité de
coder l’existence d’une humeur dépressive prédominante
dans les critères diagnostiques de la démence vasculaire
[3].
Le trouble dysthymique
Le trouble dysthymique est défini par l’association d’une
humeur dépressive chronique, pendant au moins deux ans et
d’au moins trois symptômes au sein d’une liste. La comorbi-
dité avec une situation médicale chronique est fréquente.
Le trouble de l’adaptation avec humeur dépressive
Le trouble de l’adaptation avec humeur dépressive désigne
un état de détresse et de perturbation émotionnelle qui sur-
vient dans le mois suivant une période d’adaptation à un
changement existentiel ou à un événement stressant et ne
persiste guère au-delà de six mois.
La dépression mineure
L’entité «dépression mineure »n’est pas individualisée par
les auteurs de la CIM 10. À un âge avancé, dépression
majeure et dépression mineure partagent des facteurs de
risque, la dépression mineure étant elle-même un facteur
de risque de dépression majeure [20]. Leur retentissement
fonctionnel est souvent équivalent [27].
La dépression subsyndromique
L’utilisation du terme «dépression subsyndromique »est
associée à un certain flou : elle peut renvoyer à des situa-
tions où le nombre de symptômes dépressifs est insuffisant
pour remplir les critères de définition des troubles dépressifs
(trouble dépressif majeur ou dysthymique) ou être syno-
nyme de dépression mineure. Malgré ces limites liées à une
utilisation imprécise, cette notion rencontre une réelle per-
tinence clinique en pratique gérontopsychiatrique.
L’apport de l’épidémiologie
Différentes études épidémiologiques en population générale
ont mis en évidence une large prévalence des «symptômes »
dépressifs sur celle des «épisodes dépressifs », à tous
les âges de la vie. Ce constat prévaut particulièrement
auprès des populations âgées : dans cette tranche d’âge,
l’estimation du taux de prévalence des épisodes dépres-
sifs majeurs caractérisés selon les critères DSM apparaît
même inférieur à celui observé chez l’adulte d’âge moyen.
Parmi les plus classiques, l’étude Epidemiologic Catchment
Area (ECA) souligne le contraste entre des taux de pré-
valence des symptômes dépressifs estimés à 10 % contre
des taux d’épisode dépressif majeur entre 1 et 1,5 % chez
la personne âgée. Ces données épidémiologiques contre-
carrent l’intuition médicale d’une élévation avec l’âge des
symptômes comme des troubles dépressifs. Depuis, d’autres
travaux épidémiologiques ont nuancé ces résultats en utili-
sant des méthodes d’évaluation diagnostique plus adaptées
aux populations âgées. Ils incluent en effet les situations de
comorbidité de l’épisode dépressif avec des troubles cogni-
tifs ou des affections somatiques [8].
L’étude Euro-DEP, à partir de la notion de «dépression
cliniquement significative », rapporte ainsi des taux de
prévalence de symptômes (8,6 et 14,1 %) et de troubles
dépressifs (entre 1 et 4 %) sensiblement plus élevés [9].
Certains indicateurs épidémiologiques définis dans des
groupes de populations spécifiques sont alarmants : en insti-
tution hospitalière, 20 % en moyenne des sujets âgés seraient
déprimés ; en institution pour personnes âgées, la préva-
lence de la dépression est régulièrement estimée au triple
de celle de la population générale [6]. La perte d’autonomie
qu’elle soit liée à un handicap physique ou au déclin intellec-
tuel et l’isolement affectif sont puissamment dépressogènes
et causes d’institutionnalisation.
Il existe une croyance commune selon laquelle l’avance
en âge est elle-même facteur d’une incidence accrue de
la dépression. En fait, c’est la comorbidité somatique (fré-
quemment associée au facteur âge) et non l’âge en soi qui
accroît le nombre de nouveaux cas de dépression. Un sujet
âgé ou très âgé qui serait indemne d’affection somatique
n’est pas plus exposé à souffrir de dépression qu’un sujet
d’âge moyen [23].
Phénoménologie des dépressions gériatriques
Les dépressions observées avec l’avance en âge présentent-
elles des profils symptomatiques ou évolutifs spécifiques ?
Trouvent-elles leurs causes dans des facteurs étiopatho-
géniques distincts ? Relèvent-elles d’autres approches
272 T. Gallarda, H. Lôo
thérapeutiques ? Autant de questions qui justifie-
raient l’individualisation d’une catégorie diagnostique
«dépression de l’âge avancé »[14].
Une réponse négative fait consensus dans la littérature
internationale, résumée dans la formule : «depression is
depression at any age »(la dépression est identique à tous
les âges). Pourtant, la pratique clinique, le choix des straté-
gies et l’analyse des réponses thérapeutiques questionnent
cette affirmation. Certaines expressions symptomatiques
apparaissent surreprésentées avec l’avance en âge. Les
plaintes somatiques incluant l’hypochondrie, les symptômes
mélancoliques et psychotiques, les déréglements psycho-
moteurs (ralentissement ou agitation, voire symptômes
catatoniques) ou du rythme nycthéméral et les symptômes
portant sur l’efficience cognitive sont les plus fréquemment
observés [24].
L’analyse des symptômes dépressifs observés auprès de
personnes âgées de l’étude EURO-Dep (14 pays) a conduit à
un regroupement en deux facteurs principaux, un facteur
«souffrance affective »(affective suffering) et un facteur
ayant trait à la motivation (facteur motivationnel). Le pre-
mier comprend l’humeur dépressive, l’envie permanente
de pleurer, le désir de mort, le second, le désintérêt, les
troubles de la concentration et la difficulté à éprouver du
plaisir [9].
La formule «la dépression est la dépression à tout âge »
recèle une part de vérité à condition de prendre en compte
les multiples facteurs qui modifient l’expression sympto-
matique de la dépression avec l’avance en âge. Certains
facteurs contribuent à masquer les symptômes cardinaux
de la dépression, d’autres au contraire en accroissent
l’intensité. Le facteur le plus documenté est la comorbidité
de la dépression avec des affections somatiques, présente
chez la majorité des personnes âgées de plus de 80 ans.
D’autres facteurs, psychologiques ou socioculturels, sont
également à l’œuvre mais leur influence est moins étudiée.
Le chevauchement symptomatique entre le trouble
dépressif et une affection physique comorbide est une
des situations les plus communes. Face à une anorexie
sévère, par exemple, ou en présence de troubles cogni-
tifs patents, le clinicien est engagé à éliminer une origine
somatique avant de poser un diagnostic d’épisode dépres-
sif majeur. Cette démarche étiologique bute fréquemment
sur la complexité des situations cliniques. Elle explique
partiellement la variabilité des taux de prévalence de la
dépression en fonction des études. Baldwin donne l’exemple
d’un patient qui présente un épisode dépressif dans le
contexte d’une polyarthrite rhumatoïde. Dans cette situa-
tion, trois critères de l’épisode dépressif majeur (EDM), la
fatigue, l’insomnie et la perte d’appétit peuvent être causés
aussi bien par la dépression que par l’affection inflam-
matoire. L’interrogatoire du patient doit être orienté afin
d’attribuer le symptôme à son affection causale. Ainsi, des
douleurs inflammatoires chroniques prédominantes en fin
de nuit rendent compte vraisemblablement de l’insomnie
matinale plus que le processus dépressif. La formulation
des questions est tout aussi importante dans cet objectif.
Interroger une personne âgée à mobilité réduite ou into-
lérante à l’exercice physique sur une sensation de perte
d’énergie a moins de signification que lui demander si elle
se sent fatiguée en permanence, même lorsqu’elle est au
repos [6].
Lorsque le patient y consent, l’entretien avec un
membre de l’entourage est essentiel. Il permet l’anamnèse
d’épisodes dépressifs antérieurs, parfois très anciens qui
orientent vers un diagnostic de trouble dépressif récurrent
devant des tableaux atypiques. Il favorise surtout la mise
en évidence d’une rupture marquée du fonctionnement du
patient par rapport à son fonctionnement antérieur. Une
dégradation brutale du fonctionnement, en quelques jours
ou semaines, en l’absence d’accident somatique concomi-
tant, oriente vers une origine dépressive et incite à la
recherche de symptômes actuels ou antérieurs de dépres-
sion.
Les difficultés diagnostiques sont liées à des
modifications de l’expression symptomatique
La forme algique
Cinquante pourcent des dépressions de l’adulte pourraient
revêtir une forme algique en médecine générale [21].En
l’absence d’antécédent ou de signe d’appel d’une affection
somatique, une origine fonctionnelle sera facilement évo-
quée. Chez la personne âgée, une douleur sous toutes ses
formes, peut constituer également un symptôme d’appel
majeur, parfois isolé, de la dépression. Mais, l’origine
dépressive du symptôme est plus difficile à affirmer que
chez le sujet jeune car les causes d’algies liées à des
affections somatiques sont multiples avec l’avance en âge
[24].
Les formes pseudodémentielles
Les formes «pseudodémentielles »des dépressions géria-
triques ont été à la source d’une littérature considérable
depuis leur description par Kiloh, dans les années soixante.
Elles reflètent l’importance des rapports entre la démence
et la dépression. Par cette appellation, le père de la
«dépression masquée »faisait référence à des syndromes
démentiels d’installation brutale, en quelques semaines,
sans étiologie organique évidente, curables par les antidé-
presseurs ou une cure d’électroconvulsivothérapie. Outre
la valeur de la séquence symptomatique, dépression, puis
troubles cognitifs, l’intensité de la plainte et de l’angoisse,
la sévérité de la régression (par exemple, l’installation
d’une incontinence mixte) et du handicap, la dramatisation
ou des réponses stéréotypées «je ne sais pas »permettraient
d’orienter le diagnostic. L’obtention d’une réversibilité
totale des symptômes démentiels, psychocomportementaux
comme cognitifs, par le traitement antidépresseur était
au cœur de la définition princeps. Elle a été battue en
brêche par les premières études longitudinales : dans leur
majorité, ces tableaux n’ont de «pseudodémentiel »que
leur appellation. Quel que soit le degré d’amélioration,
parfois spectaculaire, obtenu par les antidépresseurs, la plu-
part évoluent en effet vers des syndromes démentiels plus
caractéristiques, dans un délai qui varie avec l’étiologie de
la démence (maladie d’Alzheimer, démence vasculaire ou
frontotemporale...) mais aussi les comorbidités somatiques
(facteurs cérébrovasculaires) et psychiques (troubles de la
personnalité) [7,24,25].
Dépression et personnes âgées 273
Les syndromes de désinvestissement
Les syndromes de «désinvestissement »empruntent aussi
à cette triade symptomatique. Leur caractère dépressif
s’avére souvent plus difficile à identifier. Ils mettent géné-
ralement en scène des personnes très âgées, au-delà de
85 ans, qui refusent de s’alimenter et maigrissent, alertant
leur entourage, familial ou institutionnel. Ces personnes
s’enferment dans un isolement croissant et refusent de
recevoir une aide médicale ou s’y soumettent passivement.
En institution, ce peuvent être des patients qui dirigent
systématiquement leur visage vers le mur. Parmi ces der-
niers, certains sont exclusivement déprimés et bénéficieront
nettement d’une thérapeutique antidépressive, d’autres
souffrent d’affections médicales en attente d’être diagnos-
tiquées, en particulier néoplasiques, d’autres présentent
une affection dégénérative cérébrale [23].
Les troubles des conduites et du comportement
Moins rapportés dans la littérature, mais néanmoins fré-
quents en institution, certains troubles des conduites et
du comportement ont possible valeur d’équivalents dépres-
sifs. Les cris et les comportements auto- ou hétéroagressifs,
une incontinence sans cause médicale et atypique dans sa
présentation (lorsque l’élimination incontrôlée s’effectue
systématiquement dans des lieux autres que les toilettes, ce
qui est inhabituel dans la démence) en sont des exemples.
Tous les gestes autoagressifs, même en apparence sans gra-
vité, doivent être considérés avec la plus grande attention
[6].
Les symptômes anxieux
Comme le souligne Post, des symptômes anxieux sont ren-
contrés aux cours de toutes les dépressions, des plus légères
aux plus sévères («at all levels of severity of depression,
anxiety is a common accompanying symptom »)[31]. En mas-
quant l’épisode dépressif, ces symptômes anxieux égarent
vers des prescriptions chroniques de tranquillisants aux
effets particulièrement délétères chez l’âgé. Ils augmentent
le risque suicidaire et celui d’une évolution chronique. De
même, l’installation brutale d’autres symptômes anxieux
«d’allure névrotique », phobiques, obsessionnels-compulsifs
ou de manifestations d’allure conversive chez une personne
âgée qui en était indemne auparavant peut constituer un
indicateur de dépression [24,11] (Tableau 1).
Troubles cognitifs et dépressions de la
personne âgée
Peut-on identifier un profil neuropsychologique
caractéristique de la dépression ?
La baisse des performances cognitives observée au cours des
troubles dépressifs n’est pas l’apanage des personnes âgées
mais elle est indéniablement plus marquée dans cette popu-
lation. Avec l’avance en âge, toute perception de déclin
cognitif suggère le spectre de la dégénérescence cérébrale,
voire d’une maladie d’Alzheimer. Poser un diagnostic pré-
Tableau 1 Présentations du trouble dépressif chez la per-
sonne âgée (d’après [6]).
Chevauchement des symptômes somatiques de la dépression
et de ceux d’une affection physique (en présence d’une
comorbidité entre une affection physique et un épisode
dépressif)
Moindre verbalisation d’un sentiment de tristesse
Somatisations ou plaintes somatiques dont l’intensité
apparaît disproportionnée
Syndromes douloureux inexpliqués
Symptômes d’allure névrotique d’installation récente sans
antécédent de ce type
Geste auto-agressif (incluant les gestes ne présentant pas de
caractère de gravité au sens médical)
Syndrome dyséxécutif de la dépression, syndrome démentiel
de la dépression, pseudodémence dépressive
Dépression évoluant dans le contexte d’une démence
diagnostiquée
Comportements perturbateurs (refus alimentaires,
incontinence avec urination et défécation dans la plupart
des lieux à l’exclusion des toilettes, cris, comportements
agressifs)
Accentuation des traits de la personnalité prémorbide
(notamment histrionique et paranoïaque)
Installation tardive d’une dépendance à l’alcool
Plainte envahissante autour d’une solitude qui était jusqu’à
alors parfaitement assumée (pouvant s’accompagner d’une
demande de placement inattendue en institution)
coce de maladie d’Alzheimer ou, au contraire, éliminer ce
diagnostic chez un patient déprimé rapportant un affai-
blissement cognitif constitue une étape essentielle de la
prise en charge. L’hétérogénéité des troubles dépressifs
rencontrée auprès de personnes âgées alliée à l’existence
de comorbidités (par exemple, cérébrovasculaires ou de
troubles de la personnalité) peuvent accroître la difficulté
de leur reconnaissance [24]. Au bilan neuropsychologique
et à l’imagerie cérébrale nécessaires au diagnostic s’impose
aussi la nécessité d’une évaluation pluridisciplinaire, neuro-
psychogériatrique [13].
L’évaluation neuropsychologique permet schémati-
quement de différencier un profil d’atteinte mnésique
«hippocampique », évocateur d’une maladie d’Alzheimer
débutante d’un profil «cortico-sous-corticofrontal »
observé chez les patients présentant un trouble de
l’humeur ou d’autres démences dégénératives. Dans une
atteinte d’allure hippocampique, le mécanisme cérébral
d’enregistrement de l’information est atteint alors que
dans une atteinte d’allure cortico-sous-corticofrontale c’est
le processus permettant la récupération de l’information
préalablement enregistrée qui se révèle défaillant. Ainsi,
un indic¸age (sémantique, phonologique, visuel...) permet
à un patient déprimé d’améliorer, voire, de normaliser
ses performances à une épreuve de rappel de mots alors
qu’elle ne sera d’aucune aide chez la maladie Alzheimer
[18]. L’imagerie, par résonance magnétique nucléaire ou
tomodensitométrie confirme le diagnostic de la maladie
d’Alzheimer en mettant en évidence une atrophie hippo-
campique marquée concordante avec l’atteinte mnésique
ou oriente vers d’autres diagnostics selon que l’atrophie
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