L’Encéphale (2012) Supplément 4, S160-S166 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Les thérapies non-médicamenteuses dans les troubles bipolaires Non pharmacological treatment for bipolar disorder Christine Mirabel-Sarron1,*, Raphaël Giachetti2 1Université Paris 5 René Descartes, CMME Service de Monsieur le Professeur Rouillon, Centre Hospitalier Sainte Anne, 100 rue de la Santé, 75014 Paris 2Clinique d’Aufrery, Place du Maréchal Niel, 31130 Balma MOTS CLÉS Trouble bipolairepsycho-éducation ; Thérapie comportementale et cognitive ; Dépression bipolaire ; Prévention des rechutes KEYWORDS Behavioral and cognitive therapy; Bipolar disorder; Psychoeducation; Bipolar depression; Psychotherapy Résumé La diversité de l’expression clinique des troubles bipolaires met à l’épreuve les praticiens lorsqu’il s’agit d’établir un protocole de soin. Outre la symptomatologie directement liée aux accès aigus, les conséquences affectives, sociales, et professionnelles viennent alourdir les tableaux cliniques et doivent être intégrées dans la réflexion menée dans la prise en charge. Cette dernière associe aujourd’hui au traitement pharmacologique une, voir plusieurs prises en charges psychothérapeutiques. Après avoir passé en revue le panel des différents types de psychothérapies indiquées pour cette pathologie, notre propos se concentrera sur les prises en charges évaluées scientifiquement. Si la plupart sont mises en œuvre en phase de rémission certaines le sont en période de dépression. Les résultats montrent une efficacité des Thérapies comportementales et cognitives, de la psychoéducation et des thérapies interpersonnelles et d’aménagement des rythmes sociaux (TIPARS), sur l’intensité et la durée des décompensations, et sur la qualité et le temps passé en rémission. © L’encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés. Summary Bipolar disorder is a chronic and recurring disorder associated with significant psychosocial impairment. A number of psychosocial interventions have been developed to address impairment. The consensus makes mood stabilizer the treatment of bipolar disorder. However, numerous patients are not in complete remission despite a controlled observance. Every patient can follow a psycho educational program. What this paper adds. The review identifies that a range of interventions have demonstrated efficacy in extended periods of euthymia, improved social and occupational functioning and alleviation of subsyndromal symptoms. Adjunctive, short-term psychotherapies have been shown to offer fairly consistent benefits to bipolar disorder patients. Cognitive-behavioural therapy, family-focused therapy, and psychoeducation offer the most robust efficacy in regard to relapse prevention. The most complex situations including comorbidities can be helped by behavioral and cognitive therapy for bipolar disorder. Evaluations emphasize positive impact. The psychosocial interventions reviewed provide mental health nurses with evidence-based approaches to improving mental health care for patients with bipolar disorder. There is a need for mental health nurses to conduct high quality trials of the clinical effectiveness of these interventions. © L’encéphale, Paris, 2012. All rights reserved. *Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Mirabel-Sarron) © L’Encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés. Les thérapies non médicamenteuses dans les troubles bipolaires Introduction Les thérapies non médicamenteuses pour les troubles bipolaires, appelées antérieurement psychoses maniacodépressives, ont dominé le soin au cours de la première moitié du XXe siècle dans un contexte pharmacologique encore très pauvre. La découverte du Lithium dans les années soixante a inversé la tendance en attribuant au traitement biologique une place prééminente qui éloigna un temps les soins psychothérapeutiques. La publication de Goodwin et Jamison en 1990 [1], mit fin à l’ère du tout biologique en soulignant l’efficacité relativement limitée des traitements pharmacologiques tout en précisant qu’ils représentaient la base incontournable du soin pour les patients bipolaires. Cinq ans plus tard l’article de Gitlin et al. [2] abonde dans ce sens en montrant que malgré un traitement par un stabilisateur de l’humeur, le taux de rechute des patients atteignait près de 40 % après un an, 60 % après deux ans et 73 % au delà de cinq ans. Aujourd’hui, il existe un consensus sur la nécessité d’associer précocement un traitement pharmacologique à une ou des thérapies non médicamenteuses. Qu’elles se mènent en individuel ou en groupe, ces thérapies psychologiques sont nombreuses aujourd’hui [3]. Les publications internationales présentent plusieurs approches psychologiques dont l’impact est favorable sur le cours de la maladie bipolaire, en réduisant la longueur des épisodes aigus, et en augmentant le délai d’apparition des rechutes [4,5]. Tous ces programmes abordent les connaissances des patients sur la maladie, les traitements possibles, l’hygiène de vie, les signes précurseurs des rechutes, la gestion des situations sources de stress, etc. Afin de pouvoir étayer notre propos, nous allons nous limiter aux approches de groupe proposées dans les guidelines où ayant fait l’objet d’études contrôlées randomisées. Si les thérapies psycho-éducatives ont inauguré les travaux de recherches, les thérapies comportementales et cognitives ont représenté le corpus théorique pour l’élaboration des programmes de psychoéducation mais aussi pour les thérapies interpersonnelles et d’aménagement des rythmes sociaux (TIPARS). Classiquement ces approches, notamment la psychoéducation et les TIPARS sont efficientes si elles sont menées au cours des périodes euthymiques. Nous savons depuis 2002 grâce aux études de Judd [6] et de ses collaborateurs qu’une proportion significative de patients passe plus de la moitié de sa vie en phase dépressive, nous souhaitions donc également aborder l’efficacité des thérapies non médicamenteuses menées au cours d’un épisode dépressif chez les patients bipolaires. Évaluation des thérapies non médicamenteuses en période euthymique Même si pour beaucoup de patients la rémission est partielle, souvent marquée par des symptômes résiduels de type dépressif, moins souvent par des éléments du registre maniaque, elle demeure la période de choix pour les prises en charges psycho-éducatives et cognitivo-comportementales. Cela dit, et notamment au cours des programmes longs comportant une vingtaine de séances, nous observons des fluctuations thymiques induites par la mobilisation psychique inhérente à ces programmes dispensés sur une période de plus de six mois. S161 Le programme de psychoéducation de Colom et Vieta Appelé également le programme de Barcelone, il constitue la référence internationale en terme de démarche psychoéducative pour patients bipolaires [7]. Le tableau 1 rapporte le contenu de chaque séance. Trois stades de changements sont attendus par les auteurs : • Changement de premier niveau : Prise de conscience de la maladie, détection précoce des symptômes, observance du traitement ; • Changement de second niveau : contrôle du stress, régulation du style de vie, prévention des conduites suicidaires ; • Changement de troisième niveau : augmentation des connaissances et de la gestion sur l’impact des épisodes thymiques (passés ou futurs), augmentation des activités sociales et interpersonnelles entre les épisodes, l’abrasion maximale des symptômes résiduels qui permettra l’amélioration de la qualité de vie. La réduction du nombre d’épisodes n’interviendrait qu’après l’acquisition de changement de niveau 3. Une étude randomisée contrôlée [8] chez 120 patients bipolaires 1 et 2, en suivi ambulatoire, sous thymorégulateur et stable cliniquement depuis six mois au moins conclut à l’impact positif de ce type de prise en charge. Ils suivaient le Tableau 1 Étapes du programme psychoéducatif Phase 1 Prise de conscience de la maladie Séance 1 Présentation du programme et des règles du groupe Séance 2 Qu’est-ce que le trouble bipolaire ? Séance 3 Facteurs étiologiques et déclenchants Séance 4 La manie et l’hypomanie Séance 5 La dépression et les épisodes mixtes Séance 6 Evolution et pronostic Phase 2 Adhésion au traitement pharmacologique Séance 7 Les thymorégulateurs Séance 8 Les anti-maniaques Séance 9 Les antidépresseurs Séance 10 Les taux plasmatiques des thymorégulateurs Séance 11 Grossesse et conseils Séance 12 Les thérapies alternatives ou la psychopharmacologie Séance 13 Les risques de l’arrêt du traitement Phase 3 Les abus de substances Séance 14 Les substances psychoactives Phase 4 La détection précoce des épisodes thymiques Séance 15 Détection précoce des épisodes maniaque et hypomaniaque Séance 16 Détection précoce des épisodes dépressif et mixte Séance 17 Quelle attitude adoptée au tout début d’un épisode thymique Phase 5 Rythme de vie et gestion du stress Séance 18 Importance de la régularité des habitudes de vie Séance 19 Les techniques de contrôle du stress Séance 20 La résolution de problème S162 C. Mirabel-Sarron, et al programme en 20 séances puis un suivi clinique de deux ans. Le critère était le taux de récidive thymique (Tableau 2). Le suivi de ce programme diminue significativement le taux de récidives et allonge le temps passé en rémission. L’adjonction à la thymorégulation d’une psychoéducation constituerait un bénéfice médico-économique à long terme à cinq ans. L’effet préventif prend la forme d’un allongement du temps entre deux épisodes dépressifs, une réduction significative de la souffrance dépressive et du nombre d’épisodes par rapport au groupe n’ayant pas reçu de psychoéducation [9]. La mise en œuvre de ce type de programme nécessite des ressources institutionnelles importantes ce qui représente un facteur limitant. Le programme élaboré par le docteur Marc Bauer et l’infirmière Linda McBride se situe dans une position intermédiaire entre le programme psycho-éducatif long barcelonais et la prise en charge de thérapie comportementale et cognitive [10]. Ce programme a la particularité de comprendre deux phases distinctes, les patients pouvant participer uniquement à la première ou prolonger avec la phase deux. Ce programme d’objectifs personnels (POP) comporte six séances psycho-éducatives (en groupe fermé) puis un nombre illimité de rencontres de groupe inspirés des concepts des thérapies cognitives et comportementales associés à des techniques de résolution de problèmes. Dans une étude menée sur presque 3 ans, Bauer et ses collaborateurs [11] ont montré que ce programme permettait une diminution de la survenue et de la durée des épisodes maniaques. Les thérapies comportementales et cognitives destinées aux patients bipolaires Depuis 1996, cinq programmes de thérapie comportementale et cognitive spécifiques aux patients bipolaires ont été publiés [12-16]. Ils comportent un très grand nombre de points communs. Tous les programmes sont très structurés et s’organisent en trois temps : • une phase éducative (6 à 8 séances) ; • une phase de techniques particulières comportementales et cognitives (12 séances) ; • une phase de consolidation (2 séances puis suivi mensuel). Au cours de ces séances le thérapeute propose : • une évaluation des représentations mentales du patient concernant sa maladie et son traitement ; • une régulation des comportements quotidiens tels que la durée du sommeil, le rythme des prises alimentaires, les activités physiques nécessaires ou plaisantes ainsi que la qualité et la fréquence des relations sociales ; • une identification précoce des prodromes dépressifs ou maniaques, appelée aussi « identification des signes précurseurs » ou « des signes d’alerte » qui permettent au patient de réagir rapidement, de développer des actions pour réduire les symptômes dépressifs ou maniaques ; • un apprentissage des techniques cognitives : avec l’identification des pensées dépressives ou des pensées liées à la manie et qui amènent le patient à des comportements extrêmes ; • un apprentissage aux techniques de « décentration » ou de questionnement de ses pensées. Cet élargissement de la manière d’appréhender une situation, conduit le patient à définir des priorités, à hiérarchiser ses conduites, à prendre des décisions plus argumentées ; et à prendre conscience des différents facteurs de stress qui influencent les rechutes dépressives ou maniaques [17]. La formulation rigide, extrême de certaines règles de pensée ont conduit beaucoup d’auteurs à les considérer comme un des facteurs de vulnérabilité cognitive aux troubles émotionnels récurrents [18] du type « Je dois travailler dur et ne jamais perdre » ou « Si je ne suis pas le meilleur, les autres ne me considéreront pas », ou « Si je fais une erreur, les autres me mésestimeront » [19]. Il y a donc un apport particulier, original des thérapies comportementales et cognitives, fait en premier par Basco et Rush [12] qui ont développé des outils d’identification, d’auto-évaluation spécifiques aux patients bipolaires qui seront repris par tous les autres auteurs avec quelques aménagements mineurs. Le programme de Lam et al. [13] représente la référence internationale actuellement (le tableau 3 résume ses étapes). Il s’appuie sur le modèle stress vulnérabilité. C’est le programme le plus utilisé et le plus évalué, éprouvé par de très nombreuses études randomisées [20]. Si nous reprenons les premières études, Lam [21] étudie 25 patients bipolaires suivis en ambulatoire, dont la symptomatologie est équilibrée par un traitement thymorégulateur de lithium. Deux groupes sont constitués par randomisation : les premiers suivent une thérapie comportementale et cognitive en vingt séances, les autres bénéficient du suivi psychiatrique. Les évaluations sont faites à six et douze mois et indiquent pour les sujets qui ont suivi le programme thérapeutique de Lam une amélioration significative, avec moins d’épisodes récurrents, une meilleure observance médicamenteuse ; ainsi 10 patients sur 12 traités par thérapie n’avaient pas de rechute durant le suivi, contre seulement 2 sur 11 dans le groupe témoin. Les mêmes cliniciens [22] poursuivent leur étude sur un plus large échantillon de 123 patients bipolaires qu’ils randomisent en deux groupes, l’un poursuivant une thérapie comportementale et cognitive, les autres constituaient la liste d’attente (en intentionnalité de traitement). Tableau 2 Récidives Groupe psychoéducation (%) Groupe témoin (%) Récidives de tout type 67 (p < 0,001) 92 Récidives maniaques 45 (p < 0,003) 75 Récidives dépressives 41 (p < 0,001) 72 Récidives mixtes 20 (p < 0,003) 45 Les thérapies non médicamenteuses dans les troubles bipolaires Les patients du groupe thérapie comportementale et cognitive avaient significativement moins de rechutes, les épisodes étaient moins longs (trois fois moins environ) ; avaient eu deux fois moins d’hospitalisations ; souffraient moins de symptômes résiduels ; géraient mieux les épisodes maniaques et avaient un meilleur fonctionnement social. Il est à remarquer que la prévention des épisodes dépressifs était plus forte que celle des épisodes maniaques. La proportion de patients ayant rechuté après un an était de 44 % dans le groupe thérapie comportementale et cognitive contre 71 % dans le groupe contrôle. Par ailleurs, l’équipe de Scott et al. [23] compare 127 patients bipolaires à 126 témoins. Les patients du groupe thérapie comportementale et cognitive présentent à la réévaluation à un an significativement moins de symptômes dépressifs. La non-observance médicamenteuse était tombée de 48 % contre 21 %. Tableau 3 Déroulement du programme de Lam Phase 1 : Psychoéducation, séances 1 à 5 Le trouble bipolaire et ses traitements Construction de l’alliance thérapeutique Identification des cognitions, émotions et comportements Construction de la life-chart Définitions des objectifs personnels S163 En France, nous proposons le programme de Lam à des patients bipolaires I résistants depuis une dizaine d’années au centre hospitalier Sainte-Anne [24]. Dans une première étude d’évaluation, nous constatons une diminution des rechutes, une amélioration du fonctionnement social et de la qualité du coping, une amélioration de l’estime de soi, une diminution des attitudes dysfonctionnelles, et une amélioration significative de la qualité de vie sous ses différentes facettes [25]. Le tableau 4 montre la similarité de nos populations cliniques entre les différentes études publiées. Les travaux de recherche actuels se focalisent tous sur la mesure de variables cognitives telles que la réactivité cognitive, les fonctions mnésiques, afin d’identifier les processus psychologiques intervenants dans ces changements cliniques [26,27]. En résumé, tous ces résultats sont très favorables, homogènes. Il faut retenir qu’à l’opposé des thérapies psycho-éducatives détaillées en premier lieu, ces psychothérapies acceptent les patients présentant une ou plusieurs comorbidités telles qu’un trouble de la personnalité, des troubles anxieux ou des conduites addictives [28]. Autres approches psychologiques Les psychothérapies des rythmes sociaux et des relations interpersonnelles d’Ellen Frank (IPSRT) Phase 2 : outils comportementaux et cognitifs, séances 6 à 16 Auto-enregistrement de l’humeur et des activités quotidiennes Mise en relation des variations de l’humeur avec l’activité Apprentissage d’outils comportementaux (résolution de problème, séquençage de tâche) Décentration cognitive Identification des schémas cognitifs et reformulation Phase 3 : consolidation, séance 17 à 20 Vérification de l’utilisation des techniques apprises Identification des signes précurseurs des rechutes Ce programme propose une approche qui conjugue plusieurs champs d’exercices : des éléments de psychoéducation, un travail sur les cognitions et sur les comportements notamment dans le cadre des relations interpersonnelles et enfin une attention particulière est portée sur la régulation des rythmes biologiques. Frank E et al. [29] ont mené une étude randomisée sur 175 patients BP1. Un groupe a bénéficié d’une thérapie interpersonnelle avec aménagement des rythmes sociaux, l’autre groupe a été pris en charge dans le cadre d’un suivi intensif non structuré. L’analyse de cette étude révèle une efficacité significative des TIPARS sur la survenue des rechutes dépressives à deux ans, et sur l’amélioration des relations interpersonnelles. En revanche Swartz et Frank [30] soulignent un impact très faiblement significatif sur les tentatives de suicide. Tableau 4 Comparaison des populations de patients bipolaires et programmes thérapie comportementale et cognitive CMME Lam 2000 Lam 2003 Scott 2006 114 13 51 127 Âge M (S.D.) 44,7 (11,4) 39,0 (10,9) 46,4 (12,1) 39,7 (10,3) Âge de début M (S.D.) 23,4 (9,6) Nombre d’épisodes D (S.D.) 11,7 (15,5) 8,4 (7,9) 5,8 (8,0) 6 Nombre d’épisodes M (S.D.) 8,3 (11,7) 7,1 (9,8) 5,5 (6,1) 4 Nombre d’hospitalisations M (S.D.) 3,2 (2,8) 2,2 (2,2) 6,3 (5,9) 14,0 7,7 15,7 Nombre de patients (Thérapie comportementale et cognitive) Perdus de vue % 28,2 (11,4) 22,0 S164 Les approches familiales (FFT-familial focused therapy) Le trouble bipolaire n’affecte pas seulement celui qui souffre, mais touche aussi son entourage. Ainsi la maladie du sujet et le fonctionnement familial s’influencent mutuellement [31]. Les différentes études constatent que l’importance du stress environnemental dans l’évolution du trouble, la charge éprouvée par l’entourage et la demande faite par celui-ci de recevoir davantage d’informations sur la maladie et ses traitements expliquent l’introduction d’interventions thérapeutiques centrées sur la famille ou sur le couple [32]. Miklowitz et al. [33] ont réalisé une étude randomisée contrôlée chez cent un patients bipolaires sous traitement médicamenteux. Les patients randomisés bénéficiaient soit d’une approche psycho-éducative personnelle et familiale (21 séances), soit d’un suivi familial habituel (groupe contrôle). Les résultats de cette étude sont comparables à celle de Colom et al. À deux ans, les patients ayant bénéficié de la psychoéducation structurée ont présenté de manière significative une meilleure observance, moins de récidives et des intervalles libres plus longs que les sujets du groupe contrôle. Mindfulness based cognitive therapy destinée aux patients bipolaires euthymiques Une nouvelle perspective d’approche de pleine conscience ou MBCT est utilisée aujourd’hui dans plusieurs centres universitaires francophones. (France, Suisse, Québec). La Mindfulness Based Cognitive Therapy (MBCT) a été mise au point en 2001 par Segal, Williams et Teasdale [34] comme stratégie de prévention des rechutes dépressives. Les premières études : Williams et al. [35] compare deux groupes de patients randomisés comprenant chacun des patients unipolaires en rémission : 24 en MBCT et 27 en liste d’attente et des patients bipolaires stabilisés (neuf dans le groupe MBCT et huit en liste d’attente). Les deux groupes diminuent significativement leur souffrance dépressive comparativement au groupe contrôle, et le sous-groupe de patients bipolaires diminue significativement sa souffrance anxieuse. Un même résultat a été décrit par Kanny [36]. Deux autres études naturalistes européennes confirment cette faisabilité [20]. La seule étude contrôlée sur l’impact d’une approche MBCT avec des patients bipolaires I résistants est très récente [37]. Trente-cinq patients bipolaires de type I et ayant suivi une approche MBCT ont été comparés à 14 patients en intentionnalité de traitement. Les résultats à deux mois montrent une diminution significative de la réactivité cognitive, explorée par l’échelle d’attitudes dysfonctionnelles (DAS) de Weissman. C. Mirabel-Sarron, et al de conséquences psychosociales invalidantes. Il devient de fait crucial de développer des stratégies thérapeutiques spécifiques au cours des périodes dépressives. Toutes les psychothérapies déjà citées ont été proposées à des patients bipolaires en phase dépressive avec des résultats forts encourageants. Ainsi, Miklowitz et Scott [38] mettent en évidence que les patients bipolaires 2 bénéficiant d’une thérapie comportementale et cognitive au cours d’une phase dépressive sortent de l’épisode six semaines plus tôt que ceux qui reçoivent un traitement habituel (73 jours versus 118). Les résultats rapportés par Lam [22] vont dans le même sens : sur une année, le groupe de patients traité par thérapie comportementale et cognitive passait en moyenne moins de temps en phase dépressive que le groupe en thérapie comportementale et cognitive (15 jours versus 57). Swartz et Frank [30] identifient que les patients qui suivent une TIPARS pendant leur phase dépressive voient le temps d’évolution de cette phase diminué de moitié par rapport au groupe contrôle (21 semaines versus 40) et que de plus si ces patients reçoivent un traitement d’entretien du même type ils développent moins de symptômes résiduels au cours de la rémission. Provencher et al. [39] ont proposé une thérapie comportementale et cognitive à 24 patients bipolaires adressés par un psychiatre pour le traitement de symptômes dépressifs modérés à sévères. Le traitement est conduit par deux psychologues et dure en moyenne 21 séances. Vingt patients (83 %) ont finalisé le traitement. La thérapie comportementale et cognitive est associée à une réduction significative des symptômes de dépression, de désespoir, d’anxiété, avec une taille d’effet assez élevée pour l’ensemble des mesures. La thérapie comportementale et cognitive est, en tant que traitement complémentaire à la médication, une intervention acceptable et efficace pour le traitement des symptômes dépressifs des patients atteints d’un trouble bipolaire. Dans une étude de grande envergure Miklowitz et al. [38] ont évalué l’efficacité de trois formes de psychothérapie pour le traitement de la dépression bipolaire : 1) la thérapie comportementale et cognitive (n = 75) ; 2) la thérapie interpersonnelle, IPSRT (n = 62) ; 3) la thérapie familiale, FFT (n = 26). Un an après le début du programme d’une durée de 9 mois et pouvant atteindre 30 séances de psychothérapie, les résultats démontrent que les patients récupèrent de leur épisode dépressif plus rapidement avec les trois formes de thérapie intensive comparé au groupe contrôle (n = 130). Aucune différence n’est observée entre les trois modalités de traitement, suggérant que ces formes de psychothérapie intensive sont efficaces pour le traitement de la dépression bipolaire. En complément, des approches spécifiques thérapies comportementales et cognitifs sont décrites dans la prise en charge de la suicidalité de ces patients [40]. Évaluation des thérapies non médicamenteuses en phase dépressive Discussion La dépression bipolaire conduit à un recours plus marqué au système de soin que la dépression unipolaire : plus de consultations aux urgences, plus de visites à l’hôpital psychiatrique, chez le psychiatre ou le médecin généraliste. De plus, une proportion importante de patients bipolaires passe plus de temps en dépression qu’en manie, hypomanie, état mixte et rémission confondus. Ces situations favorisent l’émergence de conduites suicidaires et sont responsables Cette revue nous montre que les interventions psycho-sociales développées depuis une quinzaine d’années sont efficaces chez le patient bipolaire aussi bien en phase euthymique, qu’en période dépressive. Les démarches longues de six mois de psychoéducation, de thérapie comportementale et cognitive, de thérapie familiale très structurées ont démontré au cours d’essais contrôlés randomisés une action significative sur la prévention des rechutes thymiques, et un Les thérapies non médicamenteuses dans les troubles bipolaires raccourcissement du temps passé en phase dépressive. Des publications récentes montrent un accroissement de cet effet par l’introduction de quelques séances de consolidation espacées pour tous les programmes que nous avons décrits. Tous les auteurs insistent également sur les gains obtenus dans l’amélioration du fonctionnement social des patients, une meilleure insertion socio-professionnelle. Les trois ingrédients principaux reconnus comme absolument nécessaires sont l’éducation sur la maladie, l’acquisition d’un rythme de vie plus régulier, et l’identification rapide des signes précurseurs des rechutes, afin de développer des stratégies d’adaptation. Les limites principales de ces approches sont représentées par la formation et la disponibilité des thérapeutes au sein des institutions, car ces démarches sont très bien acceptées par les patients. Conclusions Tous les patients présentant un trouble bipolaire, documenté et confirmé par un clinicien averti, devraient aujourd’hui bénéficier d’un traitement spécifique pharmacologique et psychologique. Les résultats des études présentées sont encourageants mais nous invitent également à poursuivre les travaux de recherches et d’élaboration afin d’améliorer encore le pronostic de cette pathologie. Les réflexions menées sur les classifications nosographiques permettront une meilleure catégorisation des troubles et ainsi la constitution de groupes plus homogènes pour lesquels les propositions thérapeutiques seront affinées. L’approche dimensionnelle ou la prise en compte de la polarité dominante font partie des pistes explorées. Le format et les contenus des prises en charges psychologiques évolueront également vers une intégration encore plus aboutie des différentes approches évaluées prenant davantage en compte le polymorphisme des troubles bipolaires et les comorbidités associées. Enfin si les traitements se concentraient sur les dimensions nucléaires de la maladie (symptômes, rechutes), ils intègrent aujourd’hui l’objectif de la rémission fonctionnelle tant les troubles cognitifs et les symptômes dépressifs résiduels constituent des facteurs aggravant la vulnérabilité des patients. Déclarations d’intérêts Les auteurs ont déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêts pour cet article. Références [1] Goodwin et Jamison. Manic-depressive illness: Bipolar Disorders and Recurrent Depression. 2nd Edition, 2007; (1) Goodwin and Jamison, Manic Depressive illness, 1990. [2] Gitlin MJ, Swendsen J, Heller TL, et al. Relapse and impairment in bipolar disorder. Am J Psychiatr 1995;152:1635-40. [3] Mirabel-Sarron C, Leygnac-Solignac I. Les troubles bipolaires. Paris : Dunod; 2011. [4] Crowe M, Whitehead LA, Lynere Wilson A, et al. Specific psychosocial interventions for bipolar disorder – A systematic review of the evidence for mental health nursing practice. Int J Nurs Stud 2010;47:896-908. [5] Zaretsky E, Rizvi S, Sagar B, et al. How Well Do Psychosocial Interventions Work in Bipolar Disorder? Can J Psychiatr 2007;52:14-21. S165 [6] Judd LL, Akiskal HS, Schettler PJ, et al. The Long-term Natural History of the Weekly Symptomatic Status of Bipolar I Disorder. Arch Gen Psychiatr 2003;60:261-9. [7] Colom F, Vieta E. Manuel de psychoéducation pour les troubles bipolaires. Marseille : Solal ; 2006. [8] Colom F, Vieta E, Martinez-Aran A, et al. A randomized trial on efficacy of group psychoeducation in the prophylaxis of recurrences in bipolar patients whose disease is in remission. Arch Gen Psychiatr 2003;60:402-7. [9] Scott J, Colom F, Benabarre A, et al. Long term mental health ressource utilisation and coast of care following group psychoeducation or unstructured group support for bipolar disorders: a cost-benefit analysis. J Clin Psychiatr 2009;70:378-86. [10] Bauer MS, McBride L. Thérapie de groupe pour le trouble bipolaire : Une approche structurée, le programme d’objectifs personnels. Paris : Médecine & Hygiène ; 2001. [11] Bauer MS, McBride L, Williford WO, et al. Collaborative care for bipolar disorder: part II. Impact on clinical outcome, function, and costs. Psychiatr Serv 2006;57:937-45. [12] Basco MR, Rush A. Cognitive behavioural therapy for bipolar disorder. New-York: Guilford press; 1996. [13] Lam D, Jones S, Hayward P. Cognitive therapy for bipolar disorder: a therapist’s guide to concept. Methods and practice. New York: Ed Wiley; 1999. [14] Newman CF, Leahy RL, Beck AT, et al. Bipolar disorder: a cognitive therapy approach. Washington DC; American Psychological Association; 2002. [15] Scott J. Overcoming Mood Swings: A Self-Help Guide Using Cognitive- Behavioral Techniques. Londres: Constable Publishers; 2001. [16] Otto MW, Reilly-Harrington N, Sachs GS. Psycho-educational and cognitive – behavioral strategies in the management of bipolar disorder. J Affect Disor 2003;73:171-81. [17] Siobud-Dorocant E, Mirabel-Sarron C, Docteur A, et al. Les thérapies de groupe pour patients bipolaires. Ann Méd -Psychol 2009;167:818-21. [18] Beck AT, Rush SD, Shaw BF, et al. Cognitive therapy of depression. New York: Guilford press; 1979. [19] Rosner M, Mirabel-Sarron C, Guelfi JD, et al. Comment les thérapies cognitivo-comportementales préviennent les rechutes chez le patient bipolaire. Journal de thérapie Comportementale et cognitive 2007;17:109-14. [20] Mirabel-Sarron C, Provencher M. Les thérapies comportementales et cognitives et troubles bipolaires. In :Les troubles bipolaires. Paris : Ed. Lavoisier; Sous presse. [21] Lam DH, Bright J, Jones S. Cognitive therapy for bipolar illness: A pilot study of relapse prevention. Cogn Ther Res 2000;24:503-20. [22] Lam D, Hayward P, Watkins E, et al. Relapse prevention in patients with bipolar disorders: cognitive therapy outcome after 2 years. Am J Psychiatr 2005;162:324-9. [23] Scott J, Paykel E, Morriss R, et al. Cognitive-behavioural therapy for severe and recurrent bipolar disorders: randomised controlled trial. Br J Psychiatr 2006;188:313-20. [24] Docteur A, Mirabel-Sarron C, Urdapilleta I, et al. Evaluation clinique et cognitive d’une thérapie comportementale et cognitive de groupe chez des patients bipolaires 1. J Thér Comport Cogn 2007;17:79-83. [25] Docteur A, Mirabel-Sarron C, Guelfi JD, et al. Impact d’une Thérapie Comportementale et cognitive sur la qualité de vie perçue de patients bipolaires I. Ann Méd Psychol 2012;170:39-42. [26] Docteur A, Mirabel-Sarron C, Urdapilleta I, et al. Traitement de l’information à contenu émotionnel et représentation de soi chez des patients bipolaires de type I après traitement combiné médicamenteux et comportemental-cognitif. Ann Méd Psychol 2009;167:779-86. [27] Zaretsky A, Lanceew AZ, Miller C, Harris A, et al. Is cognitive and behavioural treatment more effective than psychoeducation in bipolar disorder? Can J Psychiatr 2008;53:441-8. [28] Docteur A, Mirabel-Sarron C, Siobud-Dorocant E, et al. L’apport des Thérapies Comportementales et Cognitives dans la prise S166 [29] [30] [31] [32] [33] [34] C. Mirabel-Sarron, et al en charge des comorbidités du trouble bipolaire I. Psychiatrie, sciences humaines et neurosciences sous presse ; 2012. Frank E, Kupfer DJ, Thase ME, et al. Two-year outcomes for interpersonal and social rhythm therapy in individuals with bipolar I disorder. Arch Gen Psychiatr 2005;62:996-1004. Swartz HA, Frank E. Psychotherapy for bipolar depression: a phase specific treatment strategy? Bipolar Disord 2001;3:11-22. Milkowitz DJ, Goldstein MJ, et al. Family factors and the course of bipolar affective disorder. Arch Gen Psychiatr 1988;45: 225-31. Miklowitz DJ. The Bipolar Survival Guide. New York: Guilford Press; 2002. Miklowitz DJ, Otto M W, Frank E, et al. Psychosocial Treatments for Bipolar Depression: A 1-Year Randomized Trial from the Systematic Treatment Enhancement Program. Arch Gen Psychiatr 2007;64:419-26. Segal ZV, Williams JMG, Teasdale JD. Mindfulness-based cognitive therapy for depression: a new approach to preventing relapse. New York: Guilford; 2001. [35] Williams JM, Alatiq Y, Crane C, Barnhofer T, et al. Mindfulness based cognitive therapy (MBCT) in bipolar disorder: Preliminary evaluation of immediate effects between-episode functioning. J Affect Disord 2008;107:275-9. [36] Kanny MA, Williams MG. Treatment resistant depressed patients showed a good response to MBCT. Behaviour Research and Therapy 2007;45:617-25. [37] Mirabel-Sarron C, Sala L, Siobud-Dorrocant E, et al. MBCT dose effect on dysfunctional attitudes in bipolar I patients, 2011 Soumis. [38] Miklowitz D, Scott J. Psychosocial treatments for bipolar disorder: cost effectiveness, mediating mechanisms, and future directions. Bipolar Disord 2009;2:110-22. [39] Provencher MD, St-Amand J, Hawke L, et al. La thérapie cognitive-comportementale pour le traitement des symptômes dépressifs dans le trouble bipolaire. J Thér Comport Cogn 2010;20:61-5. [40] Elloumi H, Mirabel-Sarron C, Zalila H, et al. Gestion de la dépression bipolaire et des idées suicidaires. J Thér Comport Cognitive 2012;sous presse.