La consultation d’annonce Nom de l’auteur : Dr Annie Peytier, Gastroentérologue et oncologue digestif, UCP, Centre Hospitalier de Bayeux. Le premier plan cancer a donné une définition, un cadre, des limites bien définies à ce moment particulier dans la relation médecin patient mais surtout une reconnaissance de ce que vit le patient à ce moment-là. La consultation d'annonce fait partie du travail du cancérologue. Il sait gérer cette consultation. C'est un élément de la routine des consultations en cancérologie. Pour ma part, je prépare les consultations d'annonce en connaissant les dossiers correctement. J'essaie de ne pas découvrir les éléments de la pathologie du patient en même temps que lui. J'essaie d'apporter une information précise sur la maladie et sur les traitements qui ont été proposés à la RCP. Mais avant tout, j'essaie d'écouter le patient, ce qu'il connaît de sa maladie et ce qu'il veut entendre. Il faut se mettre au niveau de sa compréhension, employer les mots qu'il peut comprendre. Il faut être prêt à gérer les réactions à l'annonce, en sachant que s'il y a un ou plusieurs accompagnants, les réactions peuvent être très différentes chez le patient et son ou ses accompagnants. Les mots doivent être pesés, choisis. Les réponses aux différentes questions sur le pronostic doivent être anticipées. Il y a lors de ces consultations une juste proportion à trouver entre l'empathie et la distance clinique. Lorsqu'un patient arrive à la consultation d'un cancérologue, il est rare qu'il ne soit pas du tout informé sur sa pathologie. Le moment de l'annonce réelle, le moment où tout bascule, se fait rarement lors de la fameuse consultation d'annonce au cours de laquelle chacun est prêt : le cancérologue dans son mode de présentation et le patient dans son mode de compréhension. En revanche dans la vraie vie, le jour de la découverte du cancer, personne n'est préparé. Lorsqu'un patient va chez un gastroentérologue pour des hémorroïdes, il a un peu attendu pour consulter, espérant échapper à ce moment pénible mais les symptômes s'aggravant, il consulte enfin. Le toucher rectal suffit à percevoir le problème: masse rectale ou anale à l'origine des saignements. Le patient a prévu un traitement simple, une pommade. Le gastroentérologue a prévu une consultation de proctologie de dix minutes. En un toucher rectal, tout bascule. Le spécialiste se fige et met en place la stratégie de l'exploration de la masse. Le malade détecte un changement dans l'attitude du médecin. Ce moment est essentiel: le médecin doit faire comprendre que la situation nécessite des examens complémentaires et doit accompagner la compréhension du patient, en suggérant la gravité de la situation, sans pour autant avoir des explications claires et précises qui ne viendront qu'après le bilan avec le résultat histologique. Dans la vraie vie, le patient ayant un scanner pour un bilan de toux et chez lequel l'examen découvre une masse médiastinale très suspecte, n'est pas du tout préparé à recevoir un diagnostic. Quelle information doit donner le radiologue? Un vendredi après-midi, au milieu d'une longue liste de patients, combien de temps va-t-il pouvoir consacrer à l'annonce? L'annonce suffit-elle? Va-t-il Newsletter n°2 OncoBasseNormandie laisser repartir la personne sans rendez-vous, sans projet? Certains radiologues vont prévenir le médecin traitant qui va recevoir rapidement le patient, avec un projet de prise en charge rapide si un parcours patient a été défini auparavant sur le territoire. Que dire de la femme qui fait sa mammographie de dépistage et qui constate l'embarras du radiologue lui expliquant la présence d'anomalies? Le radiologue pourra-t-il consacrer le temps nécessaire à la compréhension de cette femme dont la vie bascule? Comment gérer l’annonce, dans un service d’urgence, de lésions cérébrales découvertes lors du bilan d’un malaise chez une patientes traitée il y a plusieurs mois pour un cancer du sein ? Il y a l'annonce de la maladie mais également dans le cadre de la prise en charge en cancérologie, l'annonce de la récidive alors que la personne est en surveillance, l'annonce de l'aggravation malgré le traitement, l'annonce de la progression malgré tous les traitements reçus avec l'annonce de la prise en charge en soins palliatifs. Ces temps d'annonce sont très particuliers, le lien entre patient et cancérologue est bien établi, l'information est difficile à délivrer et encore plus à recevoir. Je ne parlerai pas du sentiment d'échec du cancérologue, mais plutôt du caractère inéluctable de la progression du cancer qui rend la prise en charge de cette pathologie très particulière. Il faut gérer l'information et les émotions, les échanges avec la famille, la sidération parfois qu'entraîne la compréhension de la gravité. Chaque temps d'information d'une évolution péjorative nécessite une disponibilité du praticien qui doit s'adapter à la situation. Et, malgré son expérience, malgré sa connaissance des dossiers, une journée surchargée, des éléments manquants qu'il découvre durant la consultation, ou après le départ du patient, un cancérologue peut être mis en difficulté et se retrouver régulièrement déséquilibré, et perdre peu à peu ses marques. Le burn-out existe en cancérologie. Il doit être anticipé par un travail d'équipe, par le respect des étapes nécessaires à la prise en charge en cancérologie. Il est nécessaire de prendre le temps d'analyser ce que l'on a mal vécu pendant une consultation: l'agressivité du patient, de sa famille, la remise en cause de nos propositions, la relation pathologique du couple dont on suit le mari... et toutes les situations que l'on vit mal, la consultation que l'on voit arriver comme une punition, de laquelle on sort vidé. J'ai la grande chance d'avoir pu faire un stage de théâtre organisé par le Pr Marc Ychou à Montpellier, qu'il a mis en place avec le metteur en scène Serge Ouatkine. Travailler avec son corps, lâcher prise et analyser ses forces et ses faiblesses, la réaction aux émotions, mais également travailler sa voix, sa respiration. Cela apporte beaucoup, notamment pour la gestion des situations particulièrement difficiles. Ces stages sont riches d’enseignement pour tout cancérologue, quel que soit son ancienneté dans sa pratique. Bien sûr, introduire cette démarche tôt est un plus pour les étudiants. Depuis peu, ce type de formation fait partie des études médicales à la faculté de médecine de Montpellier, ce qui est certainement un exemple à suivre. Il n'y a pas de recette pour bien faire une annonce, en revanche, il est nécessaire d'être en accord avec soi-même, avec la prise en charge. Il est nécessaire d'être sincère, de vivre l'échange avec sérénité et lucidité, en acceptant la relation et en jouant le jeu de l'écoute et de la disponibilité. Newsletter n°2 OncoBasseNormandie