Médecin, philosophe, pionnier du pragmatisme, ce fonda-
teur de la psychologie américaine s’est intéressé à la mémoire
comme aux émotions, à la psychophysiologie comme au para-
normal, à la conscience ordinaire comme aux faits religieux.
William James (1842-1910)
La psychologie
en Amérique
sens moral ? Si l’homme est déterminé
par d’implacables lois biologiques,
alors la morale n’est qu’une illusion.
Inversement, si l’on est capable de
volonté, de choix, alors le déterminisme
est faux. Et la science qui s’en réclame
avec. Voilà son défi : construire une
science du psychisme qui se démarque
autant du déterminisme que de l’illu-
sion spiritualiste d’une âme libre et
désincarnée.
Au-delà de la démarche
expérimentale
W. James est souvent présenté comme le
fondateur de la psychologie en Amérique.
« La première conférence de psychologie
à laquelle j’ai assisté, c’est moi qui l’ai
donnée. » Ce témoignage résume bien
la situation de la psychologie américaine
à l’époque où il commence sa carrière.
Nous sommes en 1872. À 30 ans, il donne
ses premiers cours de psychologie à Har-
vard, dans le cadre d’un enseignement de
physiologie. Trois ans plus tard, il crée le
premier laboratoire dans le sous-sol de
l’université de Cambridge.
Durant les vingt années qui suivent,
W. James va poursuivre ses travaux de
psychologie. C’est à cette époque qu’il
établit la distinction entre mémoire à
court terme et mémoire à long terme. Il
propose également sa fameuse théorie
des émotions, selon laquelle ce sont les
états du corps (tremblement, sueur) qui
déclenchent les émotions (la peur), et
non l’inverse. « C’est sourire qui rend
heureux ! », écrit-il. En 1890, il publie
les Principes de psychologie, manuel
qui restera longtemps une référence (et
dans lequel on trouve des chapitres sur
l’imagination, la volonté, la conscience,
est en proie à une sévère
dépression lorsque, tout à coup, en
avril 1870 – il a alors 28 ans –, une illu-
mination éclaircit sa sombre existence.
En lisant les Essais de critique générale
(1851-1864) de Charles Renouvier, phi-
losophe français fort connu à l’époque, il
découvre une théorie du libre arbitre qui
l’aide à sortir de sa torpeur.
Voilà plus de dix ans déjà que le jeune
homme erre à la recherche d’une voca-
tion. Il a d’abord choisi la peinture avant
de s’orienter vers les sciences : chimie
puis médecine. À 26 ans, encore incer-
tain de son avenir, il est victime d’une
dépression où les angoisses personnel-
les se mêlent à d’insolubles problèmes
philosophiques.
Finalement, la lecture de C. Renouvier le
libère. Il ne sert à rien de ruminer sur sa
nature propre, sur la façon dont servir le
mieux l’humanité. Il se révèle tout aussi
inutile de chercher « sa voie » comme si
elle était écrite quelque part. L’avenir ne
se trouve pas dans la recherche d’une
quelconque destinée préalable, mais
dans une libre décision, un choix libre
et volontaire : une prise de possession
de sa propre vie, qui résulte d’une sorte
d’acte d’autofondation. Dans son Jour-
nal, à la date du 30 avril 1870, il note :
« Mon premier acte de libre arbitre sera
de croire dans le libre arbitre. »
C’est aussi une façon de sortir d’un
dilemme philosophique et moral qui
le hante. Il a assisté en Allemagne à
la naissance de la psychologie, forte-
ment teintée de physiologie. La vision
de l’homme réduit à un déterminisme
biologique l’attire et l’inquiète à la
fois. Comment la concilier avec l’autre
conception de la nature humaine, celle
qui accorde la liberté, la conscience, le
la grande histoire de la psychologie
Septembre-octobre2008 (N°7)
le moi). Il suffit de consulter le som-
maire pour constater que la psychologie
d’alors dépasse largement le cadre
du laboratoire. W. James évoque des
expériences personnelles, des obser-
vations communes, l’introspection, les
spéculations philosophiques, loin d’une
vision réduite à l’expérimentation et la
mesure. Quand il évoque notamment
le « flot de conscience », l’ensemble des
images furtives qui défilent dans la tête,
il sait que la démarche expérimentale ne
suffit pas à l’appréhender.
Les années suivantes, W. James va
d’abord les consacrer à défendre une
nouvelle philosophie, le pragmatisme,
dont il est le fondateur avec Char-
les S. Peirce et John Dewey (encadré
ci-contre).
La fondation de
la psychologie des religions
Ses préoccupations le portent ensuite
à étudier les expériences religieuses.
Les Variétés de l’expérience religieuse
(1907) fonde ainsi la psychologie des
religions. W. James y défend l’idée que
les croyances religieuses ne reposent