DÉCEMBRE 2015 L'analyse de Thierry Masset Mettre l'accent sur les actions de bonne qualité Bonne année pour les marchés obligataires des pays industrialisés Les divisions de l'OPEP alimentent la volatilité et la faiblesse des prix pétroliers Les marchés ne pourront pas toujours compter sur la BCE Retour à la case départ pour les matières premières Les gagnants et perdants de l'accord sur le climat ACTIONS Mettre l'accent sur les actions de bonne qualité Le désynchronisation des politiques des principales banques centrales mondiales a eu des conséquences logiques jusqu'à présent : un dollar plus fort, une volatilité boursière accrue et un élargissement du différentiel entre les rendements obligataires US et allemand. Si le comportement des marchés a été jusqu'ici relativement prévisible, leur évolution future, leur influence sur le comportement des banques centrales et la réaction à attendre des économies réelles à court et long terme, s'avèrent en revanche plus difficilement déchiffrables. Un manque de visibilité qui explique pourquoi nous avons réduit à neutre notre exposition en actions. Anticiper la volatilité à venir est compliqué du fait même que l'on « évolue en territoire inconnu » : on a jamais connu un environnement de taux aussi accommodant et les marchés n'ont jamais été aussi longtemps .sous l'influence de politiques monétaires non-conventionnelles. Il est, en outre, difficile d'être très confiant quant à l'ampleur et la portée des effets de ces stratégies expansionnistes sur l'économie réelle et les bénéfices des entreprises, surtout dans un contexte de flambée de la volatilité due à toute une série de facteurs en tête desquels les tensions géopolitiques. Nous espérons que le processus de normalisation de la Fed provoquera un regain, raisonnable, de la volatilité sur les marchés boursiers. Le marché a clairement montré à la présidente de la Fed, Janet Yellen, qu'il valait mieux modifier les taux de manière progressive que d'agir dans la précipitation. Une telle approche a déjà fait ses preuves dans le passé et a d'ailleurs déjà permis d'engranger des gains non négligeables. Ainsi, lorsque la Réserve fédérale opte pour un resserrement progressif de ses taux, on constate que les actions US affichent une progression moyenne de 11 % sur un an. À titre de comparaison, elles perdent 2,7 % en moyenne lors de cycles plus rapides. En procédant lentement après un premier relèvement, la banque centrale aurait le temps de bien évaluer l'impact de la hausse des taux sur l'économie et pourrait ainsi réduire le risque d'un resserrement trop agressif. Nos économistes continuent de penser que les autorités monétaires US neutraliseront l'impact de la hausse des taux de décembre en insistant sur le caractère progressif des prochains resserrements : 50 points de base en 2016 et 50 points de base en 2017. Un tel scénario continuerait de supporter les actions par rapport aux autres classes d'actifs (obligations et cash). Mais nous pensons que le rapport risque/rendement des actions sera moins attrayant que ces dernières années en 2016. L'ère au cours de laquelle toute baisse des cours était saisie comme une opportunité pourrait être en train de toucher à sa fin. Le marché est peut-être en train de nous préparer à une période de volatilité accrue (ainsi qu'à une évolution décevante des cours). Les indices S&P 500 de bêta élevé et de faiblesse de la volatilité plaident d'ailleurs en ce sens. L'indice de bêta élevé (qui suit les 100 sociétés du S&P 500 qui ont le plus fluctué par rapport à l'indice au cours des 12 derniers mois) a chuté de 0,1 % depuis le début du mois de septembre alors que l'indice de faiblesse de la volatilité (qui reprend les 100 actions qui ont le moins bougé) a grimpé de 17 % durant la même période. Nous sommes également préoccupés par le fait que les facteurs jouant en faveur des marges bénéficiaires sont en train de se détériorer. À la fin de l'année passée, les spécialistes s'attendaient à ce que la chute des cours pétroliers et la faiblesse de nombreuses devises (euro, yen, devises émergentes) supportent les marges bénéficiaires. Il n'en a rien été. Sous le poids des firmes énergétiques et des sociétés minières, les entreprises de l'indice MSCI Monde ont vu leurs marges bénéficiaires se contracter depuis septembre 2014, après deux années d'expansion. Les marges bénéficiaires (soit le rapport entre le bénéfice et le chiffre d'affaires) sont passées de 7,9 % à 7,2 %. Ce qui a poussé les analystes à revoir leur prévisions de bénéfices et de chiffre d'affaires à la baisse. Les multiples relativement tendus en termes absolus constituent aussi de plus en plus une source d'inquiétude. En général, les actions s'échangent avec une prime par rapport à leurs moyennes historiques au niveau des ratios cours/bénéfices (+12 %), cours/valeur comptable (+19 %) et cours/chiffre d'affaires (+27 %). Le ratio cours/chiffre d'affaires du MSCI Monde est plus élevé aujourd'hui qu'il ne l'était lors du pic de 2007 ! Le rapport risque/rendement est donc moins bon. Bien que tendus en termes absolus, les multiples des actions deviennent nettement plus intéressants si on les compare aux obligations. En témoigne un rendement du dividende moyen de 2,5 % contre des rendements obligataires moyens de 0,95 %. Le problème est néanmoins que la prime de risque de crédit a commencé à s'accroître (+1,7 % pour les obligations à haut rendement et +0,30 % pour les obligations "investment grade" depuis la mi-2015). Un fossé considérable s'est creusé entre les actions et les obligations d'entreprise cette année. Et ce même sans tenir du secteur de l'énergie. Les spreads de crédit constituent traditionnellement un important indicateur avancé qui permet de voir où l'on se situe dans le cycle. Le message qu'ils envoient aujourd'hui n'a rien d'encourageant. C'est probablement la raison pour laquelle les investisseurs accordent de plus en plus d'importance à la qualité crédit, et ce alors que le rallye est en train de montrer des signes d'essoufflement. Un panier regroupant des sociétés financièrement saines compilé par Goldman Sachs a ainsi progressé de 2,5 % depuis la mi-novembre 2015, alors qu'un panier composé de sociétés jugées moins solides a glissé de 1 % Les investisseurs en actions se soucient surtout de la qualité de crédit des sociétés lorsque des doutes surgissent à propos du momentum de l'économie. Si l'économie ralentit, les sociétés de moins bonne qualité risquent en effet d'en ressentir les effets en Bourse. La détérioration observée sur les marchés des obligations d'entreprise pourrait aussi remettre en cause un autre élément qui a permis aux actions de tripler leur valeur depuis 2009 : les rachats d'actions propres. Plusieurs signes indiquent d'ailleurs que les investisseurs s'y préparent déjà activement. Les actions présentant les taux de rachat les plus élevés accusent du retard par rapport au reste du marché (-6 % depuis la mi-avril 2015 aux États-Unis) pour la première fois après deux années de surperformance. Dans ce contexte, nous conseillons surtout les titres de grande qualité (de type "investment grade") reposant sur de solides assises financières. L'année prochaine, il faudra donc adopter une approche davantage basée sur le style que sur les secteurs. En pratique, nous privilégions les grosses capitalisations de grande qualité (principalement américaines) affichant de solides cash-flows, des bénéfices stables et une marque puissante. 2016 verra les valeurs de rendement prendre le dessus sur celles de croissance, car ces actions (considérées comme sous-évaluées) profiteront davantage de la hausse des taux de la Fed, surtout aux États-Unis. Un reflet de l'importante corrélation positive entre la performance relative des actions de rendement par rapport aux actions de croissance et l'orientation haussière des rendements obligataires. En outre, les actions de croissance, que nous définissons comme celles présentant le ratio cours/valeur comptable le plus élevé, affichent toujours une prime de valorisation extrêmement élevée par rapport aux actions de rendement. Dans ce stade plus avancé du cycle, nous privilégions aussi les actions affichant un dividende élevé et une croissance du dividende. Lorsque l'on compare les cycles boursiers, le stade actuel du cycle se caractérise, notamment, par le fait que le surplus de rendement des dividendes des actions par rapport au rendement des obligations d'entreprise est plus élevé. Comme ce surplus de rendement mettra sans doute plus de temps à se normaliser, on comprend mieux l'attrait persistant des investisseurs pour les actions à haut rendement. D'ordinaire, le rendement des obligations émises par les entreprises tend à être inférieur au rendement des dividendes et aux rendements boursiers car ces derniers fluctuent en fonction des anticipations de croissance des sociétés alors que les coupons des obligations sont fixes. Les cycles divergent d'une région à l'autre. Dans la Zone Euro, la reprise ne se trouve encore qu'à un stade initial et la BCE s'apprête probablement à prendre de nouvelles mesures de soutien. Au Japon, les sociétés profitent toujours de l'amélioration de leur rentabilité et de leurs bilans. Aux États-Unis, après sept années de marché haussier, les bilans et les marges bénéficiaires des entreprises ont commencé à se détériorer en raison de l'importance des rachats d'actions propres. Wall Street devrait bientôt atteindre son pic, s'il ne l'a pas déjà fait. Après les mauvaises performances enregistrées dans le passé, les marchés émergents devraient reprendre quelques couleurs. Mais la perspective d'un resserrement des taux de la Fed et d'une appréciation du dollar nous pousse à adopter une position neutre vis-à-vis des marchés émergents. Nous préférons par ailleurs la Zone Euro et le Japon aux États-Unis. 1.1. Régions 1.1.1 Zone euro : surpondérer L'économie de la Zone Euro semble être assez solide pour pouvoir résister au ralentissement en Chine. La demande intérieure, l'un des principaux moteurs de la croissance en Allemagne ces derniers mois, montre aussi des signes d'amélioration dans d'autres pays européens et les échanges commerciaux sont en train de reprendre des couleurs dans la région. Un moment particulièrement bien choisi alors que la situation en Chine, l'une des principales destinations des exportations de la région, ne cesse de se détériorer. Outre cette amélioration de la demande intérieure, signalons aussi le renforcement des investissements. Partant de l'hypothèse que la Chine va connaître un atterrissage en douceur, nous pensons que la Zone Euro va continuer de croître. Les autorités monétaires ont alimenté la reprise en Europe grâce à des mesures de relance sans précédent (et la Banque centrale européenne en a promis d'autres si cela devait s'avérer nécessaire). L'économie a en outre pu profiter de la chute des prix pétroliers, et ce alors que les dépenses ont été soutenues par le recul du chômage et par la reprise des investissements. Ce timide redressement arrive alors que les exportateurs doivent faire face à un affaiblissement de la croissance sur les marchés émergents (le principal moteur des échanges commerciaux ces dernières années) et à la perspective d'un resserrement des taux, le premier depuis 2006, par la Réserve fédérale. La reprise dans la Zone Euro est actuellement emmenée par les ménages, pratiquement trois quarts de la croissance enregistrée dans la région depuis début 2014 étant à mettre à leur actif. La diminution continue, mais progressive, du chômage fait que de plus en plus de gens disposent de suffisamment de moyens pour dépenser. Signe de l'importance des capacités inutilisées dans la région, la pression sur les salaires reste faible. Pourtant, il n'y a encore pour le moment aucun signe de faiblesse de l'inflation sur les traitements. La baisse des prix des matières premières a eu un impact positif sur les salaires réels. Olivier Blanchard, l'économiste en chef du FMI, a déclaré que la baisse du pétrole pourrait apporter 0,3 à 0,7 point de croissance supplémentaire à l'économie mondiale cette année alors que la Deutsche Bank a calculé qu'une baisse de 10 dollars du prix du baril de brut pourrait faire grimper la croissance mondiale de 0,4 %. Nous avons également déjà constaté que l'économie européenne avait commencé à profiter de la dépréciation de l'euro et il n'y a aucune raison que cela s'arrête. L'euro peut encore baisser avant de pouvoir parler d'une trop forte sousévaluation. Le taux de change effectif réel n'est que 10 % inférieur à sa moyenne à long terme. Un nouveau recul de la monnaie permettrait de doper les exportations et de faire grimper l'inflation : chaque diminution de 10 % de l'euro ajoute 1 % au PIB nominal et 10 % aux BPA vu qu'un peu plus de la moitié des ventes européennes proviennent de l'extérieur de la Zone Euro. Un essoufflement de la reprise au cours des prochains trimestres serait un argument de plus en faveur d'un nouvel assouplissement de la politique. Même si les optimistes pourraient voir dans les chiffres de croissance meilleurs qu'initialement annoncés pour les deux premiers trimestres de l'année un signe favorable, force est de constater que la Banque centrale européenne a, quant à elle, revu ses prévisions pour la région à la baisse, et ce jusqu'en 2017. Le président de la banque centrale, Mario Draghi, a prévenu que l'amélioration économique pourrait s'avérer légèrement plus faible que prévu, en raison du ralentissement du commerce mondial. Après six mois d'assouplissement quantitatif, Draghi a présenté les nouvelles prévisions de la BCE le 3 septembre (la prévision d'inflation a été ramenée à 1,1 % pour 2016 et à 1,7 % pour 2017 et la prévision de croissance à 1,5 % pour 2015 et 1,8 % pour 2017) et a promis que d'autres mesures pourraient encore être prises le cas échéant. Benoit Cœuré, membre du directoire de la banque, a également fait savoir que la BCE maintiendrait des taux d'intérêt très bas et poursuivrait ses achats d'actifs aussi longtemps que nécessaire. Ce soutien en provenance de la banque centrale permet aux actions de la Zone Euro de rester attrayantes, surtout au vu du niveau relativement faible de leurs valorisations. Le différentiel entre les rendements de dividende des actions européennes et le rendement des Bunds allemands à 10 ans s'est creusé à 3,1 %, l'écart le plus important enregistré depuis début janvier et nettement au-dessus du spread moyen sur 10 ans de 1,2 %. Cela signifie que les actions européennes sont devenues relativement attrayantes par rapport aux investissements à revenu fixe. 1.1.2 Japon : surpondérer (sans couverture contre le risque de dépréciation du yen) Lorsque la Réserve fédérale commence à relever ses taux, le meilleur refuge pour les investisseurs en actions semble être Tokyo. Depuis 1988, l'indice Topix a en effet surperformé les actions américaines pendant les cycles de resserrement de la Fed. Au cours des quatre périodes de hausse des taux qu'ont connues les États-Unis, l'indice de référence japonais a progressé, en moyenne, deux fois plus que le Standard & Poor's 500 et il a également devancé l'indice asiatique hors Japon. Lors de chaque cycle, le Topix a également gagné du terrain au cours du mois qui a suivi le premier relèvement, alors que les indices US et asiatique se sont repliés. L'indice Topix a gagné, en moyenne, 14 % durant les quatre périodes de resserrement entamées en 1988, 1994, 1999 et 2004. Sur les mêmes périodes, le S&P 500 a grimpé de 7,8 % et le MSCI Asia ex-Japan de 12 %. Les lendemains d'une intervention de la Fed sont également plus joyeux au Japon. Le mois qui suit un premier relèvement des taux, le Topix affiche, en moyenne, une hausse de 1 %, alors que les indices US et asiatique perdent respectivement 1,7 % et 2 %. Un resserrement de la Fed constitue une bonne nouvelle pour les actions japonaises, car l'appréciation du dollar qu'elle implique vis-à-vis du yen a pour effet d'améliorer les perspectives bénéficiaires des exportateurs nippons. L'effondrement des prix pétroliers et le ralentissement de la croissance en Chine ont pesé sur les actions mondiales (l'indice MSCI Monde a fortement chuté), mais le marché japonais est néanmoins parvenu à tirer son épingle du jeu. Le Topix s'est ainsi hissé à la cinquième position des marchés développés les plus performants de l'année, les mesures d'assouplissement de la Banque du Japon ayant entraîné une dépréciation du yen et une hausse des bénéfices à un niveau record (voir ci-dessous). En 2016, l'un des principaux défis auxquels l'économie mondiale devra faire face sera de résister à un environnement de taux plus élevés. En relevant ses taux alors que les prix pétroliers sont en chute libre, Yellen prendra un pari risqué. En outre, cette décision jouera en défaveur des devises émergentes, avec le risque, pour les exportateurs japonais, de voir la concurrence se renforcer (le yen repartant à la hausse en raison de son statut de valeur refuge). En réalité, les quatre périodes de resserrement de la Fed n'ont pas toutes été bénéfiques aux actions japonaises : pendant le cycle de 1994, le Topix a chuté de 9,3 %, alors que le S&P 500 a quasiment fait du surplace. Qui plus est, force est de constater que les investisseurs auraient eu intérêt à garder leurs titres US entre 1988 et aujourd'hui, sachant que le Topix a progressé de 47 % par rapport à son pic de 1989 alors que le S&P 500 a gonflé de 486 %. Le gain de 6 % réalisé par le Nikkei 225 (chiffre arrêté à la fin du mois passé) a été enregistré sur fond de bénéfices records pour les entreprises, et ce alors que les valorisations n'ont grimpé que de 2,3 % par rapport à la fin de l'année passée. Le Nikkei 225 s'est échangé à 18 fois les bénéfices estimés, contre un pic de 19,7 en mai 2013. Le fait que le ratio cours/bénéfice n'a pas beaucoup augmenté prouve que les analystes ont revu leurs estimations de bénéfices à la hausse pour les sociétés japonaises. De manière générale, le marché reste relativement bon marché et possède encore une belle marge de progression. Bien qu'un rapport ait indiqué que le pays était retombé en récession (le PIB a ralenti de 0,8 % en taux annualisé le trimestre passé, après une contraction révisée à 0,7 % au trimestre se clôturant en juin), les entreprises nippones ont démontré qu'elles n'avaient pas besoin d'une économie plus forte pour augmenter leurs bénéfices. Les bénéfices d'exploitation des membres du Nikkei 225 qui ont publié des résultats pour le trimestre clôturé en septembre ont atteint un nouveau record de 7.700 milliards de yens (62,7 milliards de dollars). Toyota Motor a annoncé qu'elle avait de nouveau réalisé un bénéfice d'exploitation record grâce à la faiblesse du yen. Le constructeur est, en outre, parvenu à battre les prévisions des analystes de 3,1 %. Parmi les membres de l'indice Topix plus large ayant publié des résultats, 55 % ont dépassé les prévisions bénéficiaires des analystes. 1.1.3 Marchés émergents (versus marchés développés) : neutre. Les devises, actions et obligations émergentes s'apprêtent à connaître leur troisième année consécutive de pertes. Ces pays souffrent du ralentissement de l'économie chinoise et de son effet sur la demande de matières premières et risquent, par ailleurs, de subir des fuites de capitaux suite au relèvement des taux aux États-Unis. Selon des chiffres publiés par l'Institute of International Finance en octobre, les investisseurs devraient avoir retiré l'équivalent de 540 milliards de dollars des pays émergents cette année, les premières sorties de capitaux nettes depuis 1988. Et comme si la menace d'une hausse des taux aux États-Unis (la première en sept ans) ne suffisait pas, les économies émergentes ont également été secouées par des tensions politiques ces dernières semaines. En Afrique du Sud, le rand a dévissé suite à la nomination, par le président Jacob Zuma, d'un second ministre des Finances en quatre jours. En Pologne, les actions sont tombées à leur niveau le plus bas en six ans à cause du virage politique opéré par le nouveau gouvernement. Au Brésil, la présidente a été visée par une procédure de destitution et en Turquie, les actifs en lires se sont effondrés à cause d'un regain de tension avec la Russie suite à la destruction d'un avion russe à la frontière turco-syrienne. Le timing n'aurait pas pu être pire. Les pays les plus fragiles d'un point de vue politique risquent d'être doublement pénalisés en cas de nouvelles turbulences causées par un relèvement des taux de la Fed. Alors que les investisseurs se sont habitués à la menace que représentent l'effondrement des prix des matières premières et la perspective d'une hausse des taux aux États-Unis, ces tensions internes rappellent à quel point ces pays émergents sont aussi exposés à des risques politiques et économiques à l'échelle locale. De par leur fragilité institutionnelle, les pays émergents sont plus vulnérables aux risques politiques que les pays plus avancés en période de marasme économique. Cela explique pourquoi les marchés émergents sont sous-évalués d'un point de vue relatif : le différentiel cours/valeur comptable entre les marchés émergents et les marchés développés est actuellement 40 % inférieur à sa moyenne à long terme. 1.1.4 États-Unis : sous-pondérer Les relèvements de taux de la Fed ne sont traditionnellement pas de bon augure pour les bénéfices des entreprises. Mauvaise nouvelle donc pour les investisseurs qui tablent sur un rebond des bénéfices, après le premier trimestre de baisse depuis 2009. Depuis la seconde guerre mondiale, les bénéfices voient généralement leur taux de croissance médian diminuer sensiblement après une hausse des taux de la Fed (baisse d'environ 50 % dans l'année qui suit le resserrement). Or, les bénéfices dans l'indice Standard & Poor's 500 viennent de se contracter de 1,7 % au deuxième trimestre, après une série de hausse entamée en 2009. Tout nouveau ralentissement des bénéfices risque de ne pas faire les affaires des investisseurs, lesquels viennent d'endurer leur première correction de 10 % en quatre ans. Alors que les analystes misent sur un rebond des bénéfices en 2016 et 2017, les données historiques suggèrent que renouer avec les niveaux qui ont permis au S&P 500 de gagner 240 % (en euros) depuis 2009 pourrait s'avérer plus difficile qu'ils ne le pensent. Si la relation par rapport aux resserrements de la Fed se confirme, la déception pourrait donc être de taille. Une des raisons de ce recul des bénéfices réside dans le fait que la Fed relève généralement ses taux après une période particulièrement favorable aux sociétés. Au cours de l'année qui précède des hausses de taux, le taux médian de croissance des bénéfices des entreprises s'élève à 16 %, contre 7,6 % en période normale. Nous en sommes loin à l'heure actuelle. Les sociétés du S&P 500 ont vu leurs bénéfices trimestriels croître de 3 % en moyenne depuis le troisième trimestre de 2014, soit une forte baisse par rapport aux 17 % enregistrés depuis le début du marché haussier. À l'instar de la volatilité élevée et de la durée inhabituelle du marché haussier lui-même, le taux de croissance des bénéfices est un autre exemple qui montre à quel point la Fed se prépare à normaliser sa politique dans des conditions qui sont loin d'être ordinaires. Un coup d'œil sur les précédentes hausses de taux de la Fed permet de constater que celles-ci sont généralement opérées après un pic des bénéfices des entreprises, lesquels sont liés à la croissance économique. Or, cette fois, tout va plus lentement. C'est la raison pour laquelle nous nous attendons à un marché des actions amorphe l'année prochaine. L'expérience montre que le taux de croissance médian des bénéfices passe traditionnellement de 15,7 % l'année qui précède le début d'un cycle de resserrement à 9,3 % l'année qui suit. Et la décélération est encore plus marquée entre le trimestre qui précède la hausse et celui qui la suit (de 14 % à 3 %). Une des raisons pour lesquelles les bénéfices se détériorent est que le loyer de l'argent est traditionnellement relevé afin de freiner une économie en surchauffe, alors que tous les coûts (de la main d'œuvre aux équipements) sont orientés à la hausse. Et les hausses de taux jouent aussi en faveur du dollar, dont l'appréciation de 15 % l'année passée a déjà affecté les ventes des multinationales. L'expérience montre qu'une fois que les trimestres de bénéfices négatifs commencent à se succéder, ils continuent sur leur lancée - et l'effet sur le sentiment des investisseurs est d'autant plus difficile à faire disparaître. Il faut tabler sur une période minimale de neuf mois. En fait, sur les 17 fois que les bénéficies ont diminué trois trimestres d'affilée depuis la Grande Dépression, ils n'ont arrêté de baisser exactement après trois trimestres qu'à une seule reprise, en 1967. Des données compilées par Bloomberg et les indices S&P Dow Jones montrent que la croissance bénéficiaire trimestrielle combinée des sociétés du S&P 500 s'est avérée négative à 33 reprises depuis 1937. Dans la moitié des cas, cela n'a pas duré plus de six mois. Dans les autres cas, la croissance bénéficiaire est restée négative pendant cinq trimestres en moyenne. Sur les 17 fois où les bénéfices ont baissé pendant au moins trois trimestres, 14 ont eu lieu à trois mois d'un marché baissier. Selon des données compilées par Bloomberg, les analystes estiment que les bénéfices vont encore se replier pendant deux trimestres, avec une baisse de 6,2 % ce trimestre et de 0,8 % au cours des trois derniers mois de l'année. Alors que les sociétés éprouvent déjà des difficultés à renouer avec les niveaux de rentabilité de l'année passée, une hausse des taux de la Fed risque de leur compliquer encore plus la tâche. Tout ceci pourrait avoir un impact sur la consommation, et notamment l'immobilier et les ventes automobiles. Les actions américaines souffrent désormais du niveau relativement plus élevé de leurs valorisations et des perspectives moins favorables au niveau des bénéfices. Après avoir grimpé de 240 % au cours de ces six dernières années grâce aux mesures de stimulation de la Fed et au doublement des bénéfices des entreprises, le S&P 500 s'échange aujourd'hui à 18 fois les bénéfices, quasiment son plus haut depuis 2010, mais un niveau inférieur à celui enregistré au terme de huit des neuf périodes de marché haussier que nous avons connues depuis 1962 À titre de comparaison, l'indice MSCI Monde affiche un multiple de 17,6x. Selon des estimations d'analystes compilées par Bloomberg, les bénéfices des entreprises américaines devraient, pour la première fois depuis 2009, connaître deux trimestres consécutifs de baisse. Les ventes d'entreprises telles que Procter & Gamble ou Pfizer sont en effet affectées par l'appréciation du dollar, qui a atteint des sommets inédits depuis l'invasion de l'Irak. 1.2 Styles 1.2.1 Cycliques versus défensives : neutre Les surprises macroéconomiques, qui guident généralement l'activité manufacturière mondiale (PMI), sont un peu plus marquées. Si elles se maintiennent à leurs niveaux actuels, nous pourrions alors assister à un rebond du PMI global. Et comme les sociétés ont réduit leurs réserves depuis la fin de 2014, le cycle des stocks ne devrait plus être un frein à la croissance de l'activité En d'autres termes, le momentum macroéconomique pourrait s'améliorer et les cours des actifs à risque pourraient réagir favorablement. Nos économistes ont d'ailleurs révisé leurs attentes relatives à la croissance du PIB mondial de 2,4 % en 2014 à 2,5 % en 2015 Cela devrait aider les cycliques à limiter leur sous-performance par rapport aux défensives. De plus, nous pensons que les taux devraient augmenter à moyen terme. Et nous savons qu'un contexte baissier du marché obligataire nuit aux actions défensives et aux actions assimilables aux obligations. L'orientation des rendements obligataires a, il est vrai, constitué par le passé un très bon indicateur de la performance relative entre les secteurs cycliques et les secteurs défensifs. La surperformance des cycliques pendant le cycle haussier de 2003-2006 a coïncidé avec une hausse des rendements obligataires. 1.2.2 Actions "value" (actions avec faible ratio cours/valeur comptable) : surpondérer (par rapport aux actions de croissance) 2016 verra les valeurs de rendement prendre le dessus sur celles de croissance. Le premier relèvement des taux de la Réserve fédérale depuis 2006 jouera un rôle à ce niveau, car les sociétés dans cette catégorie profite davantage de ce type de mouvement. D'autant que le dollar tend à se déprécier, si l'on en juge par les données statistiques des 50 dernières années, une fois que la Fed a entamé un cycle de hausse des taux. Et un dollar baissier est généralement plus profitable aux actions de rendement qu'aux actions de croissance. La hausse des rendements obligataires jour en faveur des actions de rendement. Il existe généralement une importante corrélation positive entre la performance relative des actions de rendement par rapport aux actions de croissance et l'orientation haussière des rendements obligataires. L'environnement macroéconomique plaide toujours légèrement en faveur des actions de rendement ("value") sur fond d'amélioration de la croissance mondiale, les rendements obligataires devant s'apprécier avec le temps. Sur le long terme, les actions de rendement performent mieux que les actions de croissance. Bien qu'en période de contraction économique la performance relative des actions value soit généralement moins flatteuse, il faut être conscient que les cycles baissiers durent globalement moins longtemps que les cycles haussiers. Cela signifie que même une détention passive d'actions value se révèle bien souvent profitable pour les investisseurs disposant d'un horizon de placement à long terme. Les actions de croissance, que nous définissons comme celles présentant le ratio cours/valeur comptable le plus élevé, affichent toujours une prime de valorisation extrêmement élevée par rapport aux actions de rendement. 1.2.3 Petites capitalisations : surpondération (par rapport aux grosses capitalisations) en Europe, mais plus aux États-Unis où nous sommes positifs vis-à-vis des grosses capitalisations Le cycle est en train de tourner en la faveur des grosses capitalisations aux États-Unis. Le ratio entre l'indice S&P 100, composé des 100 plus grosses sociétés du S&P 500 en termes de capitalisation de marché, et l'indice des petites capitalisations est passé d'un plancher quasi historique (0,7) à 0,8 au cours de ces quatre dernières décennies. En Europe, nous pensons que les petites capitalisations sont toujours mieux valorisées (ratio cours/valeur comptable de 2x contre 1,8x pour les grosses capitalisations), qu'elles possèdent un meilleur potentiel d'appréciation et qu'elles reposent sur des bilans plus solides (dette nette/EBITDA de 3 contre 8 en 2011). Leur nature plus cyclique leur permet de générer des bénéfices par action plus généreux (+20,4 % en Europe, contre +17,7 % pour les grosses capitalisations depuis 1990). Elles vont, en outre, profiter d'une accélération du rythme des fusions & acquisitions cette année. Elles disposent désormais d'une masse critique : la capitalisation de marché combinée des petites et moyennes capitalisations représente désormais un tiers de celle des grosses capitalisations. 1.2.4 Mettre l'accent sur les actions à dividende élevé et la croissance des dividendes. Lorsque l'on compare les cycles boursiers, le cycle actuel se caractérise, notamment, par le fait que le surplus de rendement des dividendes des actions par rapport au rendement des obligations d'entreprise est plus élevé. Comme ce surplus de rendement mettra sans doute plus de temps à se normaliser, on comprend mieux l'attrait persistant des investisseurs pour les actions à haut rendement. D'autant que les entreprises ont de plus en plus tendance à favoriser les actionnaires par rapport aux investisseurs obligataires en augmentant les dividendes distribués. D'ordinaire, le rendement des obligations émises par les entreprises tend à être inférieur au rendement des dividendes et aux rendements boursiers car ces derniers fluctuent en fonction des anticipations de croissance des sociétés alors que les coupons des obligations sont fixes. Pour égaler le rendement moyen de l'indice Stoxx 600, il faudrait que le rendement moyen des obligations d'entreprises "investment grade" européennes (indice Bloomberg) augmente de 1,2 % actuellement à 4,3% ! En Europe, nous continuons à privilégier les actions disposant de rendements élevés et qui tendent à accroître les dividendes distribués : Celles-ci ont surperformé le DJ Stoxx 600 de 8 % depuis la fin de 2012. Il convient de miser sur les actions capables d'offrir un rendement des dividendes élevé et durable. Le rendement des dividendes et la croissance de ce rendement constituent la première source de return des actions sur le long terme. Les actions européennes offrent un rendement de dividende plus élevé (3,7 %) que les actions des autres régions (2,2 % aux États-Unis, 1,7 % au Japon). Les actions à haut dividende surperforment les actions à faible dividende et le marché sur le long terme. Les dividendes européens devraient continuer d'augmenter en même temps que les bénéfices. Les prévisions de croissance des bénéfices top-down à long terme pour le DJ Stoxx Europe 600 sont, en moyenne, de 11 % par an (consensus Bloomberg). Mais lorsque la phase d'espoir laisse la place à la phase de croissance, les actions offrant un rendement de dividende élevé ont tendance à moins surperformer. Les sociétés continuent d'afficher des niveaux records de liquidités, en raison de l'incertitude macroéconomique ambiante. L'allocation efficiente de ce cash entre les dividendes, les rachats d'actions propres, les fusions & acquisitions et les dépenses d'investissement demeure l'un des principaux paramètres de différenciation des sociétés. 1.3 Secteurs 1.3.1 Secteurs globaux 1.3.1.1 Biens de consommation cycliques surpondérer L'effondrement du cours du brut pourrait donner un coup de pouce à l'économie. Les perspectives d'une surabondance de pétrole et la confirmation d'un ralentissement en Chine, premier consommateur de carburants et de métaux dans le monde, ont certes fait chuter les cours des matières premières à leur niveau le plus bas depuis 1999, mais à toute chose malheur est bon. Comme nous l'avons écrit dans nos derniers rapports, la chute des prix des matières premières et de l'énergie pourrait stimuler les cours des actions sur les marchés développés et dans les secteurs liés à la consommation. Olivier Blanchard, l'économiste en chef du FMI, a déclaré que la baisse du pétrole pourrait apporter 0,3 à 0,7 point de croissance supplémentaire à l'économie mondiale cette année alors que la Deutsche Bank a calculé qu'une baisse de 10 dollars du prix du baril de brut pourrait faire grimper la croissance mondiale de 0,4 %. La chute des prix pétroliers pourrait avoir des effets désinflationnistes, mais elle pourrait aussi doper les investissements des entreprises et les dépenses des consommateurs. Et c'est exactement ce qui se passe aujourd'hui. Les ménages de la Zone Euro récoltent déjà les fruits d'un pétrole moins cher, même s'il est probablement trop tard pour dissuader la Banque centrale européenne de renforcer ses mesures de relance. La baisse du taux d'inflation en dessous de 0 % pour l'énergie s'accompagne d'un rebond des dépenses des ménages dans l'ensemble de la région. Les prix de l'alimentation et des boissons ont également diminué suite à la baisse des coûts de transport et les ménages ont donc eu plus de moyens pour leurs autres dépenses. Les consommateurs américains commencent également à profiter des économies réalisées à la pompe. Sur un an, le consommateur moyen a ainsi pu économiser plus de 650 dollars, contre environ 300 dollars en fin novembre 2014. L'or noir a dégringolé de 46 % à New York en 2014, sa plus forte baisse en six ans et la deuxième chute la plus importante depuis l'ouverture des échanges en 1983 et il a perdu 31 % cette année. L'argent que les consommateurs économisent à la pompe est donc utilisé ailleurs. Dans ce contexte, les sociétés européennes liées au secteur de la consommation pourraient devenir un investissement attrayant (en particulier celles très actives sur le marché US). Leur rentabilité devrait en effet être instantanément dopée par la conversion en euros de leurs chiffres de ventes réalisés outre-Atlantique. La fin du programme d'achat d'actifs de la Réserve fédérale et le renforcement de l'économie américaine ont fait grimper le dollar par rapport à toutes les autres principales devises mondiales au cours de ces 20 derniers mois. Pendant ce temps, les mesures de relance de la BCE ont pesé sur l'euro. Sur le marché pétrolier, le cours de l'or noir n'a cessé de baisser suite à l'accroissement de l'offre mondiale et à la décision de l'Arabie saoudite d'abaisser ses prix pour les consommateurs américains. Ceux-ci ont donc plus d'argent à dépenser. Il s'agit d'un cocktail idéal qui pourrait profiter aux sociétés européennes très actives sur le marché US. Leur rentabilité devrait en effet être instantanément dopée par la conversion en euros de leurs chiffres de ventes réalisés outre-Atlantique. Le panier de Morgan Stanley reprenant les sociétés européennes dont le chiffre d'affaires est le plus exposé aux consommateurs US a bondi de 37 % au cours de ces 14 derniers mois, alors que l'indice DJ Stoxx 600 a gagné 10 %. Le ratio entre les deux a atteint son niveau le plus élevé en trois ans ! Les investisseurs pourraient certes miser sur la vigueur de la consommation aux États-Unis en achetant des actions américaines, mais celles des exportateurs européens sont mieux valorisées. Les sociétés reprises dans l'indice européen de Morgan Stanley s'échangent actuellement à 17,3 fois leurs bénéfices attendus, alors que les sociétés de biens de consommation de base et de biens de consommation cycliques reprises dans le Standard & Poor's 500 s'échangent à respectivement 20,7 et 20 fois leurs bénéfices. 1.3.2 Secteurs US 1.3.3 Secteurs dans la Zone Euro