Actes du colloque « Nouvelles tendances en communication organisationnelle »,
77ème Congrès de l’ACFAS, Université d’Ottawa, 14-15 mai 2009.
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Van Every (Taylor, Van Every, 2000, p.33). Ce cadre d'analyse s'inscrit à la rencontre de deux
traditions théoriques d'étude des imbrications entre le social et le langage, qu'elle ambitionne
d'articuler et de dépasser. La première correspondant à la phénoménologie sociale, à
l'ethnométhodologie et à l'analyse conversationnelle1, envisage la réalité sociale comme étant
construite dans le cadre d'interactions situées, où le langage occupe une place centrale. De
manière opposée, la seconde tradition de référence est relative à la linguistique structurale2 et à
ses prolongements foucaldiens. Elle considère la construction du social au travers de systèmes
sémantiques généraux, intégrant langage et objets du monde, historiquement et
institutionnellement situés. Dans ce cadre, le langage stabilise un ensemble de catégorisations
déterminées à un niveau sociétal, permettant la construction de représentations rendant le monde
intelligible pour les individus. La mise en relation de ces deux grandes orientations scientifiques
pour analyser l'organisation donne lieu à l'identification de deux grandes dimensions
communicationnelles, la conversation d'une part et le texte de l'autre. L’organisation, dont les
contours sont mal délimités, est ainsi appréhendée comme un entrelacs d'interactions. Elle
émerge de la dynamique et des enchaînements locaux entre textes et conversations.
Le concept de conversation s'étend évidemment au-delà de son acception courante pour
désigner l'ensemble des échanges – discussions informelles, mais aussi réunions, négociations –
qui contribuent à la construction d'un univers commun aux personnes qui partagent une situation
sociale donnée. Cette définition renvoie à une dimension infra-symbolique (sub-symbolic) de la
communication où le rôle de la communication n'est pas de transmettre une connaissance à autrui
mais de construire une base de connaissance partagée. Il s'agit en quelque sorte de
« l'infrastructure communicationnelle » de l'organisation, du contexte relationnel nécessaire à tout
échange, ces éléments étant regroupés dans la notion de « site ». La conversation
organisationnelle s'apparente ainsi à une « dynamique d'auto-organisation », c'est à dire à un
système autorégulé localement, à partir de mécanismes garantissant l'intercompréhension et la
stabilité de l'organisation sociale. Ce système de communication est dans le même temps un
système d'actions, dans la mesure où paroles et activités sont totalement imbriquées, dans les
questionnements, les argumentations, les négociations, les échanges de conseils, la résolution de
conflits, qui structurent toute activité sociale et en particulier professionnelle. Si les conversations
sont locales et situées, elles portent sur des objets de nature générale liés aux activités où elles
prennent place, pouvant par exemple renvoyer à la réalisation d'un travail de conception, de
production, de commercialisation de produits, de prestation de services. Mais les activités
réalisées, leurs objectifs, le contexte où elles se déroulent, sont très loin de constituer le cœur de
l'analyse.
La dimension conversationnelle de l'organisation est étroitement articulée à la dimension
textuelle. La signification du concept de texte s'étend largement au-delà du niveau du
« document » pour désigner tout discours stabilisé constitué de mots et de phrases ordonnancés
de manière cohérente, qu'il se présente à l'écrit ou à l'oral. Le texte repose sur un « système
symbolique » (symbolic) et sur des procédures de narration qui « racontent » le monde. Il permet
le cadrage de l'organisation, sa description, son interprétation, la rend tangible au-delà des bruits
de fond conversationnels et se présente ainsi comme une « superstructure communicationnelle »
1 dans le prolongement des travaux de Schütz, Berger & Luckmann, Garfinkel, ainsi que de Sacks, Schegloff et
Jefferson (Taylor et Van Every, 2000, p.6-16)
2 Barthes, Greimas, et Foucault en particulier (Taylor et Van Every, 2000, p.16-24)