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272 T. Gallarda, H. Lôo
thérapeutiques ? Autant de questions qui justifie-
raient l’individualisation d’une catégorie diagnostique
«dépression de l’âge avancé »[14].
Une réponse négative fait consensus dans la littérature
internationale, résumée dans la formule : «depression is
depression at any age »(la dépression est identique à tous
les âges). Pourtant, la pratique clinique, le choix des straté-
gies et l’analyse des réponses thérapeutiques questionnent
cette affirmation. Certaines expressions symptomatiques
apparaissent surreprésentées avec l’avance en âge. Les
plaintes somatiques incluant l’hypochondrie, les symptômes
mélancoliques et psychotiques, les déréglements psycho-
moteurs (ralentissement ou agitation, voire symptômes
catatoniques) ou du rythme nycthéméral et les symptômes
portant sur l’efficience cognitive sont les plus fréquemment
observés [24].
L’analyse des symptômes dépressifs observés auprès de
personnes âgées de l’étude EURO-Dep (14 pays) a conduit à
un regroupement en deux facteurs principaux, un facteur
«souffrance affective »(affective suffering) et un facteur
ayant trait à la motivation (facteur motivationnel). Le pre-
mier comprend l’humeur dépressive, l’envie permanente
de pleurer, le désir de mort, le second, le désintérêt, les
troubles de la concentration et la difficulté à éprouver du
plaisir [9].
La formule «la dépression est la dépression à tout âge »
recèle une part de vérité à condition de prendre en compte
les multiples facteurs qui modifient l’expression sympto-
matique de la dépression avec l’avance en âge. Certains
facteurs contribuent à masquer les symptômes cardinaux
de la dépression, d’autres au contraire en accroissent
l’intensité. Le facteur le plus documenté est la comorbidité
de la dépression avec des affections somatiques, présente
chez la majorité des personnes âgées de plus de 80 ans.
D’autres facteurs, psychologiques ou socioculturels, sont
également à l’œuvre mais leur influence est moins étudiée.
Le chevauchement symptomatique entre le trouble
dépressif et une affection physique comorbide est une
des situations les plus communes. Face à une anorexie
sévère, par exemple, ou en présence de troubles cogni-
tifs patents, le clinicien est engagé à éliminer une origine
somatique avant de poser un diagnostic d’épisode dépres-
sif majeur. Cette démarche étiologique bute fréquemment
sur la complexité des situations cliniques. Elle explique
partiellement la variabilité des taux de prévalence de la
dépression en fonction des études. Baldwin donne l’exemple
d’un patient qui présente un épisode dépressif dans le
contexte d’une polyarthrite rhumatoïde. Dans cette situa-
tion, trois critères de l’épisode dépressif majeur (EDM), la
fatigue, l’insomnie et la perte d’appétit peuvent être causés
aussi bien par la dépression que par l’affection inflam-
matoire. L’interrogatoire du patient doit être orienté afin
d’attribuer le symptôme à son affection causale. Ainsi, des
douleurs inflammatoires chroniques prédominantes en fin
de nuit rendent compte vraisemblablement de l’insomnie
matinale plus que le processus dépressif. La formulation
des questions est tout aussi importante dans cet objectif.
Interroger une personne âgée à mobilité réduite ou into-
lérante à l’exercice physique sur une sensation de perte
d’énergie a moins de signification que lui demander si elle
se sent fatiguée en permanence, même lorsqu’elle est au
repos [6].
Lorsque le patient y consent, l’entretien avec un
membre de l’entourage est essentiel. Il permet l’anamnèse
d’épisodes dépressifs antérieurs, parfois très anciens qui
orientent vers un diagnostic de trouble dépressif récurrent
devant des tableaux atypiques. Il favorise surtout la mise
en évidence d’une rupture marquée du fonctionnement du
patient par rapport à son fonctionnement antérieur. Une
dégradation brutale du fonctionnement, en quelques jours
ou semaines, en l’absence d’accident somatique concomi-
tant, oriente vers une origine dépressive et incite à la
recherche de symptômes actuels ou antérieurs de dépres-
sion.
Les difficultés diagnostiques sont liées à des
modifications de l’expression symptomatique
La forme algique
Cinquante pourcent des dépressions de l’adulte pourraient
revêtir une forme algique en médecine générale [21].En
l’absence d’antécédent ou de signe d’appel d’une affection
somatique, une origine fonctionnelle sera facilement évo-
quée. Chez la personne âgée, une douleur sous toutes ses
formes, peut constituer également un symptôme d’appel
majeur, parfois isolé, de la dépression. Mais, l’origine
dépressive du symptôme est plus difficile à affirmer que
chez le sujet jeune car les causes d’algies liées à des
affections somatiques sont multiples avec l’avance en âge
[24].
Les formes pseudodémentielles
Les formes «pseudodémentielles »des dépressions géria-
triques ont été à la source d’une littérature considérable
depuis leur description par Kiloh, dans les années soixante.
Elles reflètent l’importance des rapports entre la démence
et la dépression. Par cette appellation, le père de la
«dépression masquée »faisait référence à des syndromes
démentiels d’installation brutale, en quelques semaines,
sans étiologie organique évidente, curables par les antidé-
presseurs ou une cure d’électroconvulsivothérapie. Outre
la valeur de la séquence symptomatique, dépression, puis
troubles cognitifs, l’intensité de la plainte et de l’angoisse,
la sévérité de la régression (par exemple, l’installation
d’une incontinence mixte) et du handicap, la dramatisation
ou des réponses stéréotypées «je ne sais pas »permettraient
d’orienter le diagnostic. L’obtention d’une réversibilité
totale des symptômes démentiels, psychocomportementaux
comme cognitifs, par le traitement antidépresseur était
au cœur de la définition princeps. Elle a été battue en
brêche par les premières études longitudinales : dans leur
majorité, ces tableaux n’ont de «pseudodémentiel »que
leur appellation. Quel que soit le degré d’amélioration,
parfois spectaculaire, obtenu par les antidépresseurs, la plu-
part évoluent en effet vers des syndromes démentiels plus
caractéristiques, dans un délai qui varie avec l’étiologie de
la démence (maladie d’Alzheimer, démence vasculaire ou
frontotemporale...) mais aussi les comorbidités somatiques
(facteurs cérébrovasculaires) et psychiques (troubles de la
personnalité) [7,24,25].