26 Sciences Humaines Septembre-octobre 2008 Hors-série spécial (N° 7) la grande histoire de la psychologie William James (1842-1910) La psychologie en Amérique Médecin, philosophe, pionnier du pragmatisme, ce fondateur de la psychologie américaine s’est intéressé à la mémoire comme aux émotions, à la psychophysiologie comme au paranormal, à la conscience ordinaire comme aux faits religieux. William James est en proie à une sévère dépression lorsque, tout à coup, en avril 1870 – il a alors 28 ans –, une illumination éclaircit sa sombre existence. En lisant les Essais de critique générale (1851-1864) de Charles Renouvier, philosophe français fort connu à l’époque, il découvre une théorie du libre arbitre qui l’aide à sortir de sa torpeur. Voilà plus de dix ans déjà que le jeune homme erre à la recherche d’une vocation. Il a d’abord choisi la peinture avant de s’orienter vers les sciences : chimie puis médecine. À 26 ans, encore incertain de son avenir, il est victime d’une dépression où les angoisses personnelles se mêlent à d’insolubles problèmes philosophiques. Finalement, la lecture de C. Renouvier le libère. Il ne sert à rien de ruminer sur sa nature propre, sur la façon dont servir le mieux l’humanité. Il se révèle tout aussi inutile de chercher « sa voie » comme si elle était écrite quelque part. L’avenir ne se trouve pas dans la recherche d’une quelconque destinée préalable, mais dans une libre décision, un choix libre et volontaire : une prise de possession de sa propre vie, qui résulte d’une sorte d’acte d’autofondation. Dans son Journal, à la date du 30 avril 1870, il note : « Mon premier acte de libre arbitre sera de croire dans le libre arbitre. » C’est aussi une façon de sortir d’un dilemme philosophique et moral qui le hante. Il a assisté en Allemagne à la naissance de la psychologie, fortement teintée de physiologie. La vision de l’homme réduit à un déterminisme biologique l’attire et l’inquiète à la fois. Comment la concilier avec l’autre conception de la nature humaine, celle qui accorde la liberté, la conscience, le sens moral ? Si l’homme est déterminé par d’implacables lois biologiques, alors la morale n’est qu’une illusion. Inversement, si l’on est capable de volonté, de choix, alors le déterminisme est faux. Et la science qui s’en réclame avec. Voilà son défi : construire une science du psychisme qui se démarque autant du déterminisme que de l’illusion spiritualiste d’une âme libre et désincarnée. Au-delà de la démarche expérimentale W. James est souvent présenté comme le fondateur de la psychologie en Amérique. « La première conférence de psychologie à laquelle j’ai assisté, c’est moi qui l’ai donnée. » Ce témoignage résume bien la situation de la psychologie américaine à l’époque où il commence sa carrière. Nous sommes en 1872. À 30 ans, il donne ses premiers cours de psychologie à Harvard, dans le cadre d’un enseignement de physiologie. Trois ans plus tard, il crée le premier laboratoire dans le sous-sol de l’université de Cambridge. Durant les vingt années qui suivent, W. James va poursuivre ses travaux de psychologie. C’est à cette époque qu’il établit la distinction entre mémoire à court terme et mémoire à long terme. Il propose également sa fameuse théorie des émotions, selon laquelle ce sont les états du corps (tremblement, sueur) qui déclenchent les émotions (la peur), et non l’inverse. « C’est sourire qui rend heureux ! », écrit-il. En 1890, il publie les Principes de psychologie, manuel qui restera longtemps une référence (et dans lequel on trouve des chapitres sur l’imagination, la volonté, la conscience, le moi). Il suffit de consulter le sommaire pour constater que la psychologie d’alors dépasse largement le cadre du laboratoire. W. James évoque des expériences personnelles, des observations communes, l’introspection, les spéculations philosophiques, loin d’une vision réduite à l’expérimentation et la mesure. Quand il évoque notamment le « flot de conscience », l’ensemble des images furtives qui défilent dans la tête, il sait que la démarche expérimentale ne suffit pas à l’appréhender. Les années suivantes, W. James va d’abord les consacrer à défendre une nouvelle philosophie, le pragmatisme, dont il est le fondateur avec Charles S. Peirce et John Dewey (encadré ci-contre). La fondation de la psychologie des religions Ses préoccupations le portent ensuite à étudier les expériences religieuses. Les Variétés de l’expérience religieuse (1907) fonde ainsi la psychologie des religions. W. James y défend l’idée que les croyances religieuses ne reposent Ces années-là… DR Bridgeman Art Library Émile Bernard (1868-1941), Madeleine au bois d’Amour, 1888, huile sur toile, musée d’Orsay, Paris. Le bigot, le mystique, le converti… ne vivent pas leur foi de la même façon. pas sur le dogme, mais sur une variété d’expériences personnelles : le bigot, le mystique, le converti… ne vivent pas la foi de la même façon. Pour certains, la ferveur religieuse apporte un réconfort moral. Pour d’autres, elle donne sens à leur vie. D’autres encore y trouvent, à travers la vie des saints, des modèles de conduite. Pour certains enfin, la religion constitue une thérapie et une source de bien-être. Les croyances religieuses ne sont pas vraies ou fausses : elles sont efficaces. Dans La Volonté de croire (1897), W. James reprend sa théorie de la volonté. L’être humain est certes un animal mû par des instincts et pulsions, mais il possède aussi cette capacité d’affirmation de soi en se soumettant à des idéaux qu’il a lui-même créés. La religion fait partie de ces idées qui prennent consistance par une sorte de prophétie autoréalisatrice. Sur la fin de sa vie, W. James s’engage dans l’étude d’un sujet qui le fascine, comme bien d’autres auteurs à l’époque : le spiritisme et les phénomènes paranormaux. Un épisode important de la psychologie, sur laquelle les historiens sont restés longtemps silencieux… n Jean-François Dortier Houghton Library, Harvard University Le pragmatisme : de l’utilité des idées William James et sa fille Margaret, 1892. « Les idées ne sont pas vraies ou fausses. Elles sont ou non utiles » : telle est la thèse centrale que défend William James dans une brochure de 1907, titrée tout simplement Le Pragmatisme, et qui fera grand bruit. Dans ce texte, W. James présente une vision très darwinienne de la connaissance. Nos idées sont des outils mentaux créés par le cerveau dans le but de résoudre des problèmes. Tant qu’elles sont adaptées, c’est-àdire adéquates à un usage donné, on les conserve, et on les croit vraies. Si, dans un nouvel environnement, elles deviennent inadaptées, alors on les déclare fausses. Toutes nos idées ne sont ainsi que des croyances plus ou moins fonctionnelles, et relatives à l’efficacité de l’action. Il faut donc récuser l’idée d’une vérité pure et absolue. n j.‑f.d. William James. Fonctionnalisme et structuralisme William James est le fondateur du fonctionnalisme, qui considère l’adaptation aux diverses sollicitations de l’environnement comme la clef du comportement de tout organisme. Loin de ces visées pragmatiques, Edward Bradford Titchener (1867-1927), ancien élève de Wilhelm Wundt, défend quant à lui une approche expérimentale de la psychologie, en étudiant la perception et la conscience sous un angle physiologique. Selon cette approche dite structuraliste, les sensations et les pensées constituent la structure de l’esprit. n bibliographie • Précis de psychologie William James, 1890, rééd. Les Empêcheurs de penser en rond, 2003. • La Volonté de croire William James, 1897, rééd. Les Empêcheurs de penser en rond, 2005. • Les Formes multiples de l’expérience religieuse. Essai de psychologie descriptive William James, 1902, rééd. Exergue, 2001. • Le Pragmatisme William James, 1907, rééd. Flammarion, coll. « Champs », 2007. • William James. Empirisme et pragmatisme David Lapoujade, 1997, rééd. Les Empêcheurs de penser en rond, 2007. • Fictions du pragmatisme. William et Henry James David Lapoujade, Minuit, 2008. • William James.Psychologie et cogition Claude Debru, Christiane Chauviré et Mathias Girel (dir.), Petra, 2008. • William James. Philosophie, psychologie, religion Ramon Rubio, L’Harmattan, 2008.