La discrimination vécue par les personnes ayant reçu un diagnostic

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L’Encéphale (2012) 38, 224—231
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
SANTÉ PUBLIQUE
La discrimination vécue par les personnes ayant reçu
un diagnostic de troubles schizophréniques.
Premiers résultats français de l’étude INDIGO夽
Discrimination perceived by people with a diagnosis of schizophrenic
disorders. INternational study of DIscrimination and stiGma Outcomes
(INDIGO): French results
N. Daumeriea, S. Vasseur Baclea,∗, J.-Y. Giordanab, C. Bourdais Mannonec,
A. Cariaa, J.-L. Roelandta
a
Centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé pour la recherche et la formation en santé mentale, Lille, France
(CCOMS) — EPSM Lille Metropole, 45, avenue du Maréchal-Lyautey, 59370 Mons-en-Baroeul, France
b
Pôle de psychiatrie générale 8-10, centre hospitalier Sainte-Marie, 87, avenue Joseph-Raybaud, 06009 Nice, France
c
DIIM, centre hospitalier universitaire de Nice, Cimiez, 4, avenue Reine-Victoria, 06000 Nice, France
Reçu le 2 juin 2010 ; accepté le 29 mars 2011
Disponible sur Internet le 31 août 2011
MOTS CLÉS
Troubles
schizophréniques ;
Stigmatisation ;
Discrimination ;
Autostigmatisation ;
Exclusion
夽
∗
Résumé L’objectif de l’étude INDIGO est de décrire et analyser les modèles de discrimination
touchant des personnes ayant fait l’objet d’un diagnostic de troubles schizophréniques, ainsi
que la relation entre discrimination anticipée et vécue. Il s’agit d’une étude transversale menée
sous la forme d’entretiens réalisés par des professionnels de la santé mentale. Sept cent trentedeux personnes ayant un diagnostic clinique de « troubles schizophréniques », dans 28 pays, ont
participé à l’étude en remplissant l’échelle d’évaluation de la discrimination et de la stigmatisation (Discrimination and Stigma Scale [DISC]). L’article présente les principaux résultats
internationaux et français, une discussion méthodologique et une ouverture sur les effets positifs collatéraux de cette étude novatrice. On peut citer notamment : la reconnaissance des
questions de stigmatisation et de discrimination et de leur vécu et perception par les usagers,
des questionnements soulevés par l’annonce du diagnostic, des réflexions sur la « désignation »
et « l’autodésignation », le développement d’un réseau international de recherches et d’actions
INternational study of DIscrimination and stiGma Outcomes.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (S. Vasseur Bacle).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2011.
doi:10.1016/j.encep.2011.06.007
Troubles schizophréniques: stigmatisation et discrimination vécues et perçues
225
dans ce domaine. Seulement 10 % des personnes interviewées ont vécu leur discrimination de
manière positive. À travers tous les pays, les éléments les plus récurrents pour lesquels la
discrimination a été vécue de manière négative étaient : pour se faire ou pour garder des amis ;
auprès de la famille ; pour garder un emploi ; pour trouver un emploi ; dans le cadre de relations
intimes ou sexuelles. Deux tiers des personnes interviewées, dont la majorité ont déclaré ne
pas avoir vécu de discrimination concrète, ont fait état de discrimination anticipée.
© L’Encéphale, Paris, 2011.
KEYWORDS
Schizophrenic
disorders;
Stigma;
Discrimination;
Self stigma;
Exclusion
Summary
Introduction. — The INDIGO study (INternational study of DIscrimination and stiGma Outcomes)
aims at assessing the impact of schizophrenic disorders diagnosis on privacy, social and professional life, in terms of discrimination. In the general population, and even among health and
social professionals, erroneous negative stereotypes (double personality, dangerosity) lead to
high social distance. And this has an impact on various parts of daily life: employment, housing,
compliance, self-esteem. . . About a tenth of the adult population suffers from mental disorders
at any one time. These disorders now account for about 12% of the global impact of disability,
and this will rise to 15% by the year 2020. People living with schizophrenia, for example, experience reduced social participation, whilst public images of mental illness and social reactions
add a dimension of suffering, which has been described as a ‘‘second illness’’. Stigmatizing
attitudes and discriminatory behavior among the general population against people with severe
mental illness are common in all countries. Globally, little is known of effective interventions
against stigma. It is clear that the negative effects of stigma can act as formidable barriers to
active recovery.
Methodology. — The INDIGO study intends to establish detailed international data on how stigma
and discrimination affect the lives of people with a diagnosis of schizophrenia. The first aim of
the INDIGO study is to conduct qualitative and quantitative interviews with 25 people with a
diagnosis of schizophrenia in each participating site, to elicit information on how the condition
affects their everyday lives, with a focus upon sites in Europe. The second is to gather data
for all participating countries on the laws, policies and regulations which set a clear distinction between people with a diagnosis of mental illness and others, to establish an international
profile of such discrimination. A new scale (Discrimination and Stigma Scale [DISC]), used in a
face-to-face setting was developed. Interviewers asked service users to comment on how far
their mental disorder has affected key areas of their lives, including work, marriage and partnerships, housing, leisure, and religious activities. For country-level information, staff at each
national site gathered the best available data on whether special legal, policy or administrative
arrangements are made for people with a diagnosis of mental illness. These items included,
for example, information on access to insurance, financial services, driving licenses, voting,
jury service, or travel visas. The INDIGO study is conducted within the framework of the WPA
global program to fight stigma and discrimination because of schizophrenia. French interviews
occurred in two sites (Lille and Nice) on a sample of 25 patients.
Results. — First, expressed disadvantages are high for several items (all relations, work and
training, housing). In addition, we wish to highlight three specific points: almost half of the participants (46%) suffer from not being respected because of contacts with services, 88% of them
felt rejected by people who know their diagnosis, and 76% hide/conceal their diagnosis. Positive
experienced discrimination was rare. Two thirds of participants anticipated discrimination for
job seeking and close personal relationships, sometimes with no experienced discrimination.
Conclusions. — This study, one of the rare in France adopting the point of view of a stigmatized
group, revealed the numerous impacts of a diagnosis of schizophrenic disorders on everyday
life. Comparisons between French and international results confirmed that the situation is not
different in France, and even highlighted the extent of the stigmatization in the country.
© L’Encéphale, Paris, 2011.
Introduction
On peut considérer que, pour la population générale,
une grande partie de l’information sur la psychiatrie, les
« maladies mentales » et en particulier sur les troubles
schizophréniques provient des médias et des interactions
quotidiennes. Or, plusieurs études ont montré la distorsion
de la présentation de « la schizophrénie ». Angermeyer et al.
[1,2] soulignent la forte tendance des médias à présenter
les personnes atteintes de troubles schizophréniques comme
dangereuses et imprévisibles. Ils observent également une
corrélation positive entre la consommation de médias (télévision) et l’augmentation de la distance sociale envers les
malades. Notre but n’est pas d’illustrer ici le lien entre
médias et stigmatisation, mais de prendre comme point
de départ ce constat : les troubles schizophréniques sont
226
Stigmatisation [4] : « Toute parole ou action visant à
transformer le diagnostic du trouble psychique en une
marque négative pour la personne ».
Discrimination : « Fait de traiter différemment, moins
bien ou mieux, une personne par rapport à une autre
dans une situation comparable. Restriction ou élargissement des droits d’une personne par rapport à une
autre ».
Mémorandum des Nations Unies (United Nations Publication, 1949) :
« Est discriminatoire tout comportement fondé sur la
base de catégories naturelles ou sociales, catégories
qui sont sans rapport ni avec les capacités ou mérites,
ni avec la conduite de la personne ».
N. Daumerie et al.
La discrimination qui découle de la stigmatisation des
personnes présentant des troubles schizophréniques a des
répercussions importantes sur leur vie quotidienne : emploi
[11,21], logement [8], compliance au traitement [6],
recherche d’aide adaptée [7], relations interpersonnelles
[24], problèmes d’adaptation sociale [15], perte de l’estime
de soi [18], exacerbation des symptômes [12]. De manière
générale, on observe une diminution importante de la qualité de vie [13]. On observe également une stigmatisation
des familles [9,14,16,17] et des soignants [20]. Cette discrimination peut également venir des institutions, ce que
Kelly [10] nomme la violence structurelle. De plus, les représentations stigmatisantes peuvent être intégrées par une
personne appartenant à un groupe stigmatisé [18]. C’est
dans ce contexte que s’inscrit l’étude INDIGO.
Présentation de l’étude
mal connus de la population. En effet, on y associe aisément des stéréotypes négatifs, ce qui entraîne une distance
sociale importante vis-à-vis des personnes atteintes [19,22].
On trouve des études sur la stigmatisation des personnes
présentant des troubles schizophréniques dans de nombreux
pays, sur chaque continent. Bien qu’il semble exister des
similitudes entre pays occidentaux, les « images » de « la
schizophrénie » peuvent varier selon les cultures [3]. Par
ailleurs, il n’existe pas à notre connaissance d’études en
France sur la discrimination vécue par les personnes ayant
un diagnostic de troubles schizophréniques. En effet, les
recherches sur la stigmatisation ne définissent souvent que
le lien entre un stigmate donné et une attitude déclarée, par
exemple la distance sociale envers les personnes ayant des
troubles schizophréniques. Certains facteurs socioculturels
ou extérieurs (événements liés et médiatisés) sont parfois
pris en compte pour nuancer le propos. En résumé, ces travaux montrent que l’étiquette « schizophrène » est une des
plus stigmatisante en comparaison d’autres pathologies physiques, ou même mentales.
Cadre théorique
La notion de « stigmate » a évolué au cours de l’histoire.
En Grèce antique, la marque au fer rouge ayant une signification consensuellement admise de rejet et d’évitement,
ce peut être aujourd’hui une caractéristique physique. Mais
dans le contexte des troubles psychologiques ou psychiatriques, il s’agit le plus souvent d’une « étiquette », puisque
la visibilité des troubles est très variable, entraînant un
processus de catégorisation. Cette catégorisation se traduit par une séparation entre « nous » et « eux » [18] et
une perte de statut [5] ayant pour conséquence un phénomène de discrimination. Plusieurs auteurs ont développé
des modèles du phénomène de stigmatisation qui peuvent
être une base pour des recherches ultérieures. Weiner et al.
[25] et Rudolph et al. [18] proposent un modèle où est intégrée une variable médiatrice entre cognitions et conations,
à savoir les émotions engendrées par les différents stéréotypes (sympathie, reproche, pitié/compassion, colère,
peur). Ainsi, dans ce modèle, le concept d’attribution de
responsabilité est rendu central. Soit :
« schizophrénie » → stéréotypes/attributions → émotions → distance sociale.
Cette étude coordonnée par le King’s College de Londres
(RU) s’intéresse aux personnes qui ont un diagnostic
de « troubles schizophréniques ». Un vaste échantillon
d’usagers a participé à cette étude : 29 sites dans 28 pays1 ,
soit un total de 732 individus. Les résultats internationaux
ont été publiés dans Lancet [23].
Objectifs
Cette étude internationale, réalisée courant 2006, cherche à
évaluer l’impact d’un diagnostic de trouble schizophrénique
sur la vie personnelle, sociale et professionnelle en termes
de discrimination. Dans un premier temps, trois objectifs pratiques ont été définis : développement et validation
d’une échelle opérationnelle d’évaluation de la stigmatisation et de la discrimination, recueil international de données
sur les expériences vécues de discrimination et définition
d’un profil international des discriminations positives et
négatives. Dans un second temps, la finalité de ce travail
sera de recueillir, pour chaque pays participant, des données concernant les lois, politiques et réglementations qui
posent une distinction nette entre les individus selon qu’ils
aient reçu ou non un diagnostic de maladie mentale.
La DISC 10 (Discrimination and Stigma Scale 10e
version - 24/05/2005)
Cette échelle, conçue et validée par l’institut de psychiatrie du King’s College (Londres, RU), a été traduite et
adaptée dans tous les pays participants à l’étude. La traduction en français de la DISC 10 et son ajustement au
contexte français a posé quelques difficultés et fait émerger d’intéressantes réflexions. Hormis les adaptations pour
correspondre aux réalités juridiques et sociales françaises
(ex : allocation adulte handicapé), l’équipe Indigo France a
choisi de parler de « diagnostic de troubles psychiques » et
1 Autriche, Belgique, Brésil, Bulgarie, Canada, Chypre, Angleterre, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Hongrie, Inde, Italie,
Lituanie, Malaisie, Pays-Bas, Norvège, Pologne, Portugal, Roumanie,
Slovaquie, Slovénie, Espagne, Suisse, Tadjikistan, Turquie, ÉtatsUnis.
Troubles schizophréniques: stigmatisation et discrimination vécues et perçues
Tableau 1
Caractéristiques générales de la population.
Hommes/femmes (%)
Âge moyen
Durée moyenne des
études (ans)
Rémunération (travail,
formation)
Niveau de revenu moyen
(en euros)
AAH ou pension
d’invalidité
France
(n = 25)
International
(n = 732)
72/28
36
11,4
38/62
39
12,6
Non à 96 %
Non à 70 %
750
NR
84 %
NR
Tableau 2
227
Parcours dans les services de santé mentale.
Nombre d’années depuis le 1er
contact
Déjà hospitalisé (%)
HDT ou HO (%)
Prise en charge ambulatoire (%)
Actuellement hospitalisé (%)
Appartement associatif (%)
HDJ (%)
France
(n = 25)
International
(n = 732)
12,5
14
98
72
80
0
16
4
NR
55
53
22
NR
NR
HO : hospitalisation d’office; HDT : hospitalisation à la demande
d’un tiers ; HDJ : hôpital de jour ; NR : non renseigné.
AAH : allocation adulte handicapé ; NR : non renseigné.
non de « diagnostic de schizophrénie ». Cette décision était
capitale au bon déroulement des entretiens. En effet, en
France, l’annonce du diagnostic à l’usager n’est pas systématique et l’accord de l’usager avec ce même diagnostic
n’est pas automatique. Après double traduction et rétrotraduction de l’échelle DISC 10 par des chercheurs membres
du centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la
santé pour la recherche et la formation en santé mentale
(CCOMS, Lille, France), les questionnaires ont été proposés aux usagers de deux services de santé mentale : le
service psychiatrique du centre hospitalier Sainte-Marie de
Nice et le service de santé mentale de la banlieue Est de
Lille (établissement public de santé mentale Lille Metropole). Les 25 entretiens ont été réalisés par une équipe
de huit enquêteurs répartis dans les deux sites, formés à
la passation de la DISC 10 par les coordinateurs. Un support vidéo et des jeux de rôles ont permis une formation
approfondie, nécessaire à la bonne maîtrise de l’outil afin
d’éviter de nombreux obstacles (compréhension des questions, recadrage sur l’objet même du questionnaire : le
diagnostic et non les troubles psychiques et leurs conséquences, gestion des réponses pièges : non applicable/pas
de différence). Le participant est informé des objectifs :
« cette étude a pour but d’évaluer à quel point la stigmatisation et la discrimination affectent des personnes
présentant des problèmes de santé mentale diagnostiqués.
Nous voulons mieux comprendre les conséquences du diagnostic sur votre vie quotidienne. En d’autres termes, ce
qui nous intéresse c’est l’expérience que vous pouvez avoir
de comportements injustes, désapprobateurs ou rejetants
à votre égard, du fait du diagnostic de vos problèmes de
santé mentale. Plus précisément, nous souhaitons mieux
comprendre si la stigmatisation ou la discrimination a transformé votre vie de tous les jours, par exemple concernant
votre vie familiale, professionnelle ou dans vos activités de
loisirs ». Son consentement écrit est recueilli avant passation. L’échelle DISC 10 a été conçue pour obtenir une image
aussi précise que possible des différentes discriminations
potentiellement subies/rencontrées/anticipées par la personne. Elle cible précisément l’effet d’un diagnostic de
trouble psychique ; dans cette étude l’échantillon est composé de personnes ayant fait l’objet d’un diagnostic, par
un médecin psychiatre, de « trouble schizophrénique ». À
travers 36 items, plusieurs domaines sont abordés2 , sous la
forme : « Pour vous faire des amis ou les garder, avez-vous
été traité(e) différemment des autres à cause du diagnostic de vos problèmes de santé mentale ? ». Si la question est
applicable, les réponses de l’enquêté se font en deux temps.
On demande d’abord au participant une illustration de sa
réponse par un exemple concret. Cela permet, d’une part,
de vérifier la compréhension de la question et l’adéquation
de la réponse, et, d’autre part, de fournir le matériel pour
une analyse qualitative ultérieure. Sur 32 items, le participant estime si la discrimination est positive ou négative à
l’aide d’une échelle de Likert en sept points. Les quatre
items restant évaluent la discrimination anticipée et son
intensité (pas du tout, un peu, beaucoup). Tous les entretiens ont été enregistrés via dictaphone pour permettre leur
retranscription intégrale, l’analyse qualitative ainsi que la
vérification des cotations à posteriori. Les enregistrements
répondent à l’exigence d’anonymat. Chaque questionnaire
a été relu par les coordinateurs. Le CCOMS (Lille, France) a
assuré la saisie et l’exploitation des données recueillies.
Principaux résultats du site français et
résultats internationaux
Caractéristiques générales de la population
L’échantillon français est composé principalement
d’hommes, contrairement à l’échantillon international, alors que l’âge moyen et la durée moyenne des études
sont similaires. Un fait marquant, la quasi-totalité des
usagers français (96 %) ne perçoivent pas de rémunération
liée à un emploi, contre 70 % au niveau international
(Tableau 1).
Parcours dans les services de santé mentale
La durée moyenne depuis le premier contact avec les services de santé mentale est similaire en France et au niveau
international, avec un taux d’hospitalisation de 98 % en
France, et un taux d’hospitalisation d’office/hospitalisation
2 Relations personnelles, logement, formation, vie familiale, vie
professionnelle, citoyenneté, santé...
228
N. Daumerie et al.
Un peu
Beaucoup
50%
Evité, rejeté
24%
Nécessité de cacher le diagnostic
Travail, études, formation
52%
17%
50%
39%
Amis hors services de santé mentale
Relation intime ou recherche d'un(e) partenaire
Congés et vacances
39%
27%
23%
16%
32%
21%
Sentiment d'irrespect, d'humiliation, d'injustice
Refus des avantages sociaux
0%
12%
25%
7%
10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%
Types de discrimination vécue et anticipée du fait d’un diagnostic de schizophrénie (site France).
à la demande d’un tiers (HO/HDT) supérieur en France.
Cependant, le taux de suivi en ambulatoire reste très supérieur au niveau français (Tableau 2).
certains domaines ou certaines situations soient plus fortement touchés. Nous pouvons décrire un gradient allant de
« désavantage » vers « aucune différence » :
Accords et désaccords avec le(s) diagnostic(s)
Le diagnostic est déclaré connu par 92 % des usagers
français et par 83 % des participants au niveau international. Parmi ces diagnostics déclarés, on retrouve le
terme « schizophrénie » dans 48 % des cas, les termes utilisés étant sinon très divers, avec quasiment un usager
pour un diagnostic : psychose (chronique, infantile...), TOC,
troubles schizo-affectifs, bouffée délirante, dépression atypique avec éléments psychotiques, paraphrénie. . . L’accord
avec le diagnostic donné par le médecin est inférieur en
France (65 % vs 72 %). Le pourcentage de désaccord y est
supérieur (26 % vs 18 %), et celui de la réponse « ne sait pas »
est similaire (9 % vs 10 %).
Discrimination perçue, discrimination vécue
La stigmatisation et la discrimination perçues sont plus
fortes pour certains items de la DISC 10, ce qui suggère que
Tableau 3
20%
13%
Arrêt d'une autre activité
Figure 1
38%
Loisirs > scolarité > logement > santé > droits civiques.
(Désavantage) »»»»»»»»»»»»»»»»»» (Aucune différence).
Les avantages perçus concernent majoritairement les
items concernant l’accès à la Sécurité sociale et aux remboursements des frais médicaux. La Fig. 1 décrit l’étendue
des domaines affectés par la discrimination vécue par les
patients, vérifiée par les exemples précis demandés aux
participants.
Bien que les résultats soient significatifs pour de nombreux items, il nous semble important de souligner trois
résultats. Tout d’abord, quasiment la moitié (46 %, dont
25 % « beaucoup ») des interviewés ressentent « un sentiment de non-respect, d’humiliation et/ou d’injustice à
cause de (leurs) contacts avec des équipes de santé mentale ». Deux problématiques sont ici soulevées : d’une part,
les usagers peuvent être stigmatisés par la population
Principales discriminations exprimées vécues et anticipées.
France (n = 25)
International (n = 732)
Discrimination vécue
Se faire des amis et les garder
Relations avec les voisins
Relations intimes
Relations avec la famille
Trouver un travail
Garder un travail
D (%)
80
64
63
72
67
61
D (%)
47
29
27
43
29
29
Discrimination anticipée
Sentiment d’être rejeté/évité (%)
Besoin de cacher le diagnostic (%)
Relation intime ou recherche d’un(e) partenaire (%)
Un peu
50
24
13
D (%) : taux global de désavantage (désavantage important + modéré + léger).
Beaucoup
38
52
39
Un peu
36
32
23
Beaucoup
20
40
32
Troubles schizophréniques: stigmatisation et discrimination vécues et perçues
Figure 2
229
Score moyen par pays pour la discrimination anticipée (score possible : 0—4) [23].
générale parce qu’ils sont en contact avec les équipes de
santé mentale, et, d’autre part, ils peuvent être stigmatisés
par ces mêmes équipes. On retrouve en effet des illustrations de ces deux cas dans les données recueillies. Ensuite,
le vécu d’évitement, d’exclusion par les personnes connaissant le diagnostic (« ceux qui savent ») est extrêmement
important (88 % ; 38 % le ressentent « beaucoup »). Enfin,
en lien avec ce sentiment d’exclusion, trois interviewés
sur quatre (76 % ; 52 % pour qui il s’agit d’une nécessité
« importante ») ressentent le besoin de cacher leur diagnostic, parfois même à leur entourage proche. La comparaison
des résultats français aux résultats internationaux est également intéressante (Tableau 3).
Premier constat, la France n’est pas meilleure élève
que les autres pays. Au contraire, bien que les résultats
doivent être analysés avec prudence en raison des réserves
méthodologiques exposées dans l’article, nombre d’items
témoignent d’un désavantage exprimé et de difficultés supérieures à la moyenne internationale. Cela semble moins vrai
en ce qui concerne la discrimination anticipée, la France se
situant sous la moyenne internationale. Cela pose la question du rapport et de la coexistence entre discrimination
vécue et anticipée (Fig. 2).
Effets latéraux et dynamiques positives
Au-delà des informations sur la discrimination, vécue ou
anticipée, la passation de l’échelle DISC 10 a permis un
dialogue intéressant avec les usagers. Le questionnaire a fréquemment favorisé une ouverture singulière sur l’intimité,
le ressenti et la vie quotidienne des personnes interrogées,
qui témoignent d’un sentiment de reconnaissance de leurs
difficultés, de leurs efforts qui leur permet de requalifier
leurs affects. Les réponses ont aussi donné un éclairage
particulier en ce qui concerne la confiance dans l’équipe
soignante et le programme de soins. L’étude semble avoir
parfois contribué au renforcement de l’alliance thérapeutique. Ainsi ce jeune, hospitalisé sur l’insistance de ses
proches et peu motivé par le programme thérapeutique en
début de séjour, se montre subitement intéressé pour faire
part de son vécu en ce qui concerne ses relations familiales,
amicales et sociales au travers du questionnaire de la DISC
10. Il conserve de façon permanente, sur lui, le document
attestant de son « consentement éclairé » à l’étude et à partir de ce moment, collabore totalement aux soins et accepte
volontiers une proposition de prise en charge en hôpital
de jour qu’il fréquente toujours assidûment actuellement.
Enfin, l’étude INDIGO, en soulevant d’emblée la question de
la connaissance du diagnostic posé et de l’accord du patient
avec celui-ci, a été propice à un échange loyal sur les difficultés rencontrées, l’adhésion aux soins et la pertinence du
projet thérapeutique.
Limites et réserves méthodologiques
Au vu des premiers résultats de cette phase exploratoire, une analyse statistique plus approfondie permettra
d’exploiter toute la richesse des données. En outre, la taille
réduite de l’échantillon ne permet pas d’affiner les interprétations. L’intégration d’un groupe témoin et/ou la diversification des diagnostics considérés, permettrait d’augmenter
la validité des conclusions. Au niveau de l’échantillonnage,
la stabilité des troubles est requise pour l’inclusion dans
l’étude et les usagers sont « recrutés » dans les services réalisant l’enquête. Cela implique que l’échantillon n’est pas
représentatif de l’ensemble de la population considérée et
que les réponses peuvent être biaisées, de manière positive comme négative, par la relation à l’équipe de soin. Il
existe une confusion possible entre l’impact du diagnostic
et l’impact des symptômes, d’où la nécessité d’une formation pointue des enquêteurs et de rigueur dans la cotation
des items applicables ou non. Enfin, quatre points limitent
la généralisation des résultats et les conclusions au niveau
international : l’hétérogénéité entre pays, des échantillons
nationaux non représentatifs, la pertinence variable de
230
certains items selon les pays et les significations changeantes de certains termes après traduction.
Conclusions
L’étude INDIGO est la première étude de ce type au niveau
international et français. Une voix est donnée aux personnes stigmatisées et les résultats recueillis par ce biais
sont marquants. L’article de Thornicroft et al. [23] portant sur les comparaisons internationales est à ce titre
instructif. Outre des épisodes de discrimination fréquemment vécus dans les domaines du travail, de la famille
ou dans l’ensemble des relations sociales, cette recherche
a également mis en évidence l’impact d’une discrimination anticipée tout aussi handicapante, notamment en
termes de pertes d’opportunité au niveau de l’emploi,
de l’accès au soin et des interactions sociales. Plusieurs
aspects positifs sont à noter dans le travail avec les usagers, tels que la reconnaissance des problématiques de
stigmatisation et de discrimination et d’un vécu souvent
non exprimé, ainsi que l’émergence d’un débat sur les
droits des usagers. L’étude a révélé la nécessité d’une
réflexion autour de la « désignation »/« auto désignation » de
l’annonce et de l’accord ou du désaccord avec le diagnostic
de troubles schizophréniques. Le taux d’accord avec le diagnostic relativement faible est donc certainement à prendre
en considération, et ce dans plusieurs domaines où la question mérite d’être approfondie (intégration sociale, accès
et adhésion aux soins - continuité des soins, autres effets
de la dissimulation du diagnostic, information à la personne
et à son entourage, droits et avantages sociaux). En tant
que vecteurs de stigmatisation, il est nécessaire que les professionnels analysent leur discours, les mots qu’ils utilisent
et leurs impacts, notamment avec les usagers, mais aussi
à l’intérieur des équipes de soins ou lors d’échanges avec
le grand public. La collaboration autour de cette étude de
plusieurs centres de recherche dans le monde a permis la
mise en place d’un réseau international autour des problématiques de stigmatisation/discrimination en santé mentale
ainsi que le développement de nouveaux partenariats. Enfin,
l’étude INDIGO a favorisé l’émergence de réflexions sur les
pratiques et les aspects législatifs de la stigmatisation en
santé mentale dans les services concernés.
Coordination internationale : G. Thornicroft (département de recherche en santé, institut de psychiatrie,
King’s College de Londres). Superviseur et directeur
scientifique : N. Sartorius. Supervision française : Dr J.L. Roelandt (directeur du CCOMS pour la recherche et la
formation en santé mentale - Lille) et Dr J.-Y. Giordana
(chef de service du centre hospitalier Sainte-Marie de
Nice). Coordination : N. Daumerie (chargé de mission
CCOMS - Lille), S. Vasseur Bacle (chargé de mission
CCOMS Lille) et M. Boggero (DIM, CHU Nice). Financement : autofinancement, ressources propres de chaque
centre de recherche en termes de moyens financiers
comme de personnel. Enquêteurs : S. Vasseur Bacle,
N. Daumerie, J.-Y. Giordana, M. Gaudin, S. Grosellier,
V. Pesquet, S. Moulierac, N. Pantaleon, A. Jouffret,
N. Midol, D. Onipoh, P. Carbonnel, A. Lagodka.
N. Daumerie et al.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
Références
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desire for social distance towards people with schizophrenia.
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the mentally ill. Soc Sci Med 1996;43(12):1721—8.
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