27Le Rapport Sicard se situe d’abord dans la ligne ainsi tracée. Il insiste sur les précautions
à prendre dans le choix des doses de sédatifs et sur le procédé de la « titration » destiné à
rechercher la dose minimale efficace. « Une “sédation” létale [c’est-à-dire mortelle] est
probable en l’absence de titration et d’évaluation ou lorsque les doses sont augmentées de
façon linéaire jusqu’au décès. L’administration de doses massives d’un sédatif ne peut pas
s’appeler un double effet. Il s’agit, qu’on le veuille ou non, d’une pratique euthanasique lente.
[27]»
28Cette prise de position est nette. Elle invite à un emploi réfléchi des sédatifs dans le seul
objectif de soulager le malade : est tout au plus accepté, faute d’autre moyen, « un traitement
qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger la vie » du malade, selon les termes mêmes
de la loi Leonetti [28]. Le médecin est alors tenu de limiter cet effet secondaire, en n’utilisant
que les doses nécessaires, en ne recherchant que le seul effet d’apaisement de la
souffrance. C’est alors pleinement conforme au principe éthique du « double effet »[29].
29Tout cela paraît clair. Et pourtant, aussitôt après, le Rapport achève son paragraphe sur le
double effet par le passage suivant, qui contredit totalement ce qui précède. « On en conclut
que le double effet devrait être envisagé avec la plus grande prudence possible, d’autant
plus s’il est vu comme une fin de vie programmée, tout en considérant que dans certaines
situations insolubles, une sédation terminale intentionnelle, à la demande du malade et de
ses proches, pourrait être envisagée.[30]»
30Le principe du « double effet » qui invite à tolérer, parmi les conséquences d’une action,
un « mauvais effet », à condition que seul le « bon effet » soit recherché et qu’il soit
suffisamment important en comparaison du « mauvais effet », devient l’approbation de la
recherche délibérée des deux effets. Et s’introduit ici la notion de « sédation terminale » qui
sera ensuite reprise de nombreuses fois dans le Rapport. Est même précisé ici : « sédation
terminale intentionnelle », intentionnellement destinée à obtenir un terme de la vie !
31Sédation en phase terminale, et sédation terminale. Faut-il s’appesantir sur la différence
entre ces deux expressions ? L’hésitation n’est plus possible lorsqu’on en vient aux dernières
propositions du Rapport. « Lorsque la personne en situation de fin de vie […] demande
expressément à interrompre tout traitement susceptible de prolonger sa vie, voire toute
alimentation et hydratation, il serait cruel de la “laisser mourir” ou de la “laisser vivre”, sans lui
apporter la possibilité d’un geste accompli par un médecin, accélérant la survenue de la
mort.[31]» Il en irait de même si l’arrêt de traitement était décidé par le médecin en cas
d’inconscience du malade. « Cette grave décision prise par un médecin engagé en
conscience, toujours éclairée par une discussion collégiale […], peut correspondre, aux yeux
de la commission, aux circonstances réelles d’une sédation profonde telle qu’elle est inscrite
dans la loi Leonetti.[32]»
32Voilà une interprétation abusive de la loi du 22 avril 2005[33]. Elle invite à un retour sans
hésitation ni scrupule à la pratique des « cocktails lytiques »[34] que l’on pouvait croire
totalement abandonnée. Aucun compte n’est tenu de ce qui avait été affirmé 50 pages
auparavant : « dans le cas de l’euthanasie, l’intention est de donner la mort alors que dans le
cadre de la sédation, l’intention est de soulager la souffrance.[35]» Le Rapport évoque un
arrêt de traitement, d’alimentation et d’hydratation, accompagné d’une sédation profonde, à
des doses destinées à « ne pas laisser vivre ». Où est la différence avec l’euthanasie, sinon
que la mort due à une « sédation terminale » se produit un peu moins brutalement ?
EUTHANASIE ET ASSISTANCE MÉDICALE AU SUICIDE
33Si contestable qu’elle soit, la pratique de la « sédation terminale » est incluse dans les
recommandations du Rapport. Mais, en celui-ci, il est bien précisé que la Commission « ne
recommande pas de prendre de nouvelles dispositions législatives en urgence sur les
situations de fin de vie [36]». C’est donc contre son avis que le Président de la République a
souhaité le dépôt en juin d’un projet de loi [37].