Les thérapies non-médicamenteuses dans les troubles

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L’Encéphale (2012) Supplément 4, S160-S166
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
Les thérapies non-médicamenteuses
dans les troubles bipolaires
Non pharmacological treatment for bipolar disorder
Christine Mirabel-Sarron1,*, Raphaël Giachetti2
1Université Paris 5 René Descartes, CMME Service de Monsieur le Professeur Rouillon,
Centre Hospitalier Sainte Anne, 100 rue de la Santé, 75014 Paris
2Clinique d’Aufrery, Place du Maréchal Niel, 31130 Balma
MOTS CLÉS
Trouble bipolairepsycho-éducation ;
Thérapie
comportementale
et cognitive ;
Dépression bipolaire ;
Prévention
des rechutes
KEYWORDS
Behavioral and
cognitive therapy;
Bipolar disorder;
Psychoeducation;
Bipolar depression;
Psychotherapy
Résumé La diversité de l’expression clinique des troubles bipolaires met à l’épreuve les
praticiens lorsqu’il s’agit d’établir un protocole de soin. Outre la symptomatologie directement
liée aux accès aigus, les conséquences affectives, sociales, et professionnelles viennent alourdir
les tableaux cliniques et doivent être intégrées dans la réflexion menée dans la prise en charge.
Cette dernière associe aujourd’hui au traitement pharmacologique une, voir plusieurs
prises en charges psychothérapeutiques.
Après avoir passé en revue le panel des différents types de psychothérapies indiquées pour cette
pathologie, notre propos se concentrera sur les prises en charges évaluées scientifiquement.
Si la plupart sont mises en œuvre en phase de rémission certaines le sont en période de
dépression. Les résultats montrent une efficacité des Thérapies comportementales et
cognitives, de la psychoéducation et des thérapies interpersonnelles et d’aménagement
des rythmes sociaux (TIPARS), sur l’intensité et la durée des décompensations, et sur la
qualité et le temps passé en rémission.
© L’encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés.
Summary Bipolar disorder is a chronic and recurring disorder associated with significant
psychosocial impairment. A number of psychosocial interventions have been developed to
address impairment.
The consensus makes mood stabilizer the treatment of bipolar disorder. However, numerous
patients are not in complete remission despite a controlled observance. Every patient can
follow a psycho educational program.
What this paper adds. The review identifies that a range of interventions have demonstrated
efficacy in extended periods of euthymia, improved social and occupational functioning
and alleviation of subsyndromal symptoms.
Adjunctive, short-term psychotherapies have been shown to offer fairly consistent benefits
to bipolar disorder patients. Cognitive-behavioural therapy, family-focused therapy, and
psychoeducation offer the most robust efficacy in regard to relapse prevention. The most
complex situations including comorbidities can be helped by behavioral and cognitive
therapy for bipolar disorder. Evaluations emphasize positive impact. The psychosocial
interventions reviewed provide mental health nurses with evidence-based approaches
to improving mental health care for patients with bipolar disorder. There is a need for
mental health nurses to conduct high quality trials of the clinical effectiveness of these
interventions.
© L’encéphale, Paris, 2012. All rights reserved.
*Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (C. Mirabel-Sarron)
© L’Encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés.
Les thérapies non médicamenteuses dans les troubles bipolaires
Introduction
Les thérapies non médicamenteuses pour les troubles
bipolaires, appelées antérieurement psychoses maniacodépressives, ont dominé le soin au cours de la première
moitié du XXe siècle dans un contexte pharmacologique
encore très pauvre. La découverte du Lithium dans les années
soixante a inversé la tendance en attribuant au traitement
biologique une place prééminente qui éloigna un temps les
soins psychothérapeutiques.
La publication de Goodwin et Jamison en 1990 [1], mit
fin à l’ère du tout biologique en soulignant l’efficacité relativement limitée des traitements pharmacologiques tout en
précisant qu’ils représentaient la base incontournable du soin
pour les patients bipolaires. Cinq ans plus tard l’article de
Gitlin et al. [2] abonde dans ce sens en montrant que malgré
un traitement par un stabilisateur de l’humeur, le taux de
rechute des patients atteignait près de 40 % après un an,
60 % après deux ans et 73 % au delà de cinq ans.
Aujourd’hui, il existe un consensus sur la nécessité
d’associer précocement un traitement pharmacologique à
une ou des thérapies non médicamenteuses.
Qu’elles se mènent en individuel ou en groupe, ces thérapies psychologiques sont nombreuses aujourd’hui [3]. Les
publications internationales présentent plusieurs approches
psychologiques dont l’impact est favorable sur le cours de la
maladie bipolaire, en réduisant la longueur des épisodes aigus,
et en augmentant le délai d’apparition des rechutes [4,5].
Tous ces programmes abordent les connaissances des patients
sur la maladie, les traitements possibles, l’hygiène de vie,
les signes précurseurs des rechutes, la gestion des situations
sources de stress, etc.
Afin de pouvoir étayer notre propos, nous allons nous
limiter aux approches de groupe proposées dans les guidelines où ayant fait l’objet d’études contrôlées randomisées.
Si les thérapies psycho-éducatives ont inauguré les travaux
de recherches, les thérapies comportementales et cognitives ont représenté le corpus théorique pour l’élaboration
des programmes de psychoéducation mais aussi pour les
thérapies interpersonnelles et d’aménagement des rythmes
sociaux (TIPARS).
Classiquement ces approches, notamment la psychoéducation et les TIPARS sont efficientes si elles sont menées au
cours des périodes euthymiques. Nous savons depuis 2002
grâce aux études de Judd [6] et de ses collaborateurs qu’une
proportion significative de patients passe plus de la moitié de
sa vie en phase dépressive, nous souhaitions donc également
aborder l’efficacité des thérapies non médicamenteuses
menées au cours d’un épisode dépressif chez les patients
bipolaires.
Évaluation des thérapies non
médicamenteuses en période euthymique
Même si pour beaucoup de patients la rémission est partielle, souvent marquée par des symptômes résiduels de
type dépressif, moins souvent par des éléments du registre
maniaque, elle demeure la période de choix pour les prises en
charges psycho-éducatives et cognitivo-comportementales.
Cela dit, et notamment au cours des programmes longs
comportant une vingtaine de séances, nous observons des
fluctuations thymiques induites par la mobilisation psychique
inhérente à ces programmes dispensés sur une période de
plus de six mois.
S161
Le programme de psychoéducation
de Colom et Vieta
Appelé également le programme de Barcelone, il constitue
la référence internationale en terme de démarche psychoéducative pour patients bipolaires [7]. Le tableau 1 rapporte
le contenu de chaque séance.
Trois stades de changements sont attendus par les
auteurs :
• Changement de premier niveau : Prise de conscience de la
maladie, détection précoce des symptômes, observance
du traitement ;
• Changement de second niveau : contrôle du stress, régulation du style de vie, prévention des conduites suicidaires ;
• Changement de troisième niveau : augmentation des
connaissances et de la gestion sur l’impact des épisodes
thymiques (passés ou futurs), augmentation des activités
sociales et interpersonnelles entre les épisodes, l’abrasion
maximale des symptômes résiduels qui permettra l’amélioration de la qualité de vie.
La réduction du nombre d’épisodes n’interviendrait
qu’après l’acquisition de changement de niveau 3.
Une étude randomisée contrôlée [8] chez 120 patients
bipolaires 1 et 2, en suivi ambulatoire, sous thymorégulateur
et stable cliniquement depuis six mois au moins conclut à
l’impact positif de ce type de prise en charge. Ils suivaient le
Tableau 1 Étapes du programme psychoéducatif
Phase 1 Prise de conscience de la maladie
Séance 1 Présentation du programme et des règles
du groupe
Séance 2 Qu’est-ce que le trouble bipolaire ?
Séance 3 Facteurs étiologiques et déclenchants
Séance 4 La manie et l’hypomanie
Séance 5 La dépression et les épisodes mixtes
Séance 6 Evolution et pronostic
Phase 2 Adhésion au traitement pharmacologique
Séance 7 Les thymorégulateurs
Séance 8 Les anti-maniaques
Séance 9 Les antidépresseurs
Séance 10 Les taux plasmatiques
des thymorégulateurs
Séance 11 Grossesse et conseils
Séance 12 Les thérapies alternatives
ou la psychopharmacologie
Séance 13 Les risques de l’arrêt du traitement
Phase 3 Les abus de substances
Séance 14 Les substances psychoactives
Phase 4 La détection précoce des épisodes thymiques
Séance 15 Détection précoce des épisodes
maniaque et hypomaniaque
Séance 16 Détection précoce des épisodes
dépressif et mixte
Séance 17 Quelle attitude adoptée au tout début
d’un épisode thymique
Phase 5 Rythme de vie et gestion du stress
Séance 18 Importance de la régularité
des habitudes de vie
Séance 19 Les techniques de contrôle du stress
Séance 20 La résolution de problème
S162
C. Mirabel-Sarron, et al
programme en 20 séances puis un suivi clinique de deux ans.
Le critère était le taux de récidive thymique (Tableau 2). Le
suivi de ce programme diminue significativement le taux de
récidives et allonge le temps passé en rémission.
L’adjonction à la thymorégulation d’une psychoéducation constituerait un bénéfice médico-économique à long
terme à cinq ans. L’effet préventif prend la forme d’un
allongement du temps entre deux épisodes dépressifs, une
réduction significative de la souffrance dépressive et du
nombre d’épisodes par rapport au groupe n’ayant pas reçu
de psychoéducation [9].
La mise en œuvre de ce type de programme nécessite des
ressources institutionnelles importantes ce qui représente
un facteur limitant.
Le programme élaboré par le docteur Marc Bauer
et l’infirmière Linda McBride se situe dans une position
intermédiaire entre le programme psycho-éducatif long
barcelonais et la prise en charge de thérapie comportementale et cognitive [10]. Ce programme a la particularité
de comprendre deux phases distinctes, les patients pouvant
participer uniquement à la première ou prolonger avec la
phase deux. Ce programme d’objectifs personnels (POP)
comporte six séances psycho-éducatives (en groupe fermé)
puis un nombre illimité de rencontres de groupe inspirés
des concepts des thérapies cognitives et comportementales
associés à des techniques de résolution de problèmes.
Dans une étude menée sur presque 3 ans, Bauer et ses
collaborateurs [11] ont montré que ce programme permettait
une diminution de la survenue et de la durée des épisodes
maniaques.
Les thérapies comportementales et cognitives
destinées aux patients bipolaires
Depuis 1996, cinq programmes de thérapie comportementale
et cognitive spécifiques aux patients bipolaires ont été
publiés [12-16].
Ils comportent un très grand nombre de points communs.
Tous les programmes sont très structurés et s’organisent en
trois temps :
• une phase éducative (6 à 8 séances) ;
• une phase de techniques particulières comportementales
et cognitives (12 séances) ;
• une phase de consolidation (2 séances puis suivi mensuel).
Au cours de ces séances le thérapeute propose :
• une évaluation des représentations mentales du patient
concernant sa maladie et son traitement ;
• une régulation des comportements quotidiens tels que la
durée du sommeil, le rythme des prises alimentaires, les
activités physiques nécessaires ou plaisantes ainsi que la
qualité et la fréquence des relations sociales ;
• une identification précoce des prodromes dépressifs
ou maniaques, appelée aussi « identification des signes
précurseurs » ou « des signes d’alerte » qui permettent au
patient de réagir rapidement, de développer des actions
pour réduire les symptômes dépressifs ou maniaques ;
• un apprentissage des techniques cognitives : avec l’identification des pensées dépressives ou des pensées liées à
la manie et qui amènent le patient à des comportements
extrêmes ;
• un apprentissage aux techniques de « décentration » ou
de questionnement de ses pensées. Cet élargissement
de la manière d’appréhender une situation, conduit le
patient à définir des priorités, à hiérarchiser ses conduites,
à prendre des décisions plus argumentées ; et à prendre
conscience des différents facteurs de stress qui influencent
les rechutes dépressives ou maniaques [17].
La formulation rigide, extrême de certaines règles de
pensée ont conduit beaucoup d’auteurs à les considérer
comme un des facteurs de vulnérabilité cognitive aux troubles
émotionnels récurrents [18] du type « Je dois travailler dur
et ne jamais perdre » ou « Si je ne suis pas le meilleur, les
autres ne me considéreront pas », ou « Si je fais une erreur,
les autres me mésestimeront » [19].
Il y a donc un apport particulier, original des thérapies
comportementales et cognitives, fait en premier par Basco
et Rush [12] qui ont développé des outils d’identification,
d’auto-évaluation spécifiques aux patients bipolaires qui
seront repris par tous les autres auteurs avec quelques
aménagements mineurs.
Le programme de Lam et al. [13] représente la référence internationale actuellement (le tableau 3 résume
ses étapes).
Il s’appuie sur le modèle stress vulnérabilité. C’est le
programme le plus utilisé et le plus évalué, éprouvé par de
très nombreuses études randomisées [20].
Si nous reprenons les premières études, Lam [21] étudie
25 patients bipolaires suivis en ambulatoire, dont la symptomatologie est équilibrée par un traitement thymorégulateur de
lithium. Deux groupes sont constitués par randomisation : les
premiers suivent une thérapie comportementale et cognitive
en vingt séances, les autres bénéficient du suivi psychiatrique.
Les évaluations sont faites à six et douze mois et indiquent
pour les sujets qui ont suivi le programme thérapeutique de
Lam une amélioration significative, avec moins d’épisodes
récurrents, une meilleure observance médicamenteuse ; ainsi
10 patients sur 12 traités par thérapie n’avaient pas de rechute
durant le suivi, contre seulement 2 sur 11 dans le groupe
témoin. Les mêmes cliniciens [22] poursuivent leur étude
sur un plus large échantillon de 123 patients bipolaires qu’ils
randomisent en deux groupes, l’un poursuivant une thérapie
comportementale et cognitive, les autres constituaient la liste
d’attente (en intentionnalité de traitement).
Tableau 2 Récidives
Groupe psychoéducation (%)
Groupe témoin (%)
Récidives de tout type
67 (p < 0,001)
92
Récidives maniaques
45 (p < 0,003)
75
Récidives dépressives
41 (p < 0,001)
72
Récidives mixtes
20 (p < 0,003)
45
Les thérapies non médicamenteuses dans les troubles bipolaires
Les patients du groupe thérapie comportementale et
cognitive avaient significativement moins de rechutes, les
épisodes étaient moins longs (trois fois moins environ) ;
avaient eu deux fois moins d’hospitalisations ; souffraient
moins de symptômes résiduels ; géraient mieux les épisodes
maniaques et avaient un meilleur fonctionnement social. Il
est à remarquer que la prévention des épisodes dépressifs
était plus forte que celle des épisodes maniaques. La proportion de patients ayant rechuté après un an était de 44 %
dans le groupe thérapie comportementale et cognitive contre
71 % dans le groupe contrôle.
Par ailleurs, l’équipe de Scott et al. [23] compare
127 patients bipolaires à 126 témoins. Les patients du groupe
thérapie comportementale et cognitive présentent à la
réévaluation à un an significativement moins de symptômes
dépressifs. La non-observance médicamenteuse était tombée
de 48 % contre 21 %.
Tableau 3 Déroulement du programme de Lam
Phase 1 : Psychoéducation, séances 1 à 5
Le trouble bipolaire et ses traitements
Construction de l’alliance thérapeutique
Identification des cognitions, émotions
et comportements
Construction de la life-chart
Définitions des objectifs personnels
S163
En France, nous proposons le programme de Lam à des
patients bipolaires I résistants depuis une dizaine d’années au
centre hospitalier Sainte-Anne [24]. Dans une première étude
d’évaluation, nous constatons une diminution des rechutes,
une amélioration du fonctionnement social et de la qualité du
coping, une amélioration de l’estime de soi, une diminution
des attitudes dysfonctionnelles, et une amélioration significative de la qualité de vie sous ses différentes facettes [25].
Le tableau 4 montre la similarité de nos populations
cliniques entre les différentes études publiées.
Les travaux de recherche actuels se focalisent tous sur
la mesure de variables cognitives telles que la réactivité
cognitive, les fonctions mnésiques, afin d’identifier les
processus psychologiques intervenants dans ces changements
cliniques [26,27].
En résumé, tous ces résultats sont très favorables,
homogènes. Il faut retenir qu’à l’opposé des thérapies
psycho-éducatives détaillées en premier lieu, ces psychothérapies acceptent les patients présentant une ou plusieurs
comorbidités telles qu’un trouble de la personnalité, des
troubles anxieux ou des conduites addictives [28].
Autres approches psychologiques
Les psychothérapies des rythmes sociaux et des
relations interpersonnelles d’Ellen Frank (IPSRT)
Phase 2 : outils comportementaux et cognitifs,
séances 6 à 16
Auto-enregistrement de l’humeur et des activités
quotidiennes
Mise en relation des variations de l’humeur
avec l’activité
Apprentissage d’outils comportementaux
(résolution de problème, séquençage de tâche)
Décentration cognitive
Identification des schémas cognitifs et reformulation
Phase 3 : consolidation, séance 17 à 20
Vérification de l’utilisation des techniques apprises
Identification des signes précurseurs des rechutes
Ce programme propose une approche qui conjugue plusieurs
champs d’exercices : des éléments de psychoéducation, un
travail sur les cognitions et sur les comportements notamment dans le cadre des relations interpersonnelles et enfin
une attention particulière est portée sur la régulation des
rythmes biologiques.
Frank E et al. [29] ont mené une étude randomisée sur
175 patients BP1. Un groupe a bénéficié d’une thérapie
interpersonnelle avec aménagement des rythmes sociaux,
l’autre groupe a été pris en charge dans le cadre d’un suivi
intensif non structuré. L’analyse de cette étude révèle
une efficacité significative des TIPARS sur la survenue des
rechutes dépressives à deux ans, et sur l’amélioration des
relations interpersonnelles.
En revanche Swartz et Frank [30] soulignent un impact
très faiblement significatif sur les tentatives de suicide.
Tableau 4 Comparaison des populations de patients bipolaires et programmes thérapie comportementale et cognitive
CMME
Lam 2000
Lam 2003
Scott 2006
114
13
51
127
Âge M (S.D.)
44,7 (11,4)
39,0 (10,9)
46,4 (12,1)
39,7 (10,3)
Âge de début M (S.D.)
23,4 (9,6)
Nombre d’épisodes D (S.D.)
11,7 (15,5)
8,4 (7,9)
5,8 (8,0)
6
Nombre d’épisodes M (S.D.)
8,3 (11,7)
7,1 (9,8)
5,5 (6,1)
4
Nombre d’hospitalisations M (S.D.)
3,2 (2,8)
2,2 (2,2)
6,3 (5,9)
14,0
7,7
15,7
Nombre de patients
(Thérapie comportementale et cognitive)
Perdus de vue %
28,2 (11,4)
22,0
S164
Les approches familiales
(FFT-familial focused therapy)
Le trouble bipolaire n’affecte pas seulement celui qui souffre,
mais touche aussi son entourage. Ainsi la maladie du sujet et
le fonctionnement familial s’influencent mutuellement [31].
Les différentes études constatent que l’importance du stress
environnemental dans l’évolution du trouble, la charge
éprouvée par l’entourage et la demande faite par celui-ci
de recevoir davantage d’informations sur la maladie et
ses traitements expliquent l’introduction d’interventions
thérapeutiques centrées sur la famille ou sur le couple [32].
Miklowitz et al. [33] ont réalisé une étude randomisée
contrôlée chez cent un patients bipolaires sous traitement
médicamenteux. Les patients randomisés bénéficiaient soit
d’une approche psycho-éducative personnelle et familiale
(21 séances), soit d’un suivi familial habituel (groupe contrôle).
Les résultats de cette étude sont comparables à celle
de Colom et al. À deux ans, les patients ayant bénéficié
de la psychoéducation structurée ont présenté de manière
significative une meilleure observance, moins de récidives
et des intervalles libres plus longs que les sujets du groupe
contrôle.
Mindfulness based cognitive therapy
destinée aux patients bipolaires euthymiques
Une nouvelle perspective d’approche de pleine conscience
ou MBCT est utilisée aujourd’hui dans plusieurs centres
universitaires francophones. (France, Suisse, Québec). La
Mindfulness Based Cognitive Therapy (MBCT) a été mise
au point en 2001 par Segal, Williams et Teasdale [34]
comme stratégie de prévention des rechutes dépressives.
Les premières études : Williams et al. [35] compare deux
groupes de patients randomisés comprenant chacun des
patients unipolaires en rémission : 24 en MBCT et 27 en liste
d’attente et des patients bipolaires stabilisés (neuf dans le
groupe MBCT et huit en liste d’attente). Les deux groupes
diminuent significativement leur souffrance dépressive
comparativement au groupe contrôle, et le sous-groupe de
patients bipolaires diminue significativement sa souffrance
anxieuse. Un même résultat a été décrit par Kanny [36].
Deux autres études naturalistes européennes confirment
cette faisabilité [20]. La seule étude contrôlée sur l’impact
d’une approche MBCT avec des patients bipolaires I résistants
est très récente [37]. Trente-cinq patients bipolaires de type
I et ayant suivi une approche MBCT ont été comparés à 14
patients en intentionnalité de traitement. Les résultats
à deux mois montrent une diminution significative de la
réactivité cognitive, explorée par l’échelle d’attitudes
dysfonctionnelles (DAS) de Weissman.
C. Mirabel-Sarron, et al
de conséquences psychosociales invalidantes. Il devient de
fait crucial de développer des stratégies thérapeutiques
spécifiques au cours des périodes dépressives.
Toutes les psychothérapies déjà citées ont été proposées à
des patients bipolaires en phase dépressive avec des résultats
forts encourageants. Ainsi, Miklowitz et Scott [38] mettent
en évidence que les patients bipolaires 2 bénéficiant d’une
thérapie comportementale et cognitive au cours d’une phase
dépressive sortent de l’épisode six semaines plus tôt que ceux
qui reçoivent un traitement habituel (73 jours versus 118).
Les résultats rapportés par Lam [22] vont dans le même
sens : sur une année, le groupe de patients traité par thérapie comportementale et cognitive passait en moyenne moins
de temps en phase dépressive que le groupe en thérapie
comportementale et cognitive (15 jours versus 57).
Swartz et Frank [30] identifient que les patients qui
suivent une TIPARS pendant leur phase dépressive voient
le temps d’évolution de cette phase diminué de moitié par
rapport au groupe contrôle (21 semaines versus 40) et que
de plus si ces patients reçoivent un traitement d’entretien
du même type ils développent moins de symptômes résiduels
au cours de la rémission.
Provencher et al. [39] ont proposé une thérapie comportementale et cognitive à 24 patients bipolaires adressés par
un psychiatre pour le traitement de symptômes dépressifs
modérés à sévères. Le traitement est conduit par deux
psychologues et dure en moyenne 21 séances. Vingt patients
(83 %) ont finalisé le traitement. La thérapie comportementale et cognitive est associée à une réduction significative
des symptômes de dépression, de désespoir, d’anxiété, avec
une taille d’effet assez élevée pour l’ensemble des mesures.
La thérapie comportementale et cognitive est, en
tant que traitement complémentaire à la médication, une
intervention acceptable et efficace pour le traitement des
symptômes dépressifs des patients atteints d’un trouble
bipolaire.
Dans une étude de grande envergure Miklowitz et al. [38]
ont évalué l’efficacité de trois formes de psychothérapie pour
le traitement de la dépression bipolaire :
1) la thérapie comportementale et cognitive (n = 75) ;
2) la thérapie interpersonnelle, IPSRT (n = 62) ;
3) la thérapie familiale, FFT (n = 26).
Un an après le début du programme d’une durée de 9 mois
et pouvant atteindre 30 séances de psychothérapie, les résultats
démontrent que les patients récupèrent de leur épisode dépressif plus rapidement avec les trois formes de thérapie intensive
comparé au groupe contrôle (n = 130). Aucune différence n’est
observée entre les trois modalités de traitement, suggérant que
ces formes de psychothérapie intensive sont efficaces pour le
traitement de la dépression bipolaire.
En complément, des approches spécifiques thérapies
comportementales et cognitifs sont décrites dans la prise
en charge de la suicidalité de ces patients [40].
Évaluation des thérapies non
médicamenteuses en phase dépressive
Discussion
La dépression bipolaire conduit à un recours plus marqué
au système de soin que la dépression unipolaire : plus de
consultations aux urgences, plus de visites à l’hôpital psychiatrique, chez le psychiatre ou le médecin généraliste.
De plus, une proportion importante de patients bipolaires
passe plus de temps en dépression qu’en manie, hypomanie,
état mixte et rémission confondus. Ces situations favorisent
l’émergence de conduites suicidaires et sont responsables
Cette revue nous montre que les interventions psycho-sociales
développées depuis une quinzaine d’années sont efficaces
chez le patient bipolaire aussi bien en phase euthymique,
qu’en période dépressive. Les démarches longues de six
mois de psychoéducation, de thérapie comportementale
et cognitive, de thérapie familiale très structurées ont
démontré au cours d’essais contrôlés randomisés une action
significative sur la prévention des rechutes thymiques, et un
Les thérapies non médicamenteuses dans les troubles bipolaires
raccourcissement du temps passé en phase dépressive. Des
publications récentes montrent un accroissement de cet
effet par l’introduction de quelques séances de consolidation
espacées pour tous les programmes que nous avons décrits.
Tous les auteurs insistent également sur les gains obtenus
dans l’amélioration du fonctionnement social des patients,
une meilleure insertion socio-professionnelle.
Les trois ingrédients principaux reconnus comme absolument nécessaires sont l’éducation sur la maladie, l’acquisition
d’un rythme de vie plus régulier, et l’identification rapide
des signes précurseurs des rechutes, afin de développer des
stratégies d’adaptation.
Les limites principales de ces approches sont représentées
par la formation et la disponibilité des thérapeutes au sein
des institutions, car ces démarches sont très bien acceptées
par les patients.
Conclusions
Tous les patients présentant un trouble bipolaire, documenté
et confirmé par un clinicien averti, devraient aujourd’hui
bénéficier d’un traitement spécifique pharmacologique et
psychologique. Les résultats des études présentées sont
encourageants mais nous invitent également à poursuivre
les travaux de recherches et d’élaboration afin d’améliorer
encore le pronostic de cette pathologie.
Les réflexions menées sur les classifications nosographiques permettront une meilleure catégorisation des
troubles et ainsi la constitution de groupes plus homogènes
pour lesquels les propositions thérapeutiques seront affinées.
L’approche dimensionnelle ou la prise en compte de la polarité dominante font partie des pistes explorées.
Le format et les contenus des prises en charges psychologiques évolueront également vers une intégration encore
plus aboutie des différentes approches évaluées prenant
davantage en compte le polymorphisme des troubles
bipolaires et les comorbidités associées. Enfin si les traitements se concentraient sur les dimensions nucléaires de la
maladie (symptômes, rechutes), ils intègrent aujourd’hui
l’objectif de la rémission fonctionnelle tant les troubles
cognitifs et les symptômes dépressifs résiduels constituent
des facteurs aggravant la vulnérabilité des patients.
Déclarations d’intérêts
Les auteurs ont déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêts pour
cet article.
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