La communication constitutive des organisations : quelles

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Actes du colloque « Nouvelles tendances en communication organisationnelle »,
77ème Congrès de l’ACFAS, Université d’Ottawa, 14-15 mai 2009.
La communication constitutive des organisations :
quelles approches de recherche passées et à venir ?1
Catherine Loneux
Université européenne de Bretagne - Rennes 2
Prefics Cersic - EA 3207 – UMR CNRS LCF 8143
Mener une réflexion autour de la communication perçue comme constitutive de l’organisation,
représente pour tout chercheur en Sciences de l’Information et de la Communication un travail
intéressant, qui l’oblige à mettre un instant de côté les objets de recherche situés au cœur de ses
travaux, pour se décentrer vers des questionnements de nature plus transversale, plus englobante,
touchant les théories, les pratiques et les méthodologies de manière large. Je vais donc ne pas me
centrer seulement sur mes approches de recherche, pour me positionner aussi de manière
surplombante vis-à-vis des travaux en communication des organisations, tel que souhaité par la
thématique de la table ronde.
Celle-ci tournera autour de deux questions qui m’ont été soumises :
- Quelles approches théoriques (s'inscrivant dans l'idée selon laquelle la communication est
constitutive de l'organisation) ont été (à votre avis) privilégiées jusqu'à ce jour en communication
organisationnelle ?
- Quelles sont les tendances futures qui se dessinent pour la recherche en communication
organisationnelle s'inscrivant dans la perspective selon laquelle la communication est constitutive
de l'organisation ?
Je garderai cet ordre de questions pour construire le plan de mon exposé en deux temps.
1- Quelles sont les approches qui ont été privilégiées pour penser la communication comme
constitutive des organisations ?
Au plan de mes recherches d’abord, je signalerais mon appartenance à un groupe de travail
(Bourdin, Bouillon, Loneux, 2007) qui réfléchit à cette centralité de la communication comme
constitutive des organisations. Nous avons développé depuis environ trois ans des études en
apportant un regard communicationnel, une « approche communicationnelle des organisations ».
Nous recensons les travaux existants dans le champ, et développons de nouvelles productions.
Trois niveaux d’approche de l’organisation constituent notre cadre conceptuel, sachant que nous
l’envisageons, non pas comme une simple structure de production, mais comme un ensemble de
coopérations entre des acteurs sociaux, des salariés, des auditeurs, des managers, des experts et des
cadres. L’organisation devient, dans cette perspective, artefactuelle, et il convient pour nous d’y
analyser les pratiques professionnelles selon les trois niveaux suivants : « Situations de
communication et activités de travail » (niveau micro) ; « Processus de communication et processus
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Communication lors de la table ronde intitulée : « Où va la communication organisationnelle ? »
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économiques (processus de production, niveau méso) ; « Politiques de communication et gestion
symbolique » (niveau macro).
De manière plus large, au delà de mes propres orientations de recherche, cette approche dite
artefactuelle de l’organisation est assez classiquement présente depuis quinze ans environ dans
l’ensemble de ces recherches en communication des organisations. Cette question de l’organisation
artefactuelle s’est posée à différents niveaux d’analyses :
Le premier renvoie aux études à caractère critique et analytique sur les organisations et leurs jeux
de pouvoir, leurs politiques.
Le deuxième prend le contre-pied de cette approche socio politique et fait porter l’analyse sur les
interactions en les mettant en avant comme des facteurs explicatifs des phénomènes
organisationnels. Ce niveau de questionnement affirme une posture de recherche située au delà des
orientations dictées par les approches managériales des organisations, associées aux stricts objets de
communication professionnels tels qu’observés par les sciences de gestion (et à certains égards
aussi la sociologie ou l’économie).
Le troisième niveau est une tendance de recherche générale, partagée par les chercheurs intéressés
par les questions de communication comme constitutive des organisations, qui consiste à faire
l’effort de toujours positionner les objets de recherche au plan épistémologique.
. Des orientations de recherche centrées sur une critique du pouvoir dans l’organisation
Globalement, la place de la communication, informelle ou formelle, est appréhendée par certains
chercheurs pour ce qu’elle comporte de normalisateur, de régulateur, du point de vue des personnes
concernées dans l’organisation. Il s’agit pour eux d’explorer la manière dont celle-ci émerge, les
intentions derrière les discours, ou encore les facteurs qui déterminent le choix des critères retenus
et jugés recevables pour produire des stratégies de communication.
La dimension communicationnelle retenue par ce type de recherches a ainsi à voir avec une
approche critique et symbolique de la construction de l’organisation, à la fois voulue et spontanée,
proposée comme organisation politique faite de formes de domination, d’asymétries, de distorsion
de communication.
Le chercheur a alors pour objectif de critiquer et d’étudier ces « équipements » produits par la
communication managériale (ceux de l’éthique notamment) (Walter, 1997). Ils sont codifiés par les
organisations qui les produisent, et cherchent à normaliser les pratiques professionnelles des
salariés de manière plus ou moins directe, selon leur statut dans l’entreprise.
Parler d’équipement plutôt que d’objet figé, c’est peut-être là une façon pour ces chercheurs de
revendiquer une posture communicationnelle vis-à-vis des objets constitutifs de l’organisation. La
notion renvoie en effet à un dispositif, liant des personnes, des choses et des actions, dans lequel les
partenaires acceptent d’investir, et à propos duquel ils s’accordent. Les discours peuvent par
exemple être pris dans ce sens : ils ont parfois une portée directement interne et sont censés guider
les acteurs dans leur pratique immédiate de travail en leur offrant la possibilité de trouver des
« repères » pour fonctionner dans leur poste ; mais ils ont aussi parfois une portée plus générale et
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s’adressent alors à une population plus large, qui n’exclut pas le salarié pour autant. Il convient
ainsi dans cette perspective socio politique adoptée, de critiquer et de dénaturaliser les contenus des
stratégies de mise en acceptabilité portées par les entreprises, autour des thématiques de la
« performance », de la « transparence » notamment.
La question du pouvoir, ici, est clairement posée de manière sociologique, en lien avec les outils de
communication qui circulent dans les organisations et entendent produire des formes de
rationalisation et de normalisation particulières.
. Des orientations de recherche centrées sur les interactions dans l’organisation
Toutefois, la question du pouvoir dépasse parfois l’analyse de la sociologie des organisations
(Crozier, Friedberg, 2000), pour laquelle celui-ci se pose en termes de logiques d’acteurs
individuels uniquement. Adopter cette orientation revient à poser un regard large sur l’organisation,
au sens où la hiérarchie ne peut pas, dans une logique « top / down », imposer des normes de
conduite à l’ensemble de l’entreprise représentée comme statique, homogène, unifiée et
structurellement équilibrée.
Par cette approche, le chercheur donne le primat à l’étude des rapports de personnes, de dialogue,
de rituels, d’activités au quotidien, susceptibles d’émerger autour des objets managériaux. Ceux-ci
ne sont plus considérés alors comme des allants de soi dans l’organisation, qui devient lieu de
sociabilité, communauté spécifique, ce qui éloigne le chercheur de la perspective strictement socio
politique et économique de l’organisation. Une approche que Stanley Deetz (2000) propose sous le
terme d’organisation « interprétative » : dans ces recherches, on regarde en effet les réalités
particulières se construire, l’activité au quotidien en train de se faire, la créativité, la complexité
organisationnelle, la communication, finalement, comme élément central de l’organisation :
« Communication is considered to be a central means by which the meaning of organizational
events is produced and sustained » (Deetz, p. 3).
Cette orientation de recherche place les objets communicationnels non plus au centre d’un système
organisationnel managérial a priori manipulatoire, mais plutôt au cœur d’organisations faites
d’interactions qui se saisissent ou non de ces instruments, captifs, indifférents, ou critiques vis-à-vis
de leurs intentions et effets.
Le chercheur a alors pour objectif d’étudier :
- les conditions d’émergence du sens de l’action pour chacun,
- l’interaction production – dispositif dans un contexte organisationnel donné, lieu où se
coconstruisent significations et actions individuelles et sociales (Bernard, 2000),
- les effets de contexte,
- les effets d’objets,
- les effets d’apprentissage,
- et enfin la coordination d’usagers dans leur contexte de travail.
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Aborder les recherches en communication des organisations depuis quinze ans nous invite donc à
noter deux tendances importantes, qui se répondent en quelque sorte :
- les orientations de recherche sont centrées sur une critique du pouvoir dans l’organisation, aussi
bien que sur
- les interactions de manière générale.
Il nous reste un autre aspect à mentionner concernant ces évolutions en matière de recherche : la
progressive et réelle construction épistémologique des objets de recherche en communication des
organisations.
. Affirmation d’une construction épistémologique de l’objet de recherche
Quelle valeur heuristique accorder aux objets professionnels dans les organisations ?
A mesure qu’elles se sont développées, les recherches situées en communication des organisations
ont fait passer insensiblement l’objet concret, objet donné, hétéroclite, objet réel défini comme tel,
vers un objet construit, exprimable non plus de façon simplement thématique, mais sur le mode
d’un concept opératoire. Le passage de l’objet pratique à l’objet de recherche pose la question de la
problématique de recherche pour le chercheur. Il s’interroge alors non plus sur l’objet brut, mais :
- sur la manière dont sont construits les supports de communication,
- à quelles fins,
- avec quels modes de coordination sous tendus,
- sur les manières dont ils sont mobilisés,
- sur le rôle joué par les individus et les collectifs dans leur création,
- sur les choix opérés par les personnes, autour de ces objets, pour définir des principes communs
d’action.
Ainsi, l’objet technique, empirique, existe, et recoupe plusieurs formes pour exister : trace écrite,
trace électronique, etc. Or c’est l’objet qui représente dans le champ des SIC et de la
communication des organisations le « point inducteur », nous explique Jean Davallon (Davallon,
2001). Il est en effet d’abord « objet concret », en tant que celui-ci est issu de la mise en oeuvre
de techniques, de réseaux électroniques, et qu’il possède un usage social. Soit donc un objet
empirique simple : ie. le livre, l’annonce publicitaire, le journal d’entreprise, un événement, une
organisation, des systèmes d’information, des chartes éthiques, etc. Ces objets sont vus comme
ayant une visée informationnelle ou communicationnelle. Le propos du chercheur consiste à les
aborder sous l’angle de la production d’interfaces, ou de leur lisibilité (quel écrit, quelle mise en
page, quelle diffusion, quels usages, etc.). La perspective retenue dans les recherches sur les
organisations, là encore, n’est pas seulement technique, et si l’on va vers la technologie
proprement dite des machines, ou celle de la fabrication de ces supports, nous sortons des SIC.
Pour terminer sur la spécificité de ce qui nous semble constituer l’approche SIC pour construire
des objets de recherche en organisations, voici ce qu’il peut en être de la compréhension de
l’organisation. Si nous allons vers l’analyse organisationnelle du fonctionnement de ces
constructions d’organisation, nous irons vers la sociologie. Si nous focalisons vers les acteurs de
l’organisation, ce sera de la psychologie. Mais si nous utilisons ces outils pour comprendre
comment ces organisations se matérialisent dans des dispositifs (l’organisation de la gestion de
l’information dans une entreprise, l’impact des discours sur les acteurs, l’analyse des
comportements des agents), nous allons en revanche vers les SIC. Ainsi, nous nous éloignons
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d’un objet technique pour traiter des processus et de la diversité de réalités qui l’entourent. Ceci
nous pousse à « abandonner la fascination du réel et l’illusion que l’on pourra rendre compte de
toute sa diversité. Ceci nous éloigne de la « névrose de la description » dont parlait Roland
Barthes. » (Davallon, 2001).
L’objet empirique, concret, est devenu au fil des travaux produits, « objet scientifique », pris en
compte selon l’ensemble production / objet empirique / usage. Il est devenu objet de recherche et
objet « sociétal » en tant qu’il est la matérialisation de processus, d’intentions, de stratégies qui
méritent d’être décryptées.
Ceci a permis aux travaux de communication des organisations de faire évoluer encore leurs
approches théoriques, et c’est sur ce point un peu plus prospectif que nous nous arrêterons à
présent.
2- Quelles sont les tendances futures qui se dessinent pour la recherche en communication
organisationnelle s'inscrivant dans la perspective selon laquelle la communication est
constitutive de l'organisation ?
Nous faisons le choix d’isoler deux orientations de recherche qui occupent selon nous une place
relativement importante dans le paysage des travaux actuels, et qui placent au premier plan la
réflexion portant sur l’organisation elle-même. Ce choix reste le nôtre et conserve donc son
caractère arbitraire.
La première se traduit par le développement de choix méthodologiques, pour interroger
l’organisation, inscrits dans une approche pragmatique.
La seconde orientation est à noter au plan théorique, et montre la place centrale qu’occupe la
réflexion sur le rapport entre organisation / société, et plus largement sur la problématisation de la
catégorie d’organisation, de ses formes et limites.
. Approches pragmatiques déplaçant les approches classiques
La caractéristique fondamentale des pragmatismes, depuis les sophistes jusqu’aux sociologies de
l’action contemporaine, est de mettre l’accent de façon marquée sur le fait que la signification des
pratiques des acteurs sociaux n’est pas compréhensible et interprétable en dehors de l’analyse des
contextes et situations qui leur donnent sens, et auxquels elles donnent sens.
Le pragmatisme pose donc d’abord qu’il n’y a pas de montée en généralité évidente et facile, que
celle-ci est toujours une construction hypothétique structurante. Les processus de conceptualisation
pragmatiques impliquent de considérer la description comme une méthode fondamentale pour
étudier et rendre compte des différentes formes et processus d’actualisation des pratiques et des
objets sociaux. Chaque hypothèse ou théorie particulière, y compris les approches dogmatiques, est
retenue comme une hypothèse possible susceptible de permettre de mettre en évidence telle ou telle
signification des phénomènes ainsi actualisés pour la recherche.
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Du point de vue plus strict des travaux portant sur la communication des organisations, cette
accumulation du savoir par description suppose cependant une obligation de définition
systématique des différents concepts et notions utilisés pour l’analyse : information,
communication, organisation, médiatisation, éthique, doivent ainsi être considérées comme
investies de significations différentes en fonction des différents contextes observés.
L'ambition des approches pragmatiques est ainsi d'opérer une série de déplacements par rapport aux
approches classiques des sciences sociales, afin de dépasser l'opposition rituelle du collectif et de
l'individuel par la mise en évidence de leur dépendance mutuelle aux contextes. Il ne s’agit donc
pas tant de relativiser les catégories sociologiques usuelles (normes, action, classe sociale, statut,
rôle, culture, société, pouvoir), que d’éviter de les utiliser d’une façon trop réductrice.
Cette approche va au delà d’une conception hiérarchique de l’organisation (imposition de repères
normatifs, contrôle, etc.), et pose une « symétrie des acteurs », qui relativise le pouvoir officiel,
ne le considérant pas comme étant l’acteur principal des productions de régulation. Ainsi, les
logiques de « contrôle » sont prises dans des logiques de « négociation ».
Les études sont alors reliées aux constructions symboliques, aux processus d’autorégulation,
d’autonomie, se mêlant aussi aux stratégies dites d’« accompagnement », de négociation et de
régulation au sein de l’organisation. L’ensemble de la production managériale est souvent
problématisé sous cet angle aujourd’hui, autour de la communication comme dispositif non plus
pensé autoritairement, selon des logiques de domination, mais selon des processus d’interaction.
Les objets de communication ne sont ainsi pas intéressants uniquement pour leur valeur de
« support », mais aussi pour ce qu’ils impliquent de relations entre les acteurs autour de leur mise
en place, ou de discussions lors de leur élaboration. Ils feraient alors partie intégrante des
interactions que l’on retrouve dans les organisations.
D’où la pertinence de cette approche pragmatique selon nous, quant à la question posée dans
cette table ronde consacrée à la « dimension constitutive de la communication pour les
organisations ».
Les outils d’analyse pour conceptualiser l’action en organisations sont ainsi renouvelés.
Ils prennent en compte une pluralité de modes d'engagement des êtres, humains et non humains
(Latour, 1992), dans les modes d’approche et d’interprétation des phénomènes. Il s’agit de refuser
de se situer dans une logique exclusive de rupture avec le sens commun, et de tenter de s’inscrire
dans un double mouvement de continuité et de discontinuité avec lui.
Il convient également de se démarquer de l'individualisme méthodologique en récusant l'idée d'un
individu rationnel uniforme, calculateur et utilitariste tout en prenant en compte la variété des états
de subjectivité collectifs et individuels, en fonction des situations. Laurent Thévenot (2006) parle
ainsi d'« une personnalité à tiroir » : les notions d’«actant », d’«être », de « personnes »,
d’« objets », pouvant décrire, par convention d’écriture, tout autant des personnes singulières que
des objets, des dispositifs, des entités morales et juridiques.
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Cette approche empirique et pragmatique participe de l’enrichissement épistémologique des
sciences de l’information et de la communication, dans la mesure où au-delà de la catégorie
d’interaction, elle amène à considérer que les processus de médiation ne se limitent pas à la sphère
publique mais s’ouvrent aussi à celle des organisations.
Ceci constitue notre second axe consacré à la problématisation de la catégorie d’organisation, qui
en soi mérite d’être reposée dans le contexte de recomposition des sphères marchande et non
marchande, et de confusion des délimitations entre les différents corps de notre société.
. Penser la catégorie d’organisation
La circulation généralisée des acteurs et des informations décrite ci dessus peut être regardée à
partir d’une approche stratégique – celle qui est conduite par les décideurs, les experts, les
professionnels -, mais aussi, pour le chercheur, à partir de ce qui échappe à l’approche stratégique
et renvoie au jeu des interactions, au « corps social » de l’entreprise ou de toute organisation. Pour
penser l’organisation, la recherche prend ainsi en compte ses dynamiques et enjeux complexes, ses
logiques managériales, à tous les niveaux d’échelle.
Comme le souligne Louis Quéré (1992), les sciences sociales ne peuvent éviter ces problématiques
informationnelles et communicationnelles. Penser l’évolution de la relation entre organisations et
société revient à interroger la complexité de la place des organisations dans notre société, de leur
rapport aux médias, aux médiations, et plus largement à l’évolution de l’ensemble des processus
sociaux. Les organisations ne sont pas à voir comme des structures, mais bien en lien avec un
imaginaire qui dépasse le spatial, qui prend en compte la dimension spatiotemporelle.
Les objets du management d’ailleurs ne semblent prendre sens aujourd’hui que s’ils sont
médiatisés, et entendent par là déborder le cadre de l’organisation, ses règles, ses procédures, par
leur prétention à une forme d’universalité (on retrouve cela typiquement dans les discours de
l’éthique managériale). Ils sont, d’une part, des dispositifs informationnels qui structurent des
formes organisationnelles nouvelles visant à installer des « valeurs » dans les entreprises. Ils sont,
d’autre part, des dispositifs communicationnels, puisqu’ils créent des contextes médiatiques et
publics qui permettent aux processus organisationnels de s’adapter.
Ainsi, les dispositifs managériaux peuvent être étudiés comme autant de stratégies de médiatisation
qui entendent élargir l’organisation, l’inscrire dans la société tout entière, autant dans la sphère
sociétale que dans celle des activités de travail. L’ambition est de transcender tous les autres
espaces de médiation (Huët, 2007). La démarche des entreprises se veut pragmatique, empirique,
valorise la discussion, le consensus, et s’inscrit dans une logique « conséquentialiste », prenant en
compte les répercussions sociales des activités, souhaitant la reconnaissance du caractère public des
processus de construction de légitimité des stratégies managériales.
Les concepts fondant l’action managériale « tombent » ainsi dans le débat public, même s’ils ne s’y
réduisent pas, et de la même façon, les débats scientifiques sur la signification des pratiques, sur
l’organisation, sur les processus de publicisation, sur les justifications des acteurs sociaux, sont
médiatisés de diverses façons. Cette médiatisation influence évidemment en retour les organisations
(Le Moënne, 2007).
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Les dimensions informationnelle et communicationnelle sous-jacentes aux organisations intéressent
les sciences de l’information et de la communication dont le caractère interdisciplinaire peut
permettre de multiplier les angles de vue, et de compléter les approches mono disciplinaires qui
peuvent apparaître trop partielles pour rendre compte des phénomènes de recomposition précités
(Miège, 2000). Ainsi, la construction théorique visant à décrire les processus organisationnels
induits par certaines pratiques professionnelles, si elle ne peut négliger les différentes perspectives
ouvertes par les « nouvelles sociologies de l’action », doit décentrer les perspectives en
réinvestissant ces apports dans des problématisations qui mettent au premier plan les logiques
informationnelles et communicationnelles, dans les processus complexes de régulation et
d’évolution organisationnelles.
Pour conclure sur ce point centré sur la question de l’organisation, précisons que ce qui importe en
matière de recherche en communication n’est pas tant cette question de savoir si les objets du
management ont une portée réelle, ou pas, ou s’ils renforcent certains dispositifs, mais c’est plutôt
d’observer la mise en place de cette logique de management, comme étant à la clef de
recompositions communicationnelles et organisationnelles dans les entreprises, et hors les
entreprises.
A travers ces divers éléments de théorisation, nous avons essayé de faire le point sur les recherches
en communication des organisations et plus spécifiquement fait porter notre regard sur la
« dimension constitutive de la communication pour les organisations ». Des évolutions ont eu
cours depuis vingt ans, et nous espérons avoir pu en tracer quelques grandes lignes. Nous
terminerons en précisant toutefois que ceci n’est qu’une proposition de théorisation, qu’elle
n’engage que son auteur, qui a conscience du caractère immanquablement réducteur d’un tel
exercice.
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