65. Bases neurophysiologiques et évaluation d'une douleur aiguë et d'une douleur chronique. Objectif ECN · Reconnaître et évaluer une douleur aiguë et une douleur chronique. 1. Définition et classification 1.1. Définition 1.2. Classification 2. Bases neurophysiologiques 2.1. Douleur par excès de nociception 2.2. Douleurs neuropathiques 3. Evaluation de la douleur Points essentiels Définition OMS : "la douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable en réponse à une atteinte tissulaire réelle ou potentielle ou décrite en ces termes". Des mécanismes centraux et périphériques complexes sont à l’origine de deux grands types de douleur : nociceptive et neuropathique. Leur modulation s'effectue à différents niveaux. Une évaluation qualitative et quantitative adaptée permet d'optimiser la prise en charge (EVA +++). 1. Définition et classification 1.1. Définition OMS : "la douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable en réponse à une atteinte tissulaire réelle ou potentielle ou décrite en ces termes". Différentes composantes : - sensori-discriminative : • qualité (brûlure, piqûre, etc.) • intensité • horaires • siège de la douleur - affective et émotionnelle : caractère désagréable, pénible - cognitive et comportementale : • réactions de défense • anticipation • coping (stratégies adaptatives mises en œuvre par le patient pour minimiser le retentissement fonctionnel de la douleur) • mémorisation de la douleur 1.2. Classification 1.2.1. Types de douleur Douleur par excès de nociception : - système nerveux intact 8 Le Livre de l'Externe - douleur localisée - rythme mécanique ou inflammatoire - bonne efficacité des paliers OMS (antalgiques usuels), morphine notamment Douleur neuropathique (anciennement neurogène) : - le système nerveux est lésé au niveau : • périphérique (neuropathies diabétiques, etc.) • ou central (lésions d’AVC, atteinte thalamique, médullaire, désafférentation…) - la douleur est caractérisée par sa topographie évocatrice en territoire déficitaire - elle est spontanée ou provoquée - douleurs possibles : • hyperalgésie à douleur accrue pour une stimulation normalement peu nociceptive • allodynie à douleur perçue lors d’une stimulation non nociceptive : · mécanique : statique (à la pression, à l’appui) et/ou dynamique (frottement, vibration) · thermique · chimique • hyperpathie : rémanence douloureuse temporelle et spatiale - sont évocateurs à l’interrogatoire : • la sensation de brûlure • les décharges électriques • le "froid douloureux" • les paresthésies-dysesthésies • la douleur au frottement (allodynie) - la douleur est peu sensible aux paliers OMS, notamment aux morphiniques Autres mécanismes : - douleurs mixtes : • métastases osseuses • hernies discales - douleurs "reflexes" : mécanismes musculaire et sympathique - douleurs psychogènes - douleurs idiopathiques (sans cause identifiée) 1.2.2. Douleur aiguë ou chronique Douleur aiguë : - souvent unifactorielle (inflammation) - protectrice : signal d’alarme, mais avec possibles conséquences néfastes (décharge sympathique) - les objectifs thérapeutiques sont curatifs - l’évolution se fait en règle vers la résolution - exemple typique : douleur post-opératoire Douleur chronique : - par définition, se prolongeant au-delà de 3 à 6 mois - multifactorielle +++ (mécanismes complexes intriqués avec facteurs d’entretien psychologiques, sociaux et culturels) 65. Bases neurophysiologiques et évaluation de la douleur - inutile - destructrice - conséquences : • physiques • morales (anxiété et dépression) • financières et sociales - évolution en cercle vicieux (comportement renforcé) - objectif thérapeutique : • réadaptatif • basé sur une approche multimodale (neurologue, prise en charge psychologique, kinésithérapeute, anesthésiste, etc.) • au mieux en centre d’évaluation et de traitement de la douleur - exemple typique : lombalgies 2. Bases neurophysiologiques 2.1. Douleur par excès de nociception 2.1.1. Le transfert du message nociceptif Au niveau périphérique : - un stimulus douloureux provoque une réaction inflammatoire aboutissant à la formation locale de substances sensibilisatrices (sérotonine) et algogènes : • prostaglandines • substance P • bradykinine • histamine • ions H+ et K+ • NO - ces substances vont stimuler des nocicepteurs, terminaisons libres nerveuses de neurones sensoriels primaires - une particularité : la suractivation de la douleur par réflexe d’axone (inflammation neurogène) : • la fibre qui véhicule l’information douloureuse vers le SNC possède des collatérales qui libèrent, de façon antidromique (trajet en sens inverse vers la périphérie), la substance P au niveau de multiples cibles (capillaires, mastocytes, etc.) qui libèrent à leur tour des substances excitatrices pour les fibres de la douleur : histamine, sérotonine, bradykinine, etc. • par exemple, à la suite d’une piqûre (fugace), la fibre fait monter un message douloureux mais aussi redescendre l’influx vers les ramifications distales, d’où le fait que la douleur irradie autour du point de ponction (sensation parfois de brûlure dans un second temps) - les fibres sensitives (nerfs périphériques) de la nociception : Ad et C (peu ou pas myélinisées, conduction lente) rejoignent le corps cellulaire du 1er neurone au niveau des ganglions rachidiens et vont ensuite se projeter au niveau de la corne postérieure de la moelle 9 10 Le Livre de l'Externe Les voies ascendantes : - au niveau médullaire, les fibres nociceptives libèrent : • des acides aminés excitateurs (le glutamate qui active les récepteurs NMDA, l’aspartate...) • d’autres médiateurs : substance P, kinines, VIP, CCK, GRP, etc. • activant ainsi le 2e neurone - ce second neurone projette des voies ascendantes : • un faisceau spino-thalamique qui rejoindra le thalamus latéral (composante spatio-temporelle et sensitive de la douleur) • les faisceaux spino-réticulo-thalamique et spino-pontomésencéphalique qui rejoindront le thalamus médian (composante émotionnelle, réactions motrices) - le 3e neurone est issu du thalamus et se projette sur le cortex somesthésique et le système limbique, lieux d’intégration du message douloureux 2.1.2. Modulation de la douleur L’inhibition de la douleur s’exerce au niveau du second neurone. Le contrôle segmentaire = "Gate control" : l’activation de fibres sensitives cutanées de gros calibre inhibe la transmission des influx nociceptifs des fibres de petit calibre au niveau de la corne postérieure de la moelle (rôle du GABA et de la glycine). Les contrôles supraspinaux : - contrôle inhibiteur descendant : • des fibres, partant du bulbe, assurent un tonus inhibiteur permanent au niveau médullaire • des substances opioïdes endogènes assurent un effet antinociceptif au niveau spinal, mais également d’autres substances (noradrénergiques et sérotoninergiques) ; la naloxone (antagoniste des opiacés) lève cette inhibition - contrôle inhibiteur diffus nociceptif : • la plus forte douleur éteint la plus faible par rétrocontrôle en cas de double stimulation nociceptive • une douleur peut en masquer une autre : contre-irritation ou contrestimulation 2.2. Douleurs neuropathiques Quelques mécanismes identifiés : - mécanismes périphériques : sensibilisation et naissance d’influx ectopiques au niveau des afférences nociceptives, rôle du système sympathique, inflammation nerveuse - mécanismes centraux : sensibilisation, inflammation, désafférentation 3. Evaluation de la douleur Elle est indispensable à la prise en charge thérapeutique. Grande variabilité inter et même intra-individuelle. Caractéristiques : - terrain - date de début - circonstances d’apparition (horaires notamment) 65. Bases neurophysiologiques et évaluation de la douleur - 11 localisation irradiations facteurs aggravants ou antalgiques traitements entrepris et leur efficacité type de douleur (nociceptive/neurogène) intensité évaluer le retentissement en cas de douleur chronique notamment (psychologique, social, etc.) Autoévaluation (référence chez le sujet communiquant) : - par échelle visuelle analogique ou EVA (outil de référence +++, cf. item ECN n°68) : • échelle simple, mais non comprise par 10% des patients • rapide • reproductible • sur réglette à double face avec curseur • côté patient : extrêmes "absence de douleur" et "douleur maximale imaginable" • côté soignant : graduation de 0 à 100 mm - par échelle numérique : le patient quantifie sa douleur entre 0 et 10 - par échelle verbale simple (douleur absente, faible, modérée, intense = niveaux de 0 à 3) - par des questionnaires plus complexes en centre anti-douleur (échelles multidimensionnelles), type QDSA (questionnaire douleur Saint-Antoine) Hétéroévaluation : - s’utilise dans les cas où l’autoévaluation est impossible (sujet âgé non communiquant, dément, troubles de conscience, petit enfant, etc.) - mais reste moins fiable et repose sur la recherche de signes indirects de douleur : • mimique • sons émis • cris • pleurs • agitation • prostration • paramètres cardio-respiratoires - plusieurs échelles sont possibles : • pour les sujets âgés : Doloplus-2, ECPA… • chez le polyhandicapé : DESS… - l’objectif est de guider le traitement pour aboutir à une analgésie efficace - l’analgésie à la demande est à proscrire - prescription systématique adaptée au niveau de douleur et aux réévaluations régulières - surveillance régulière de l'efficacité et de la tolérance