Actes du colloque « Nouvelles tendances en communication organisationnelle »,
77ème Congrès de l’ACFAS, Université d’Ottawa, 14-15 mai 2009.
LA DIMENSION COMMUNICATIONNELLE
AU CŒUR DU SOCIAL
VINCENT BRULOIS ([email protected])
chercheur en sciences de l’information et de la communication (LabSIC, Maison des sciences
de l’homme Paris Nord), responsable du Master Communication et RH (Univ. Paris 13).
JEAN-MARIE CHARPENTIER ([email protected])
responsable de l’Observatoire social d’une entreprise publique, membre du Conseil d’administration
de l’Association Française de Communication Interne, docteur en sciences de l’information et
de la communication, co-responsable du Master Communication et RH (Univ. Paris 13).
RÉSUMÉ :
Les interactions sociales dans les organisations, les demandes sociales des salariés vis-à-vis de
leur entreprise, les relations entre attentes sociales et sociétales prolifèrent et se font de plus en
plus pressantes. Face à cela, de nombreux communicants d’entreprise vérifient chaque jour
toutes les limites d’une communication stratégico-instrumentale à base d’image venant buter sur
la question sociale. Ces liens problématiques entre communication et social nous conduisent
alors à nous interroger sur la manière pour ces communicants d’aborder cette irruption du
social. Dans quelle mesure sont-ils armés pour le faire ? À quel corpus se réfèrent-ils ? Sont-ils
encouragés à le faire ? Quelles sont leurs marges de manœuvre ? Loin d’être abstraites, ces
interrogations s’appuient sur un cas précis, celui de l’Association française de communication
interne (AFCI). L’association s’interroge en particulier sur les apports de sciences humaines et
sociales, sur les “fondamentaux scientifiques” nécessaires aujourd’hui aux praticiens dans
l’exercice de leur métier. Partant de ce cas, nous tenterons d’identifier des éléments permettant
de nourrir les réponses empiriques des professionnels. À ce titre, l’approche “organisante” de la
communication couplée à une approche sociologique de l’entreprise offre certainement un cadre
dynamique pour ouvrir un questionnement social de la communication dans les entreprises.
Nous partirons d’un prétexte pour fonder nos premières réflexions au sujet d’une étude que nous
venons de commencer.
En mars 2007, l’Association française de communication interne (AFCI) organisait un séminaire
sur l’apport des sciences humaines et sociales à la communication. Devant le constat d’une faible
participation à ce séminaire, plusieurs de ses membres ont réagi dans une vive interpellation aux
adhérents rappelant notamment le rôle premier, et sans doute fondamental, de la communication :
le rapport à l’autre bien avant tous les plans, outils, dispositifs ou autres techniques. L’occasion
pour eux de poser une question simple mais forte pour le métier de communicant en entreprise :
« quels sont nos fondamentaux scientifiques, et surtout comment assurons-nous le lien permanent
entre le matériel analytique et conceptuel qu’ils nous proposent et les pratiques que nous
développons ? » (Besse, 2008, p.1). Une manière tout à la fois d’exprimer une distance avec la
communication à dominante instrumentale, toujours aussi présente et chaque jour un peu plus
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inefficace, et leur attente d’une communication au cœur du système organisationnel et social.
L’interpellation a porté ses fruits puisque l’AFCI a créé en janvier 2009 un groupe de travail
réunissant des responsables de communication d’entreprise, des professionnels d’agences, des
universitaires.
Ce prétexte sert de starter à notre réflexion. Au-delà de l’interpellation, cette demande de
“matériel analytique et conceptuel” est en soi révélatrice. Elle est la traduction à tout le moins
d’un désir de comprendre pour agir ; comprendre l’autre, les autres, comprendre ce qui relie, ce
qui forme une communauté d’individus, ce qui fait société et, au final, comprendre ce qu’est (ce
que doit être ?) la communication en entreprise. Derrière cette question, il s’agit en quelque sorte
pour ces professionnels de partir à la recherche du “social” perdu… Diverses stratégies
d’entreprise et de groupe visent, depuis longtemps maintenant, à contenir un “social”1 qui ne
cesse de se manifester sous différentes formes. Le paradoxe est que ces manifestations ont
beaucoup à voir avec la communication, même si on ne peut réduire ce social à des phénomènes
de communication. Il est un fait, pourtant, que la dimension communicationnelle en est de plus en
plus une donnée-clé2. Les entreprises, singulièrement celles évoluant dans l’univers aujourd’hui
dominant des services, procèdent de phénomènes de communication au moins autant qu’elles en
produisent ; tant et si bien qu’il devient de plus en plus difficile d’appréhender les organisations
en dehors des situations, des relations, des interactions, tant à l’interne qu’à l’externe.
Nous retenons donc ici cette question des liens entre communication et social en allant voir en
particulier comment, à partir du cas de l’AFCI, les professionnels de la communication en
entreprise s’en saisissent ou pas. De quelle manière appréhendent-ils cette irruption du social ?
Afin de résoudre cette intrigue, nous rappellerons d’abord le contexte de création de l’AFCI et les
fondements qui la soutiennent aujourd’hui, éléments que nous mettrons ensuite en regard de
l’activité de communication dans l’entreprise, de son évolution et surtout de son rapport au lien
social. Nous serons alors à même de voir ce que peuvent les sciences de l’information et de la
communication (SIC) dans ce cadre.
1- Une association de communication à la recherche du social
L’AFCI est créée en 1989. La date peut surprendre. En France, l’organisation de la
communication dans les entreprises en était encore à ses balbutiements. Pourtant, derrière la
figure-type du désormais fameux “dircom”, se cachait une multitude de responsables de
communication ou de chargés de communication – en un mot, des communicants – exerçant une
multitude d’activités. Une double multitude donc, preuve de l’existence d’un territoire d’activités
de communication aux frontières non encore stabilisées et regroupant des missions très (trop)
diverses. Une “auberge espagnole” en quelque sorte… C’est justement pour stabiliser une partie
de ce territoire et regrouper certaines missions que l’association se crée à la fin des années 80
spécifiquement autour de la communication interne. Dans le contexte de l’époque, il s’agit
1.. Dans notre esprit, ce terme renvoie autant à des notions d’acteur, de pouvoir, de structure ou de contexte que « de mouvement
qui se produit au cours d’un processus d’assemblage » pour rependre les termes de Bruno Latour (Changer de société, refaire de la
sociologie, éd. La Découverte, Paris, 2006).
2.. Voir à ce sujet l’article de Bernard Miège, « Le communicationnel et le social : déficits récurrents et nécessaires (re)-
positionnements théoriques » (1998) in L’information-communication, objet de connaissance, éd. De Boeck, Bruxelles, 2004, pp.90 à
103.
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d’affirmer la communication interne comme une activité à part entière, il s’agit de « se définir un
territoire à l’intersection de la communication globale et des ressources humaines » (Rancoule,
1999, p.1).
L’idée et la volonté affichées suivent un objectif. Il s’agit de se démarquer en se structurant ; et
cela, même si le sens de cette segmentation (la communication interne) n’est pas encore bien ni
clairement établi. Il viendra chemin faisant. L’association ne revendique alors pas autre chose que
d’être un espace de rencontres, d’échanges et de réflexions sur ce type de communication “dans”
les entreprises et plus largement “dans” les organisations. Par ailleurs, il s’agit aussi de
« promouvoir la communication interne au sein des entreprises et des organismes »3,
l’association favorisant toute activité qui contribue à son développement. Se définir et se faire
connaître, tels sont alors les deux mots d’ordre du premier âge de l’AFCI, l’âge de la création.
Jusqu’en 1992, les membres de l’AFCI se réunissent donc mais l’association ne se développe
guère. Il y a donc un véritable enjeu de structuration d’autant plus que le contexte change. Le
début de la décennie 90 est en effet marqué par une rupture, au premier sens du terme pour ce qui
est du rapport de l’entreprise à ses salariés. Jusqu’alors l’entreprise se définissait volontiers
comme une famille avec un projet, et les communicants et la communication étaient bien souvent
utilisés pour “vendre” cette identité aux salariés. Mais la période de crise économique pousse les
entreprises à des restructurations massives et douloureuses. La “famille”, drôle de famille, se
sépare alors de certains de ses membres et se délite… Les communicants doivent « repositionner
leur rôle et justifier leur utilité » ou « disparaître » (Rancoule, 1999, p.1). L’AFCI s’adapte
d’autant plus facilement qu’elle cherche depuis l’origine à se démarquer d’une certaine
communication typée années 80. L’association se sert alors de cette période troublée comme une
chance afin de « faire connaître et reconnaître un métier » – celui de communicant – et de se
structurer. Cet âge de la structuration est donc l’occasion pour elle d’affirmer sa position et son
territoire. Elle ambitionne de définir « le rôle et le positionnement de la fonction dans
l’organisation » et s’attache pour cela à produire un « référentiel de la communication interne »
(idem).
C’est encore une fois de la compréhension de l’évolution du contexte socio-économique des
entreprises que vient le troisième âge de l’AFCI. Sous couvert de l’évolution technologique (les
fameuses technologies de l’information et de la communication), de nouvelles organisations de
travail émergent. La communication interne doit donc accompagner ces changements ; plus que
cela, elle doit les anticiper et jouer un rôle « dans les orientations qui leur sont données » (idem).
D’un point de vue empirique, cela signifie que la communication doit devenir « une fonction
partagée dans l’entreprise » (idem). D’un point de vue théorique, cela signifie qu’il s’agit moins
de « créer une discipline nouvelle » que d’être « attentif à toutes les autres », de « s’ouvrir aux
savoirs et aux pratiques des différentes fonctions », de « susciter des rencontres fertiles entre ces
apports » (idem). À partir de 1995, jouant de ces changements, l’AFCI s’abreuve donc à des
sources très diverses, cherche à ouvrir son regard, découvre l’opportunité d’étendre son territoire
en ne s’intéressant pas qu’aux pratiques instituées – communication interne – mais également aux
pratiques quotidiennes des individus – communication au travail. Un état de ces réflexions est
produit deux ans plus tard (avril 1997) lors de la première Convention AFCI. S’interrogeant sur
la place de la communication interne dans un environnement en forte mutation, les débats
3.. Article 2 des statuts de l’AFCI sur le site de l’association (http://afci.asso.fr/): rubrique L’Association puis Organisation.
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soulignent notamment « l’importance de la négociation pour évoluer vers une logique de
coopération » ainsi que « l’exigence d’un nouveau lien entre le local et le global » (Benner,
1998, p.3). La question du social, jusqu’alors latente, fait irruption ouvertement lors de ce
troisième âge, celui de la légitimation.
Au final, que ressort-il de cette généalogie ? Trois éléments-clés, nous semble-t-il, montrent la
singularité de l’association.
Le premier élément de cette singularité se trouve dans la volonté des pionniers de l’association de
construire la communication interne à l’intersection de la communication globale et des
ressources humaines (RH). On peut certes ne voir là que la stratégie d’une fonction visant à se
faire une place au détriment d’une autre. Mais à la lecture des expressions des responsables, voire
des adhérents, l’idée qui prévaut chez ces communicants est bien moins de se définir contre ce
qui existe qu’aux côtés de ce qui existe, bien moins contre la fonction RH par exemple qu’en
complément de celle-ci, plus précisément dans les territoires du social abandonnés ou peu traités
par les RH. Nombre d’auteurs4 ont déjà montré l’évolution de la gestion des hommes en
entreprise. Progressivement, l’administration du personnel a fait place à la gestion des RH,
s’ouvrant ainsi à un contenu élargi (rémunération, gestion des carrières, gestion des compétences,
évolution des postes, évaluation des performances, etc.), mais en en oubliant bien souvent au
passage tout un pan. En se recentrant sur les “ressources”, les RH laissaient alors les “relations”
humaines (relations sociales au quotidien) à qui voulait, alors même que les besoins étaient
toujours aussi grands de la part des salariés, crise économique et sociale aidant. Une aubaine pour
les communicants ? En tout cas, l’AFCI a eu tôt fait de presser les communicants d’investir le
territoire.
Autre élément de singularité, le fait de concevoir la communication interne comme un territoire
partagé entre les fonctions et entre les individus au lieu d’en faire un territoire réservé aux seuls
communicants. On en trouve trace à plusieurs reprises notamment dans la revue de l’AFCI – Les
Cahiers de la communication interne – dont le premier numéro sort à l’automne 1997. On peut
lire dans l’éditorial de ce numéro que la première mission de l’association est « de contribuer au
développement de la communication interne sous toutes ses formes dans les entreprises et les
organisations » ; « nous estimons en effet qu’[elle] n’est pas un territoire réservé aux
professionnels [mais qu’elle] est par définition une fonction partagée » (Labasse, 1997, p.3). La
communication n’étant pas qu’une affaire de communicant, la construction de l’association ne
peut se concevoir sans les “non communicants” de profession.
Troisième et dernier élément de singularité, la volonté initiale de « se doter de concepts et
d’outils méthodologiques propres » (Rancoule, 1999, p.1). La provenance des adhérents de
l’AFCI témoigne de ce besoin : à l’origine, un tiers des membres étaient des enseignants-
chercheurs ! L’association se construit donc aussi comme un groupe de réflexion et de
prospective. La nature des articles, et le contenu de la rubrique Lu pour vous de la revue reflètent
bien cette tension. Pour exemple, dès le premier numéro, la rubrique livrait à ses lecteurs des
notes de lecture sur La théorie de l’agir communicationnel de Jürgen Habermas (1995) et sur
Travail et communication de Philippe Zarifian (1996). Reconnaissons ensemble qu’il existe des
ouvrages plus faciles d’accès pour des praticiens de la communication… L’important étant de
4.. Par exemple, Jean Fombonne dans Personnel et DRH, édition Vuibert, Paris, 2001.
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77ème Congrès de l’ACFAS, Université d’Ottawa, 14-15 mai 2009.
« promouvoir une vision ambitieuse du métier de la communication interne » et « d’explorer les
possibles »5, il s’agit pour l’association d’être à la fois dans l’action et dans la réflexion, dans
l’empirie et la théorie.
La logique de ces trois éléments constitutifs de la singularité de l’AFCI est de faire « partager
une vision du métier de la communication interne » et d’en « porter les valeurs », d’en « explorer
les possibles » et d’en « repousser les frontières »6. Dans le même sens, la « vocation » de la
revue, en soutien de l’association, est bien « d’enrichir les connaissances, d’élargir la vision et
de stimuler l’action de ses lecteurs » (Labasse, 1997, p.3). Enrichir, élargir, stimuler, autant de
termes témoignant de l’ouverture de l’AFCI.
2- La communication d’entreprise, entre poids de l’image et montée du social
À la généalogie en trois temps de l’AFCI, aux trois éléments de sa singularité, répondent en
réalité trois moments de ce qu’a été le développement de la communication d’entreprise ces
dernières années. Trois moments qui scandent une évolution, une transformation et une tension
entre l’image et le social7.
Premier moment, l’éclosion. La communication d’entreprise se déploie dans les années 80 selon
nous pour deux raisons principales : la concurrence et la contestation socio-politique de l’après
68. Un nouveau paysage économique pousse à la libéralisation des marchés et à la concurrence.
Portant des enjeux d’image, de distinction, de différenciation, la concurrence concourt
puissamment à faire émerger la communication d’entreprise. La contestation vivace de
l’entreprise constitue un autre déclencheur. En effet, la critique de l’entreprise est sous-tendue à
la fois par une forte critique sociale, marquée par le refus de l’exploitation taylorienne, et par une
critique que certains ont appelée “artiste”8 autour du rejet de l’aliénation. Les entreprises
cherchent de nouvelles réponses et le développement organisé de la communication promet de
porter une nouvelle image tant à l’externe qu’à l’interne. À l’origine, c’est donc bien pour des
raisons à la fois économiques, sociales, voire culturelles, qu’il importe à ce moment-là pour
l’entreprise d’être distinguée et d’être ré-enchantée. Le parti pris de la communication
d’entreprise est alors de tout miser sur l’image. Il faut valoriser, revaloriser une image ancienne
mais le plus souvent négative. Sous l’égide des toutes nouvelles directions de la communication,
le déploiement s’opère sur deux fronts : à l’externe (la publicité décolle, singulièrement la
publicité institutionnelle qui joue sur l’image globale) et au sein même des entreprises. Dans ces
dernières, il s’agit de faire évoluer les représentations des salariés à partir de tout un arsenal de
supports et de dispositifs faussement participatifs. Les premiers pas de la communication
d’entreprise font la part belle aux opérations d’éclat, aux coups médiatiques, à la mise en forme.
Le primat est donné à l’image, la belle image, l’image valorisante, le discours mélioratif.
Deuxième moment, la professionnalisation. Après des débuts assez flamboyants, le contexte
change. Les opérations de séduction et d’enchantement font face à une nouvelle donne. La
5.. Voir le site de l’association (http://afci.asso.fr/): rubrique Publications puis Référentiel.
6.. Voir le site de l’association (http://afci.asso.fr/): rubrique L’Association puis Missions.
7.. Voir Jean-Marie Charpentier, « Communication d’entreprise, de l’image au social », COMMUNICATION ET LANGAGES, Paris, n°149
vol.3 septembre 2006, pp.113 à 121.
8.. Voir Luc Boltanski et Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, édition Gallimard, Paris, 1999.
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