Le corps des nombres réels

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Première partie
Le corps des nombres réels
1
2
Pour mesurer des longueurs, il y a tout d’abord les nombres entiers, puis pour plus de précisions on s’autorise
à prendre des portions de ces nombres entiers, c’est ce que l’on appelle les nombres rationnels. Peut-on mesurer
toute longueur avec des nombre rationnels ? La réponse est évidemment non bien que l’on puisse s’en rapprocher
autant qu’on le souhaite. Dans ce chapitre, on se propose de formaliser mathématiquement la notion intuitive de
nombre réel.
Définition. Un nombre est dit rationnel s’il peut s’écrire comme un quotient de deux entiers (éventuellement
relatifs). Un nombre réel qui n’est pas rationnel est dit irrationnel.
Exemple.
1
12 ,
0.2016 ou encore 42 sont des nombres rationnels.
p
Lemme. Le nombre 2 est irrationnel.
Démonstration. Supposons par l’absurde qu’il existe a 2 Z et b 2 N⇤ tels que
eux.
p
Alors b 2 = a puis en élevant au carré : 2b2 = a2 .
p
a
b
avec a et b premiers entre
p
2 est une longueur que l’on
2=
Donc 2 divise a2 et comme 2 est premier, 2 divise a.
On peut écrire a = 2a0 .
Mais alors 2b2 = 4a02 et donc b2 = 2a02 .
Donc 2 divise b.
Alors 2 divise a et b qui ne peuvent être premiers entre eux, contradiction.
Nous avons donc vu qu’il y a une insuffisance des nombres rationnels, en effet
rencontre, par exemple, lorsque l’on mesure la diagonale d’un carré de côté 1.
1 Construction de R
1.1 Les nombres décimaux
On commence par définir une classe de nombres qui sont les nombres à virgule avec un nombre fini de
décimales.
Définition. On appelle nombre décimal tout rationnel x qui s’écrit
l’ensemble des nombre décimaux.
n
10k
= n.10
k
où n 2 Z et k 2 N⇤ . On note D
Il est clair que Z ⇢ D ⇢ Q donc nous venons donc de construire une classe de nombres qui vient se positionner
entre Z et Q. Un résultat moins évident, c’est que tous les rationnels ne sont pas forcément décimaux.
Lemme. Le nombre
1
3
2
/ D.
Démonstration. Supposons par l’absurde qu’il existe n 2 Z et k 2 N tels que
1
3
= n.10
k
.
Alors 10k = 3n or comme 3 est un nombre premier, il faut que 3 divise 10 : c’est absurde.
3
1.2 Ecriture décimale finie
On peut écrire n’importe quel nombre entier n 2 N⇤ sous la forme :
n = cl 10l + ... + c1 10 + c0
=
l
X
cj 10j
j=0
où cj est un chiffre dans l’ensemble {0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9}, cl 6= 0 et l 2 N. On dit alors que c0 est le chiffre des
unités, c1 celui des dizaines et ainsi de suite. On écrira :
n = hcl cl
On écrit maintenant un nombre décimal x = n10
k
x=(
1 ...c0 i
de la manière suivante :
l
X
cj 10j )10
k
j=0
=
l
X
cj 10j
k
j=0
= cl 10l
k
+ ...c0 10
k
Certains exposants sont positifs et d’autres négatifs, on fait donc un changement de notation en posant dj
afin d’avoir l’indice qui corresponde avec la puissance de 10.
k
= cj
Ainsi on a :
x = dl
k 10
l k
+ ...d
k 10
k
On rajoute éventuellement un
en début d’expression pour les nombres décimaux négatifs.
Definition. Soit x 2 D.
On appelle écriture décimale de x toute expression de la forme :
h±dm ...d1 d0 , d 1...d m0 i où dj 2{0, 1, ..., 9} et m, m0 2 N et telle que :
m
P
x = ± dj 10j
j= m0
On remarquera l’apparition d’une virgule dans l’expression entre crochets pour séparer les exposants positifs
et ceux négatifs, c’est à dire les nombre avant ou après la virgule.
Notons que l’on peut ajouter au début et à la fin de l’expression entre crochets autant de 0 que l’on souhaite. On
identifie bien sur ces écritures décimales.
Example. Le nombre
12
5
=
24
10
= 2, 4 peut s’écrire h2, 4i ou encore h002, 40000i.
Remark. Lorsque l’on utilise de vrais chiffres et non des variables du type dj on oubliera volontairement les crochets,
par exemple on écrit 12, 12 et non h12, 12i.
4
1.3 Ecriture décimale infinie
Rien que pour décrire tous les rationnels, on aurait besoin d’une écriture décimale avec une infinité de chiffres
après la virgule, par exemple :
1
3
= 0, 33333333333...
C’est ce que nous allons étudier dans ce sous chapitre.
Definition.
1) On considère l’ensemble R des expressions :
h±dm ...d0 , d 1 d 2 ...i où dj 2{1, ..., 9} et m 2 N.
Avec une infinité de décimales (éventuellements nulles) correspondant à un exposant négatif. On appelle une telle
écriture expression décimale infinie.
2) Une écriture décimale infinie est dite nulle si tous les dj sont nuls.
3) Une écriture décimale infinie est dite négative si le signe se trouve devant.
Remark. Encore une fois, il nous faut identifier certianes écritures décimales entre elles (on peut toujours rajouter
autant de 0 que l’on souhaite à gauche). En revanche nous n’associons pas encore de nombre à une écriture décimale
l
P
car il faudrait donner un sens à des objets comme
10j qui est une somme infinie.
j= 1
1.4 L’ordre lexicographique
Jusqu’à présent, nos écritures décimales infinies ne correspondent pas encore à de vrais nombres mais presque.
Nous avons besoin d’une notion d’ordre donc on définit une relation d’ordre sur les écritures décimales infinies
correspondant à l’intuition.
Définition. On se donne deux écritures décimales infinies positives D = hdm ...d0 , d 1 ...i et E = hem0 ...e0 , e 1 ...i.
Quitte à compléter à gauche avec des 0 on peut supposer que m = m0 . On dit alors que D est strictement inférieure
à E et on note D E s’il existe un rang l 2 Z plus petit que m et tel que :
dj = ej pour tout j > l
d l < el
Cet ordre s’appelle ordre lexicographique et n’est rien d’autre que l’ordre alphabétique.
Remarque. On peut étendre cette relation d’ordre à R en entier :
— Si D et E sont négatifs alors D E , E
D.
— Si un seul des deux est négatif c’est évidemment lui le plus petit.
Exemple. 12
42 et 3, 4
3, 4111111111...
1.5 Le corps des nombres réels
Nos écritures décimales infinies ne permettent pas encore de formaliser l’idée intuitive que l’on a de R.
Par exemple 0, 999999... vaut 3 ⇥ 0, 333333... Or 0, 3333... est censé correspondre à
Donc 0, 99999... et 1 doivent représenter le même nombre réel.
Pourtant 0, 9999....
1
3
et 3 ⇥
1
3
= 1.
1, 00000... mais on ne peut intercaler aucune autre écriture décimale entre les deux.
5
Définition.
1) On dit que deux écriteurs D et E sont équivalentes s’il n’existe aucune écriture décimale infinie I telle que
D I E ou E I D. On note alors D ⇠
= E.
2) On définit le corps des nombres réels R comme étant l’ensemble des écritures décimales R où l’on identifie les
écritures équivalentes.
Définition. Une écriture décimale h±dm ...d0 , d 1 ...9999...i se terminant par une infinités de neufs est dite impropre.
Dans le cas contraire l’écriture sera dite propre.
Lemme. Supposons que 0
D
E. Alors D ⇠
= E ) D est impropre et E est une écriture décimale finie.
Démonstration. Notons D = hdm ...d0 , d
Comme D
1 ...i
et E = hem ...e0 , e
1 ...i.
E, il existe un premier indice l tel que dl < el .
Supposons que D est propre : il y a une infinité de nombres après dl qui ne sont pas des 9 remplaçons les tous par
des 9 on obtient une nouvelle écriture I telle que D I E.
Supposons que E est une écriture infinie, il y a au moins une décimale après el qui n’est pas 0, on les remplace
toutes par 0 et on obtient une écriture J telle que D J E.
On a donc prouvé par la contraposée que D ⇠
= E ) D est impropre et E est une écriture décimale finie.
Remarque. Il est possible (mais délicat à cause des décimales et retenues à l’infini à droite) de munir R de sa
structure de corps usuelle étendant celle de Q.
2 Propriétés liées à la relation d’ordre
2.1 Relation d’ordre
Sur R, on dispose de la relation  qui provient directement de l’ordre sur les écritures décimales défini au chapitre
précédent. C’est une relation d’ordre, cela veut dire qu’elle est :
— Réfléxive : 8x 2 R on a x  x.
— Antisymétrique : 8(x, y) 2 R2 , (x  y) et (y  x) ) x = y.
— Transitive : 8(x, y, z) 2 R3 , (x  y) et (y  z) ) x  z
Cette relation d’ordre est totale : cela veut dire qu’on peut toujours comparer deux éléments : 8(x, y) 2 R2 , x  y
ou bien y  x.
Définition. Soit A ⇢ R une partie de R et a 2 A.
1) On dit que a est le plus grand élément de A si 8x 2 A on a x  a.
2) On dit que a est le plus petit élément de A si 8x 2 A on a x a.
Lorsqu’il existe, on note le plus grand (resp le plus petit) élément d’une partie A, max(A) (resp min(A)).
Proposition. Tout ensemble fini A de R admet un maximum et un minimum.
Démonstration. On peut comparer tous les éléments et désigner le plus grand (resp le plus petit).
Exercice. Prouver avec les axiomes de la relation d’ordre, l’unicité du minimum (resp maximum) d’une partie.
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Exemple. Les ensembles suivants :
1) ]
⇡ ⇡
2; 2[
n’a ni plus grand, ni plus petit élément.
2) [0, 1] a pour plus grand élément 1 et pour plus petit élément 0.
3) { n1 | n > 0} a pour plus grand élément 1 et n’a pas de plus petit élément.
Définition. Soit A ⇢ R une partie de R et b 2 R .
1) On dit que b est un majorant de A si 8x 2 A on a x  b.
2) On dit que a est un minorant de A si 8x 2 A on a x a.
Exemple. 12 est un majorant de [ 1, 1] et
1 en est un minorant.
Fait. La relation d’ordre fait de R un corps totalement ordonné. Cela veut dire que la relation d’ordre est compatible
dans un certain sens avec les opérations d’addition et de multiplication :
— Soient (x, y)R2 tels que x  y et soient (z, t)2 R2 tels que z  t alors :
x+z y+t
— Soient (x, y) 2 R non nuls de même signe alors :
2
xy)
— Si
— Si
1
1

y
x
2 R+ et (x, y) 2 R2 alors :
2R
xy) x y
et (x, y) 2 R2 alors :
xy) x
y
2.2 Valeur absolue et partie entière
Definition. On définit la valeur absolue d’un réel x par :
max{ x, x}
Proposition. Soient x et y deux réels et h un réel strictemnt positif, on a :
1) | x | 0
2) | x |= 0 , x = 0
3) | y x | h , x h  y  x + h
4)| xy |=| x || y |
5)L’inégalité triangulaire : | x + y || x | + | y |
Démonstration. Il suffit de considérer tous les cas de positivité et négativité de x et y.
Corollaire. Sous les mêmes hypothèses que la proposition précédente, on a le deuxième sens de l’inégalité triangulaire :
|| x |
| y ||| x
y|
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Démonstration. On écrit l’inégalité triangulaire de la manière suivante :
| x + (y
x) || x | + | y
x |qui se réarrange en :
|y|
| x || y
x|
En échangeant les rôles joués par x et y on obtient :
|x|
| y || y
x |et donc :
|| x |
| y ||| x
y|
Définition. Pour tous réels x et y, on appelle distance entre x et y la quantité | x
y |.
Fait. Toute partie non vide majorée de N admet un plus grand élément. De même toute partie non vide minorée
de N admet un plus petit élément.
Définition. Soit x 2 R, on définit la partie entière de x comme étant le plus grand des entiers inférieurs à x, on la
note bxc.
De même on définit la partie entière supérieure comme étant le plus petit des entiers supérieurs à x. On la note
dxe.
Exemple. b1, 56c = 1 mais b 2, 5c =
3, il faut faire attention avec les nombres négatifs.
3 Intervalles et droite numérique achevée
Définition. On appelle droite numérique achevée et on note R l’ensemble R [ {+1} [ { 1}.
La droite numérique achevée est totalement ordonnée et évidemme on a x 2 R ,
1 < x < +1.
Définition. Soient (a, b) 2 R
1) On définit l’intervalle fermé par [a, b] = {x 2 R | a  x  b}.
2) On définit l’intervalle ouvert par [a, b] = {x 2 R | a < x < b}.
3) On définit l’intervalle semi-ouvert à gauche par [a, b] = {x 2 R | a < x  b}.
4) On définit l’intervalle semi-ouvert à droite par [a, b] = {x 2 R | a  x < b}.
Tout sous ensemble de R d’une de ces formes est appelé un intervalle.
Proposition. Soient I et J deux intervales de R.
1) I \ J est un intervalle.
2) Si I \ J est non vide alors I [ J est un intervalle.
Démonstration. Supposons que I = (a, b) et J = (c, d) (les intervalles ainsi notés peuvent être ouverts ou fermés).
1) Si l’intersection est vide c’est un intervalle sinon on obtient l’intervalle (max(a, c), min(b, d)).
2) On obtient alors (min(a, c), max(b, d)).
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4 Bornes supérieures et inférieures
4.1 Définitions et premiers résultats
On a vu précédemment certains ensembles qui étaient minorés ou majorés mais n’avaient pas de plus petit élément
ou de plus grand élément.
Ainsi avec l’ensemble { n1 | n > 0} qui a pour plus grand élément 1, attention au fait que 0 n’est pas un plus petit
élément bien que quand n tend vers +1 alors n1 tend vers 0 or 0 ne s’écrit pas sous la forme n1 } et n’est donc pas
dans la partie considérée.
C’est pour remédier à ce manque que l’on étudie la borne supérieur et la borne inférieure d’un ensemble.
Définition. Soit A ⇢ R. On note MA l’ensemble de ses majorants et mA l’ensemble de ses minorants.
1) Si MA admet un plus petit élément, on dit que c’est la borne supérieure de A et on note min(MA ) = sup(A).
2) Si mA admet un plus grand élément, on dit que c’est la borne inférieure de A et on note max(mA ) = inf(A).
Lemme. Si A ⇢ R a un maximum a 2 A alors ce maximum est la borne supérieure de A. De même si on a un
minimum, c’est la borne inférieure.
Démonstration. Si a = max(A), c’est un majorant de A, par définition du maximum si x est un majorant de A
alors a x et donc a est le plus petit des majorants de A.
Vient maitnenant le théorème principal de ce chapitre. Par choix, j’ai choisi de ne pas en faire la preuve. A notre
niveau, la propriété de la borne supérieure se doit d’être une propriété intrinsèque de R.
Elle vient avec la construction de R. Il y a essentiellement deux constructions possibles : avec les classes d’équivalences
de suite de cauchy (les opérations algébriques viennent toutes seules mais la propriété de la borne sup est difficile à
montrer) ou avec les coupures de Dedekind (c’est l’inverse, on a la propriété de la borne sup immédiatement mais
les opérations algébriques sont dures à défnir).
Théorème. L’ensemble R a la propriété de la borne supérieure c’est à dire :
1) Toute partie A ⇢ R non vide et majorée admet une borne supérieure.
2) Toute partie B ⇢ R non vide et minorée admet une borne inférieure.
Exemple. Les ensembles suivants :
1) ]
⇡ ⇡
2; 2[
a pour borne supérieure
⇡
2
et pour borne inférieure
⇡
2.
2) [0, 1] a pour borne supérieure 1 et pour borne inférieure 0.
3) { n1 | n > 0} a pour borne supérieure 1 et pour borne inférieure 0.
4.2 Caractérisation et propriétés
Proposition. Si A ⇢ B sont des parties de R alors :
1) inf(B)  inf(A)
2) sup(B)
sup(A)
Démonstration. Pour le cas 1 :8x 2 A, x
des minorants d’où inf(B)  inf(A).
inf(B) car A ⇢ B et donc c’est un minorant, or inf(A) est le plus grand
Le cas 2 se traite exactement de la même manière.
9
Proposition. Soient A et B deux parties non vides de R alors :
1) sup(A [ B) = max(sup(A), sup(B))
2) inf(A [ B) = min(inf(A), inf(B))
Démonstration.
1) Six 2 A [ B alors x 2 A ou x 2 B. Dans les deux cas x  max(sup(A), sup(B)) qui donc est un majorant de
A [ B.
Soit M un majorant de A [ B alors M est un majorant de A et de B donc M sup(A) et m
max(sup(A), sup(B)) qui est le plus petit des majorants et donc la borne supérieure.
2) Si x 2 A [ B alors x 2 A ) x inf(A) ou x 2 B ) x
inf(A [ B) min(inf(A), inf(B)).
Comme A ⇢ A [ B alors inf(A)
inf(B). Dans les deux cas x
inf(A [ B) et de même inf(B)
sup(B) doncM
min(inf(A), inf(B)) donc
inf(A [ B) donc on a l’égalité.
Le théorème suivant est une caractérisation pratique de la borne supérieure ou inférieure. C’est celle qui nous servira
le plus souvent en analyse :
Théorème. Soit A une partie de R.
1) Si M est un majorant de A alors M = sup(A) si et seulement si 8✏ > 0 il existe x 2 A tel que :
M
✏<xM
2) 1) Si m est un minorant de A alors m = inf(A) si et seulement si 8✏ > 0 il existe x 2 A tel que :
mx<m+✏
Démonstration. On ne va prouver que le cas 1, le cas 2 se traitant exactement de la même manière.
Dire que M est le plus petit des majorants est équivalent à dire que pour tout ✏ > 0, M
et donc on peut intercaller un x de la façon suivante : M ✏ < x  M
✏ n’est pas un majorant
Fait 1. De manière équivalente, on a le critère séquentiel de la borne supérieure :
Si M est un majorant de A alors M est sa borne supérieure si et seulement si il existe une suite d’éléments de A
tendant vers M. De même pour la borne inéfrieure.
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