QUE DOIT SAVOIR FAIRE UN ANESTHÉSISTE EN
ÉCHOGRAPHIE CARDIAQUE ?
J-J. Lehot (1), S. Duperret (2), M. Gressier (1)
(1) Service d’Anesthésie-Réanimation Hôpital Cardiovasculaire et Pneumologique Louis
Pradel BP Lyon Montchat 69394 Lyon Cedex 03 - (2) Service de Réanimation. DAR
Hôpital de la Croix-Rousse 103 boulevard de la Croix Rousse 69317 Lyon Cedex 04.
INTRODUCTION
L’échocardiographie transœsophagienne (ETO) peropératoire a été largement diffusée
depuis les premières utilisations en 1980. Une enquête récente, réalisée aux USA, il-
lustre que la formation et le recours à l’ETO sont encore très dépendants des centres.
Si deux tiers des anesthésistes l’utilisent systématiquement pour la chirurgie valvulaire, la
même proportion ne l’emploie qu’occasionnellement pour la chirurgie non cardiaque [1].
Il y a donc nécessité de préciser les indications et l’utilité de cet examen. L’American
Society of Anesthesiologists et la Society of Cardiovascular Anesthesiologists ont établi
un classement des indications de l’ETO en trois catégories [2] : la première reconnaît à
l’ETO un rôle essentiel dans la prise en charge des patients et dans l’amélioration de leur
évolution (utilité certaine) ; la deuxième reconnaît à l’ETO un rôle possible dans la prise
en charge des patients et dans l’amélioration de leur évolution (utilité probable) ; dans
la troisième catégorie, l’utilité de l’ETO est considérée comme incertaine dans la prise
en charge des patients. Cette classification est modulée. Certains critères caractérisant
le patient (morbidité, instabilité …), l’acte chirurgical (clampages vasculaires, chirurgie
hémorragique) ou en rapport avec les conditions locales d’exercice, permettent de «passe
de catégorie II à I ou de III à II.
Il n’existe aucune indication de catégorie I en chirurgie non cardiaque et seulement
quelques indications très spécifiques de catégorie II (embolie gazeuse et neurochirurgie
en position assise, évaluation des anastomoses après transplantation pulmonaire, bilan
peropératoire d’une embolie artérielle). Alors que l’ETO a permis d’expliquer certaines
situations critiques, les indications en chirurgie non cardiaque restent donc rares. Par
exemple, la détection d’emboles, au cours de la chirurgie prothétique de hanche ou de
genou, relève de la catégorie III. En revanche, la survenue d’une instabilité hémodyna-
mique sévère, de cause indéterminée, justifie d’une ETO peropératoire (catégorie I), de
même qu’une chirurgie lourde à risque d’instabilité hémodynamique (catégorie II).
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Parallèlement, l’échographie trans-thoracique (ETT) est de plus en plus utilisée
en phase préopératoire pour l’évaluation de la réserve coronaire lors des épreuves de
stress à la dobutamine, et en phase postopératoire pour la prise en charge de situations
critiques.
Ce chapitre abordera l’utilisation de l’ETO en chirurgie selon deux aspects :
1. L’évaluation hémodynamique (fonction ventriculaire globale ou segmentaire) quel que
soit le type de chirurgie.
2. La prise en charge des patients à haut risque cardiovasculaire au cours des principaux
types de chirurgie lourde.
Enfin, les apports péri-opératoires de l’ETT seront abordés ainsi que l’apprentissage
de l’échocardiographie pour les anesthésistes.
1. EVALUATION HÉMODYNAMIQUE ET DIAGNOSTIC DES SITUATIONS
CRITIQUES PEROPÉRATOIRES
L’ETO s’impose quand l’évaluation préopératoire n’a pas pu être réalisée, en
chirurgie d’urgence par exemple, ou qu’un événement grave peropératoire reste inexpliqué
(collapsus, hypoxémie, chute de la PETCO2). La présence d’une pathologie œsophagienne
représente une contre-indication et la sonde doit être manipulée avec les plus grandes
précautions. La présence de deux professionnels de l’anesthésie est souhaitable pendant
l’examen afin que la surveillance du patient soit assurée.
1.1. MONITORAGE DE LA FONCTION SYSTOLIQUE DU VENTRICULE GAUCHE
1.1.1. FONCTION SYSTOLIQUE GLOBALE
L’incidence échocardiographique de référence est la vue petit axe trans-gastrique du
ventricule gauche qui passe par les piliers mitraux. La mesure des surfaces télédiastolique
(STD) et télésystolique (STS) du ventricule gauche permet le calcul de la fraction de
réduction de surface (FRS = [STD - STS] 100 / STD). Ce paramètre peut être recueilli en
continu et en temps réel grâce à la détection automatique des contours endocardiques [3].
Cet indice de performance VG est comparable aux techniques classiques de mesure de
la fraction d’éjection et n’est que global, résultant d’une précharge, d’une postcharge et
d’une contractilité données. La précharge et la postcharge sont des facteurs déterminants
respectivement de la STD et de la STS.
Coupe transgastrique - Petit axe - Télédiastole - Surface Normale
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Coupe transgastrique - Petit axe - Télésystole - Surface normale
Coupe transgastrique - Petit axe - Télédiastole - Surface réduite
Coupe transgastrique - Petit axe - Télésystole - Exclusion systolique
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1.1.2. FONCTION SYSTOLIQUE RÉGIONALE
Le myocarde étant vascularisé par 3 artères coronaires principales (coronaire droite,
circonflexe et interventriculaire antérieure), la coronaropathie est une maladie régionale
ou segmentaire. La diminution de l’épaississement systolique d’une paroi myocardique
est le signe le plus précoce d’ischémie. Mais l’apparition de troubles segmentaires man-
que de spécificité. Ce signe peut être retrouvé dans d’autres circonstances (hypovolémie,
effets des agents anesthésiques, anomalies de conduction…) [4]. Ainsi, la survenue d’une
anomalie de la cinétique segmentaire en période peropératoire n’est pas associée à la
survenue d’un infarctus postopératoire [5].
1.1.3. HYPOVOLÉMIE
Durant la chirurgie, les modifications de charge sont le plus souvent prévisibles.
Seuls les clampages de l’aorte thoracique ou la chirurgie des tumeurs surrénaliennes
peuvent induire une augmentation de la post-charge. Dans l’immense majorité des cas
le patient est soumis à une baisse de la précharge par hypovolémie vraie ou relative. Les
signes échographiques sont alors schématiques : hyperkinésie, réduction majeure de la
taille de la cavité VG en systole [6], STD très faible (< 5 cm2/m2). Lorsque le patient a
reçu un remplissage majeur, que la pression artérielle demeure basse, la seule analyse
de la pression pulsée est souvent jugée insuffisante, voire impossible. L’ETO permet
de préciser la situation. En revanche, la STD optimale pour un patient donné se situe
dans une fourchette très large. En cas de myocardiopathie dilatée, il est recommandé de
«réaliser» un point de référence après l’induction, en période stable, afin de connaître la
STD proche de l’idéal. Un autre moyen de contourner cette difficulté est de poursuivre
ce remplissage tant que la STD augmente [7]. On est certain d’être situé sur la portion
horizontale de la courbe pression-volume VG, sans risque de surcharge. Pour éviter cette
surcharge, il est possible d’apprécier le niveau de pression atriale gauche (POG) ou de
pression télédiastolique ventriculaire gauche (PTDVG), par l’analyse du flux mitral [8],
du flux veineux pulmonaire [9] ou du doppler tissulaire à l’anneau mitral [10].
1.1.4. DYSFONCTION AIGUË DU VENTRICULE DROIT (VD)
L’augmentation brutale de la post-charge VD est rencontrée en cas d’embolie
cruorique, d’embolie de «débris» lors de la chirurgie prothétique de hanche ou de
genou ou d’embolie gazeuse massive lors de la neurochirurgie ou de la cœliochirurgie
par exemple. Le VD s’adapte par une dilatation qui gêne alors le remplissage du VG
(interdépendance ventriculaire). On retrouve donc deux causes possibles à un état de
choc peropératoire : une chute du débit cardiaque par obstacle à l’éjection droite et une
baisse de la précharge VG.
1.1.5. HYPOXÉMIE PEROPÉRATOIRE
Une fois éliminée une intubation sélective et les autres causes usuelles, l’explication
d’une hypoxémie peropératoire est un shunt droit-gauche par ouverture du foramen
ovale ou une obstruction artérielle pulmonaire. Dans les deux cas l’ETO est le seul
moyen d’établir le diagnostic en urgence : soit d’un foramen ovale perméable (FOP),
après réalisation d’une épreuve de contraste, soit de la présence d’un thrombus dans une
artère pulmonaire.
2. INTÉRÊT DE L’ETO SELON LE TYPE DE CHIRURGIE
2.1. ETO ET CHIRURGIE ORTHOPÉDIQUE
La description des phénomènes emboliques au décours de la chirurgie prothétique
remonte aux années 1980. Lors de l’alésage, mais également de la pose de la prothèse de
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hanche ou du genou, l’augmentation de la pression intramédullaire entraîne le passage
dans le sang veineux de lobules graisseux médullaires et de cellules hématopoïétiques
osseuses [11]. La traduction échographique est soit un aspect en «tempête de neige» [12],
soit la mise en évidence d’emboles de grande taille (> 10 mm) dont la fréquence
augmente avec l’utilisation de ciment [13]. L’utilisation d’un système d’aspiration dans le
fût fémoral au cours de la pose du ciment en réduit la traduction clinique. Une dilatation
ventriculaire droite aiguë est le phénomène grave le plus fréquent [14]. L’utilisation d’un
garrot pneumatique pour la prothèse de genou, surtout de façon prolongée, augmente le
nombre d’emboles.
En somme, durant la mise en place d’une prothèse orthopédique, la survenue d’un
état de choc ou d’un arrêt circulatoire doit faire évoquer un épisode embolique mal toléré
par le VD ou une hypovolémie décompensée. L’ETO permet d’établir immédiatement
le diagnostic et d’adapter le traitement.
2.2. ETO ET CHIRURGIE ARTÉRIELLE PÉRIPHÉRIQUE
En cas d’ischémie d’origine embolique probable, il est logique de «profiter» de
l’anesthésie générale pour réaliser une ETO. La sensibilité de l’ETO est supérieure à
celle de l’ETT [15]. Les emboles d’origine cardiaque représentent les 2/3 des cas, alors
que les emboles à partir de lésions athéromateuses aortiques sont retrouvées dans 15 %
des cas. La présence d’un contraste spontané dans l’oreillette gauche est un équivalent
de thrombus intra-atrial. Parmi les origines aortiques, on distingue l’athérome simple
ou sous forme de plaques ulcérées, les thrombi intra-aortiques et les dissections. Si la
présence de calcifications ne semble pas un facteur de risque d’embolie systémique,
une épaisseur de plaque 4 mm, une plaque irrégulière ou la présence d’un thrombus
(jusqu’à 25 % des cas) sont significativement associées à la survenue d’un événement
artériel embolique [16]. L’athérome aortique est un marqueur d’athérome diffus et un
facteur indépendant d’embolie artérielle [17].
Les embolies paradoxales à travers un foramen ovale perméable sont peu fréquentes
(2 %) mais cœxistent toujours avec une phlébite et une embolie pulmonaire [18]. La
présence d’un anévrysme du septum interatrial serait un facteur de risque d’accident
embolique.
2.3. ETO ET NEUROCHIRURGIE EN POSITION ASSISE
Lors de la chirurgie de la fosse cérébrale postérieure, une embolie gazeuse peropé-
ratoire est détectée par ETO dans 75 % des cas. La présence d’un FOP constitue une
contre-indication absolue à la neurochirurgie en position assise [19]. L’ETO avec épreuve
de contraste est l’examen de référence de détection, mais le doppler transcrânien qui
possède une sensibilité de 92 % paraît préférable durant la période opératoire. La sensi-
bilité de l’ETT avec épreuve de contraste est insuffisante (42 %), et n’a donc de valeur
qu’en cas de positivité.
L’utilisation peropératoire de l’ETO en neurochirurgie s’accroît, par exemple pour
positionner le cathéter veineux central à l’abouchement de la veine cave supérieure dans
l’oreillette droite [20] ou pour observer que les phénomènes emboliques surviennent
aussi en période postopératoire, durant la suspension de la PEP ou lors du retourne-
ment [21].
2.4. ETO ET CHIRURGIE CŒLIOSCOPIQUE
L’ETO est un des moyens d’investigation qui a permis de comprendre l’effet de l’in-
sufflation intra-péritonéale de CO2. L’augmentation de la contrainte systolique du VG est
la conséquence la plus marquante [22]. Cette contrainte se normalise avant l’exsufflation
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