comment je traite l`insuffisance cardiaque chronique

publicité
COMMENT JE TRAITE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE
CHRONIQUE ?
Docteur BAUDET Mathilde, Cardiologie, Hôpital Lariboisière
L’insuffisance cardiaque est reconnue comme un problème de santé publique, tant en termes
de morbidité, de mortalité, que de coût pour la société.
Pourtant, des interventions efficaces existent, qu’elles soient médicamenteuses, basées sur
l’implantation de dispositifs médicaux ou sur l’éducation des patients sur les règles hygiéno
diététiques à appliquer.
Ce traitement fait l’objet de recommandations, dont les dernières de la Société Européenne de
Cardiologie en 2012 et si le traitement de l’insuffisance cardiaque à FEVG altérée est
maintenant bien codifié, reposant sur une polythérapie médicamenteuse, des règles hygiénodiététiques et d’éventuelles prothèses rythmiques, le traitement de l’insuffisance cardiaque à
FEVG préservée est beaucoup moins bien codifié et de nombreux traitements sont à l’essai
dans cette indication.
I. LE TRAITEMENT MÉDICAMENTEUX
1. Traitement de l’insuffisance cardiaque à FEVG altérée (FEVG < 40 %)
Le traitement de l’insuffisance cardiaque vise à lutter contre les mécanismes
physiopathologiques d’adaptation mis en œuvre en cas d’insuffisance cardiaque pour assurer
un maintien du débit cardiaque à cours terme mais dont les effets, délétères à long terme ont
bien été montrés.
LES IEC/ARAII
Depuis la fin des années 80, et les premières études montrant leur efficacité en terme de
morbi-mortalité, les IEC sont indiqués en première intention dans l’insuffisance cardiaque à
FEVG altérée. Aujourd’hui, ils sont recommandés chez tous les patients avec une FEG <40%.
Sur le plan physiopathologique, les IEC s’opposent à l’activation du système rénineangiotensine dans l’insuffisance cardiaque. Ils ont un effet vasodilatateur en inhibant la
transformation de l’angiotensine 1 en angiotensine 2. Ils diminuent également la rétention
hydrosodée en inhibant la sécrétion d’aldostérone, enfin, ils ont en effet anti remodelage en
limitant la dilatation ventriculaire gauche.
Leur introduction doit être précoce, dès le diagnostic de l’insuffisance cardiaque. Des
précautions sont à prendre chez les patients insuffisants rénaux, surtout si le DFG est
inférieur à 30ml/min/m2, mais ce traitement n’est pas contre indiqué dans cette population.
On débutera à faible dose et on doublera la dose tous les 15 jours. Ce délai pourra être
diminué à 1 semaine selon la tolérance du patient sur le plan tensionnel et sur le plan rénal.
Un contrôle de la fonction rénale et de la kaliémie est nécessaire chez tous les patients, 15
jours après l’introduction du traitement et 15 jours une fois la dose maximale tolérée atteinte
(une augmentation de 30% de la créatinine est tolérée).
Les ARAII sont recommandées en alternative aux IEC en cas d’intolérance aux IEC (toux).
Leur mode d’introduction et leur surveillance sont identiques aux IEC.
LES BETABLOQUANTS
Longtemps contre- indiqués dans l’insuffisance cardiaque, l’efficacité des bétabloquants en
terme de morbidité et de mortalité est bien démontrée dans différentes études randomisées
dans l’insuffisance cardiaque à FEVG altérée. Ils sont en effet recommandés chez tous les
patients avec une FEVG <40%.
Sur le plan physiopathologique ils s’opposent à la stimulation sympathique qui existe dans
l’insuffisance cardiaque par inhibition des récepteurs béta adrénergiques et produisent une
amélioration de la fraction d’éjection avec remodelage inverse.
Leur introduction se fait en période stable (en dehors de toute décompensation), et leur
augmentation est progressive jusqu’à la dose maximale tolérée. On débutera donc par de
faibles doses puis on pourra doubler la dose tous les 15 jours si la pression artérielle, la
fréquence cardiaque et la tolérance fonctionnelle le permettent. Il est important de souligner
que la bronchopathie chronique obstructive n’est pas une contre-indication au traitement
béta-bloquant. Le nébivolol étant le plus cardiosélectif pourra être privilégié chez ces patients.
Les bétabloquants testés et recommandés dans l’insuffisance cardiaque sont le Bisoprolol, le
Carvedilol, le Nébivolol et le Méetoprolol.
Tableau : Traitements utilisés dans l’insuffisance cardiaque et mode d’utilisation
LES AGONISTES DES RÉCEPTEURS AUX MINÉRALOCORTICOÏDES
C’est à partir que les années 2000 que les agonistes des récepteurs aux minéralo-corticoides
ont démontré leur efficacité dans l’insuffisance cardiaque [4]. Ils sont indiqués en cas de
persistance d’une dyspnée stade II-IV de la NYHA et d’une FEVG <35% malgré un traitement
bien conduit par IEC et bétabloquants.
Ils sont contre indiqués en cas d’insuffisance rénale avec DFG <30ml/min/m2, ou une
hyperkaliémie au delà de 5mmol/l. Leur introduction se fait à faible dose. On pourra doubler
la dose après 4 à 8 semaines de traitement selon la tolérance rénale, potassique et
tensionnelle.
En raison d’un risque d’hyperkaliémie et d’insuffisance rénale, un contrôle de la fonction
rénale et de la kaliémie sera réalisé à 1 et 4 semaines après l’introduction ou l’augmentation
des doses, puis à 2, 3, 6, 9, et 12 mois puis tous les 3 mois.
En cas d’hyperkaliémie supérieure à 5.5 mmol/l, ou de diminution du DFG inférieur à 30
ml/min/m2, une diminution de dose de moitié sera nécessaire.
En cas d’hyperkaliémie supérieure à 6 mmol/l, ou de diminution du DFG inférieur à 20
ml/min/m2, le traitement sera arrêté.
LES DIURETIQUES
Traitement symptomatique de l’insuffisance cardiaque, ils sont indiqués chez tout patient
symptomatique/congestif quelque soit la FEVG. Leur effet sur la morbi- mortalité n’a jamais
été étudié mais ils sont le traitement indispensable pour traiter la congestion due à
l’insuffisance cardiaque.
Les 2 traitements utilisés sont les diurétiques de l’anse et les diurétiques thiazidiques
Les diurétique de l’anse
Le but de ce traitement est de maintenir une volémie normale avec une adaptation des doses
au fil du temps selon l’importance de la congestion.
Au-delà d’une dose de furoséemide à 40mg/j, au moins deux prises/jour sont plus efficaces
qu’une seule. En cas d’insuffisance rénale (clairance < 30-50ml/min), il est nécessaire
d’augmenter les doses. Le Lasilix furosémide LP 60mg est à éviter car peu efficace dans cette
indication.
Ce traitement nécessite une surveillance clinique de la volémie, de la kaliémie (risque
d’hypokaliémie) et de la fonction rénale. La disparition des signes congestifs doit primer sur la
fonction rénale. En effet, une fois le poids sec du patient atteint, le risque en cas de déplétion
trop importante sera la déshydratation, puis l’insuffisance rénale aigue fonctionnelle.
Les diurétiques thiazidiques
Avec une durée d’action plus longue et un effet diurétique moins adapté pour obtenir une
diurèse abondante, ils ne sont pas la classe des diurétiques de première intention dans
l’insuffisance cardiaque.
Cependant, ils sont tout de même utilisés en cas de congestion résistante aux diurétiques de
l’anse, du fait d’un effet synergique avec ces derniers. Leur utilisation est doncCette
association devrait être le plus souvent transitoire.
Il sera nécessaire de surveiller la kaliémie et la fonction rénale. Ils sont moins efficace en cas
d’insuffisance rénale avec DFG < 30ml/min
LES AUTRES TRAITEMENTS
Ivabradine
L’ivabradine est un inhibiteur des canaux potassiques IfF présent dans le nœud sinusal, et est
donc un bradycardisant pur. L’étude SHIFT a montré une réduction des hospitalisations pour
insuffisance cardiaque sans impact sur la mortalité totale [5]. Il est indiquée chez des patients
avec une dyspnée persistante stade II-IV de la NYHA, en rythme sinusal seulement, en cas de
fréquence cardiaque ≥ 70bpm malgré un traitement bien conduit par IEC, antialdostérone et
bétabloqueurs à dose maximale tolérée (ou en cas de mauvaise tolérance de ces derniers).
Digoxine
Traitement historique de l’insuffisance cardiaque, son indication a été reléguée depuis l’arrivée
des bétabloquants en raison d’un bénéfice modeste et d’un index thérapeutique étroit avec un
risque important de toxicité. Elle reste indiquée chez les patients symptomatiques en AC/FA
avec une cadence ventriculaire rapide ou en rythme sinusal avec une FEVG <45% et une FC
restant ≥ 70bpm malgré les bétabloqueurs.
Ce traitement est introduit à la dose de 0.25mg/jour mais cette dose sera diminuée de moitié
en cas d’insuffisance rénale, ou chez les patients âgés. Une digoxinémie sera réalisée afin
d’adapter les doses après 1 mois de traitement ou en cas de signes de surdosage.
LES TRAITEMENTS CONTRE INDIQUÉS
Les inhibiteurs calciques, hormis l’aAmlodipine sont contre- indiqués dans l’insuffisance
cardiaque du fait de leur effet inotrope négatif.
L’association d’un ARAII à un traitement combiné par IEC et un antagoniste des récepteurs
aux mineralocorticoides est contre indiquée du fait d’un risque d’insuffisance rénale et
d’hyperkaliémie.
LES TRAITEMENTS DES COMORBIDITES : LA CARENCE MARTIALE
L’anémie et en particulier la carence martiale sont associées à une baisse de la capacité à
l’effort et à une hausse de la morbidité et de la mortalité dans l’insuffisance cardiaque..
Plusieurs essais ont montré un bénéfice du fer injectable chez les patients insuffisants
cardiaque avec une dysfonction systolique en terme de capacité fonctionnelle et de qualité de
vie.
Le dépistage de la carence martiale est donc important chez ces patients avec un dosage de
la ferritine et du coefficient de saturation de la transferrine (CST). En cas de carence martiale
(définie par une ferritinémie < 100 ug/ml, ou entre 100 et 299ug/ml et un CST<20%), on
débutera un traitement par fer oral pendant 3 mois avec un nouveau dosage en fin
traitement. Si la carence martiale persiste, on passera au fer par voie intraveineuse. On peut
utiliser par exemple le fer carboxymaltose à la dose de 500 à 1000mg (sur au moins 15
minutes) puis après contrôle de la ferritine et du CST à 1-3 mois, on réinjecte si nécessaire
500mg. Puis une fois la recharge martiale satisfaisante, le contrôle du bilan ferrique se fera 2
fois par an avec si nécessaire, un nouveau traitement ferrique.
LES NOUVEAUTÉS Une nouvelle voie mise en jeu dans l’insuffisance cardiaque, la voie de la
NEP (voie de dégradation du BNP) a été la cible de la recherche thérapeutique depuis
plusieurs années. Cet été, l’étude PARADIGM, testant le LCZ 696 (association d’un inhibiteur
de la néprilysine et d’un ARRAII (Valsartan)) versus un traitement conventionnel avec des IEC
chez les patients insuffisant cardiaque avec une FEVG <40%, NYHA II-IV stable, a montré
dans le groupe LCZ696 une amélioration de la mortalité toute cause, de la mortalité
cardiovasculaire, du nombre de réhospitalisations et une amélioration des symptômes. Ce
nouveau traitement, non encore sur le marché, devrait vraisemblablement modifier les
recommandations dans les années à venir.
Figure : Algorithme du traitement de l’insuffisance cardiaque à FEVG altérée (d’après ESC
2012)
2. Traitement de l’insuffisance cardiaque à FEVG préservée
A la différence de l’insuffisance cardiaque à FEVG altérée, aucun traitement (ARA II, IEC,
antialdostérone) n’a jusqu’à aujourd’hui montré son efficacité en terme de réduction de la
morbi- mortalité dans l’insuffisance cardiaque à FEVG préservée. Le traitement diurétique est
nécessaire pour contrôler les signes congestifs.
Il est tout de même intéressant de contrôler le rythme cardiaque chez lces patients en
arythmie rapide à l’aide de bétabloquant ou et des études portant sur un faible nombre de
patients suggèrent que l’utilisation d’d’inhibiteurs calciques bradycardisants. ou de
bétabloquant pourraient être bénéfique. Par contre, des études de morbi mortalité portant sur
un plus grand nombre de patients n’ont pas montré de bénéfice dans l’utilisation des
IEC/ARAII [7]. Le traitement des comorbidités (hypertension artérielle, diabète, anémie,
ischémie myocardique etc…) est important.
Il existe actuellement des études en cours dans cette indication.
II. LES APPAREILS RYTHMOLOGIQUES
1. Le défibrillateur automatique implantable (DAI)
La mortalité chez l’insuffisant cardiaque à FEVG altérée est représentée par l’insuffisance
cardiaque terminale mais aussi la mort subite. Prévenir la mort subite est donc aussi un
objectif du traitement de l’insuffisant cardiaque.
Ainsi, chez des patients symptomatiques avec une FEVG ≤ 35% malgré un traitement
médicamenteux bien conduit depuis plus de 3 mois, l’implantation d’un DAI en prévention
primaire est recommandé. Chez des patients dont l’espérance de vie est inférieure à 1 an,
cette indication sera à rediscuter.
Chez des patients ayant déjà fait une mort subite, ou ayant présenté un épisode de
tachycardie ventriculaire soutenue ayant entrainé une instabilité hémodynamique, il existe
également une indication à la pose d’un DAI en prévention secondaire.
Le pacemaker multisite
En cas d’insuffisance cardiaque, il peut exister un asynchronisme de contraction entre les
oreillettes et les ventricules, entres les ventricules, mais aussi au sein même du ventricule
gauche aboutissant à un remplissage et une éjection ventriculaire moins efficace. Depuis
maintenant plusieurs années20 ans, les techniques de resynchronisation se sont développées
avec la mise en place d’un pace maker multisite ou triple chambre comprenant une sonde
dans l’OD, une sonde dans le VD et une sonde dans la veine latérale du VG afin de réduire
cette asynchronisme. La resynchronisation a montrée dans plusieurs études son efficacité tant
sur le plan des symptômes que sur le nombre de réhospitalisations pour insuffisance
cardiaque et sur la mortalité. [9] Cette technique est indiquée chez les patients
symptomatiques avec une FE ≤ 35% malgré un traitement médicamenteux bien conduit avec
un bloc de branche gauche complet (QRS>120ms). Il peut être discuté chez des patients
ayant une morphologie de bloc de branche autre que gauche et un QRS > 150ms.
La surveillance spécialisée est au moins biannuelle auprès du cardiologue implanteur, pour
optimiser les régalages de l’appareil, détecter les événements rythmiques (FA, TV, chocs
électriques…) mais aussi certains dysfonctionnements.
III. TRAITEMENT ÉTIOLOGIQUE
Il est bien sûr indispensable de traiter la cause de la cardiopathie (revascularisation en cas
d’ischémie myocardique etc…) parallèlement à l’introduction du traitement de l’insuffisance
cardiaque.
IV. LES RÈGLES HYGIENO DIÉTÉTIQUES
1. L’éducation thérapeutique
La prise en charge est d’autant plus efficace que le patient (et son entourage) comprend et
accepte sa maladie. Cette éducation doit être fournie et (ré)évaluée de façon régulière. Elle
porte notamment sur la connaissance de sa maladie, son traitement, la reconnaissance des
signes d’alerte de décompensation ; l’importance d’un suivi régulier cardiologique.
2. Le régime appauvri en sel
Ce régime dépend de la gravité et des signes congestifs. Dans la majorité des cas, une
diminution à 6g/j est suffisante chez l’insuffisant cardiaque stable. C’est uniquement dans les
formes très congestives qu’un appauvrissement plus sévère peut se justifier. Il est important
de ne pas entraîner de perte d’appétit et de dénutrition par des restrictions excessives chez
les sujets âgés.
3. L’exercice physique/réadaptation cardiaque
Une activité physique régulière est bénéfique notamment sur les symptômes, la qualité de vie
et le risque de rehospitalisations. Son intérêt est de maintenir un trophisme musculaire et une
meilleure extraction périphérique de l’O2, améliorant ainsi encore l’état fonctionnel du patient.
Une prise en charge dans une unité de réadaptation peut être utile.
4. Vaccinations
La vaccination antigrippale annuelle est recommandée. La vaccination anti-pneumococcique
est indiquée tous les 5 ans.
V. ASSISTANCE, TRANSPLANTATION...
Chez les patients avec un tableau d’insuffisance cardiaque terminale malgré un traitement
bien conduit et optimal, il se discute la transplantation cardiaque ou l’implantation d’une
assistance ventriculaire.
Cependant, si la transplantation cardiaque reste le « gold standard » dans cette indication, du
fait de l’augmentation des patients atteints d’une insuffisance cardiaque terminale, de l’âge de
ces patients, de l’inadéquation entre le nombre de donneur et de receveur, se développe
l’implantation d’assistance ventriculaire non seulement en attente d’une greffe (« bridge to
transplant ») mais aussi comme prise en charge au long cours (« destination therapy »).
Ces prises en charge se discutent au sen d’équipe spécialisée dans ce domaine.
VI. CONCLUSION
Depuis plusieurs décennies, le traitement de l’insuffisance cardiaque à FEVG altérée s’est
considérablement développé et a permis une diminution significative de la morbi mortalité
chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque chronique. Cependant, malgré ces
traitements, cette morbi mortalité reste élevée et la recherche continue dans ce domaine.
Les plus gros progrès restent à faire dans l’insuffisance cardiaque à FEVG préservée car
actuellement, aucun traitement n’a montré son efficacité en terme de morbi mortalité.
Posté le 28 mai 2015 par Docteur BAUDET Mathilde
Téléchargement