Chapitre 5. Mouvement brownien
1 Introduction
En 1827, le botaniste R. Brown a d´ecouvert au microscope le mouvement incessant
et irr´egulier de petites particules de pollen en suspension dans l’eau. Il a aussi remarqu´e
que de petites particules min´erales se comportent de la mˆeme mani`ere (cette observation
est importante, car elle exclut d’attribuer ce ph´enom`ene `a une quelconque “force vitale”
sp´ecifique aux objets biologiques). De fa¸con g´en´erale, une particule en suspension dans un
fluide se trouve en mouvement brownien lorsque le rapport entre sa masse et la masse de
l’une des mol´ecules du fluide est grand devant l’unit´e.
L’id´ee selon laquelle le mouvement d’une particule brownienne est une cons´equence
du mouvement des mol´ecules du fluide environnant s’est r´epandue au cours de la seconde
moiti´e du 19esi`ecle. C’est en 1905 qu’A. Einstein a donn´e la premi`ere explication th´eorique
de ce ph´enom`ene. La v´erification exp´erimentale directe de la th´eorie d’Einstein a permis
d’´etablir les fondements de la th´eorie atomique de la mati`ere (on peut citer en particulier
la mesure du nombre d’Avogadro par J. Perrin en 1908). Une th´eorie plus compl`ete du
mouvement brownien a ´et´e propos´ee par P. Langevin en 1908.
Cependant, un peu avant A. Einstein et dans un tout autre contexte, L. Bachelier
avait d´ej`a obtenu la loi du mouvement brownien dans sa th`ese intitul´ee “La th´eorie de
la sp´eculation” (1900). Des mod`eles faisant appel au mouvement brownien sont d’ailleurs
couramment utilis´es aujourd’hui en math´ematiques financi`eres. Sur un plan plus g´en´eral,
le mouvement brownien a jou´e un rˆole important en math´ematiques : historiquement,
c’est en effet pour repr´esenter le d´eplacement d’une particule brownienne qu’un processus
stochastique a ´et´e construit pour la premi`ere fois (N. Wiener, 1923).
2 Mod`ele de Langevin
Le mouvement brownien est le mouvement compliqu´e, de type erratique, effectu´e par
une particule “lourde” immerg´ee dans un fluide et subissant des collisions avec les mol´ecules
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de celui-ci (on entend par “lourde” une particule de masse beaucoup plus grande que celle
de l’une des mol´ecules du fluide).
Les premi`eres explications th´eoriques du mouvement brownien furent donn´ees, ind´epen-
damment, par A. Einstein en 1905 et M. Smoluchowski en 1906. Dans ces premiers mod`eles,
l’inertie de la particule brownienne n’´etait pas prise en compte. Une description plus
´elabor´ee du mouvement brownien, tenant compte des effets de l’inertie, a ´et´e mise au
point par P. Langevin en 1908. C’est cette th´eorie que nous pr´esenterons tout d’abord.
2.1 ´
Equation de Langevin
Le mod`ele de Langevin est un mod`ele ph´enom´enologique classique. Raisonnant pour
simplifier `a une dimension, on rep`ere la position de la particule brownienne par une abscisse
x. Deux forces, caract´erisant toutes les deux l’effet du fluide, agissent sur la particule de
masse m: une force de frottement visqueux (dx/dt), caract´eris´ee par le coefficient
de frottement γ > 0, et une force fluctuante F(t), repr´esentant les impacts incessants
des mol´ecules du fluide sur la particule. La force fluctuante, suppos´ee ind´ependante de
la vitesse de la particule, est consid´er´ee comme une force ext´erieure, appel´ee force de
Langevin.
En l’absence de potentiel, la particule brownienne est dite “libre”. Son ´equation du
mouvement, l’´equation de Langevin, s’´ecrit
md2x
dt2=dx
dt +F(t),(1)
ou encore :
mdv
dt =v +F(t), v =dx
dt .(2)
L’´equation de Langevin est historiquement le premier exemple d’une ´equation diff´erentielle
stochastique, c’est-`a-dire contenant un terme al´eatoire F(t) avec des propri´et´es statistiques
sp´ecifi´ees. La solution v(t) de l’´equation (2) pour une condition initiale donn´ee est elle-
mˆeme un processus stochastique.
Dans le mod`ele de Langevin, la force de frottement v et la force fluctuante F(t)
repr´esentent deux cons´equences d’un mˆeme ph´enom`ene physique (les collisions de la par-
ticule brownienne avec les mol´ecules du fluide). Il reste, pour d´efinir compl`etement le
mod`ele, `a caract´eriser la force al´eatoire.
2.2 Hypoth`eses sur la force de Langevin
Le fluide, appel´e aussi bain, est suppos´e se trouver dans un ´etat stationnaire (on
consid´erera le plus souvent que le bain est en ´equilibre thermodynamique). En ce qui
100
le concerne, aucun instant ne joue de rˆole privil´egi´e. La force fluctuante agissant sur la
particule brownienne est donc mod´elis´ee par un processus al´eatoire stationnaire. Par suite,
la moyenne `a un temps hF(t)ine d´epend pas de tet la moyenne `a deux temps hF(t)F(t0)i
ne d´epend que de la diff´erence tt0.
Outre ces caract´eristiques minimales, le mod`ele de Langevin contient un certain nombre
d’hypoth`eses suppl´ementaires sur la force al´eatoire.
2.2.1 Valeur moyenne et fonction d’autocorr´elation
On suppose que la valeur moyenne de la force de Langevin est nulle :
hF(t)i= 0.(3)
La fonction d’autocorr´elation de la force al´eatoire,
g(τ) = hF(t)F(t+τ)i,(4)
est une fonction paire de τ, d´ecroissant sur un temps caract´eristique τc(temps de corr´elation).
On pose :
Z
−∞
g(τ)= 2Dm2.(5)
La signification du param`etre Dsera pr´ecis´ee par la suite. Le temps de corr´elation τcest
de l’ordre de l’intervalle de temps moyen s´eparant deux collisions successives des mol´ecules
du fluide sur la particule brownienne. Si ce temps est beaucoup plus court que les autres
temps caract´eristiques du probl`eme, comme par exemple le temps de relaxation de la
vitesse moyenne `a partir d’une valeur initiale bien d´efinie, il est possible d’assimiler g(τ)
`a une fonction delta de poids 2Dm2:
g(τ)=2Dm2δ(τ).(6)
2.2.2 Caract`ere gaussien de la force de Langevin
Le plus souvent, on suppose en outre que F(t) est un processus gaussien. Toutes les
propri´et´es statistiques de la force de Langevin sont alors calculables `a partir de la seule
donn´ee de sa moyenne et de sa fonction d’autocorr´elation. Cette hypoth`ese peut se justifier
`a partir du th´eor`eme de la limite centrale : en effet, par suite des tr`es nombreux chocs
subis par la particule brownienne, la force F(t) peut ˆetre consid´er´ee comme r´esultant de la
superposition d’un grand nombre de fonctions al´eatoires distribu´ees de mani`ere identique.
101
3 R´eponse et relaxation
L’´equation de Langevin est une ´equation diff´erentielle stochastique lin´eaire. Cette
lin´earit´e permet de calculer exactement les propri´et´es moyennes de r´eponse et de relaxation
de la particule brownienne.
3.1 R´eponse `a une perturbation ext´erieure
On suppose qu’il existe une force ext´erieure appliqu´ee d´ependant du temps (mais
ind´ependante de la position de la particule). Cette force Fext(t) s’ajoute `a la force al´eatoire
F(t). L’´equation du mouvement de la particule brownienne s’´ecrit alors :
mdv
dt =v +F(t) + Fext(t), v =dx
dt .(7)
En moyenne, on a :
mdhvi
dt =hvi+Fext(t),hvi=dhxi
dt .(8)
Pour une force ext´erieure appliqu´ee harmonique Fext(t) = <e(F et), la solution de
l’´equation (8) est, en r´egime stationnaire, de la forme
hv(t)i=<ehviet,(9)
avec :
hvi=A(ω)F. (10)
La quantit´e
A(ω) = 1
m
1
γ(11)
est l’admittance complexe du mod`ele de Langevin.
Plus g´en´eralement, pour une force ext´erieure Fext(t) de transform´ee de Fourier Fext(ω),
la solution hv(t)ide l’´equation (8) a pour transform´ee de Fourier :
hv(ω)i=A(ω)Fext(ω).(12)
La vitesse moyenne de la particule brownienne r´epond lin´eairement `a la force ext´erieure
appliqu´ee. On peut associer `a cette r´eponse un coefficient de transport. La particule brow-
nienne, si elle porte une charge q, acquiert sous l’effet d’un champ ´electrique statique E
la vitesse limite hvi=qE/mγ. Sa mobilit´e de d´erive µD=hvi/E est donc :
µD=q
=qA(ω= 0).(13)
102
3.2 ´
Evolution de la vitesse `a partir d’une valeur initiale bien d´efinie
On suppose maintenant qu’il n’y a pas de force ext´erieure appliqu´ee et qu’`a l’instant
t= 0 la vitesse de la particule brownienne a une valeur bien d´efinie, non al´eatoire, not´ee
v0:
v(t= 0) = v0.(14)
La solution de l’´equation (2) avec la condition initiale (14) s’´ecrit :
v(t) = v0eγt +1
mZt
0
F(t0)eγ(tt0)dt0, t > 0.(15)
La vitesse v(t) de la particule brownienne est un processus al´eatoire. Dans les conditions
d´efinies ci-dessus, ce processus n’est pas stationnaire. Nous allons calculer la moyenne et
la variance de v(t) `a un instant quelconque t > 0.
3.2.1 Vitesse moyenne
Comme la force fluctuante est nulle en moyenne, on obtient, `a partir de la formule
(15) :
hv(t)i=v0eγt, t > 0.(16)
La vitesse moyenne relaxe exponentiellement vers z´ero avec un temps de relaxation :
τr=γ1.(17)
3.2.2 Variance de la vitesse
La variance de la vitesse est d´efinie par exemple par la formule suivante :
σ2
v(t) = h[v(t)− hv(t)i]2i.(18)
Il vient, `a partir des formules (15) et (16) :
σ2
v(t) = 1
m2Zt
0
dt0Zt
0
dt00hF(t0)F(t00 )ieγ(tt0)eγ(tt00 ).(19)
Lorsque la fonction d’autocorr´elation de la force de Langevin est ´ecrite sous la forme
simplifi´ee (6), on obtient
σ2
v(t)=2DZt
0
e2γ(tt0)dt0,(20)
soit :
σ2
v(t) = D
γ(1 e2γt), t > 0.(21)
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